Le lac d'Uri et la traversée de l'Urirotstock | Club Alpin Suisse CAS
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Le lac d'Uri et la traversée de l'Urirotstock

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 2 illustrations ( n0B 57, 58Par Ph. Bérard Six jours de vacances amphibies Va, découvre ton pays, dit le slogan des vacances de guerre. Et ceci est d' autant plus vrai, que la vente des cartes topographiques détaillées est interdite. Une carte du lac d' Uri et de l' Urirotstock nous reste heureusement, du temps où nous apprenions à parler de la main gauche.

Le lac d' Uri est certainement le plus beau lac de montagne de la Suisse. Les rives uranaises sont en effet particulièrement belles, car elles sont formées en grande partie de bois, de forêts et de parois de rochers, qui ont gardé toute leur virginité. Goethe s' inspira du souvenir de cette région, en décrivant le lever de soleil, au début de Faust 11, mais il confia à Schiller le récit du drame historique de Tell.

La pyramide du Gitschen et la fine accolade enneigée de l' Urirotstock dominent le lac, encadré entre les parois à pic de l' Axenstrasse et du Rütli. Pour admirer ce paysage dans toute sa beauté, il est nécessaire d' avoir recours à la navigation. Le Schiller, le Winkelried ou leur sœur Helvetia transportent allègrement les touristes dès la pointe du jour et jusqu' à la nuit. Si l'on dispose de quelques jours de vacances, on peut même facilement faire le tour du lac des Quatre-Cantons en canoë et visiter ainsi cette belle région dans les meilleures conditions possibles. Car la navigation touristique est l' amie sportive de l' alpinisme. Elle a cette même passion de se plonger dans la nature pure, hors d' atteinte des souillures du monde. Elle permet d' admirer le même genre de paysages. Au lieu de sommets, de vallons et de mers de brouillard, ce sont des caps, des golfes et des lacs ou la mer.

C' est donc équipé d' un sac de montagne et d' un canoë, que nous prenons le train pour Lucerne, par une belle après-midi de fin juillet. Nous arrivons au cou- 1 Cf. A. Renaud: Les entonnoirs du glacier de Gorner. Mémoires de la Société helvétique des Sciences naturelles. Vol. LXXI, I.

LE LAC D' URI ET LA TRAVERSÉE DE L' URIROTSTOCK cher du soleil. La rade, encore toute animée des bateaux à vapeur et des vedettes à moteurs, est entourée de collines, au-dessus desquelles se dressent le Righi, le Bürgenstock et le Pilate qui se silhouettent en vert sombre sur le ciel rose.

Le soir nous avons le temps d' aller voir la cathédrale, entourée d' un cloître aux fines arches blanches, comme un décor de théâtre, sous ses projecteurs, et le Lion de Lucerne, dont l' éclairage électrique fait encore mieux ressortir l' expression de souffrance.

Le premier jour de navigation nous conduit tout d' abord à la maison de Wagner, sur un cap de verdure, puis le long des rives forestières du Mattgrat et par une dernière traversée jusqu' à Beckenried. C' est alors l' escalade aérienne par le téléférique de Klewenalp, d' où la vue plonge sur le lac. C' est là le point de départ pour l' ascension du Brisenstock et du Schwalmis.

Le second jour, par Gersau, le monument Schiller et le Rütli, nous arrivons à Isleten, hameau sans hôtel, isolé du monde par deux falaises à pic, où nous laissons le canoë près du seul petit restaurant de l' endroit.

L' Urirotstock Sac au dos nous attaquons courageusement les premiers lacets de la route taillée dans la falaise, lorsqu' un puissant tracteur nous rejoint. Le chauffeur nous invite à prendre place auprès de son collègue, le serre-frein de la remorque, et c' est en première vitesse, et souvent en seconde, que la route défile maintenant sans effort. Notre compagnon nous donne toutes les indications quant au chemin à suivre à partir d' Isenthal, où le tracteur s' arrête pour la nuit après sa journée de travail de transport de bois.

La route continue tout d' abord le long du torrent, puis on bifurque à gauche pour s' engager dans le Grosstal, laissant à droite le chemin de St-Jakobs-Kapelle. Peu après, un sentier quitte le ruisseau et s' élève en lacets dans la forêt de gauche, et la pointe rocheuse de l' Urirotstock apparaît bientôt, toute rose au soleil couchant, au-dessus des sapins. La forêt s' éclaircit, voici des pins clairsemés, puis des rocailles fleuries de rhododendrons et enfin le pâturage et le chalet de Biwald, où nous dormirons.

Installé sur la terrasse, devant un souper de lait cru et de pain, nous regardons le ciel lumineux passer par toutes les teintes du violet rose à l' or pâle, derrière les échancrures bleues des montagnes d' Unterwald.

Puis, comme il commence à faire frais, le repas se termine dans la cuisine chaude, en compagnie de trois gentilles confédérées, dont l' une s' occupe du fourneau, l' autre de la fruitière et la troisième de la salle et des comptes. Avant de monter au dortoir, il faut encore s' enquérir auprès du gardien du chemin à suivre le lendemain, afin de pouvoir partir de nuit et voir la montagne dans toute sa fraîche beauté de la première heure.

Le matin les étoiles sont si brillantes, que le chemin est visible sur le pâturage et qu' il suffit de presser le bouton de la lampe électrique de temps à autre lorsque l' herbe disparaît et qu' il ne reste plus qu' une trace douteuse sur l' éboulis. L' aube se lève et nous attaquons bientôt la moraine. Le glacier de Blümlisalpfirn s' étend de plus en plus vaste à notre droite. Il rosit bientôt, et les ombres des pointes environnantes le traversent de leurs flèches violet pâle.

Arrivé au sommet de la moraine, nous allons jeter un coup d' œil sur l' autre versant, d' où le regard plonge à pic de près de mille mètres de la paroi du Gitschen sur le vallon du Sustenpass. Les chalets ne sont que de petits points et les vaches à peine visibles, mais la douce musique de leurs cloches monte jusqu' à nous dans l' air calme. Longeant ensuite l' épine dorsale de l' Urirotstock, nous atteignons le sommet encore tout tranquille. Tout en bas, sur la moraine, les premiers touristes font halte pour déjeûner. La vue s' étend par-dessus le Titlis jusqu' aux Bernoises, et plus à gauche ce sont le Dammastock, le Six Madun, le Tödi et les Clariden.

Au premier plan le Brünnistock, le Blackenstock et l' Engelberg Rotstock. De l' autre côté le Fronalpstock et le Rophaien plongent dans le lac d' Uri. A nos pieds le Grosstal, à gauche, et le Kleintal, à droite, par où nous allons redescendre directement sur Isleten.

Des caravanes arrivent au sommet. Il y a même des enfants, garçons et fillettes. Les confédérés s' y prennent de bonne heure pour commencer l' éducation montagnarde de leur progéniture. Un clubiste de Schwytz nous explique les détails de l' itinéraire de descente. Une petite arête de rochers faciles, un glacier sans crevasses et quelques névés aboutissent à un replat que l'on traverse sur la gauche, jusqu' au bord, où un sentier commence, presque au pied des parois du Kesselstock, le contrefort de l' Urirotstock.

Après une pente raide d' éboulis et de petites dalles, le sentier traverse des pentes de gazon sur la gauche, puis une gorge de rochers chaotiques, vraie chaudière, en effet, avec le torrent qui se précipite de paroi en paroi.

Et voici Musenalp, l' alpe des muses, où l'on peut boire du bon lait. On raconte même qu' un Zurichois s' en est donné un herzschlag. Plus bas, le chemin passe un vieux pont de pierre sur une gorge tortueuse, puis il rejoint la route d' Isenthal, un peu au-dessous du village. Les caravanes du samedi après-midi montent déjà à l' assaut de l' Urirotstock. Elles sont venues en bateau à vapeur de Brunnen.

Le lac d' Uri Mais du côté du Gothard les nuages noirs s' amoncellent. Déjà les éclairs sillonnent le ciel ici et là. Lorsque le Baby, notre canoë, est prêt à prendre le large, le vent du sud s' est levé en tempête et le lac bleu indigo est couvert de moutons blancs.

Ce doit être un peu le temps qu' il faisait, lorsque Gessler se décida à libérer Tell pour sauver son bateau. Nous avons juste le temps de doubler le cap d' Isleten, et le vent pousse notre esquif le long de la paroi à pic du Harderenband. Les vagues grossissent, et il ne ferait pas bon les prendre de côté, aussi avisons-nous une maison de paysan, au fond de la baie, où nous décidons d' aborder sur une grève large d' un mètre, entre les blocs de rocher, au milieu des brisants. Grâce à notre souci de ne pas mouiller les bagages qui renferment les photos, l' opération réussit à merveille.

Les enfants sont accourus et sont ravis de l' aventure. La soirée se passe en écoutant un accordéoniste accompagnant les habitants chantant doucement:

« Das Lied der Heimat, das meine Mutter sang... » Die Alpen - 1944 - Les Alpes15 LE LAC D' URI ET LA TRAVERSÉE DE L' URIROTSTOCK Le lendemain est un dimanche ter août. Le lac est calme, notre baby glisse sur l' eau vers Flüelen, où nous assistons à la messe dans une grande église claire portant la sage devise:

« In allem, was du tuest, bedenk' das End'. » Puis c' est la paroi de l' Axenstrasse. Sous un rocher surplombant au-dessus de l' eau une hirondelle bleue et blanche nourrit ses petits alignés au bord du nid. Nous traversons ensuite sur le Rütli, où le Conseiller National Niederhauser, de Bâle, prononce une allocution sur la pelouse historique du premier serment. L' assemblée chante le cantique suisse accompagnée par la fanfare de Sisikon.

Le temps est si beau que nous allons dormir à la belle étoile sur les coussins du canoë étendus sous une voûte au bord de l' eau au pied de la Geister-wand. Comme dans la nuit de 1291, les feux s' allument l' un après l' autre sur les montagnes. Ils se reflètent dans le lac avec les étoiles. Les hiboux lancent leur cri plaintif dans la nuit. Nous nous endormons au son léger de la lointaine fanfare apportant de l' autre rive toutes les mélodies patriotiques.

Nous nous éveillons au lever du soleil. La lanterne vénitienne rouge à la croix blanche, suspendue à un buisson au-dessus de l' eau, a brûlé sa bougie jusqu' au bout. Nous reprenons notre croisière, avec escale encore une fois à l' Hôtel de la Lune, à Beckenried.

Le dernier jour de navigation est agrémenté de l' ascension du Bürgenstock, par le téléférique du Mattgrat, la corniche et l' ascenseur. Puis nous arrivons à Lucerne juste avant un coup de vent d' ouest, que nous sommes heureux de n' avoir pas rencontré plus au large.

C' est ainsi que, sans benzine ni passeport, grâce à notre canoë, nous avons fait une croisière aussi belle que celles des années de paix en Méditerranée.

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