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Les nouvelles routes dans les Alpes suisses

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

dans les

Alpes suisses

Par E. Cuenod.

landis que l' importante question de la traversée des Alpes par un chemin de fer fait le sujet des préoccupations de nombre d' hommes d' état, d' industriels et de commerçants, tant en Suisse qu' à l' étranger, des travaux moins grandioses se poursuivent depuis quelques années au sein de nos montagnes et ouvrent à la circulation des contrées jusqu' ici complètement privées des avantages des routes carrossables. Les premières chaussées établies à travers les Alpes ne datent, on le sait, que du commencement de ce siècle. En ordonnant la construction de la route du Simplon, Napoléon inau-* gura la série de ces grands travaux qui ont rendu vet rendent tous les jours au commerce des services bien plus grands que ceux que l' Empereur espérait obtenir de la première route militaire à travers les Alpes. Le Simplon terminé, l'on vit entreprendre successivement les belles routes du Splugen, du St. Gothard, du Bernhardin, du Julier et du Maloja, grâce auxquelles les rapports commerciaux entre l' Italie et le Nord de l' Europe ont pu prendre un si grand développement.

Mais quoique franchissant cinq passages des Alpes suisses, ces routes ne desservaient notre pays que bien imparfaitement. En effet, la seule qui aboutisse au coeur de la Suisse, le St.Gothard, était restée inachevée, s' arrêtant à Fluelen devant les rochers de l' Axen et obligeant voyageurs et marchandises à emprunter la voie du lac pour pénétrer plus avant dans l' intérieur du pays. Quant aux autres, elles pouvaient aboutir, l' une ( le Simplon ) au lac Léman, et les trois passages grisons ( réunis à Coire ), au lac de Constance, sans toucher à la plaine entre le Jura et les Alpes.

Aucune route secondaire, parallèle à la chaîne des Alpes, ne reliait entr' elles ces grandes artères commerciales et ne venait neutraliser ainsi l' effet fâcheux pour la défense de la Suisse de ces cinq ouvertures pratiquées dans nôtre rempart du Sud; de sorte que dans les cantons alpestres dotés de ces grandes routes les contrées qu' elles parcouraient profitaient seules directement des avantages des voies carrossables. Les vallées latérales en étaient complètement privées. Mais malgré l' utilité évidente de ces routes secondaires il s' écoula, depuis l' établissement des grandes artères, bien des années avant qu' il fut question de leur relier les vallées latérales dont les populations ont d' ailleurs toujours été peu favorables, lorsqu' elles n' étaient pas hostiles, à ces' innovations.

Outre ce dernier motif et la faible importance commerciale de leurs districts montagneux, les efforts considérables faits par les cantons pour l' établissement des grandes routes exigeaient d' ailleurs un temps d' arrêt avant d' entreprendre de nouveaux travaux dont l' utilité eût été, surtout alors, peu en rapport avec leur coût.

Plus tard le rachat des péages par la Confédération vint encore diminuer les ressources de ces petits Etats, qui, avec des populations et des moyens bien faibles, avaient mené à bonne fin des entreprises aussi considérables que l' était, il y a trente ans, la construction d' une route à travers les Alpes.

Mais ce que la Confédération enlevait de cette manière aux cantons, elle était appelée à le leur rendre un jour sous forme de subside, lorsque l' achèvement du réseau des routes dans les cantons alpestres fut reconnu favorable aux intérêts généraux de la Suisse, soit commerciaux, soit militaires. C' est à ces intérêts militaires qui pour la création de trois des nouvelles chaussées dans nos Alpes ont prévalu sur leur utilité commerciale, que les routes del' Axen, delaFurka et del' Oberalp doivent leur qualification de routes stratégiques et c' est pour ce motif que la Confédération a dû participer pour une plus large part aux frais de leur établissement; mais il est évident qu' en temps de paix elles serviront autant au commerce que la plupart des nouvelles routes du réseau grison. Celles-ci, à leur tour, pourront en temps de guerre acquérir une importance stratégique aussi grande que celles que, par les motifs susmentionnés, l'on est convenu de désigner sous le nom de routes militaires. Dans les lignes qui suivent nous décrirons successivement les deux réseaux subventionnéspar la Confédération suisse, savoir:

1°. Le réseau militaire, groupé autour du St. Gotthard.

2°. Le réseau commercial grison,

Le premier emprunte les territoires du Valais, d' Uri, de Schwitz et des Grisons. Le second est situé entièrement sur le territoire de ce dernier canton.

Grâce à l' arrêté du 26 Juillet 1861 par lequel l' Assemblée fédérale décida de participer à la construction de ces deux réseaux de routes à l' aide d' un subside de 2,750,000 Francs, une nouvelle activité s' est répandue dans plus d' une vallée de nos Alpes et, après trente ans de silence, les solitudes de leurs cols élevés ont de nouveau été troublées par le bruit pacifique de la détonnation des mines.

Réseau militaire.

Ce réseau se compose des trois routes déjà nommées de l' Axen, de la Furka et de l' Oberalp.

La première forme la continuation de la route du St. Gotthard qui se soudera désormais à Brunnen au réseau de la plaine suisse. Les deux autres relient entr' elles trois des vallées qui se groupent autour du massif central des Alpes, savoir les vallées du Rhône, de Ja Reuss et du Rhin. Elles procurent ainsi aux cantons du Valais et des Grisons un nouveau débouché dans l' intérieur de la Suisse. L' impor stratégique de ce second débouché se conçoit aisément lorsqu' on considère l' insuffisance de l' unique communication carrossable entre ces deux grands cantons et le reste de la Suisse. La prise du pont de St. Maurice, en Valais, ou celle du pont sur le Rhin près de Ragatz ( Tardisbriiek ), pouvait nous priver d' autant plus facilement de la possession soit du Simplon, soit des passages du Bernhardin, du Splugen et du Julier, que ces deux défilés, par leur situation voisine de la frontière, sont exposés à être interceptés. Le choix des passages de la Furka et de l' Oberalp pour l' établissement des deux routes militaires, destinées à rattacher au centre de la Suisse les cantons du Valais et des Grisons, est motivé par l' avantage qu' il y avait à les faire déboucher toutes deux dans la vallée d' Urseren. De cette manière on établissait en même temps une communication directe entre ces cantons:

on reliait à la route du St. Gotthard, celles du Simplon, du Splugen et des autres passages grisons; on créait en un mot une grande ligne carrossable entre Sion et Coire, espèce de chemin couvert recevant sur son parcours le débouché de tous les passages principaux des Alpes, par lesquels une armée suisse opérerait ses sorties quand elle serait appelée à défendre cette partie de nos frontières. Ce qui précède expliquera suffisamment pourquoi le Valais a dit être relié au centre du pays par la Furka et non par le col du Grimsel quoique celui-ci soit d' environ 300 mètres moins élevé.

L' exécution des deux routes de la Furka et de l' Ober devait donc avoir lieu simultanément, car elles sont le complément l' une de l' autre. Mais leur construction, en augmentant l' importance de la route qui descend la vallée de la Reuss, obligeait à faire disparaître la solution de continuité entre Fluelen et Brunnen, en ouvrant aux voitures le défilé an pied de l' Axenberg, jusqu' ici impraticable même aux piétons. Telle est la solidarité qui existe entre les trois routes du réseau militaire.

Route de l' Axen.

Cette route s' étend entre les villages de Fluelen et de Brunnen, sur la rive orientale du bassin supérieur du lac des quatre cantons, la partie la plus pittoresque de ce beau lac Les rochers à pic qui l' encadrent des deux côtés avaient jusqu' ici formé une barrière infranchissable entre les cantons de Schwitz et d' Uri qui de tout temps ne pouvaient communiquer entr' eux qu' en bateau. Lorsque ce dernier canton eut achevé sa portion de la route du St. Gotthard, l' idée de la continuer jusqu' à Brunnen surgit naturellement au sein du peuple et du gouvernement d' Uri, malgré les difficultés qu' y opposait la nature.

Dès 1837 des ingénieurs furent donc chargés d' étudier un tracé suivant horizontalement la rive entre Fluelen et Brunnen. Ce premier projet étant d' un coût trop élevé, Monsieur l' ingénieur Müller, d' Altorf, en étudia en 1838 un second qui passait à une hauteur beaucoup plus grande au-dessus du lac. C' est celui qui sauf quelques modifications de détail, vient d' être exécuté dans ces deux dernières années. La route de l' Axen aurait été commencée à la suite de ces études sans la non-réussite de négociations entre les gouvernements d' Uri et de Schwitz, au sujet de leur participation aux frais. Ces deux cantons n' étant pas tombés d' accord, on dût renoncer à cette belle entreprise, ce qui se fit d' autant plus facilement, que dès lors la navigation à vapeur sur le lac des quatre cantons prit un développement qui facilita au-delà de toutes les prévisions les rapports entre les contrées riveraines. Mais lorsque la possibilité d' établir une communication par terre, praticable par tous les temps, vint de nouveau à surgir, grâce à l' intérêt qu' y portait la Confédération, les cantons de Schwitz et d' Uri saisirent avec empressement les moyens qu' elle leur fournissait dans ce but. Le canton d' Uri était d' autant plus intéressé à cette entreprise que jusqu' alors il pouvait se trouver des jours entiers privé de toute relation avec ses voisins, surtout au printemps, lorsque le Föhn rend le lac impraticable et que les neiges encombrent encore les passages des montagnes.

En donnant ici une description succinte du tracé de la route de l' Axen, je renoncerai à celle de tous les nombreux sites remarquables, les points de vue magnifiques, dont ces travaux grandioses ont ouvert l' accès jusqu' alors si difficile. L' ouverture de cette route va d' ailleurs, dès cet été, faire connaître des beautés dont je ne pourrais donner ici qu' une idée trop imparfaite.

Quoique reliant deux villages situés au bord du lac, la route de l' Axen n' a cependant pas été menée horizontalement le long de la rive. L' augmentation de dépense qu' aurait causé un semblable tracé eut été hors de proportion avec l' utilité commerciale d' une voie qui ne pouvait d' ailleurs pas lutter avec celle, du lac. On n' a donc pas craint d' adopter un profil s' élévant, quoique avec des pentes fort modérées, à la hauteur nécessaire pour éviter, au moins en partie, les difficultés du terrain que rencontrait le tracé horizontal. Le principal obstacle était la paroi à pic, de plusieurs centaines de pieds de hauteur, formée par les rochers de l' Axen. La traversée de cette paroi exigeait d' après le projet horizontal une galerie dans le roc d' environ 600 mètres de longueur; à la hauteur où passe la route ce tunnel n' en a que le quart. Si ce passage a été le plus difficile, c' est aussi celui où la hardiesse du trace, les beautés de la vue, l' effet imposant de ces rochers immenses, surplombant la route à des hauteurs prodigieuses, produiront désormais sur des milliers de voyageurs les impressions les plus saisissantes.

C' est par cette paroi que se termine brusquement l' Axen berg, sommet extrême de la chaîne qui sépare la vallée de Schächen de celle de Riemenstalden. Elle forme deux promontoires rocheux qui bornent la vue de Fluelen du côté du Nord. La galerie dans le roc, pratiquée à 250 pieds au-dessus du lac pour livrer passage à la route, est percée de deux grandes ouvertures latérales, à travers lesquelles s' offrent à la vue, dans un encadrement naturel, le petit village et les vergers de Bauen, sur la rive opposée. Au sortir du tunnel on passe sous, des demi-galeries après lesquelles la vue s' ouvre du côté de Brunnen, dont les jolies habitations s' aperçoivent au loin.

C' est à juste titre que ce parcours remarquablement pittoresque, à travers des rochers imposants et au milieu d' une nature si belle et si sauvage à la fois, a donné son nom à toute la route, et c' est ici le moment de nommer l' ingénieur, Mr. Muller d' Altorf, actuellement Landammann du canton d' Uri, auquel revient l' honneur d' avoir le premier, suspendu à des cordes, étudié le tracé dans ces lieux dangereux. Après s' être élevée graduellement depuis Fluelen par une pente d' un peu plus de 3% jusqu' à la hauteur des galeries de l' Axen, la route s' abaisse de nouveau insensiblement à travers les prés escarpés qui dominent la chapelle de Tell. Elle se développe ensuite dans une vallée formée par un torrent quelques fois redoutable et atteint, après une nouvelle traversée de rochers, le petit village de Sissikon, condamné jusqu' ici à l' isolement le plus complet; car, à peine sortie des vergers qui l' entourent, la route rencontre de nouveau des parois abruptes, au bas desquelles l'on eût vainement cherché à longer à pied ces rives sauvages. Au-delà de Sissikon la chaussée gagne le bord du lac qu' elle suit, après le tunnel du Schieferneck, en quai au pied d' im rochers calcaires. Puis elle contourne le promontoire de Ort en se relevant pour gagner après un long parcours horizontal le sommet des rochers de la Wasifluh, d' où elle redescend enfin sur Brunnen. Ce dernieur parcours, où toute la largeur de la chaussée a dû être profondément entaillée daus un roc à pic, témoignera à jamais des travaux considérables qu' a exigé cette route. La place du port à Brunnen, dont la vue bien connue est l' une des plus belles de la Suisse primitive, termine heureusement la série des aspects que l'on découvre à chaque pas dans le tracé dont je viens d' es les traits principaux.

La longueur de la route ent de 12 kilomètres. Bon profil présente des pentes assez douces pour que presque partout les voitures peu chargées puissent aller au trot.

Dans des conditions aussi favorables l' entière horizontalité du trace est d' autant moins à regretter, que l' exécution de la première idée, en exigeant une dépense plus forte, eût privé les voyageurs des sites remarquables de la ligne adoptée.

Le coût des travaux est resté un peu au-dessous d' un million de francs. ( Je chiffre surprendra moins lorsqu' on saura ( lue la largeur totale de 21 pieds a ,dû être prise dans le terrain le plus accidenté que puisse offrir une route de montagne. Les tranchées dans le roc alternent constamment avec de hauts murs de soutènement; aux galeries succèdent des arches en maçonnerie franchissant à leur sortie de brusques et profondes anfractuosités de rochers. On se fera une idée de l' importance des déblais en apprenant que la dépense pour la poudre a dépassé une valeur de 120,000 francs. Le granit seul a été admis comme pierre de taille, grâce à la présence de nombreux blocs erratiques suspendus à ces flancs escarpés. Quelques uns de ces blocs, de dimensions colossales, ont disparu complètement sous l' habile ciseau des ouvriers italiens. Les dalles qu' ils en ont tirées ont fourni des kilomètres de couverture de parapets. Les bouteroues et les voussoirs de tous les ponts sont faits de la même pierre.

Malgré l' importance des travaux, qui surpassent eeux

de bien des chemins de fer, deux ans ont suffi à leur achèvement. Commencée dans les premiers mois de l' année 1863, la route a pu être parcourue par des voitures dans toute sa longueur avant la fin de 1864. Route de la Furka.

Comme on l' a déjà vu, cette route est destinée à relier les extrémités supérieures des vallées du Rhône et de la Reuss, par le passage de la Furka.

Si des bords du lac des quatre cantons l'on remonte le cours de la Reuss, on arrive dans la vallée d' Urseren où cette rivière se forme des divers affluents qui y arrivent de l' Est, du Sud et de l' Ouest. La vallée principale est dirigée à peu près de l' Orient à l' Occident; elle a 2 lieues de longueur et renferme les trois villages d' Andermatt, Hospenthal, etRéalp. Entre les deux premiers c' est la chaussée du St. Gothard qui suit le fond de la vallée; mais à Hospenthal, où cette voie importante se tourne brusquement vers le Sud, la route de la Furka s' en détache pour suivre jusqu' à Réalp le cours de la Reuss. Ce parcours de 572 kilomètres est sensiblement horizontal et ce n' est qu' au sortir de Réalp que le tracé commence à monter. Il s' élève alors rapidement et en serpentant le long des flancs du Fuchsegg, contrefort dont les pentes gazonnées offraient au principal groupe de lacets un développement facile. Arrivé sur les plateaux en terrasses qui terminent ce mont, on domine toute la vallée d' Urseren, ses trois villages, la Reuss et les nombreux torrents qui ravinent les flancs de ses montagnes. Au fond du tableau se dessinent les lacets de la route de l' Oberalp, groupe symétrique à celui du Fuchsegg. Enfin par un dernier contour le tracé que nous suivons reprend la direction du col de la Furka et pénètre dans le bassin reculé où se forme la Reuss. Suspendue à une grande hauteur au-dessus de la rivière naissante, la chaussée suit les flancs escarpés du versant exposé au soleil, où deux profonds ravins ontété creusés parles affluents de la Reuss: le Tiefenbach et le Siedelbach qui s' échappent de deux glaciers peu éloignés. L' ingénieur a été heureux de pouvoir profiter de ces vallées latérales pour augmenter le développement d' un tracé destiné à franchir un col aussi élevé que celui de la Furka.

La montée est longue et pénible; l' aspect général de la contrée, monotone. C' est en vain que l' oeil cherche à se reposer sur le moindre sapin rabougri; ces pentes immenses n' offrent à la vue qu' un maigre gazon jonché des débris des sommets supérieurs. Aussi les regards des voyageurs s' attachent avec plaisir sur les glaciers qui dominent les passages du Tiefenbach et du Siedelbach et, s' ils se portent plus haut, ils découvrent les mille formes bizarres d' une dentelle de roc, que l' action de fair et de l' eau, exercée pendant des siècles sur des couches de gneiss, a découpée dans les crêtes des montagnes. Au-dessus de ces arêtes déchirées le Galenstock dance hardiment sa cime neigeuse.

Enfin la route gagne les plateaux voisins du col, puis le point culminant du passage dont le versant valaisan va offrir au voyageur des aspects plus variés et plus imposants encore que celui, qu' il vient de gravir. A peu de distance du sommet du col on découvre en effet le magnifique groupe des Alpes bernoises, dominé de beaucoup par le Finsteraarhorn, ce géant colossal, qui ne se laisse dépasser en hauteur par aucun autre sommet de cette chaine. Longeant ensuite le bord d' un plateau solitaire, séjour préféré des marmottes, le tracé conduit bientôt en face du spectacle le plus saisissant que puisse offrir une route dans les Alpes. La grande cascade de glace qui domine le bassin inférieur du glacier du Rhône apparaît soudain dans toute sa grandeur, dans son imposante beauté. Des contours de la route les plus rapprochés du glacier le regard plonge dans les profondeurs azurées de ces voûtes de glace, surmontées de flèches élancées, de tours massives qui brillent au soleil et qui, par

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Faction soutenue de ses rayons, s' éboulent par moments avec fracas dans de larges crevasses. Ce spectacle sublime est difficile à décrire. Un groupe de onze lacets serpente en face de cette vue unique, puis au bas de cette descente l'on atteint les eaux boueuses du Muttbach, qui vont se perdre dans le glacier. Le tracé suit alors le pied des longues pentes du Längisgrat, en évitant les moraines accumulées plus bas. Enfin après deux nouveaux lacets traversant des éboulis de blocs énormes, la route gagne l' extrémité inférieure du glacier d' où le Rhône s' échappe pour se précipiter bientôt dans des gorges reserrées. C' est là qu' après un grand contour dans la petite plaine de Gletsch le tracé suit la rivière, d' abord sur sa rive droite, puis un instant sur la gauche, pour la franchir une dernière fois, en aval de la Mayenwand, par un bond hardi au-dessus d' une cascade. On se trouve alors dans la partie la plus tourmentée de la route, où la nature rocheuse du sol à présenté le plus de difficultés d' exécution; mais une fois sortie de ces gorges étroites la route développe agréablement ses lacets à l' ombre des sapins et des mélèzes, dans une forêt arrosée de limpides ruisseaux et d' où l'on sort enfin pour se trouver en face de la belle vallée de Conches et de ses nombreux villages, aux maisons de bois noircies par le temps. Les pentes des montagnes, couvertes de riches forêts, s' arrêtant au bord de la plaine cultivée qu' arrose le Rhône et le splendide Weisshorn qui ferme ce riant tableau, forment un contraste des plus vifs avec la nature sauvage et désolée que l'on a rencontré sur l' autre versant du passage et avec les hauteurs solitaires de la Furka que l'on vient à peine de quitter. La route gagne le fond de la vallée vers le village d' Ober, où elle se soude au chemin carrossable qui de Brigue remonte le Rhône pour desservir les dixains extrêmes du Haut-Valais.

Jusqu' en 1860 ce chemin s' arrêtait au-dessus de Viesch et ce ne fut qu' en Juillet 1861 que les premières Voitures parurent à Oberwald, village le plus élevé de la vallée du Rhône.

C' est sur la proposition de Mr. le Colonel Aubert, faite en 1859 à la suite d' une reconnaissance militaire qu' il commanda, que le Département militaire fédéral décida, en 1860, d' examiner la possibilité de l' exécution d' une route par la Furka. Le Conseil fédéral, après avoir assuré l' exécution par le canton du Valais d' un chemin à voitures arrivant qu' au pied du passage, chargea son Département militaire de faire étudier par des officiers du Genie un trace de route par le col de la Furka. Ces premières études furent faites dans fete de 1860 et il en résulta un avant-projet avec devis, base sur un trace qui fut des lors conservé dans ses traits généraux, savoir l' emplaiement des deux principaux groupes des lacets et le choix des plateaux élèves, de préférence aux thalwegs. Ceux-ci en effet, outre la mauvaise qualité de leurs terrains, présentent le grave inconvénient de rester encombrés des neiges accumulées par les avalanches, lorsque depuis longtemps le soleil et les vents en ont dépouille les hauteurs exposées au midi. Les nouvelles opérations sur le terrain faites dans les campagnes de 1861, 1862 et 1863, tout en consacrant ces principes, eurent pour effet d' apporter sur l' un et l' autre versant du passage de notables améliorations au projet primitif. Ces études répétées étaient nécessaires pour déterminer sur un terrain aussi nouveau le meilleur tracé possible.

Les projets définitifs une fois adoptés par l' autorité fédérale, le travaux purent commencer: en 1863 sur Valais, en 1864 sur le canton d' Uri. La portion de route située sur ce dernier territoire traverse un terrain éminement favorable

28* à ces constructions.

Elle rencontre peu de rochers à faire sauter, mais généralement des pentes gazonnées, par fois abruptes, mais offrant partout et en abondance des matériaux de bonne qualité. En revanche la section valaisanne a présenté, surtout dans sa partie inférieure, des parcours d' un établissement plus coûteux. La traversée des gorges du Rhône est sans contredit le travail le plus considérable de toute la route. Cependant les travaux n' offrent en eux-mêmes rien d' extraordinaire et, situés dans la plaine, on en ferait à peine mention. Ils consistent principalement en terrassements et murs secs, puis dans l' établissement de la chaussée et de ses accessoires. En fait d' ouvrages d' art il n' y a que les ponts sur le Rhône et celui sur la Reuss, près de Réalp, qui méritent d' être mentionnés. Le sol partout solide et de bonne qualité n' a exigé nulle part ces travaux d' assainissement et de consolidation qui engloutissent dans des ouvrages de peu d' apparence des sommes parfois considérables. Ces conditions d' exécution étaient donc tout à fait favorables. La seule difficulté réside dans la situation du tracé qui s' élève à des hauteurs où la courte durée de la campagne et l' inconstance du climat obligent à dérober, pour ainsi dire, chaque été à l' hiver quelques kilomètres de route. Il faut pour cela racheter par le grand nombre de bras le petit nombre de jours de l' année où l'on peut travailler. Mais il faut aussi loger et nourrir ces troupes d' ouvriers et là nous rencontrons la difficulté des approvisionnements dans une contrée manquant de tout et où vivres, bois de chauffage et outils doivent être transportés à dos d' homme jusque sur les chantiers les plus éloignés. Le premier besoin à satisfaire et de loger convenablement les ouvriers; c' est ce qui les attache à leur chantier et leur permet de perdre le moins de temps possible pendant les jours de pluie. C' est grâce à des baraquements suffisants et convenablenement répartis que le canton d' Uri a réussi, dans les quatre mois de travail pendant l' été de 1864, à faire plus de 14 kilomêters de route sur les 18 kilomètres qui s' étendent entre Hospenthal et le col.

Aussi est ce de la vallée d' Urseren que les voitures pourront pour la première fois atteindre le col de la Furka, et cela dès cet été.

Les difficultés du terrain sur le territoire valaisan empêcheront l' achèvement simultané des travaux sur les deux versants. L' ouverture de toute la route ne pourra donc avoir lieu qu' en 1866. Mais cette entreprise, dont les frais totaux s' élèvent à environ onze- cents mille francs, n' en sera pas moins exécutée dans un temps bien court, puisque les quatre campagnes nécessaires à son achèvement, représenteront à peine une durée de travail de vingt mois.

La longueur totale entre Hospenthal et Oberwald est de 36 kilomètres répartis à peu près égalment sur les territoires du Valais et d' Uri. La chaussée a 4 M. 50 ( 15 pieds ) de voie carrossable, largeur suffisante pour une route sans grande importance commerciale. La hauteur à gravir entre Realp et la Furka est de 970 M.; elle est de 1070 M. qu' on part d' Oberwald. Cependant malgré l' altitude du col ( 2420 M. ), qui dépasse de beaucoup celle du Simplon ( 2020 M. ), du St. Gothard ( 2160 M. ), du Bernhardin ( 2067 M. ), du Splügen ( 2117,M .), et du Julier ( 2287 M. ), les pentes de la route de la Furka n' atteignent nulle part# 10% et placent sous ce rapport ce passage dans des conditions plus favorables que ceux que nous venons de nommer. Au point de vue des neiges le passage de la Furka n' offre pas non plus les inconvénients que sa hauteur laisserait supposer. Son orientation de l' Est à l' Ouest protège, jusqu' à un certain point, contre les vents du Nord celui de ses versants que suit généralement le tracé et l' expose à l' action du soleil.

Il est constaté qu' à égale hauteur la quantité de neige y est moindre qu' au Grimsel et au St. Gothard. Ce fait permet de prévoir que, si elle n' est pas destinée à être ouverte aux traîneaux pendant la saison d' hiver, la route de la Furka pourra, à peu de frais, être rendue au printemps praticable aux voitures à la même époque que les grandes artères commerciales. Du reste les beautés naturelles que fera connaître cette nouvelle route ne tarderont pas à y développer une circulation bien plus active que celle, déjà considérable, des touristes qui chaque été gravissent péniblement, à pied ou à cheval, le sentier monotone de Rèalp à la Furka.

Boute de l' Oberalp.

L' établissement de la voie carrossable qui a ouvert aux voitures le col de l' Oberalp est loin d' avoir rencontré les mêmes difficultés que celles qui ont signalé l' exécution de la route de l' Axen. L' altitude de ce col est son éloignement des lieux habités n' étaient pas non plus des obstacles aussi sensibles que sur les hauteurs de la Furka.

Le col de l' Oberalp, situé à 2040 mètres audessus du niveau de la mer, est de 600 mètres plus élevé que le village d' Andermatt. Vu le peu de distance horizontale entre ces deux points, il a fallu, pour gagner la hauteur sans dépasser la pente de 10%, avoir recours à un développement artificiel consistant en neuf lacets occupant les flancs escarpés des monts qui dominent la vallée d' Urseren à l' Orient. Des contours spacieux à l' extrémité de ces lacets, le regard s' étend sur la plaine et ses vertes prairies, arrosées par la Reuss et traversées par un ruban de route qui disparait audessus de Hospenthal dans la gorge de la Reuss du St. Gothard.

Mais au sortir de ce village l'on aperçoit une autre ligne se détachant vers l' Ouest: c' est la nouvelle route de la Furka qui, de ce carrefour de nos voies alpestres, se dirige sur Réalp pour gravir en serpentant les plateaux du Fuchsegg et former là-bas le pendant des lacets d' Ander. Les pentes accidentées que recouvre en été un fourrage abondant ont fourni au trace de ces derniers lacets un terrain des plus favorables. Par des rampes de 7 à 91/2°/o la route s' élève hardiment jusqu' à une hauteur de 400 mètres audessus de la vallée, où commencent alors les pâturages de l' Oberalp. Les murs de soutènement nombreux et parfois élevés qu' à réclame ce parcours sont les seuls travaux de quelque importance; aucun ouvrage d' art n' a été nécessaire sur le versant du canton d' Uri. La partie supérieure à travers les pâturages était d' une exécution bien plus facile encore que le groupe de lacets; là le terrain aux pentes douces et régulières n' a donné lieu jusqu' à la frontière grisonne qu' à des travaux tout-a-fait ordinaires. La montée diminue graduellement et atteint enfin par de beaux alignements les bords du petit lac de l' Oberalp, aux truites renom- mées. Ce lac, d' un bon quart de lieue de longueur, est situé à l' altitude du passage du Simplon. La chaussée suit à quelques mètres au-dessus de l' eau la rive exposée au midi, puis contourne l' extrémité du bassin à l' aide d' un vaste circuit dont la faible pente suffit pour atteindre le sommet du col, où nous mettons le pied sur territoire grison. De là, par une descente rapide en zigzags, la route s' enfonce alors dans un étroit vallon et contraste d' une manière frappante avec son développement horizontal sur les rives du petit lac alpestre, dont les eaux sont un précieux décor pour ce paysage sévère et dénudé. Au bas d' un nouveau groupe de neuf lacets l'on atteint les huttes de l' Alpe Surpalix; puis bientôt, en longeant les flancs de la vallée, le petit village de Tschamuot, situé sur un promontoire d' où la vue découvre quelques échappées de la vallée du Rhin.

Au sortir de Tschamuot nous suivons, à une grande hauteur au-dessus du fleuve naissant, des pentes escarpées, autrefois boisées, dont la nudité actuelle expose chaque année au danger des avalanches le pauvre village de Selva que, vu sa position, la route a dû laisser à l' écart. Celle-ci en effet suit inflexiblement une pente uniforme de Tschamuot à Sta. Brida, petite chapelle à l' entrée d' une gorge boisée au sortir de laquelle s' ouvre le beau bassin du val de Tavetsch, dont la culture surprend agréablementle voyageur qui aparcouru la vallée d' Urseren. La nouvelle route traverse ensuite une plaine coupée sur quelques points par les lits encaissés de torrents descendants des montagnes au Nord, et relie ainsi entr' eux les villages de Rueras, Camischolas et Sedrun. C' est à l' entrée de cette dernière localité qne le torrent du même nom est franchi par le pont de 12 mètres d' jouverture qui est l' ouvrage d' art le plus important de' toute la route. Passé Sedrun la vallée du Rhin est de nouveau reserrée entre des pentes plus abruptes, de sorte qu' après le passage du val Bugnei le chemin traverse un nouveau défilé qui débouche au pied de Mompe Tavetsch dans la riante vallée de Dissentis. Ce bassin tout semblable à celui de Tavetsch, est traversé par les torrents de Clavanieff, Acletta et Cuoz, dont les vastes sillons vont joindre leurs eaux à celles du Rhin, après avoir déchiré les terrains fertiles qui s' étendent au pied des monts. La route de l' Oberalp franchit donc encore trois ponts avant de se souder à Dissentis au chemin carrossable qui arriva en 1856 pour la première fois jusque sous les murs de l' antique Abbaye: On ne pensait pas alors qu' il ne s' écoulerait pas dix ans avant que cette route fût continuée par le col de l' Oberalp jusque dans la vallée d' Urseren.

C' est cependant ce qui a eu lieu, grâce à l' intérêt militaire que la Confédération suisse a attaché à cette entreprise en en faisant le complément nécessaire de l' ouverture du passage de la Furka. Votés par l' Assemblée fédérale en 1861 les travaux furent entrepris dans l' été de 1862, d' abord sur le parcours de Dissentis à la chapelle de Sta. Brida, le pied du passage proprement dit. La campagne de 1863 vit achever ce tronçon et commencer celui compris entre Sta. Brida et Andermatt. Enfin en 1864, malgré un été peu favorable aux travaux dans les régions élevées, ceux - ci furent terminés de manière à permettre aux voitures de circuler dès l' automne sur toute la ligne. Le tronçon à la charge d' Uri dont l' exécution n' offrait, comme nous l' avons vu, aucune difficulté n' a exigé en 1863 et 1864 que neuf mois de travail, et la section grisonne, d' une longueur double, comprenant des ouvrages d' art d' une certaine importance, a pu être achevée dans trois étés seulement. C' est donc dans un espace de temps relativement court que ces 31 kilomètres de route ont pu être exécutés. La dépense totale s' élevè à environ 500,000 francs.

Cette nouvelle voie ouverte à la circulation sera appelée pendant la saison d' été à rendre au commerce plus de services que l'on ne s' en était promis à l' origine. Par elle les populations de la partie supérieure de l' Oberland grison se trouveront plus rapprochées d' une route commerciale, et les marchandises dont ils ont besoin pourront désormais leur arriver plus facilement que de Reichenau, sur la route du Splugen. Le mode d' exécution de cette nouvelle artère y rendra d' ailleurs les transports plus faciles que sur la route du St. Gothard ettous les voyageurs qui, après avoir remonté la vallée de la Reuss, passeront dans les Grisons par le col de l' Oberalp, reconnaîtront bientôt à la régularité des pentes et du tracé les progrès faits depuis trente ans dans la construction des routes.

Eéseau grisou.

La route militaire de l' Oberalp vient de nous conduire tout naturellement dans le grand canton où s' exécute le second réseau que je*me propose de décrire. Mais auparavant il importe de faire connaître l' état antérieur des communications dans ce pays montagneux et d' en donner en abrégé la description géographique, afin d' orienter le lecteur dans ce labyrinthe de montagnes et de vallées qui constitue une si grande partie des Alpes suisses. Les premières fois que l'on jette les yeux sur une carte du canton des Grisons on a en effet de la peine à découvrir dès l' abord, comme cela est aisé pour le Valais, les rapports qui existent entre les différentes parties du pays. Au lieu d' une seule vallée principale dans laquelle viennent déboucher du Nord et du Sud une série de vallées secondaires, on remarque dans les Grisons des chaînes de montagnes courant dans toutes les directions et déversant leurs eaux dans les bassins de trois mers bien distinctes. La plus grande partie se dirfge par le Rhin vers la mer du Nord; à l' Est l' Inn porte à la mer Noire les eaux de l' Engadine; enfin c' est vers l' Adriatique que coulent les rivières des vallées méridionales. Divisée entre ces trois bassins, l' étude géographique du territoire grison en devient plus facile.

Commençons par le plus étendu des trois: le bassin de la Mer du Nord, qui comprend les vallées des deux Rhins et de leurs affluents.

La vallée principale est celle du Rhin antérieur que nous considérerons comme se prolongeant au-delà du confluent de Reichenau, jusqu' au point où le fleuve quitte, sous les rochers du Flaeschberg, le territoire du canton. Du pied du Six Madun où il prend naissance le Rhin se grossit, en coulant vers l' Orient, de tous les affluents des vallées latérales de l' Oberland grison; les cours d' eau les plus forts sont ceux du Lugnetz, de Vals et de Savien. Dans le coude que forme le fleuve près de Coire il reçoit la Plessur qui recueille, au sortir des gorges du Schanfigg, la Rabiosa, originaire des hauteurs du Parpan. Enfin au-dessus du pont qui conduit à Ragatz ( Tardisbrücke ), la Landquart débouche du Prättigau pour apporter au Rhin le dernier tribut des montagnes grisonnes.

Retournons maintenant à Reichenau et, après y avoir observé en passant les deux courants contraires que forme sous le pont supérieur le confluent des deux Rhins, remontons la riche vallée du Domleschg aux vieux manoirs, restes du moyen-âge, aux nombreux villages qui se cachent au milieu des vergers et d' une culture jouissant des faveurs d' un climat privilégié. Après Thusis entrons dans les célèbres gorges de la Via mala où la route du Splugen, entaillée dans les flancs de ses rochers immenses, semble prendre plaisir à sauter hardiment,au-dessus des d' une paroi à l' autre. Une vallée plus large s' ouvre ensuite à nos yeux: c' est la vallée de Schams; là le Rhin se repose des nombreuses chutes qu' il vient de faire dans les gorges de la Rofla; puis si nous traversons ce nouveau défilé nous arrivons, au pied des passages du Splugen et du Bernhardin, dans la vallée de Rheinwald au fond de laquelle le glacier de Zapport donne naissance au Rhin postérieur.

Les deux principaux affluents de cette branche du Rhin sont sur sa rive droite. C' est d' abord, dans la Rofla, le Rhin

d' Avers, sortant des sombres gorges de Canicul; puis, en aval de Thusis, l' important cours d' eau de l' Albula. L' Albula prend sa source près du sommet du col qui lui donne son nom et reçoit en aval du pont de Filisur les eaux que lui envoie la vallée de Davos. Enfin à Tiefenkasten il s' associe au Rhin du Oberhalbstein et se précipite à travers les gorges profondes du Schyn dans la plaine du Domleschg.

Le bassin de laMer noire, beaucoup moins étendu, est limité dans les Grisons par les deux chaînes principales qui courent, du Sud-Ouest au Nord-Est, entre le Bergell et le Tyrol. Ce bassin est formé par la vallée de l' Inn, cette Engadine maintenant si connue par les eaux minérales de St. Moritz et de Tarasp. La rivière qui l' arrose et qui y prend naissance est la seule qui porte à la Meer noire le produit des glaciers de la Suisse. Sa source est ce collier d' émeraudes que forment les jolis lacs de Sils, Silvaplana, Campfer et St. Moritz reposant tranquillement à 6000 pieds au-dessus de la mer, au pied de belles forêts où le frais feuillage du mélèze se mélange aux teintés plus sombres des sapins. Les beautés pittoresques de ce coin de pays sont trop remarquables pour que dans cette revue rapide nous ne fassions pas mention en passant de la position charmante de Silvaplana et de sa presqu'île, vues des hauteurs de la route du Julier; puis St. Moritz sur sa rive élevée; plus loin, dans la plaine, les jolies maisons de Cresta et Cellerina et cette vieille église sur une colline isolée; puis là bas, sur la droite, Pontresina contemplant ses glaciers; enfin dans le lointain de nombreux villages dont les maisons blanches animent et décorent cette haute vallée.

L' Inn reçoit du Nord comme du Sud de nombreux affluents; la plupart débouchant de vallées latérales peu étendues n' apportent pas au fleuve de forts volumes d' eau; les deux seules rivières de quelque importance sont: le Flatz, qui des hauteurs du Bernina descend vers Samaden, et la Spöl, originaire de la vallée lombarde de Livigno, qui se jette dans l' Inn près du pont de Zernetz.

Laissant l' Inn franchir à Martinsbruck la frontière de la Suisse, passons en revue les rivières des vallées méridionales qui appartiennent au bassin de l' Adriatique.

C' est d' abord le Rammbach, illustre depuis le combat de Tauffers en 1799, qui amène à l' Adige les eaux de la vallée de Münster, au Sud-Est de Zernetz. Puis le Poschiavino qui decend du col du Bernina, arrose la fertile vallée de Poschiavo, y forme le petit lac de Le-Prese et va se joindre à l' Adda, en aval de Tirano. Ensuite vient la Maira qui de son cours rapide traverse le Bergell ( val Bregaglia ), se tourne vers le Sud aux abords de Clèves ( Chiavenna ) et porte enfin au lac de Mezzola ses eaux torrentueuses. Enfin nous nommerons la Moesa, originaire des sommets du Bernhardin, coulant du Nord au Sud dans l' étroit Mesocco séparé du Val Calanca par une chaîne abrupte comme la chaîne parallèle qui forme à l' Orient la limite entre la Suisse et la vallée lombarde de St. Giacomo, traversée par la belle route du Splligen. Jointe près de Roveredo à la Calancasea, la Moesa se tourne vers l' Ouest pour aller grossir le Tessin dans les champs d' Arbedo, illustrés par l' histoire.

Après avoir ainsi parcouru à grands pas les contrées si diverses de l' ancienne Rhétie, voyons quels sont les moyens de communication qui ont existé entr' elles depuis l' ouverture .vE.

Cuenod.

des premières chaussées jusqu' au moment où le nouveau réseau y a été entrepris.

Ce fut en 1824 que le canton des Grisons acheva sa première voie carrossable, celle du Bernhardin avec le tronçon jusqu' au sommet du Splügen. De 1835 à 1839 il en établit une seconde, celle du Julier, destinée à fournir à l' Engadine une communication plus facile avec Coire et par le Maloja un débouché sur Cléves. Ces routes sont d' une haute importance pour le commerce entre l' Allemagne et l' Italie, car elles franchissent des passages qui viennent aboutir à deux grands lacs: les lacs Majeur et de Come, dont l' extré supérieure baigne le pied des Alpes, tandis que de l' autre ils touchent aux plaines du Piémont et de la Lombardie. La route du Bernhardin établit une communication directe entre le lac de Constance et le lac Majeur; sa construction formait la suite naturelle de la chaussée établie antérieurement par le Vorarlberg et aboutissant à Coire. Du chef-lieu du canton elle remonte les vallées du Rhin postérieur et va de l' autre côté du col du Bernhardin, en suivant la Moesa, se confondre avec la route du St.Gothard vers le pont voisin d' Arbedo, où celle-ci franchit la rivière. A Splügen un embranchement s' en détache vers le col de ce nom pour rejoindre la route autrichienne qui des bords du lac de Come remonte la vallée de S. Giacomo. La chaussée du S. Bernhardin, large de 6 m. 20, traverse le canton sur une longueur de 118 kilomètres; son point culminant est à l' altitude de 2067 m. au-dessus de la mer. Les pentes varient ordinairement entre 7 et 8 % et sur quelques points de la Via mala elles atteignent exceptionellement 10, 11 et même 12°/0. Les frais de construction de la route principale et du tronçon de 8 kilomètres de longueur jusqu' au sommet du Splugen se sont élevés à 3,027,000 francs en tout. * La seconde des routes cantonales est celle du Julier

qui à partir de Coire se dirige immédiatement vers le Sud, sur l' Engadine, en dépit de la forte contrepente que nécessitent les hauteurs du Parpan et la traversée l' Albula à Tiefenkasten. Cette localité est tellement encaissée que le pont sur l' Albula une fois franchi, l'on remonte aussitôt pour gagner la vallée élevée du Oberhalbstein d' où l'on atteint Bivio, point de bifurcation des chemins du Septimer et du Julier. Le premier de ces deux cols, autrefois fort fréquenté, dès les temps des Romains, est maintenant abandonné par la plupart des voyageurs qui lui préfèrent le Julier grâce à sa route et à la bonne réputation dont jouit le climat de ce passage et malgré son altitude de 2,287 mètres au-dessus de la mer. La descente sur le versant italien est interrompue entre Silvaplana et l' extrémité du lac de Sils par le parcours horizontal le long de ces rives jusqu' au bord de la descente de la Maloja. Une fois engagée dans le val Bregaglia, la route descend rapidement du seuil de l' Engadine à travers tous les degrés d' une végétation de plus en plus riche qu' à Clèves on elle rejouint la chaussée du Splügen, que nous avons laissée sur le sommet du passage. La route du Julier n' a qu' une largeur de 5 mètres et son développement total de Coire à Castasegna est de 103 kilomètres, dont les frais d' établissement se sont élevés à 1,230,000 francs.

C' est donc un-total de 41/4 millions que la construction des principales artères commerciales a coûté au canton.

Mais cela ne pouvait pas suffire aux besoins que l' ou de ces premières voies faisait naître dans d' autres parties du pays. Les trois districts les plus importants quant à leur population: le Prättigau, l' Oberland et l' Engadine, voulurent au bout d' un certain temps être reliés aux routes commerciales pour tirer, eux aussi, des grandes artères in- ternationales tous les avantages que leur passage par le canton des Grisons mettait à leur portée.

C' est alors que commença l' exécution du réseau secondaire dont les nouvelles routes dans les Alpes grisonnes ne sont que l' extension et le complément.

Dans l' année 1842 on entreprit les chemins à voitures destinés à desservir le Prättigau et l' Oberland. Ils furent continués par tronçons successifs remontant ces vallées: celui du Prättigau jusqu' au village de Davos qu' il atteignit en 1860, celui de l' Oberland, jusqu' à Dissentis, en 1856. A l' époque où ses routes furent décrétées les autorités du pays ne purent malheureusement pas prévoir leur importance future ni leur consacrer des sommes suffisantes, de sorte que leur largeur totale fut fixée à 14 pieds à peine sur les premiers parcours, dimension évidemment trop faible p"our la route de l' Oberland par exemple, maintenant qu' elle a été continuée avec une largeur plus grande par le col de l' Ober. La route de l' Engadine fut exécutée entre Silvaplana et Pontalla, extrémité inférieure de la Haute-Engadine, dans les années 1845 et 1846; puis de 1852 à 1860 dès ce dernier point jusqu' à Ardetz, dans la Basse-Engadine.

Ces trois routes secondaires d' un développement de 154 kilomètres coûtèrent à l' Etat 1,821,000 francs. Enfin deux autres tronçons exécutés l' un pour la vallée de Poschiavo, l' autre pour celle de Bergün, réclamèrent encore du pays quelques sacrifices. La belle route du Bernina sur le parcours compris entre Poschiavo et le Lac noir fut un pas important pour rapprocher du centre du canton la vallée de Poschiavo si éloignée des autres. Aux 292,000 francs qu' exigea ce travail remarquable ajoutons les 14,000 francs de la petite route de Tiefenkasten à Bergün et nous arriverons au chiffre de plus de 21/4 millions dépensé par l' Etat des Grisons en routes de 2e classe dans une période de 19 ans, de 1842 à 1860.

Jointe aux dépenses faites pour les voies principales, cette somme donne donc un total de six millions et demi, consacrés à des constructions de routes par un pays montagneux, sans aucune industrie. Ce chiffre témoigne suffisamment des efforts faits par le gouvernement et les populations pour créer dans leur canton des communications faciles et pour y développer les relations commerciales.

Mais les tronçons de routes que nous venons d' énumérer s' arrêtaient presque tous au bout d' une vallée, au pied d' un col, ou comme le Bernina au sommet du passage; ils laissaient de la sorte l' oeuvre inachevée. Les nombreuses lacunes qui subsistaient encore forçaient les voitures à faire de grands détours pour se rendre d' une portion du pays dans une autre parfois peu éloignée, et empêchaient les routes existantes de rendre tous les services que l'on pouvait en attendre. Mal reliées entr' elles ces contrées l' étaient encore bien moins avec les pays voisins. Ainsi la Basse-Engadine, assujettie pour se rendre à Coire à l' immense détour par Silvaplana, n' avait de communication avec le Tyrol que par un chemin détestable. Poschiavo ne possédait du côté de la Valtelline qu' une route ässe zmauvaise, mais meilleure cependant que celle descendant du Lac noir à Samaden. Enfin l' extrémité de l' Oberland grison restait tout à fait à l' écart des chemins à voitures sans la route militaire dont nous avons parlé. Le Schyn, puissante barrière * entre les deux voies principales, forçait au grand détour par Coire et le# haut plateau du Parpan ceux qui voulaient se rendre en voiture de Thusis à Tiefenkasten et dans l' Engadine C' est donc en vue de combler ces diverses lacunes qu' a été combiné le nouveau réseau grison que nous allons décrire.

Ces projets qui, comme nous l' avons vu, ne sont que

Schweizer Alpen-Club.29

l' achèvement de celui qui a été commencé en 1842 et dont

les travaux ont continué, sauf quelques interruptions, jusqu' en

1860, comprennent les routes suivantes:

1° La route du Schyn: entre Tiefenkasten et Thusis.

2duLandwasse r: entre Davos et le pont deFilisur.

3de l' Albula: entre Bergun et Ponte, dans la

Haute-Engadine. 4du Fluela: entre Davos et Sus, dans la Basse-

Engadine.

5du B e r n i n a: entre Samaden et Cellerina ( Haute-

Engadine ) d' une part et le Lac noir d' autre, part ainsi que de' Poschiavo àCampo-Cologno, frontière italienne. 6des Fours ( Ofen ): entre Zernetz et Munster,

frontière autrichiennne, 7de la Basse-Engadine: entre Ardetz et Mar-

tinsbruck, limite du Tyrol.

Ce réseau occasionne au canton une nouvelle dépense d' environ trois millions de francs, dont la Confédération suisse a pris l' un à sa charge, à titre de subside. L' inspection de la carte suffit pour démontrer qu' en remplissant des lacunes signalées dans les voies de communication secondaires, on supprime les longs détours mentionnés plus haut et l'on favorise la défense du pays en cas de guerre. En effet, grâce à cette nouvelle entreprise les principales lignes d' opération militaires se trouveront pourvues sur toute leur longueur de $ chemins à voitures facilitant singulièrement les mouvements des troupes dans l' intérieur et leurs communications avec la base de la défense de ce canton: la ligne du Rhin entre Tardisbruck et Reichenau.

Passons maintenant successivement en revue chacune des nouvelles routes énumérées plus haut. Les nouvelles routes dans les Alpes suisses.

451 Route du Schyn,

Elle tire son nom de celui des gorges creusées par l' Albula dès le point où, grossie des eaux du Oberhalbstein, elle se dirige à l' Ouest vers le Rhin postérieur. Comme nous l' avons vu, la liaison qu' elle établit entre la route du Splugen et celle du Julier la rend précieuse à ceux qui veulent de l' Engadine atteindre sans détour les plaines du Domleschg. Une distance de 22/3 lieues, soit 13 kilomètres, sépare ses deux extrémités: Tiefenkasten et Thusis; et si dès longtemps ces deux points importants sont restés en réalité beaucoup plus éloignés, c' est que la construction d' une voie carrossable par ces défilés de rochers entraînait une dépense assez considérable. La traversée du Schyn a donc été jusqu' à ce jour une impossibilité pour les voitures, car nous n' appel pas de ce nom les petites charrettes du pays qui s' aventurent parfois sur le chemin dangereux passant sur la rive droite par le village d' Alvaschein et débouchant à Sils, en face de Thusis. De tout le nouveau réseau la route du Schyn est donc selon nous d' une haute utilité pour une grande partie du peuple des Grisons; aussi ce canton ne regrette-t-il point les sommes qu' absorberont ces travaux difficiles. Les déblais dans le roc et les maçonneries y joueront un grand rôle et ne seront pas partout d' une exécution facile. L' étude du terrain que suivra le tracé n' était pas non plus sans danger. C' est là les seuls travaux entrepris jusqu' ici, mais l'on ne tardera pas à mettre la main à l' oeuvre, d' autres parties du réseau se trouvant maintenant près de leur achèvement. Ces travaux donneront aussi lieu à deux ouvrages d' art, dignes d' être cités. Le premier est le pont élancé de Solis, sur un gouffre de plus de 100 mètres de profondeur et le second aussi un pont qui franchira le Rhin au sortir

29* des gorges de la Via mala et ajoutera un ornement de plus à ce site pittoresque.

Dans peu d' années les nombreux voyageurs qui visitent la contrée pourront donc jouir de ce nouveau passage et aller secouer à l' ombre des rochers du Schyn la poussière de la route brûlante du Domleschg.

lia route du Landwasser.

n' est comme celle du Schyn pas encore commencée. Pour l' une comme pour l' autre les travaux n' ont consisté jusqu' ici que dans l' étude du tracé. Dans les ravins du Landwasser la nature du terrain, quoique différente de celle en aval de Tiefenkasten, offre cependant à l' ingénieur plus d' une difficulté. Ce rayon de route, long de 20 kilomètres, complétera bientôt la ligne carrossable qui allant de Davos à la vallée du Rhin postérieur doit relier entr' eux, au pied de la chaîne principale, les débouchés de quatre passages, savoir les deux anciennes routes du Splugen et du Julier et celles qui sont comprises dans le nouveau réseau: l' Albula et la Fluela. Une portion de cette ligne, concentrique avec celle de Tardisbruck à Reichenau existe depuis 10 ans entre Tiefenkasten et le pont de Filisur.

Route de l' Albula.

Le chemin de Bergun ne devait être, dans l' origine qu' un débouché pour ce village et celui de Filisur. La stricte économie qui présida à sa construction fut cause que l'on borna à dix pieds seulement la largeur carossable, personne ne croyant a cette époque à l' ouverture prochaine du col de l' Àlbula.

Mais lorsqu' on vit la poste arriver à Bergun, le désir de voir la route prolongée jusqu' à Ponte dans la Haute-Engadine se manifesta d' autant plus vivement que le col à franchir n' offrait pas de difficultés sérieuses à l' exécution d' un semblable projet. Les efforts réunis des populations intéressées, secondés par des subsides cantonaux et fédéraux, réussirent à former la somme nécessaire pour cette belle entreprise. Dès l' été de l' année 1864 des chantiers furent ouverts sur tout le parcours entre Bergun et Ponte et, poussés avec vigueur dans l' année écoulée, les travaux pourront dans le cours de la prochaine campagne être avancés au point de livrer à la circulation la ligne toute entière. Les pentes adoptées pour atteindre le col ne dépassent nulle part celle de 10 % et le point culminant est à 2313 m. au-dessus de la mer. L' établissement de cette petite chaussée n' a occasionné nulle part des travaux extraordinaires, mais son tracé ne manque ni d' intérêt ni de variété. Jusqu' à l' auberge du Weissenstein la nature y conserve un aspect peu sauvage; ce n' est qu' à partir de ce point, le long du cirque rocheux où la route se développe, que Pon se sent voisin des hautes sommités. C' est surtout aux approches du sommet du passage que la contrée prend un aspect bien sévère. Dans la large encolure entre les deux montagnes formées l' une de gneiss, l' autre de rochers calcaires, les siècles ont entassé les énormes débris des arêtes voisines. C' est sur des hauteurs sauvages comme ce désert de pierres que les alignements tracés par l' ingénieur, contrastant frappamment avec le désordre de ce vaste chaos, élèvent au travail de l' homme, par leur simplicité régulière, un monument tout aussi imposant que ne le feraient dans les lieux habités des travaux plus gran- dioses. Passé le large dos du col de l' Albula, l'on redescend bientôt par une pente rapide dans la région des mélèzes; ensuite en serpentant à travers les prairies la route atteint enfin le village de Ponte sur la rivière de l' Inn.

La route du Fluela

franchit plus à l' Orient la chaîne des montagnes qui séparent les bassins de l' Inn et du Rhin. Elle joint Sus à Davos, c'est-à-dire à la haute vallée d' où l'on pourra bientôt, descendant le Landwasser, déboucher à Thusis. L'on évitera ainsi le long détour par la Haute-Engadine, et par l' ouverture de ce col Coire se trouvera désormais, au moyen de la route du Prättigau, rapproché de beaucoup de celle du Tyrol. Le chemin du Fluela aura une longueur de 5% lieues, soit 27 kilomètres. De tous les passages carrossables dans les Alpes grisonnes il sera le plus haut, car son altitude atteint, la cote de 2405 mètres au-dessus de la mer.

Route du Bernina.

Après avoir suivi dans le fond des vallées deux des nouveaux projets et avoir avec les deux autres passé des cols qui mènent dans l' Engadine, examinons encore les rayons qui de cette vallée se dirigent sur la frontière pour souder le réseau aux routes limitrophes, du Tyrol à l' Orient, de la Valtelline au Midi. Nous tournant vers le Sud la route du Bernina nous amène audelà du passage de ce nom dans la jolie vallée de Poschiavo. Le tronçon récemment terminé dès la frontière lombarde jusqu' aux rives du lac n' offre de remarquable qu' un tracé remontant une étroite vallée dont la belle végétation contraste vivement avec celle des régions du Bernina.

En effet quand on quitte l' ombre des châtaigners pour gravir lentement les 1400 mètres jusqu' au sommet du col, l'on passe successivement par différents degrés de la vie végétale jusqu' aux hauts pâturages #que hantent chaque été les bergers bergamasques. L'on ne peut s' empêcher de remarquer aussi, en montant, le trace de la route dans lequel l' ingénieur a su habilement enlacer les nombreux mamelons du terrain et obtenir ainsi la longueur nécessaire pour gagner presque sans zigzag une hauteur aussi grande. Cette portion de route, faite il y a 20 ans, va de Poschiavo au petit Lac noir; là commence le tronçon fini depuis un an qui par Pontresina aboutit à Samaden. 11 traverse le Flatz en amont et en aval de l' auberge du Bernina, redresse ce cours d' eau et descend dans la vallée au pied du Morteratsch. Plus bas que Pontresina la route se bifurque dans la plaine arrosée par le Flatz et par l' Inn. Laissant le bras de droite filer sur Samaden, le tronçon principal se portant sur la gauche franchit pour la troisième fois les eaux du Bernina. Un pont en bois sur l' Inn termine enfin cet intéressant tracé à l' entrée du village de Cellerina. Les 17 kilomètres d' ici au Lac noir ont été achevés dans trois étés à peine et les autres travaux jusqu' à la frontière italienne, terminés récemment, permettront dès l' été aux postes fédérales d' atteindre Tirano, dans la vallée de l' Adda.

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Route des Fours ( Ofen ).

La vallée de Munster, ce poste détaché à nos extrêmes frontières, devait comme Poschiavo, avoir aussi sa part dans le réseau projeté. La route du Bernina conduit en Lombardie; celle par les cols des Fours et du Buffaloraira en Vénétie, en rejoignant à Mais la chaussée du Tyrol et de la vallée de l' Adige.

Moins élevés que lès autres passages dont nous avons parlé, les deux cols susnommés sont par leur distance des contrées habitées un obstacle assez fort aux relations commerciales entre la vallée de Munster et la Basse-Engadine. Entre les deux villages de Cierfs et de Zernetz une seule maison se trouve sur le chemin; c' est au point où débouche celui de Livigno l' auberge solitaire et hospitalière des Fours. La distance totale entre Zernetz et Munster, frontière du Tyrol, est de près de 40 kilomètres. Une route aussi longue à construire à travers un pays désert, en faveur d' une population peu nombreuse et entretenant avec les pays limitrophes des rapports plus fréquents qu' avec son canton, est pour celui-ci la charge la plus lourde de toute l' entreprise. Il se peut cependant que comme continuation du passage du Fluela, la nouvelle chaussée de la vallée de Munster, rapprochant les bassins de l' Adige et du Rhin, acquière par la suite, dans la saison d' été, une certaine importance.

Route de la Basse-Engadine.

Entreprise en 1845 la route secondaire partant de Silvaplana et descendant la vallée, atteignait en 1860 le village d' Ardetz dans la Basse-Engadine et laissait à construire au nouveau réseau grison, projeté à cette époque, les 27 kilomètres jusqu' à Martinsbruck, frontière du Tyrol. Ce dernier parcours était, dès 1862, ouvert jusqu' à Schuls: il sera terminé dans la présente année. La belle vallée de l' Inn se trouvera ainsi ouverte dans toute sa longueur sur territoire suisse à une circulation que les eaux minérales de Tarasp et de St. Moritz ne manqueront pas de rendre de plus en plus active, surtout lorsque la route des gorges de Finstermünz aura opéré la jonction entre le Tyrol et PEngadine.

La descente d' Ardetz jusqu' au niveau de l' Inn est la seule partie de la construction où le terrain ait présenté quelques difficultés. Par différents travaux, fréquemment en usage sur les routes de montagne, on a heureusement surmonté ces obstacles. Au-delà des établissements de Nairs l'on découvre soudain, au détour de la route, le grand cirque occupé par les maisons de Schuls, village qui s' élève par gradins sur les pentes d' un terrain fertile. Plus loin nous traversons sur une arche hardie le val de Sinestra, puis les champs de Rémus, théâtre de trois combats dont le dernier força Lecourbe à la retraite. Passé le défilé de la Piatta mala la route parcourt ensuite un terrain plus facile et vient à Martinsbruck attendre impatiemment sa continuation sur la rive autrichienne, pour éviter ainsi les hauteurs de Nauders.

Telle est l' esquisse rapide de la tâche grandiose nouvellement entreprise par le peuple grison.Sans se laisser rebuter par les grands sacrifices que lui ont imposés ces travaux étendus, il procède courageusement à l' exécution d' une oeuvre qu' il léguera aux générations futures comme un lien de plus entre toutes leurs vallées et une source nouvelle de vie et de prospérité. Quelques années encore et l'on verra la fin d' une belle entreprise à laquelle le nom de l' Ingénieur en chef, Mr. Adolphe de Salis, restera attaché.

L' achèvement prochain des routes des Grisons contribuera aussi à mieux faire connaître cet intéressant canton. Mélange remarquable de populations qui différent parfois, même d' un bourg à l' autre, de langage et de culte ainsi que d' origine, les ligues des Grisons Wen présentent pas moins, à côté des autres cantons de notre patrie Suisse, un corps aussi compacte que la Confédération vis-à-vis des différents états qui l' environnent.

Les plus reculées de toutes les vallées qui forment cette espèce de Suisse en miniature seront désormais desservies par des voitures de poste, dont les courses régulières sont comme les pulsations de toutes ces artères.

C' est ici en effet que l'on retrouve encore ces belles diligences que la construction de nos chemins de fer a chassées de la plaine. Fières de leur importance elles franchissent librement, au trot de leurs chevaux, tantôt les hauts plateaux des cols de nos Alpes, tantôt les galeries qui défient l' avalanche. Après les zigzags d' un groupe de lacets, une gorge profonde les reçoit dans son sein où elles passent et repassent sur d' audacieuses arches la rivière qui gronde au fond du précipice. Puis au prochain relai, après le défilé, elles peuvent au moins goûter quelque repos. Ce mode de voyager a certes bien ses charmes, comparé au transport toujours si prosaïque sur les lignes ferrées; et quant aux Conducteurs, chargés du service postal, leur rôle est bien plus beau, quoique plus difficile, sur les chaussées des Alpes que dans les waggons-poste où les ont rélégués les progrès de ce siècle. Dans les longs mois d' hiver où le sol de la route est caché sous la neige, où avec la tourmente on risque l' avalanche, l' administration des Postes a fréquemment besoin du courage et du dévouement de celui qui revêt les fonctions de Conducteur et qui est appelé quelquesfois à remplir des devoirs analogues à ceux qui incombent au capitaine de navire. Aussi, lorsqu' un de ces hommes a blanchi au service et meurt sous l' uniforme, ne s' étonne pas de voir ses camarades lui rendre en quelque sorte des honneurs militaires.

C' est ce que l'on a pu voir l' an dernier à Coire, chef-lieu de l' arrondissement postal le plus montagneux de la Suisse.

On pourra être surpris de trouver dans un livre, devant servir d' annales aux hardis explorateurs des hautes sommités, l' énumération de tous les travaux qui livrent à la foule des touristes en voitures, des passages jusqu' ici praticables seulement au nombre bien plus faible des voyageurs à pied. Le clubiste, il est vrai, préfère aux grandes routes les sentiers de montagne, parfois à peine frayés, où il a l' occasion d' exercer à la fois, ses jambes et son oeil. Mais en véritable amateur de la nature alpestre il est heureux de voir tant de pittoresques beautés, de sites remarquables être rendus accessibles au grand nombre de ceux qui n' ont ni le loisir ni la facilité des excursions en dehors de l' ornière que leur creusent les routes.

D' autres regretteront qu' une chaussée poudreuse vienne souiller désormais la fraîcheur primitive de tant de beaux passages; les routes muletières ou les sentiers étroits sont bien plus poétiques, vous diront-ils souvent, et cadrent aussi bien mieux avec le paysage que tous ces grands travaux ne feront que gâter. Les goûts peuvent différer, mais nous ne doutons pas que ceux auxquels les chemins à voiture inspirent ces regrets, s' ils gravissent les hauteurs qui dominent les passages, trouveront avec nous, que loin de déparer la nature, ces longs rubans de routes qui reposent sur chaque côté des cols de nos Alpes, leur sont comme un diadème dont les contours gracieux font ressortir davantage le désordre im- posant des débris qui recouvrent leurs plateaux solitaires.

D' ailleurs les sentiers des passages de montagne restent pour la plupart au fond de la vallée, privant ainsi le grand nombre de ceux qui les suivent des vues magnifiques que leur procurerait l' ascension des hauteurs où les routes sont tracées. Que ceux donc qui regrettent de voir la main de l' homme altérer par ses oeuvres celle de la nature, se transportent un jour sous les rochers de l' Axen d' où le regard s' étend sur la plaine d' Uri, son lac et ses montagnes. Qu' ils remontent ensuite la route du St. Gothard, puis le cours *de la Reuss jusqu' à la Furka; de là une nouvelle route les conduira bientôt en un site sublime, jusqu' ici délaissé du sentier des piétons, où le glacier du Rhône, aux belles grottes d' azur, s' étalant à leurs yeux dans toute sa splendeur, changera leurs regrets en vive admiration.

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