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Le quotidien d'un fromager d'alpage de Grindelwald Vivre entre modernité et tradition

Nombreuses sont les fromageries d' alpage qui, ces dernières années, ont adapté leur fabrication aux prescriptions d' hygiène édictées par l' Union européenne. On a vu ainsi apparaître sur l' alpe le béton, les catelles de céramique, les cuves d' acier au chrome-nickel et les parcs fermés. Cela ne s' est pas passé ainsi chez Robert Lauber, qui fait toujours ses fromages au feu ouvert et travaille avec des outils de bois. Coup d' œil chez un artisan dont le fromage d' al ne doit rien qu' au travail manuel.

« Deux cyclistes se sont un jour précipités dans le chalet, croyant à un incendie », se souvient en souriant le vigoureux nonagénaire, à qui cette attention soudaine a beaucoup plu. Nombreux sont en effet ceux qui auraient passé leur chemin. Robert Lauber retire du feu le chaudron noir de suie. Le thermomètre lui est inconnu, il sait au toucher que la température adéquate est atteinte pour permettre de mélanger le petit-lait et la présure qui vont cailler le lait. C' est au moyen d' une harpe que le caillé sera ensuite découpé. Chaque instrument est à sa place. Après septante-cinq ans de pratique, le fromager procède avec un automatisme qui n' exclut pas le plaisir: « Ce métier exige de la conviction, de l' en, de la passion », déclare Robert Lauber, qui ajoute « on y gagne peu et les loisirs n' y existent pas, mais le travail physique me convient et le lait, le beurre et le fromage ont ici une saveur à nulle autre pareille. Notre travail contri- Sur l' alpage: Robert Lauber à la fabrication matinale du fromage.

Trop de mesures d' hygiène enlèvent au fromage d' alpage son arôme spécifique, selon Robert Lauber.

Sur l' Alp Läger, Robert Lauber fabrique encore le fromage selon la tradition. La masse du fromage devient de plus en plus épaisse. Photos: Iris Kürschner bue à l' entretien du paysage, au maintien de la diversité végétale menacée par l' en de la forêt. C' est aussi une source de satisfaction. »

Travail manuel et outils de bois

Robert Lauber trouve dans la nature tout l' outillage nécessaire à son travail. Il suffit d' en adapter les formes. Les seilles ( récipients où l'on garde pour un temps limité le lait fraîchement traît ) sont faites d' arole, un bois gras qui ne s' imprègne pas. La suie de son chaudron est raclée avec une brosse à dents, afin de préparer l' inscription à mettre sur les meules fabriquées la veille. Son écumoire à crème, il l' a sculptée dans la souche d' un arbre. La branche de sapin écorcée qui remplace le brasseur électrique, il la nomme en souriant « griffe du diable ». Patiem-ment, il remue la masse en fermentation et s' octroie le confort d' un tabouret car, dit-il comme pour s' en excuser, « les forces diminuent quand même avec l' âge ».

Après avoir, au moyen d' une étamine, sorti du chaudron la pâte encore molle du fromage nouveau et l' avoir encerclée sous une presse, Robert Lauber voit arriver Kurt. Ce dernier est venu chercher le petit-lait restant de la fabrication, avec lequel sera fait le sérac. Il y a cent ans encore, les paysans mettaient le petit-lait devant la porte, pour qu' il serve au bain des touristes. C' est maintenant le moment de nettoyer les instruments de travail, et l'on apprend que le petit-lait utilisé à cet effet est aussi un bon détachant pour les taches sur les vêtements. Rien n' est gaspillé sur l' alpage. Aucun moteur n' assiste Robert Lauber dans son travail de fromager. L' absence de machines le maintient en forme. Il veille avec fierté sur ses fromages, qui dégagent les effluves appétissants de ses herbages fleuris.

Informations supplémentaires Exposition Dans le cadre du 90 e anniversaire de l' organisme de vulgarisation et de formation de l' Ecole d' agriculture de montagne, le Musée du patrimoine et de la viticulture de Spiez présente jusqu' au 31 octobre 2009 une exposition sur l' histoire de la fromagerie d' alpage et sur ses équipements.

Fête du fromage Chaque année, tous les producteurs de fromage de la région se d' alpage rassemblent sur la Grosse Scheidegg, dans le cadre majestueux dessiné par l' Eiger, le Mettenberg et le Wetterhorn. On peut à cette occasion déguster et acheter des fromages, et assister à des démonstrations de fabrication.

On trouvera d' autres informations sur les fromages d' alpage du pays bernois sur www.casalp.ch.

Les mains ne suffisent pas, il faut s' aider aussi de la bouche pour emprisonner la masse du fromage dans l' étamine.

Des fromages fabriqués hors normes européennes

Bien que la Suisse ait dû adapter ses lois aux normes d' hygiène de l' Union européenne, Robert Lauber ne se posa jamais la question de moderniser. Seuls ceux qui mettent en pratique méticuleusement ces prescriptions ont la chance de vendre leur fromage d' alpage au commerce de gros et, par là, de l' exporter. Se débarrasser de ses chers outils de bois et bannir de la fromagerie le feu ouvert? « Jamais! Ce sont des paperassiers qui ont inventé ça, murmure-t-il, ce qui en ressortira, c' est du fromage industriel, conforme et neutre de goût. C' est un non-sens et une offense à la nature. La stérilisation ne tue pas que les mauvaises bactéries, mais aussi les bonnes. » Une modernisation n' aurait pas seulement fait disparaître les qualités naturelles et le goût particulier de son fromage, mais aussi dégoûté une bonne partie de sa clientèle locale. « Je ne crois pas aux prescriptions d' hygiène exagérées, d' autant moins que je vis encore », dit-il en riant, La fabrication du fromage est déjà bien avancée.

Lui qui aura 89 ans en septembre et qui passera encore l' été prochain à l' alpage si sa santé le lui permet. Il ne veut rien savoir non plus des additifs, et il n' est pas seul dans ce cas. Bien que certains addi-tifs soient autorisés depuis l' ouverture aux marchés européens ( par exemple les ferments résultant de manipulations génétiques, les produits colorants et de conservation ), les producteurs suisses de fromage renoncent à leur utilisation afin de pouvoir vendre un « produit naturel non falsifié ». Le consommateur de fromage suisse ne veut pas non plus à l' ave se trouver devant les rubriques « E » que l'on trouve souvent sur les fromages importés. Les nouvelles prescriptions suisses 1 autorisent de nouveau, tout à fait officiellement, la fabrication de fromage sur feu ouvert et le travail avec des outils de bois. Les promeneurs pourront encore à l' avenir assister, par-dessus l' épaule du fromager, à la naissance magique du fromage d' alpage fabriqué au feu de bois. Et mieux encore, s' en faire emballer un morceau pour le pique-nique.

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