Les randonneurs virtuels. Comprendre les comportements grâce à l'informatique | Club Alpin Suisse CAS
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Les randonneurs virtuels. Comprendre les comportements grâce à l'informatique

Comprendre Les comportements

grâce à l' informatique

Les randonneurs

virtuels

A l' EPFZ, l' Institute of Computational Science étudie le comportement de randonneurs virtuels, appelés « agents », au moyen d' un modèle informatique. Les premiers résultats de ces simulations montrent que de petites modifi cations locales ont une incidence étonnante sur le compor- tement de ces groupes.

Il est particulièrement diffi cile d' évaluer les conséquences d' une décision lors- qu' elles dépendent du comportement complexe des êtres humains. Depuis quelque temps, la planifi cation du pay- sage fait appel à des modèles informati- ques pour apprécier des scénarios futurs. Toutefois, ces simulations portent le plus souvent sur des domaines assez vastes comme des villes ou des régions. Elles se fondent sur des concepts abstraits, tels que plans d' affectation des sols, fl ux de circulation ou développements écono- miques. On soupçonne cependant que les décisions de planifi cation qui ont la plus grande incidence sur la population sont celles qui s' appliquent à une échelle plus réduite et dont les répercussions géographiques sont donc limitées. Modifi cations localesrépercussions importantes A cette échelle réduite – vallées, villages ou même champs et clairières – les élé- ments visuels et la qualité visuelle sont très importants. C' est particulièrement vrai dans les régions qui dépendent du tourisme, car les randonneurs choisis- sent souvent leur destination en fonction de la qualité du paysage. Il est diffi cile de traduire ces facteurs esthétiques en chif- fres; c' est pourtant une condition indis- pensable à la réalisation d' un modèle in- formatique. La science a grandement négligé ce domaine, probablement à cause du ca- ractère fortement subjectif des impres- sions visuelles. Mais il est important de se rendre compte que de petites modications locales peuvent fortement infl uencer la qualité générale d' une région. Le modèle réalisé par l' Institute of Com- putational Science de l' Ecole polytechni- que fédérale de Zurich associe des quali- tés esthétiques à d' autres facteurs, par exemple l' existence d' aménagements pour les loisirs 1. Le but de ce projetnancé par le Fonds national suisse est de simuler des randonneurs et de les ame- ner à réagir à des impressions visuelles. La sociophysique La sociophysique utilise des modèles physiques simples pour décrire le com- portement de personnes dans un groupe. La recherche porte sur la façon dont les personnes choisissent leurs buts en fonction de leurs aptitudes, de leurs attentes et, bien entendu, de l' environne ment. Dans ces modèles, les personnes sont représentées par des « agents », c'est-à-dire des sujets informatiques Un aperçu de la simulation telle qu' elle apparaît dans le « viewer » en trois dimensions. Les agents ( en rouge ) marchent de Schönried jusqu' au Rellerli. Afi n qu' on puisse les voir malgré la distance, leur taille est d' environ 10 m La simulation permet de modifi er certains paramètres pour observer la réaction des randonneurs. Vue du Rellerli sur la Hornfl ue sans aucune marque de civilisation, avec des forêts beaucoup plus régulières 1 Ce modèle est élaboré par Kai Nagel et Christian Gloor, l' auteur de cet article, à l' Institute of Computational Science de l' Ecole polytechnique fédérale de Zurich. 2 Duncan Cavens, Eckart Lange et Willy Schmid, de l' Institut für Raum- und Landschaftsentwicklung de l' EPFZ, ont pu le confi rmer en réalisant en été 2002 une enquête auprès des randonneurs. C' est la beauté des paysages, et surtout leur diversité, qui sont le plus appréciées.

> Photos: Christian Gloor L E S A L P E S 9/2005 intelligents, largement indépendants, ayant des qualités et des attentes person- nelles. Au cours de ces dernières années, ces modèles ont été utilisés avec succès dans divers domaines, comme la simula- tion de paniques collectives, d' embou teillages ou du comportement des cour- tiers en Bourse. Contrairement à la si- mulation d' une panique collective, où les « agents » doivent quitter un bâtiment le plus vite possible, dans le cas de la ran- donnée, le chemin est le but. Chaque agent a des attentes qui lui sont propres: jouir d' une belle vue, faire de l' exercice physique ou se balader tranquillement à travers bois. Ainsi, ces randonneurs se déplacent dans les montagnes, ralentis- sant lorsque le chemin devient plus difcile ou pressant le pas à la vue d' un res- taurant. Randonneurs-« agents » L' accent est mis sur la randonnée esti- vale. Le lieu de test choisi est une vallée de la région de Gstaad/Saanen. Les villa- ges de Schönried et Saanenmöser servent de repères dans la vallée, les montagnes Rellerli et Hornfl üh délimitent la zone étudiée sur les côtés. La plupart des tou- ristes viennent ici en hiver et on les ren- contre sur les pistes de ski; l' économie de la vallée dépend d' eux. Toutefois, à long terme, le change- ment climatique va obliger la région à revoir sa politique et à proposer une of- fre plus diversifi ée. La randonnée s' y est déjà taillé une solide réputation: avec un panorama alpin impressionnant et des sentiers pédestres très variés dans les prairies ou les bois, il y en a pour tous les goûts. Les sentiers sont facilement acces- sibles, grâce notamment aux télésièges et téléphériques. Ainsi, en saison, les deux grands parkings de Schönried sont presque toujours complets. Une étude a ré- vélé que dans l' Oberland bernois, ce qui attire le plus les touristes en été, c' est la beauté du paysage 2.

Mais dans la simulation, il ne suffi t pas que les « agents » se baladent au petit bonheur la chance. Pour que les applica- tions soient réalistes, il est néces saire de leur attribuer des trajets plausibles, car on ne recherche pas le plus court chemin entre A et B. Il faut également tenir compte des aménagements existants, tels que routes, sentiers, trains, télésièges et téléphériques ainsi que des arrêts dans les restaurants ou sur les sommets. Un « agent » en randonnée virtuelle L' un des itinéraires pourrait partir de l' hôtel. Après un bref trajet sur la route, on atteint la station inférieure du télé- phérique de Rellerli. On perd quelques minutes à faire la queue au guichet – ce que l'on pourrait peut-être éviter en se levant plus tôt. Au sommet, après un pe- tit tour des lieux, on va manger au res- taurant d' où l'on profi te de la vue. En- suite, on redescend par différents paliers en direction de Saanenmöser, à travers des forêts de résineux. Le sentier zigza- gue le long d' un petit ravin qu' un torrent dévale jusque dans la vallée. Et lorsque la vue n' est pas entravée par les arbres qui dispensent généreusement leur ombre, un panorama alpin magnifi que sert de toile de fond aux montagnes plus pro- ches. On attribue donc des itinéraires aux « agents ». Ceux-ci sont introduits dans la simulation sans avoir de connaissan- ces préalables de la région. Ils essaient de parcourir les itinéraires qui leur sont proposés et reçoivent des informations concernant leur environnement au fur et à mesure qu' ils se déplacent. A la fi n de chaque journée, les activités réalisées sont comparées aux attentes des « agents ». Par exemple, certains préfè- rent la beauté de la vue au calme des fo- rêts. En cas de brouillard, le point de vue a certainement moins d' importance qu' un restaurant bien chauffé. Si un iti- néraire ne répond pas à ces attentes, il est légèrement modifi é pour le lendemain. Ainsi les « agents » n' apprennent pas seu- lement de leur vécu direct, car si les tra- jets de différents agents sont quelque peu mélangés, ils peuvent également profi ter de l' expérience collective. Cette simula- tion exige un gros travail à cause des nombreuses répétitions requises, au cours desquelles les données sont modiées et les résultats vérifi és jusqu' à ce que l'on voie comment les randonneurs vir- tuels réagissent. Observation approfondie Pour observer le résultat de la simula- tion, on a mis au point des « viewers ». Ceux-ci permettent aux scientifi ques de pénétrer dans la simulation au moyen d' une caméra et de voir ce qu' il s' y passe. Le premier « viewer » est bidimension- nel; il saisit des données et fait des com- Le même paysage dans la réalité L E S A L P E S 9/2005 paraisons. Il permet non seulement de représenter les randonneurs par des points sur une carte, mais comme un système radar, il fait état des valeurs ac- tuelles pour chacun d' eux: la faim, la fa- tigue, la satisfaction. Il existe également un « viewer » en trois dimensions qui fournit une vue aérienne d' un groupe de randonneurs. En outre, il est possible d' observer le monde directement par les yeux d' un randonneur et de participer ainsi à sa promenade.

Rendre les conséquences visibles Cette simulation permet de montrer ce qui se passerait si l' Etat décidait, par exemple, de réduire de moitié les sub- ventions pour l' élevage du bétail et si la forêt reprenait possession de 60 % des pâturages. Ce n' est pas parce qu' ils ne verraient plus de vaches brouter l' her bette que les touristes cesseraient de ve- nir. C' est plutôt la repousse des arbres qui, en supprimant la vue sur les che- mins de randonnée, enlèverait un atout important à la région.

Si l' exploitation d' un téléphérique cessait parce que le manque de touristes en hiver fait qu' il n' est plus rentable, cela aurait des répercussions sur toute la ré- gion: comme les randonneurs seraient obligés de gravir ce sommet à pied, ils éviteraient cette destination; peut-être choisiraient-ils l' autre côté de la vallée, où le téléphérique fonctionne encore, ou alors, ils renonceraient totalement à cette région. Ce prototype montre comment on pourrait créer un outil pour les respon- sables de la planifi cation du paysage et les décideurs des régions touristiques, leur permettant de mieux évaluer les ré- percussions de leurs décisions 3. Pour le moment, il serait trop compliqué de concocter des randonnées sur mesure. Mais il n' est pas exclu que l'on puisse un jour mettre au point une interface Web qui proposera à chacun « l' itinéraire per- sonnel parfait ». a Christian Gloor, EPFZ ( trad. ) 3 On pourrait ainsi renoncer à des expériences coûteuses dans la réalité et utiliser les fonds disponibles de façon plus ciblée, ce qui profi terait à nouveau aux touristes. Un exemple: lorsque les espaces ouverts s' alternent avec les zones de forêts, la vue s' en trouve réduite mais le chemin devient plus varié et intimiste On ne connaît pas l' origine de cette clairière, mais elle fait l' effet d' une fenêtre. Si elle était mise en évidence, elle pourrait augmenter l' attrac tivité d' un sentier L' intérêt d' une région pour les randonneurs est déterminé par la qualité des chemins, mais aussi par la beauté du panorama Les randonneurs apprécient la diversité. La région du Lauenensee Photos: Christian Gloor LE S ALPE S 9/2005

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