Les Mythen, montagnes à vaches et à varappe | Club Alpin Suisse CAS
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Les Mythen, montagnes à vaches et à varappe

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Willy auf der Maur, Seewen - Schwytz

Les versants où l' herbe domine ont mauvaise presse dans la littérature montagnarde et dans les manuels d' alpinisme. Ils sont la bête noire des grimpeurs d' aujourd, qui les traitent de perfides, de dangereux et de désagréables.

Aux Mythen, il se trouve à peine une voie qui ne commence par du gazon ou ne débouche dans un pré. Logiquement, on devrait en déduire que la « grimperie » aux Mythen est plus dangereuse et moins payante qu' ailleurs. Mais Granz, mon compagnon de cordée, soutient maintenant avec opiniâtreté que le gazon en principe doit être divisé en deux catégories, à savoir: secondement, l' herbe tout ordinaire des prés et des montagnes, et, en premier lieu, le gazon des Mythen. Et que ce dernier, pour conclure en un mot, est plus tenace, qu' il résiste mieux à l' arrachement et qu' il a de meilleures racines. Plus je réfléchis aux propos de mon camarade, plus je suis oblige de lui donner raison. Le gazon des Mythen est vraiment un gazon spécial! Par exemple, il ne me viendrait pas à l' esprit de douter de la solidité de la prise de gazon -je parle sérieusement - dans l' antépénul longueur de corde de la paroi occidentale en ascension directe. Et que dire des touffes d' herbe drue, « fil de fer », de la Weisse Wändli ( petite Paroi blanche )? Combien de fois mes doigts s' y sont-ils cramponnés pleins de confiance: aucune ne m' est encore restée dans la main!

J' entends déjà les critiques malintentionnés: « Oui, et alors les multiples victimes du Totenplangg, elles ont bel et bien été sacrifiées aux extraordinaires qualités des gazons des Mythen! » D' accord, le Totenplangg du Grand Mythen n' est pas une réclame pour le gazon des Mythen. De nombreux, trop nombreux touristes qui, malgré les mises en garde, sont sortis des sentiers aménagés, pour cueillir des fleurs sur ce pré abrupt, ont payé de leur vie cette imprudence. Mais des versants herbeux de cette inclinaison-là sont toujours dangereux, indépendamment des espèces d' herbes qui y poussent, pour peu qu' ils soient encore un rien humides, comme c' est le plus souvent le cas ici, dans la paroi nord.

C' est vrai, dans le cœur du grimpeur le gazon suscite rarement la joie, quand bien même des bœufs pourraient s' y faire suspendre. Mais on ne doit jamais oublier que, où l' herbe pousse, s' épa aussi des fleurs. Et, au milieu d' une dure escalade, voir devant soi un coussin fleuri, quelques gentianes bleues, une fleurette parfumée, ou même de ces surprenants lis safranés, le plus passionné des coureurs de rochers ne restera pas insensible à cette joie.

Ils ne sont pas absolument indésirables pour le grimpeur de parois et l' escaladeur de versants, ces nombreux pins à crochet et autres arbustes nains. Même les « craks du métier » les utilisent pour leur assurage. En outre, ils rendent possibles une foule de jeux plaisants qui répondent exactement à un instinct profond et primitif de l' homme. Ce n' est pas en vain que le versant nord-ouest du Grand Mythen, celui où pullule le pin à crochet et qui regarde vers l' Entre, du côté du Petit, présente des surfaces étroites où triomphe l' adresse et que les indigènes appellent le « Jardin des singes ». Sans les mille rameaux secourables des arbrisseaux, en maint endroit difficile de l' es, on n' irait pas plus loin, et, même si c' était le cas, plusieurs de ces passages y perdraient beaucoup en originalité.

Aux Mythen, on trouve donc l' herbe des Mythen, particulièrement coriace, mais il y pousse des fleurs, des buissons et des arbres, et bien sûr il s' y trouve aussi des animaux, passablement même, car nous sommes dans une des plus anciennes réserves de vie sauvage de la Suisse. J' épargnerai au lecteur l' énumération et la description des diverses variétés zoologiques. Le guide local de la section Mythen du CAS le fait bien mieux qu' il ne me serait possible. Je vais me borner à raconter deux rencontres d' animaux qui m' ont laissé, entre toutes, un souvenir agréable:

C' était un dimanche matin, de bonne heure. Je gravissais en solitaire l' Adlerspitzli ( le Clocheton de l' Aigle ) par sa petite arête sud-ouest. Dans sa dernière partie, le sentier zigzague dans une pente escarpée d' herbe et d' éboulis, puis file horizontalement jusqu' au pied de quelques bosses. Et là, tout à coup, je me trouvai nez à nez avec un renardeau. Mais quel animal! Les renards doivent être fauves, comme il convient à leur espèce. Leur fourrure doit être soyeuse, brillante, légère et touffue. C' est ainsi que nous avons admiré autrefois maître Renard au cou des grandes dames. Mon exemplaire, lui, tout râpé, avait Pair vraiment miteux. Il était maigre comme une hyène affamée, et son poil blême lui pendait du corps par lambeaux. « Pauvre renardeau, me de-mandais-je en moi-même, as-tu déjà eu to souris aujourd'hui? » L' animal ne m' avait encore ni vu ni éventé, et c' est ainsi que nous cheminâmes à deux sans nous gêner, le quadrupède en avant, moi derrière lui sur mes semelles silencieuses. A chacun de ses pas, sa queue, encore « intéressante », au rythme balance de sa croupe décrivait un mouvement pendulaire en demi-cercle. Cédant à un vieil instinct chasseur, j' aurais bien pu me baisser pour ramasser un caillou, mais ma femme ne m' aurait guère remercié de ce chétif butin, d' autant plus que le renard est quelque peu passé de mode. Après la deuxième courbe du chemin, la bête, pour des raisons inexplicables, commença à ralentir le pas. Je fis de même. Mais bientôt il ne me fut plus possible de m' arrêter en même temps que l' animal, et, après le prochain tournant, mon compagnon de route sembla s' être volatilisé.

Une rencontre avec maître Renard dans les flancs des Mythen a un certain caractère de rareté. Il n' en va pas de même du chamois, joliment surnommé « le chamois volant ». Si la vue de troupeaux broutant au Hohlicht du col d' Entre ou ailleurs nous fait souvent battre le cœur plus vite, je me souviens aussi de maintes rencontres avec des solitaires qui m' ont laissé des sentiments plutôt mélangés. Elles ne m' ont pas appris grand-chose sur leur rapidité et la difficulté de leur approche. Mais, justement, c' est qu' il y a deux sortes de chamois: deuxièmement le chamois de montagne de l' espèce commune, et, en premier lieu, bien sûr... le chamois des Mythen!

Celui des Mythen que je veux présenter au lecteur - c' était un mâle - se tenait à l' orée d' un bois, près de l' alpe « Schwändi », à moins de quarante mètres de moi. Il était comme surgi du néant pendant que je faisais ma sieste sur le petit banc, devant le pittoresque refuge de Schwändi. Après avoir jeté sur moi quelques coups d' œil intéressés, il s' était mis à brouter. Il le fit bien quelques minutes en toute quiétude, mais en lançant de fréquents regards de contrôle dans ma direction. Pouvoir regarder ainsi un mâle de tout près procure une intime satisfaction. J' en jouis amplement, et pourtant naquit en moi au bout d' un moment le désir de faire évoluer cette observation réciproque et de lui imprimer du mouvement. Je produisis quelques claquements de langue bien nets. Courte stupeur, mais aucune réaction de fuite. Une toux savante ne donna pas plus de résultat. « Tu te moques de moi. C' est irritant. Attends seulement, je m' en vais te donner des jambes! » Je me baissai pour prendre un bâton, l' épaulai, visai un tas de branches, pressai sur la détente et fis détoner dans la montagne un formidable « Peng! » Aucune réaction. J' étais tout simplement du vent pour ce gaillard. Alors je recou-rus à l' ultime moyen: j' agitai le bâton au-dessus de ma tête et le lançai aussi fort que je pus dans la direction du bouc. Ah!... enfin il battit en retraite, sans hâte aucune, mais sans s' arrêter. L' orgueil de l' homme était satisfait. Malgré tout, je l' aperçus encore longtemps entre les arbres, d' où il me regardait avec ennui, comme à regret.

Terre noire, mousse, gazon, fleurs, pins nains et animaux, on trouve tout cela aux Mythen, sans frais, comme récompense au grimpeur. Car même si on a de la peine à le croire d' après les présentes descriptions, il y a aussi des rochers aux tGrand Mythen Photo Peter Schoepflin, Zoug 2Varappe aux Tours du Mythe Photo Robert Klingler, Schwytz Mythen. Ce qu' il est bon de savoir, c' est qu' ils se composent de calcaire souvent en plaques, puis de nouveau de calcaire érodé, lequel offre d' excel prises au varappeur. Et celui qui étudie l' appartenance géologique de ces roches apprend avec étonnement que les Mythen ne sont pas jail-lis du sol ainsi que les montagnes respectables avaient précédemment coutume de le faire, mais qu' ils se sont servis des bosses de leurs compagnons pour se glisser de ce qui est aujourd'hui la plaine du Pô jusque dans le territoire helvétique. Et maintenant, des couches de calcaire de Malm vieilles de 200 millions d' années sont installées comme des corps étrangers sur des lits qui n' en comptent « que » 50 millions.

En fait, ce qui surprend le profane, c' est que les Mythen n' ont pas poussé hors de terre comme un large socle, mais, par un glissement, sont venus s' insérer dans le monde préalpin aux lignes douces. Cette qualité particulière, jointe à leur beauté achevée, donne aux Mythen leur caractère, leur confère un rayonnement que peu de sommets possèdent parmi les Préalpes. « Qui n' a pas vu les Mythen n' a pas vu les Préalpes, et qui n' a pas vu les Mythen du sud n' a pas vu les Mythen », pour-rait-on affirmer avec raison, en modifiant quelque peu un proverbe célèbre.

Le sud, dans notre cas, c' est l' auge de la vallée de Schwytz et encore mieux le bourg de Schwytz lui-même. Il vaut la peine ici de parquer un petit moment la voiture à pétrole et, en partant de l' église paroissiale baroque, d' entreprendre une courte promenade en direction du quartier de la rivière, jusqu' à ce que la puissante paroi ouest gris d' argent du Grand Mythen apparaisse au-dessus du pignon de la maison patricienne von Hettling. Là, on peut voir de près les pans, les arêtes et les flèches qui étayent ou couronnent la paroi. Un coup d' oeil fascinant.

On ne doit pas passer sous silence les désavantages d' un voisinage aussi direct entre montagne et vallée: le divin silence d' un quatre mille, les Mythen ne peuvent pas l' offrir au grimpeur. Toujours les bruits de la vallée parviennent confusé- ment jusqu' aux parois. Mais alors il y a des spectacles de toutes sortes pour l' amateur de coups d' œil plongeants: la vue des bâtiments, le mouvement des rues, les rivières et les lacs, et même les rassemblements humains de quelque importance sont parfaitement visibles à l' œil nu. Un jour que je me trouvais au sommet du Grand Mythen, les jambes ballant dans le vide, j' ai entendu un père attirer l' attention de son rejeton sur une course de lévriers qui se déroulait à l' est du bourg de Schwytz: il n' avait qu' à bien regarder, disait-il, et il pourrait observer comme il faut les animaux blancs qui faisaient à toute vitesse leurs trajets d' aller et retour. Je fis comme lui, et, sachant que justement le même jour, à Schwytz, devait avoir lieu une fête de tir au petit calibre, j' eus bientôt identifié les rapides lévriers, comme aussi les cibles qui se balançaient à des fils de fer, au-dessus du pré.

La vue étendue qu' on a du Grand Mythen a déjà réjoui des milliers de personnes. Alors qu' il était étudiant, en 1866, le professeur Dr Albert Heim, le célèbre géologue, en a dressé un panorama où il a dessiné tous les détails, sur l' ordre de la « Société des Mythen ». Par les beaux j ours, la vue s' étend du Säntis au-delà du Glärnisch, du Tödi et des Alpes uranaises jusqu' au Pilate et au Righi. Par-dessus les contreforts du nord et de l' ouest, le regard file librement jusqu' aux Vosges et au Chasserai.

Un tel panorama doit attirer les gens, comme le miel attire les abeilles. Et du moment que, sur le flanc est, un bon sentier en lacets, muni de protections, conduit au Grand Mythen, ces charmantes montagnes ne sont pas l' apanage exclusif de l' avant des grimpeurs. Dans les fins de semaine, elles fourmillent d' ascensionnistes de tout âge et de toute condition. Il est franchement étonnant de voir combien de gens entreprennent cette grimpée qui coûte une heure et demie d' ef. Et ce n' est pas qu' au Grand Mythen, mais sur tous les sommets à la ronde, qu' on peut observer ces laborieuses allées et venues. Depuis que divers moyens artificiels et plusieurs routes sou- Traversée dans la paroi ouest du Grand Mythen Photo Walter Betschart, Schwytz Ascension hivernale du Petit Mythen par le couloir Schwändi Photo Willy Auf der Maur-Pfyl, Seewen lagent d' une pénible montée les citadins sans entraînement, mais assoiffés de grand air et désireux d' échapper à la fournaise des vallées, la région des Mythen, en tant que zone d' excursion, a pris un incroyable essor. La promenade sans charge, dans l' atmosphère lumineuse des hauteurs, est en grande vogue de nos jours. Grâce aux faibles différences de niveau, la longue expédition dans les Préalpes, du Hochstuckli jusqu' à l' Iber, satisfait ce besoin de manière idéale.

D' innombrables petites places le long du chemin sont des endroits rêvés qui invitent au repos. On peut, sans se soucier de rien, y déployer la couverture de laine, car, aussi longtemps que la prairie de montagne, sous le rapport du vêtement, ne se confondra pas avec une plage, on n' a pas à craindre de voir surgir tout à coup un montagnard barbu agitant une menaçante fourche à fumier.

Mais ils ne sont pas ainsi, les habitants de la montagne, car le Rietli, le pâturage, la forêt ne leur appartiennent à eux seuls que dans un très petit nombre de cas. La plupart du temps, ce sont les propriétés de la vieille bourgeoisie de Schwytz et de la confrérie « Oberallmeinde », une corporation des familles anciennement établies dans le district de Schwytz.

Des milliers de gens ont aimé les Mythen pour les promenades qu' ils offrent, mais beaucoup aussi pour leurs escalades. Ce sont surtout les Petits Mythen qui attirent les grimpeurs de près et de loin. Nous y trouvons aussi les voies qui pourraient convenir à un plus grand nombre. La préférée est la traversée de la Hagenegg jusqu' au col d' Entre. En passant par des sentiers battus, en escaladant des parois et des degrés, en se faufilant par des cannelures et sur des vires, on va et vient de façon amusante. Les mains s' accrochent au rocher solide ou aux pins rabougris et noueux. Celui qui a quelque capacité ne doit pas manquer la fissure Müller de 12 mètres de haut, à mi-hauteur du sommet nord: le clocheton Haggen. Pour cette variante, on doit sans hésiter échanger la sécurité du versant nord, 14 modérément raide, contre la paroi ouest, plus exposée. A mi-pente, on trouve la fissure qu' ob d' ailleurs une pierre coincée. Par les beaux dimanches, il se joue ici de vrais petits drames. Avec irrévérence, on ravale le bloc coincé au rang d' un simple engin de gymnastique. L' un se saucis-sonne pour grimper dessus, comme s' il s' agissait d' un surplomb dans la paroi nord de la Grosse Zinne; un autre bondit avec l' énergie du désespoir, si bien que sa tête, de l' autre côté, disparaît dans l' abîme, tandis que ses jambes, comme des ailes, rament au hasard dans le vide.

Une fois j' ai même vu un touriste qui, par besoin de sécurité, tentait de se glisser par-dessous le bloc et de se fourrer dans un pertuis où une souris elle-même n' aurait pas pu faire demi-tour.

La cheminée nord du sommet intermédiaire constitue le second « mauvais » passage de la traversée du Petit Mythen. Mais on peut aussi l' évi par un itinéraire plus facile. On recommande cette manœuvre quand la cheminée est déjà assiégée, car sans cela le joli passage resserré est dans la partie supérieure, au « dévaloir ». Là, même des alpinistes expérimentés peuvent avoir une pierre qui leur roule et leur file sous les pieds.

La dernière partie de la traversée, la petite arête du sommet intermédiaire à l' avant, est comme faite exprès pour éveiller chez des débutants la joie de l' escalade. La varappe y est sans risque, le rocher propre, et le coup d' œil plongeant impressionnant.

Je me souviens encore bien du jour où celle qui est devenue ma femme, encordée sur ce rasoir, se balançait d' un côté à l' autre, tandis que, me promenant parallèlement au fil de l' arête, mais un peu au-dessous, je cherchais les traces d' un chemin plus commode. Plaisantée par son mari, elle maugréait contre lui.

Et cela après la traversée décrite du Petit Mythen, qui prend trois heures, après les perfidies de la fissure de Müller et les peines de la cheminée nord du sommet intermédiaire!

Les fanatiques du Petit Mythen pardonneront à ma femme son irrévérence d' alors. La faute était - comme si souvent - au premier de cordée, donc à moi. C' est moi qui ai initié ma femme à la « grimperie » dans les Tours des Mythen. Voilà qui explique tout, car les Tours, dans le flanc ouest du Petit Mythen, sont le royaume de ceux qui varappent par sport, espèce de grimpeurs qui recherchent leur bonheur de préférence dans les difficultés des degrés supérieurs.

C' est ici qu' on peut regarder, dans les beaux jours du printemps et de l' automne, les jeunes débutants de la corporation se livrer à leur dure lutte, un mètre au-dessus du plancher des vaches, agrippés à de minuscules aspérités, ou, dans les escarpements de la paroi, s' étirant convulsivement, crispés, pour saisir un piton.

La plus ancienne famille de la vallée de Schwytz invite à l' escalade: le digne « Père » de 60 mètres de haut, la « Mère », les sveltes jumeaux de 30 mètres « Pierre » et « Paul » et la « Sœur » pointue. Il y a encore quelque chose de spécial qui nous attire en bordure du sentier montant de Güntrig aux Tours, c' est la « Dent ventrue ». Au fait, il est regrettable que les noms aient été attribués aux Tours avec autant d' incohérence!

Ah, oui, il y a dans ces Tours du travail pour les mains et les pieds! Celui qui veut gravir chaque Tour seulement une fois parcourt près de 200 mètres en varappe et pas mal aussi en rappel; et celui qui veut faire intégralement, le même jour, les vingt-deux routes de ce paradis du grimpeur remplit les exigences d' une paroi haute de 600 mètres, avec des difficultés du troisième au sixième degré. C' est un beau rocher, propre et riche en prises, dont les fractures, les petites parois, les fissures et les arêtes réjouissent le cœur du sportif. De plus, il ne manque pas de passages particulièrement originaux, par exemple celui du jet de corde, sur la voie normale du « Père », qui a déjà donné du fil à retordre à maint alpiniste. On ne peut tout de même pas demander à chaque grimpeur d' être passé maître dans le maniement du lasso! Et quand la corde s' est enfin, comme on le désirait, enroulée autour de la branche du pin à crochet, il s' agit encore, avant toute autre manœu- vre, de se hisser de quelques mètres au film qui pend librement sur la paroi lisse. Au gendarme appelé « Pierre », un arbuste rend possible l' ascen par la route normale. Il s' agit d' abord d' enla de sa jambe, à la façon d' un singe, le tronc qui s' élève presque horizontalement en l' air, de se rétablir dessus, et de prendre position sur l' arbre. La deuxième phase suppose, chez le grimpeur, des talents de danseur de corde, car il doit s' avan pas à pas sur une branche légèrement montante jusqu' à son extrémité cassée et dotée des propriétés du ressort. C' est alors seulement qu' il peut attraper la prochaine prise, une toute belle.

On a aussi beaucoup d' air entre les jambes, quand on fait l' enjambée de « Pierre » à « Paul », que l'on exécute après une manœuvre de corde. Il faut du courage ici pour donner du mou à la corde, et pour sauter en repoussant, derrière soi, la paroi de « Pierre ». Il semble carrément infranchissable le gouffre au-dessus duquel on doit se laisser tomber avant de s' agripper des mains à l' autre paroi, où les prises sont peu marquées.

On se trouve libre et heureux dans les Tours des Mythen. En dépit des jeux mentionnés, on s' y sent plus en montagne que sur un alpinodrome. La vue embrasse librement la vallée, ou bien, l' abrupte paroi dans le dos, on voit au-dessus de soi l' itinéraire hardi qui tombe sur les Tours.

Les Tours des Mythen sont le royaume du varappeur sportif. Elles sont tout à la fois un paradis pour qui aime la montagne, et un tremplin idéal pour les itinéraires du Grand Mythen qui ont de l' allure et présentent des difficultés.

Demandez une fois à l' indigène - l' homme de la rue - lequel des deux « Miithen » ( la prononciation zuricoise « Mi-etè » fait mal aux oreilles du Schwytzois ) est le plus dangereux. Il vous répondra sans hésiter: « De Chli » ( le Petit ). A ne considérer que la statistique des accidents de varappe, la réponse serait sans doute exacte. Mais il faut tenir compte que les Petits Mythen ressemblent souvent à des fourmilières, avec un grand nombre de débutants et de grimpeurs occasionnels, tandis que, à la même heure, les flancs rébarbatifs et les Schwytz et les deux Mythen. D' après un dessin à la plume de Hans Schilter parois du Grand Mythen sont presque déserts. Que ces parois soient quadrillées de tout un réseau d' itinéraires, du moyen à l' extrêmement difficile, c' est ce que le profane, fût-il Schwytzois, soupçonne à peine. Dans le meilleur cas, la foule des promeneurs indigènes a vaguement entendu dire qu' il existait une voie pour le varappeur quelque part « vorä ufä » « là-devant en haut ». Là-devant, c' est pour le Schwytzois la paroi ouest, et il pense la plupart du temps à l' itinéraire de la Weisse Wändli ( petite Paroi blanche ), la plus ancienne et la plus facile des voies d' ascen de la paroi ouest. Au-dessus de tout un système de couloirs et de vires, un chemin amusant conduit au Pré du Mythen, cette surface, nettement délimitée, qui monte obliquement sous la tête roussâtre du sommet. Les deux longueurs de corde du départ sont particulièrement intéressantes et franchement difficiles: dans la première, on doit venir à bout d' une dalle par une traversée oblique, et la deuxième suit une fracture qui part verticalement, sans être toutefois dépourvue de prises. Dans la partie centrale de l' itinéraire, les traversées obliques réservent aussi pas mal d' amusements. Et l'on peut encore se réjouir de la sortie abrupte, mais de nouveau riche en prises, sur le Pré du Mythen. L' itinéraire de la Weisse Wändli ( petite Paroi blanche ) est un compromis entre la « grimperie » dans le rocher et l' excursion botanique, avec beaucoup d' herbe et de terre battue et dure, mais qui pourtant, par sol sec, est tout à fait payant et recommandable. A partir du Pré du Mythen, le grimpeur passionné a encore la possibilité d' escalader la tête sommitale, non par la petite Arête rouge ( Rotgrätli ), facile, quoique aérienne, mais par l' arête sud qui offre deux longueurs de corde d' un très beau ramonage difficile. A l' insatisfait je pourrais conseiller, déjà au départ de la Weisse Wändli ( petite Paroi blanche ) de s' acquitter d' un devoir pressant. Car c' est en ce point que l' attend avec impatience le « Pot de chambre » de 6 mètres de haut. Il échappe à ma connaissance comment ce bloc propice a reçu ce nom malsonnant. Son ascension passait encore, il y a vingt ans, pour un bel exploit que l'on consignait fièrement dans un moyenâgeux « livre du sommet ». Entre-temps, les pots de chambre sont quelque peu passés de mode, mais le nôtre mériterait sans doute une « relance ».

Les surfaces que présente la petite Paroi jaune ( Gelbe Wändli ) sont comparables par leur nature et leur disposition à celles de la Blanche, mais en beaucoup plus court. Une coupure obtuse à grattons, qu' interrompt un escarpement évasé, en constitue le passage-clé. Les esprits se divisent quand il s' agit d' apprécier la difficulté de cette longueur de corde. Le guide des Mythen lui attribue un IV +, ce qui paraît à l' un exagéré, à l' au sous-estimé. Et moi-même, à chaque fois que j' y passais, j' aboutissais à un jugement de valeur différent. Pourquoi? Ce fut longtemps pour moi une énigme. Je crois cependant l' avoir résolue: cela dépend chaque fois, dans les quelques mètres décisifs, de la façon dont on combine ses prises de main et ses appuis de pied quand on s' engage dans l' escalade. Pour cette raison, la petite Paroi jaune reste une entreprise délicate. Les divers accidents, par bonheur sans gravité, qui s' y sont produits pendant ces vingt dernières années, en sont le témoignage.

La petite Paroi jaune est très courue, surtout parce qu' elle offre, en partant du clocheton de l' Aigle, le plus court chemin pour aboutir au sommet du Grand Mythen. Celui qui n' ose affronter les difficultés de la petite Paroi jaune ne doit cependant pas, pour cela, renoncer encore longtemps à l' escalade de l' élégant Clocheton de l' Ai, car, de là, l' arête sud-est est tout plaisir.

Grâce à la vire bien praticable qui parcourt, à la hauteur du Clocheton de l' Aigle, tout le flanc ouest du Grand Mythen, on peut traverser commodément jusqu' au point d' attaque de la petite Paroi blanche et continuer par là l' ascension.

Le grimpeur ami des difficultés moyennes trouvera une joie sans mélange à la petite arête sud-est du Clocheton de l' Aigle. Il y a là un calcaire net, érodé, d' intéressants passages et de magnifiques coups d' ceil plongeants. Le seul endroit un peu délicat, une petite paroi aux prises minuscules se présente au-dessus de l' épaulement de l' attaque, et pourtant on en sort avant d' être hors du danger que nous font courir nos chers semblables, tant qu' il y en aura de tels pour évoluer dans le paysage. Car, bien que le rocher, comme je l' ai dit, soit très solide, des cordées de dangereux personnages trouvent toujours moyens, sur les vires et les ressauts, de faire rouler et dévaler sous leurs semelles, avec une sombre joie, des cailloux plus ou moins gros. Ces projectiles sont interceptés par un dévaloir qui court parallèlement à l' arête, et déviés en direction de la voie de montée.

Il suffit de cela pour que la pause des neuf heures sur l' Epaule dégénère en phase la plus dangereuse dans l' ascension du Clocheton de l' Aigle.

Voilà pourquoi il vaut mieux se ménager son moment de repos au sommet du Clocheton de l' Aigle, ce grandiose fauteuil d' orchestre sur le replat rocheux du Grand Mythen. Nulle part comme ici, on ne sent à ce point que le Grand Mythen est une montagne rocheuse. Devant la puissante paroi verticale du Geissstock, qu' on voit de ce poste avance juste en face de soi, on oublie herbe, mousse et terre noire; et, n' étaient les sombres troupes d' une petite forêt de montagne guignant par-dessus leur arête tranchante, on pourrait facilement s' imaginer dans les « Dolo-my-then ».

La technique moderne de la varappe a fait son apparition aux Mythen il y a déjà quinze ans. qu' à cette époque-là, on ne disposait que de deux voies de montée par le sud au boulevard du Geissstock: la « route 13 » du vieux guide des Préalpes, une « varappe tout plaisir » pour les acrobates du gazon avec de bonnes ferrures Tricouni; et la fissure du Geissstock, une fente diaboliquement étroite, qui ménage aujourd'hui encore au grimpeur des impressions diverses et une pleine satisfaction. Ces deux routes vont se perdre dans les extrémités de la paroi, l' une à l' est, l' autre à l' ouest.

L' espace qui s' étend de la partie verticale à la partie médiane surplombante a du reste servi de pierre de touche à une génération qui avait rayé le mot « impossible » de son dictionnaire alpin. Les premiers coups de marteau résonnèrent dans la paroi sud-est. Dans un tracé sans compromission, les pionniers cherchèrent une directissime à tra- vers la paroi pour ainsi dire d' une seule pièce, en direction de la fissure de sortie, remarquable par sa teinte jaune-rouge. Ici alternent, en séquences variées, une escalade artificielle et une splendide varappe libre dans le meilleur rocher, après quoi commence l' itinéraire - comment pourrait-il en être autrementaux deux longueurs de montée raide sur une herbe qui, par temps humide, peut être franchement dangereuse.

Le deuxième itinéraire extrême du Geissstock c' est le pilier sud-est, haut de 250 mètres - offre le même caractère, à cette différence près toutefois qu' ici la varappe libre est quelque peu reléguée à l' arrière par la technique du pitonnage. En tant que spectateur, on peut à peine se représenter une voie plus hardie que celle de ce pilier rougeâtre, légèrement surplombant.

Les pionniers de la paroi sud du Geissstock ont moins recherché la voie directe que la ligne de moindre résistance. Non pas qu' on puisse se promener dans le paysage avec les mains dans les poches; au contraire, il s' agit ici d' être équipé comme peut-être nulle part ailleurs aux Mythen, car le rocher est abrupt et difficile ( V )... et il y a peu de pitons. Mais l' itinéraire décrit au début une ligne droite, où il serait sûrement possible aussi de monter directement au moyen de pitons, et, dans la partie terminale, il fait place à une ligne idéale vers l' ouest. L' ensemble des vires, le passage exposé, la traversée pendulaire jusqu' à la fissure centrale, tout cela fait incontestablement le charme de 1' ascension; c' est pourquoi il serait regrettable qu' un jour une cordée essaye de corriger ce tracé en se servant du fil à plomb.

Une paroi vierge peut exercer sur l' alpiniste la même fascination qu' une feuille de papier blanc sur l' artiste. Et si je suis pleinement conscient qu' un pauvre pionnier se trouve combien misérable à côté d' un artiste comblé, de même aussi je ne crains pas de soutenir que l' ouverture de voies nouvelles exige à coup sûr une imagination créatrice. Il est certain que, bien des fois, les données topographiques ont imposé des limites aux vœux des grimpeurs. Il en va de même sur le versant schwytzois du Grand Mythen où la configuration naturelle des lieux ne permet malheureusement nulle part un tracé direct, ininterrompu, de la base de la paroi au sommet. La plus haute paroi d' un seul jet se trouve dans la partie de gauche, septentrionale, du versant; elle a 300 mètres de haut, et débouche, comme sa voisine, la petite Paroi blanche, sur le Pré des Mythen.

En dépit de cette imperfection, nous trouvons, droit dans la paroi ouest dont il est question ici, une voie pour varappeur propre à satisfaire pleinement toutes les prétentions, esthétiques et techniques, du grimpeur choyé d' aujourd. Le tracé idéal, le rocher excellent, et toute une série de passages brillants et de difficulté supérieure confèrent à cette voie une qualité exceptionnelle et la font coter très haut. En une progression imperceptible mais constante des difficultés, cette varappe libre de grande classe atteint son point de perfection à la sortie de l' itinéraire, une traversée oblique où l'on est extraordinairement exposé et fait qu' onressent, pendant d' excitantes minutes, le frisson de l' équilibriste. Heureux celui qui, avant l' ascension, s' est bien exercé dans cette discipline spéciale qu' on appelle « traversée oblique encordé ».

Chaque grimpeur peut remarquer, aux Mythen, une formation rocheuse d' un type spécial: Le Weisse Nollen, cette masse claire, caracté- ristique, séparée de la tête sommitale, à l' ex sud-est du Pré du Mythen. Ce n' est pas que cette pierre réserve des joies d' une nature particulière à l' ascensionniste, mais être suspendu, comme aller et venir dans les parois en plein soleil du Grand Mythen, cela donne soif, et ici, au pied du Mollen, jaillit d' une fissure du rocher, même au cœur de l' été brillant, un filet d' eau limpide et glacé. Trouver une source juste au-dessous d' un sommet, avouez que c' est un peu miraculeux.

Et, comme dans les oasis, les chameliers, les marchands et les pèlerins se rassemblent, ainsi se retrouvent, à la petite fontaine du Mythen, alpinistes de gazon et grimpeurs de rochers, tous de bonne humeur et d' accord pour prendre un moment de repos et faire la causette. Un coup d' oeil dans les Itinéraires donne le renseignement qu' on n' a pas retenu, indique quelle voie celui-ci a parcourue et quelle suite il a choisie. On peut alors facilement supputer si on va le surprendre encore attablé devant une bière au Holzegg ou déjà à la « Madlee z' Rickebach ».

Mais les guides du Mythen donnent encore d' autres informations. C' est ainsi que le lecteur attentif apprendra par exemple que la saison de varappe au Grand Mythen se prolonge souvent jusqu' en plein hiver. En voici des preuves: « 22 janvier 56: Clocheton de l' Aigle Paroi jaune. Temps printanier » « 31 décembre 61: petite Paroi blanche. En manches de chemise. Lac de Lowerz gelé ». « 14 novembre 54. E.W. et Trudy A: fissure du Geissstock à pieds nus ».

Grimper nu-pieds en novembre, sur quelle autre montagne de 2000 mètres à peu près serait-ce encore possible? Et la liste des ascensions de l' arrière et de l' hiver pourrait se continuer de toute manière, car, dans les hivers pauvres en neige, il suffit de quelques rayons de soleil pour qu' on puisse de nouveau grimper au versant schwytzois du Grand Mythen. Les ascensions hivernales selon le calendrier ne donnent donc pas encore droit à l' ordre de la Jarretière; et les véritables ascen- sions d' hiver, avec le froid, la neige et la glace, il faut les déconseiller, car elles sont grosses de risques d' avalanche sur ces plaques gazonnées. Mais avec corde et piolet, on peut, après une ou deux semaines sans précipitations, escalader la cheminée raide et étroite de l' Alpe Schwändi et aller en direction de la brèche de l' arête sud du Petit Mythen. Dans la neige dure, c' est une joie de monter à la rencontre du soleil. On fait sa descente sur l' Entre et, si l'on s' est muni de skis d' été, on jouit encore ici du plaisir délicat d' un départ « alpin ».

Remontons encore une fois de quelques mois le fleuve du temps pour tâter un peu le revers du Grand Mythen. De la Holzegg, nous apercevons la paroi est déchiquetée, et dont les itinéraires ont été mis à la mode au cours de ces dernières années. Si, sur le versant ouest, nous pouvions enfourcher notre monture préférée presque sans nous faire remarquer, ici, en revanche, nous savons que des centaines d' yeux sont braqués sur nous. C' est pourquoi les ascensionnistes qui fuient le public choisissent de préférence, pour leurs excursions dans la paroi est, un jour de brouillard. C' est moins nécessaire pour la paroi nord, bien que, ici, un chemin longe aussi le pied de la paroi. C' est que, dans cette puissante et large paroi, peu de gens réussissent à devenir grimpeurs. La paroi nord est très peu parcourue. Peut-être à tort, car la fissure, prise en direct, avec son bon rocher, devrait offrir une varappe payante.

Il y a bien des années, quelques-uns de nos meilleurs grimpeurs furent alertés un jour pour aller sauver un bouc dans la paroi nord du Grand Mythen. Il s' était égaré à grimper sans espoir dans la partie ouest de la paroi dans les environs de l' ancien itinéraire de la paroi nord: les chèvres courent après les herbes aromatiques!

Vous savez à quel genre de « terrain » on a affaire ici. Mais ne croyez pas y trouver un sentier pour piétons. Les boucs sont sans doute de remarquables grimpeurs. Mais si le quadrupède était déjà en détresse dans l' herbe d' un contrefort, comment aurait-il pu s' en tirer à mi-hau-teur de la paroi, dans une traversée de flanc extraordinairement exposée?

Du reste, ici, sur ce même contrefort, mon compagnon de cordée et moi avons appris que les arbres ne poussent pas dans le ciel, car, au milieu de la plus belle varappe - mon camarade grattonnait justement quelques mètres au-dessus de moi -... et voici ce qui se passa: la corde glissa soudain, et déjà Franz culbutait, passait devant moi et filait dans la profondeur! Il tenait dans la main un quelque chose entre le gris souris et le vert foncé. Ce que c' était exactement, dommage, je ne pus pas le reconnaître, et Franz, par la suite, garda là-dessus un silence obstiné. Sur le moment, il me sembla que c' était un fragment de caillou, mais, tout compte fait, ne serait-ce pas, peut-être, une nouvelle variété de gazon des Mythen?

( Traduit de I' allemand par G. Widmer )

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