Les Galmihörner et le Schönbühlhorn | Club Alpin Suisse CAS
Soutiens le CAS Faire un don

Les Galmihörner et le Schönbühlhorn

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Louis Kurz ( Section de Neuchâtel ).

Les Galmihörner et le Schönbühlhorn 12 et 13 Juillet 1884. Par Lors de l' apparition du supplément à l' excellent ouvrage de M. G. Studer, Ueber Eis und Schnee, j' y lus la phrase suivante dans le chapitre intitulé: Gebiet der Grimsel: „ En général, le haut massif situé au sud du glacier de l' Oberaar et du Studer-Firn a été peu visité par les touristes. Les Galmihörner en particulier, du sommet desquels on doit jouir d' une vue magnifique, attendent encore leurs premiers ascensionnistes. " Cette année-là, je me proposais de tenter l' ascension du Schönbühlhorn ( 3864 in ), cime vierge de la chaîne des Wann eh orner, non loin du massif en question; aussi, après avoir médité la note de M. Studer, je finis par comprendre les Galmi dans mon plan de campagne d' été. Malheureusement, le mauvais temps m' empêcha alors d' accomplir cette partie de mes projets et ce n' est que cette année-ci que je pus la mettre à exécution.

Dès les premiers jours de Juillet, accompagné de mon plus fidèle compagnon de courses, M. Barbey de Lausanne, nous allons nous installer à l' Eggishorn et après nous être assurés du concours des guides Seiler et Albrecht, nous arrêtons le plan fort simple que voici: Aller à la cabane de l' Oberaar, de là, escalader les Galmi, revenir coucher à l' Oberaar; puis, le lendemain, traverser le Schönbühlhorn pour rentrer à l' Eggis. Le plan est vite étudié et le 11 Juillet, à 9 heures du matin, nous nous mettons en route. Nous remontons d' abord le Walliser Viescher Gletscher, puis nous traversons le Studer-Firn pour atteindre l' éperon rocheux qui descend de l' Oberaarrothhorn, où est située la cabane de l' Oberaar. Cette promenade de 7 à 8 heures se fait sans incident saillant et vers 5 heures du soir nous joignons la cabane, que nous trouvons en parfait état. En passant nous avons pu faire un rapide examen des Galmi: un coup d' œil a suffi pour nous prouver qu' il n' y aura aucune difficulté d' y parvenir: c' est partie gagnée d' avance.

Nous passons une nuit des plus confortables et le 12 Juillet nous partons à 3 heures 15 minutes du matin. Traversant le Galmi-Firn et remontant à gauche de l' arête Nord-Ouest du Vorder-Galmi 1 ) par une pente ne dépassant jamais 40 ° d' inclinaison, nous arrivons sans aucun effort à un petit sommet rocheux que nous fouillons dans tous les sens pour voir s' il n' existe pas quelque vestige d' ascension antérieure. Ce sont en effet les dernières roches que l'on trouve jusqu' au sommet,, et le dernier point où l'on puisse marquer son passage. Nos recherches sont heureusement infructueuses; nous élevons un petit cairn, puis nous nous dirigeons vers l' Est, où se trouve le point culminant du Vorder-Galmi.

Nous nous attendions déjà, je l' ai dit, à ne trouver aucune difficulté dans cette escalade; mais, à ce mo-ment-là, l' extrême facilité d' une ascension qui nous paraissait avoir une certaine importance, nous surprend et même, avouons-le, nous fait sourire. Il semble que la nature, qui ménage souvent de si cruelles déceptions aux ascensionnistes, ait voulu leur éviter tout désagrément sur cette montagne modèle et leur procurer toutes les commodités possibles. Un vaste plateau, légèrement incliné vers l' Ouest et uni comme le parquet d' un salon, permet de se promener dans tous les sens sans crainte de tomber dans une crevasse ou de faire un pas fatal. Nous traversons ce plateau sans nous presser et 2 heures après notre départ nous voilà au but, un aimable belvédère tout en neige, par un temps splendide, une vue claire et étendue, bref, impossible d' imaginer une première accomplie dans d' aussi agréables conditions.

Nous prenons à notre aise le temps voulu pour examiner le remarquable panorama qui s' étend autour de nous. Ce sont tout d' abord les montagnes bernoises, parmi lesquelles le Finsteraarhorn est particulièrement remarquable; après elles la chaîne du Mont-Blanc, 14Louis Kur e.

l' immense massif des Alpes valaisannes, du Combin au Weissmies, le chaînon qui court du Monte Leone au Blindenhorn; plus loin, à l' Est, le groupe du Galenstock, à droite duquel je crois reconnaître le massif de la Bernina. Au-dessous de cette étendue de cimes nous voyons, au pied du Galmi, à travers les brèches creusées dans les flancs de la montagne par le passage des torrents, quelques coins verdoyants de la vallée du Rhône, qui forment un riant contraste. Cette vue me semble parfaite; je crois que, de tous les sommets que j' ai visités, aucun n' a produit sur moi une pareille impression et je suis certain qu' une fois le point mieux connu, peu de personnes passeront le col de l' Oberaar sans faire ce petit détour au sommet du Galmihorn.

Nous restons là une heure et demie et il faut que Seiler nous rappelle que nous avons encore à visiter la seconde cime pour nous décider à partir. Nous descendons d' abord sur la Bächi-Lücke ( 3402 m ) puis, tantôt par des rochers, tantôt par la neige, nous atteignons le Hinter-Galmi ( 3482 m ), par une longue arête très déchiquetée qui forme le sommet. J' espérais avoir d' ici un endroit favorable pour faire une bonne photographie du Vorder-Galmi, mais l' arête est si étroite et si découpée que j' ai une peine infinie à trouver une place pour fixer l' appareil et à prendre un cliché. Après une halte de 35 minutes, nous descendons jusque près de la Galmi-Liicke, qui est située au Nord de l' Hinter; de là, en longeant la base, de l' Oberaarrothhorn, nous revenons à la cabane, à 10 heures 5 minutes.

Pour employer notre après-midi, nous visitons rOberaarhorn ( 3642 m ), dont on atteint facilement le sommet en 1 heure et demie. De retour vers 4 heures, nous avons une longue soirée devant nous pour nous reposer de fatigues imaginaires et discuter la traversée du Schönbühlhorn. Depuis le sommet de l' Eggishorn j' ai examiné au télescope le chemin que nous aurions à prendre pour redescendre sur le versant Ouest, c'est-à-dire du côté du glacier d' Aletsch, et j' en ai découvert un qui me semble praticable. D' un autre côté, depuis le haut du Vorder-Galmi nous avons remarqué qu' on peut arriver facilement au pied des rochers formant le pic terminal, mais nous étions trop éloignés pour porter un jugement certain sur les difficultés qu' ils présenteront. En tous cas, il y aura plus à travailler qu' aux Galmi et cette idée n' est pas sans douceur, car nous sommes bien un peu penauds de la trop facile victoire de ce jour.

Le 13 Juillet, vers 1 heure du matin, en mettant le nez hors de la cabane, nous constatons avec désappointement que d' épais brouillards nous entourent. C' est vexant! que faire? Seiler nous conseille de nous recoucher paisiblement et d' attendre une heure ou deux avant de prendre une décision. C' est le plus sage sans doute, mais l' impatience qui nous dévore nous empêche de nous rendormir, et tous les quarts d' heure l' un de nous va ouvrir la porte pour juger du temps. A 2 heures et demie en fin, j' ai la joie d' annoncer que les nuages se sont dissipés comme par enchantement. Nos préparatifs ne sont pas longs: à 3 heures 15 minutes nous quittons la cabane et nous nous dirigeons sur le Rothloch, à la base du Finsteraarrothorn.

10 Après avoir traversé le Walliser Viescher Firn, nous remontons d' un bon pas les vastes névés qui descendent du Schönbühlhorn. Mais notre marche est bientôt considérablement ralentie par les nombreuses et larges crevasses qui nous barrent le chemin. Malgré cela et grâce au coup d' œil sûr de Seiler, nous pouvons sortir de ce labyrinthe sans trop perdre de temps et à 8 heures et demie nous sommes confortablement établis sur les rochers au pied de l' arête Nord-Est du Schönbühlhorn, à une altitude de 3630 mètres.

A en juger par ce qui se présente à nos yeux,, nous n' aurons plus une parcelle de neige jusqu' au sommet; devant nous l' arête se dresse déchiquetée et parfois presque à pic: nous sommes du reste mal placés pour l' étudier, et tout en déjeunant nous concluons qu' il n' y a qu' un chemin possible: essayer de grimper tout droit. C' est ce que nous faisons. La première demi-heure se passe aisément, mais alors la pente s' accentue fortement et nous faisons une halte pour nous remettre à la corde, que nous avons quittée au déjeûner. Nous obliquons sur la droite pour contourner un grand rocher qui nous barre le passage et au delà duquel nous trouvons l' arête, très aiguë et très raide, le long de laquelle nous nous cramponnons. A grand peine nous faisons ainsi une cinquantaine de mètres, puis, abandonnant l' arête, décidément trop difficile à suivre, nous gagnons à droite une grande paroi que nous remontons en zigzags.

Je ne me souviens pas d' avoir trouvé d' aussi mauvais rochers à escalader; ils coupent comme des rasoirs et cèdent en même temps si facilement sous.

la main et sous le pied, qu' il faut s' y prendre à plusieurs reprises et chercher un moment avant de trouver une saillie solide. Le grand inconvénient de cette mauvaise qualité du rocher est la quantité de pierres qu' on fait ébouler à chaque pas. C' est ce qui nous oblige à zigzaguer sur la pente au lieu de monter en droite ligne, chose toujours préférable dans les mauvais passages, qu' ils soient de rocher ou de glace. Peu à peu la paroi devient à son tour impraticable et nous nous rapprochons de nouveau de l' arête, que nous sommes enfin obligés de traverser; mais elle est si mince et si escarpée qu' il faut faire un vrai tour de gymnastique pour la passer, c'est-à-dire qu' il faut s' enlever sur les bras et l' enjamber. Pour moi, ma taille me permet de réussir la chose assez facilement, mais Seiler, qui est petit, a un peu de peine, et en passant il laisse échapper son piolet, qui dégringole, dégringoleet disparaît.

Nous continuons la grimpée en tenant l' arête sous le bras droit, le piolet de la main gauche et en cherchant tant bien que mal où poser les pieds. Quelques minutes plus loin les difficultés cessent tout-à-coup et l' arête s' élargit. Nous en profitons pour faire une courte halte et Seiler se détache malgré les remontrances du second guide pour aller chercher son piolet. Il l' aperçoit bientôt, mais dans une situation telle qu' il renonce immédiatement à le recouvrer. Les mauvais passages nous ont coûté 2 heures et demie d' un pénible travail. Depuis là des rochers faciles nous conduisent en quelques minutes à une sorte de fissure que nous passons et nous nous aperce- vons que nous sommes au sommet, terminé par un gros bloc de rocher où il n' y a pas moyen de se placer, mais sous le côté Ouest duquel nous pouvons nous mettre à l' aise. Il est midi.

La première opération de Barbey est de déployer un drapeau fédéral et de l' attacher à un petit sapin qu' il a eu la persévérance de porter jusqu' ici. Il le fixe tant bien que mal sur le point culminant. Pendant ce temps, Seiler et moi nous allons reconnaître la descente. Nous n' allons pas loin sans constater que ce qui nous reste à faire est peu de chose en comparaison de la montée, et que nous arriverons facilement au glacier d' Aletsch. Aussi nous rejoignons immédiatement nos compagnons.

La température est fort agréable et tout en nous reposant et en nous restaurant, nous admirons le panorama du massif au centre duquel nous sommes, un des plus grandioses de la Suisse.

A 1 heure 20 minutes, nous commençons la descente en suivant l' arête Sud jusque près du col qui relie le Schönbühlhorn au Gross-Wannehorn. Nous trouvons là un long couloir de neige qui plonge d' un seul trait jusqu' au glacier de Schönbühl; mais en cet endroit il est tout en glace, nous nous bornons à le traverser pour chercher dans les rochers un chemin plus commode; un peu plus bas nous regagnons de nouveau le couloir, qui cette fois est recouvert de neige, et nous arrivons sans grande peine au glacier. La rimaie est franchissable d' un saut, mais après elle, des crevasses fort larges nous obligent à nous rapprocher de la base du Gross-Wannehorn avant de trouver un passage.

La neige est excessivement molle et la chaleur accablante, aussi est-ce avec un soupir de soulagement que nous arrivons sur les gazons au pied du Herbergsgrat. A 4 heures 10 minutes nous touchons le glacier d' Aletsch, où nous vidons notre dernière bouteille à la santé de Seiler, à qui nous devons la réussite de notre expédition. A 7 heures enfin, nous sommes de retour à l' Eggishorn.

Feedback