Les débuts de la photographie de haute montagne | Club Alpin Suisse CAS
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Les débuts de la photographie de haute montagne Jules Beck, pionnier biennois de la photographie

Le commerçant suisse Jules Beck ( 1825–1904 ) fait partie des pionniers de la photographie de haute montagne. Le Musée Alpin Suisse va lui consacrer prochainement une exposition temporaire, véritable voyage de découverte pour le visiteur.

Des touristes dans la montagne. Ils sont montés en télécabine et avalent à pied les quelques mètres qui les séparent du point culminant. Ils dégainent leur appareils photo, pressent sur le bouton et jettent un coup d' œil sur leur écran ?: le panorama est dans la boîte. Au tour du prochain cliché ?! Voilà en quelques mots ce qu' est devenue la photographie aujourd'hui, pour la majorité des gens du moins, caractérisée par des appareils très légers et faciles à tenir dans la main. Il en allait tout autrement au début de la photographie, lorsque les pionniers faisaient acheminer 250 kilos sur les sommets. Le photographe français Auguste Bisson réquisitionna par exemple 25 porteurs lorsqu' il réalisa les premiers clichés du Mont-Blanc. Des plaques de verre, des produits?chimiques, de lourds appareils photo et des pieds massifs étaient nécessaires, sans oublier une tente-laboratoire dans laquelle les plaques de verre étaient sensibilisées dans la fraîcheur et l' humidité pour pouvoir être développées immédiatement après la prise de vue.

« ?Ces régions où règne la mort? » Tous ces désagréments n' ont pas empêché la marche victorieuse de la photographie, même pas en haute montagne. En 1839 déjà, année où l'on annonça à Paris l' invention de la daguerréotypie, d' aucuns exprimaient leur espoir de réaliser un jour des « ?représentations fidèles d' au moins quelques aspects intéressants des sculptures de glace miraculeuses qu' offrent les régions élevées des glaciers alpins. Les objets à immortaliser ont en effet la qualité d' être immobiles dans ces régions où règne la mort1. ?» La haute montagne exerçait un attrait quasi magique, tandis qu' elle était perçue comme extrêmement hostile à l' homme. Elle nécessitait des efforts techniques et logistiques que l'on peine à s' imaginer aujourd'hui, notamment parce que les temps de pose ne se mesuraient pas en secondes, mais en minutes, et qu' ils pouvaient même aller jusqu' à trois quarts d' heure Parmi ces courageux pionniers de la photographie de haute montagne figurait Jules Beck, un commerçant né à Bienne et établi à Strasbourg. Il fit ses premiers essais en 1866 sur le Wetter?horn en utilisant une innovation chimique révolutionnaire fraîchement inventée ?: la plaque sèche. Les plaques ne devaient plus être préparées et développées sur place dans des conditions difficiles, ce qui permettait une éco?nomie matérielle non négligeable. Le poids de l' équipement ne représentait plus que 12 à 14 kilos. Cependant, le temps de pose courait encore entre deux minutes et demie et cinq minutes, voire 45 au maximum. En « ?simple dilettante? » En 1867 déjà, Jules Beck faisait l' ascension du sommet du Mont-Rose avec deux guides. Il y réalisa des clichés qui séduisent aujourd'hui encore par leurs qualités photographiques et esthétiques ?: d' une netteté extraordinaire, un parfait jeu d' ombre et de lumière dans les masses de roche, et une qualité du détail difficile à surpasser. On voit déjà ici ce qui caractérise la plupart des photos de Beck, au nombre de 1200 au total ?: il met en exergue de manière conceptuelle la lumière, l' aura et l' énergie qui émane de la haute montagne2. Jules Beck se définissait lui-même comme un « ?simple dilettante3 ?», mais c' était sa vocation, qu' il avait d' ailleurs formulée en 1867 déjà et qu' il suivit ensuite durant 24 ans ?: « ?Une prise de vue réussie ne rend pas seulement une image des plus fidèles d' une région de montagne, mais livre également les meilleures informations en vue de l' élaboration de cartes topographi?ques4. ?» La réussite n' était pas toujours au rendez-vous et le rêve était souvent éclipsé par la réalité, comme le photographe eut l' occasion de le relever après une course éprouvante ?: « ?La productivité de mon séjour à la nouvelle Berglihütte fut toute relative en raison du vent et de la nébulosité ?: 125 francs de frais et deux jours de fatigue pour quatre clichés de qualité médiocre5. ?» Toutefois, l' ami Beck ne baissait pas les bras. Il photographia les Alpes suisses de manière systématique, fit l' ascension de l' Etna, traversa les Pyrénées et visita Dolomites. Son approche était tout ce qu' il y avait de plus pragmatique. Il documentait, parallèlement aux clichés des sommets et des panoramas, les passages-clés de l' ascension et livrait ainsi à ses collègues alpinistes des informations utiles, puisque la cartographie de l' époque en était encore à ses premiers balbutiements et que le CAS ne commença à publier des plans détaillés et des itinéraires qu' à partir de 18636. Les photographies de Jules Beck faisaient régulièrement l' objet de publications dans le Jahrbuch des S.A.C., sous la forme toutefois de gravures ou de lithographies, puisqu' il fallut attendre 1881 pour qu' il fût possible de reproduire des photographies par impression, cela grâce au développement du procédé de la photogravure ( voir aussi Les Alpes, 5/2009 ). Homme d' affaires qu' il était, Jules Beck trouva la solution, en composant des albums7, des catalogues de photographies de montagne à vendre, la plupart du temps au prix de 1.50 francs / pièce. En outre, il faisait régulièrement des conférences au sein de la section de Berne du CAS entre autres, dont il avait participé à la fondation en 1863. Un document historico-culturel Eu égard aux conditions précaires qui présidèrent au travail de Jules Beck, il n' est pas étonnant qu' il qualifiât sont travail d'«?acrobaties photographi?ques ?». C' est d' ailleurs le titre de l' exposition temporaire qui s' ouvrira prochainement au public au Musée Alpin Suisse ( voir encadré ), conçue par Urs Kneubühl, directeur du musée, et par l' historien de la photographie Markus Schürpf. L' exposition rend hommage à l' œuvre de Jules Beck dans le cadre de l' histoire de l' alpinisme et de la photographie, sans en oublier la valeur historico-culturelle et esthétique, qu' elle fait découvrir pour la première fois à sa juste valeur. Les photographies et panoramas exposés documentent sur le changement de regard porté à la haute montagne, ainsi que sur les changements fulgurants qu' a connu le paysage et qui se laissent déduire du recul des glaciers et de la fonte des névés. Jules Beck a également immortalisé de nombreuses cabanes du CAS, construites dès les années 1860 et consistant la plupart du temps en des abris primitifs difficiles à distinguer des masses de rochers. Le contraste avec la nouvelle cabane Monte Rosa, inaugurée en juillet dernier, ne pourrait être plus marquant. Ce retour aux débuts de l' alpinisme est tout simplement fascinant. 1 Citation tirée de ?: Erich Stenger, Die beginnende Photographie im Spiegel von Tageszeitungen und Tagebüchern, Würzburg 1943. 2 D' après Markus Schürpf, historien de la photographie ( entretien datant du 5 août 2010 ). 3 Jules Beck, in ?: Erster Supplement-Katalog. Hochgebirgs-Ansichten, Photographien nach der Natur von J. Beck, Mitglied des SAC Sektion Bern, 1879.

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