Les motoluges dans les Alpes. Amusement pour les uns, nuisance pour les autres | Club Alpin Suisse CAS
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Les motoluges dans les Alpes. Amusement pour les uns, nuisance pour les autres

Les motoluges dans les Alpes

C' est depuis les années 70 que nous voyons des motoluges dans les Alpes suisses. Elles sont utilisées pour transporter des marchandises vers des chalets et refuges isolés ou encore lors de sauvetages. Depuis quelques années, cependant, on en rencontre également hors des sentiers de cabane et des pistes, notamment sur le versant sud du col du Lukmanier. Ces motoluges montent et descendent en tous sens – pour l' amusement de ceux qui les conduisent.

Celui qui, avec ses skis de randonnée ou ses raquettes, part du col du Lukmanier en direction ouest vers la cabane Cadagno, voit tout d' abord de nombreuses traces de motoluges. Quelques-unes aboutissent à des chalets occupés en fin de semaine, mais la plupart continuent vers la montagne. Ces traces qui, à la montée, déchirent la beauté de ce paysage d' hiver, sont encore bien plus visibles à la descente. Pour ce qui est de défigurer les plus belles pentes de neige poudreuse, les motoluges sont beaucoup plus rapides et efficaces que les skieurs de

1 Le « highmarking » s' est particulièrement et rapidement développé aux Etats-Unis. Près d' un de-mi-million de motoluges y sont vendues chaque année et près de 50 % des morts par avalanche sont des conducteurs de motoluges! 2 Les motoluges sont distinguées par les statistiques depuis 1995 seulement. En 1996, 89 véhicules ont été immatriculés et, en 2002, on en a compté 1197 auxquels viennent s' ajouter quantité d' autres véhicules non déclarés. 3 Les « quads » sont des motos à quatre roues, avec pneus larges, passant partout et qui font penser aux véhicules « lunaires ». ATV ( All Terrain Ve-hicle ) est une désignation générique pour les tout-terrain.

randonnée. Celui qui veut de la neige vierge devra bientôt aller la chercher...

« Highmarking » 1, c' est le nom de ce nouveau « sport » motorisé, selon ceux qui le pratiquent; le gagnant est celui qui parvient au point le plus haut sur une pente raide. Pour ce faire, il faut évidemment que les conducteurs mettent plein gaz et fassent hurler leurs moteurs deux temps. Les motoluges récentes sont rapides et permettent maintenant de passer dans des terrains qui étaient réservés, il y a quelques années encore, aux seuls skieurs. Pour le moment, les courses de motoluges ne sont un problème que dans certaines régions. Toutefois, à considérer le développement qu' elles connaissent non seulement aux Etats-Unis mais également dans les Alpes françaises et italiennes, il est grand temps de s' interroger – et ce, avant que cette tendance ne devienne une nuisance de grande ampleur.

Animaux en fuite Les lièvres, les renards, les chamois, les lagopèdes et tous les autres animaux passant l' hiver dans ces régions sont mis en fuite par le bruit des motoluges. Or, en hiver, ils manquent de réserves pour pouvoir supporter ce genre de dérangements, d' autant plus que les motoluges circulent le soir ou la nuit. Les souris et autres petits animaux vivant sous la neige sont victimes eux aussi des motoluges. Les pistes souvent parcourues sont fortement tassées, ce qui coupe les aires vitales. Dans le pire des cas, les animaux meurent étouffés. S' il y a peu de neige, les arbustes, les buissons et les jeunes arbres sont brisés.

Monde hivernal secoué Si les motoluges hurlantes ont des effets lamentables dans les régions touristiques, c' est de manière proprement destructrice qu' elles se manifestent dans les vallées reculées, faisant disparaître ce qui fait précisément l' intérêt et la valeur de celles-ci: le silence. Or le silence est un bien que les populations locales peuvent offrir aux touristes et qui doit être protégé. Il ne doit donc pas être détruit par quelques fanatiques de la motoluge qui ne voient que leur propre plaisir et se moquent du reste.

Il y a évidemment de bonnes raisons d' utiliser de manière raisonnable des motoluges dans des régions qui ne sont pas desservies en hiver, notamment comme moyen de transport vers des gîtes éloignés. L' utilisation à des fins touristiques est, elle, beaucoup plus douteuse, notamment pour le transport des personnes et comme remontées mécaniques « mobiles ». En outre, la multiplication des courses de motoluges contribue à pousser les amateurs à s' entraîner pendant tout l' hiver à l' écart des routes 2. L' équivalent estival des motoluges, ce sont les « quads », de plus en plus nombreux, véhicules tout-terrain à quatre roues dotés de larges pneus, et les « 4ϫ4 hors route » de grande puissance ou « ATV » 3. La publicité faite à leur propos

« Highmarking » dans la région de Lukmanier – en peu de temps, les belles pentes de neige sont défigurées Pho to :A rc hi ve s « Keep w ild !» LES ALPES 3/2004

Alpinisme et autres sports de montagne

Alpinismo e altri sport di montagna

Alpinismus, Berg-u.a.. Sportarten

suggère que c' est avec des véhicules tout-terrain que l'on découvre le mieux la nature. Les « quads » servent déjà à une forme de sport motorisé; comme ce sont des véhicules conçus pour passer presque partout, ils sont dès lors précisément à l' écart des routes et des chemins.

Les dispositions légales La situation en matière de droit est claire à l' échelon fédéral: les motoluges sont considérées par la loi sur la circulation routière comme des motos et doivent donc être immatriculées et munies de plaques; elle ne peuvent circuler que sur les voies où les véhicules à moteur sont autorisés. Les routes forestières, selon la loi sur les forêts, sont en général interdites à la circulation. Sur les pistes, en terrain ouvert au-dessus de la limite de la forêt et dans les forêts elles-mêmes, les motoluges sont en principe interdites. Les cantons ont toutefois la possibilité d' octroyer des autorisations spéciales, compétence qu' ils peuvent pour une part déléguer aux communes. Ces autorisations spéciales ne devraient pas seulement être délivrées sur la preuve d' un besoin mais également définir exactement les itinéraires autorisés. Or, la marge de manœuvre est large. Aussi les abus dans l' utilisation des motoluges sont-ils à peine perçus. Dans la plupart des cas, c' est la volonté politique qui fait défaut.

Et le CAS? Nous aussi, membres du CAS, nous sommes des utilisateurs du monde alpin; nous profitons de nombreuses infrastructures et nous sommes bien contents qu' une auberge de montagne, dans un endroit écarté, puisse nous servir de point de départ pour une course à ski. Notre responsabilité est donc grande en tant que club, section ou membre individuel et nous devons faire en sorte que nos activités sportives hivernales soient aussi respectueuses de la nature que possible. La « conquête motorisée » de la montagne, à l' écart des routes, a cependant une tout autre dimension. C' est bien pourquoi les directives du CAS en matière de protection de l' environne sont très claires et demandent que l' utilisation de moyens de transport motorisés pour l' approvisionnement des cabanes et des gîtes situés dans des endroits écartés respecte les dispositions légales et soit réduite au minimum nécessaire. En particulier, les transports de personnes ne sont pas autorisés. Dans les zones de montagne, les sports motorisés hors des routes doivent être interdits.

MW et « Keepwild !» sont sur la brèche L' organisation de protection du monde alpin « Mountain Wilderness » ( MW ) et son instance spécialisée dans les activités sportives « Keepwild !» ont attaqué le problème des motoluges illégales, des « quads » et des 4ϫ4. « Keepwild !» a rédigé une étude sur la question des motoluges 4. Avec des discussions dans les régions concernées, des séances d' information pour les médias mais aussi des marches de protestation dans les zones touchées, MW tente d' abord de sensibiliser les cantons et les communes à la problématique de ces véhicules. Le CAS, lui aussi, devrait s' engager, mais cela ne peut pas être entrepris par l' association centrale. C' est aux alpinistes et aux sections concernées de se mettre en mouvement.

Renoncer, poser des questions, intervenir Nous demandons dès lors à tous nos membres de faire en sorte que l' utilisa des engins motorisés dans nos montagnes ne s' étende pas et qu' elle soit ramenée dans les limites légales. Cela implique que l'on renonce d' abord à toute utilisation inutile pour soi-même, même si cela implique de porter son sac à dos un peu plus longtemps. Nous devons également nous permettre d' inter et de demander aux conducteurs de motoluges, dans les régions où des autorisations sont nécessaires, s' ils disposent effectivement d' une autorisation; nous ne devons pas craindre de dénoncer les utilisations manifestement abusives 5. a

Jürg Meyer, préposé du CAS à la protection de l' environnement Jan Gürke, directeur du bureau « Keepwild !» ( trad. ) 4 « Motorschlitten in der Schweiz – Entwicklungen, Umwelt-Impacts, Nutzer-Nutzer-Konflikte, juristische und politische Situation ». Le dossier en allemand uniquement peut être téléchargé à l' adresse www.mountainwilderness.ch/d/motor-schlitten.htm ou obtenu gratuitement par un courriel à l' adresse de Mountain Wilderness, info@mountainwilderness.ch. 5 MW met à disposition une feuille de description et d' annonce des utilisations illégales de motoluges sous www.mountainwilderness.ch/d/ motorschlitten.htm ( en allemand uniquement !).

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