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Les variations des glaciers des Alpes suisses en 1954

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 5 illustrations ( 114-118Par P.L. Mercanton el A. Renaud

La climo-glaciologie Ce rapport, le 75e de la série créée par A. Forel, marque une étape importante de la climo-glaciologie. Il n' est, pour s' en rendre compte, que de parcourir la collection complète de ces chroniques pour constater qu' elles constituent une source inépuisable de renseignements sur le régime de nos glaciers et leurs variations. La valeur de cette documentation réside tout d' abord dans sa continuité, car elle n' offre aucune lacune en dépit de deux guerres, puis dans la longue période de trois quarts de siècle qu' elle embrasse. Il convient d' autre part de rappeler ici la mémoire d' Ernest Muret-Forel ( 1865 à 1955 ), ancien chef du Service des forêts du canton de Vaud, qui collabora activement à ces rapports de 1897 à 1913.

Les observations de longueur des glaciers faites en Suisse depuis 75 ans constituent une documentation unique. Elles sont susceptibles d' apporter une contribution intéressante à la climatologie. Le glacier, en effet, est un intégrateur des variations du climat, sensible non seulement aux variations du climat local, mais encore à celles de l' ensemble du globe. En attendant que nous puissions procéder, comme nous l' espérons, à une analyse générale des variations des glaciers des Alpes suisses, signalons déjà quelques études de climo-glaciologie parues récemment et qui montrent qu' au delà de nos frontières nos confrères en glaciologie ont apporté déjà une contribution importante à l' étude de ce problème.

Moravetz S. ( Graz ), Klimabeziehungen des Gletscherverhaltens in den Ostalpen1. Finsterwalder H. ( Munich ), Die zahlenmässige Erfassung des Gletscherrückgangs an Ostalpengletschern 2.

Garavel L. ( Grenoble ), Comportement glaciaire et fluctuations climatiques 3.

A. Renaud L' enneigement alpin 1953/54 Après un automne ensoleillé, sec et chaud, l' hiver 1953/54 fut extrêmement tardif. La température moyenne du mois de novembre atteignit au Säntis ( 2500 m .) la valeur record de 0,7 degré, soit le maximum depuis le début des observations en 1883.

L' enneigement alpin débuta en octobre sur le versant sud des Alpes et ne se généralisa qu' à partir du 10 janvier. A cette époque, des précipitations extrêmement abondantes créèrent en Suisse centrale et orientale des conditions d' avalanches qui offrirent beaucoup d' analogie avec celles de l' hiver 1950, de tragique mémoire.

D' après M. Zingg de Y Institut fédéral pour l' étude de la neige et des avalanches au Weissfluhjoch sur Davos, lequel a bien voulu me communiquer ces renseignements, le centre de gravité de la zone touchée par les avalanches se situait au Vorarlberg. Là, dans la seule région du Grossen Walsertal, on déplora 80 morts. En Suisse, 400 avalanches firent 23 morts et de graves dégâts tout le long des Alpes, de Bellegarde ( Jaun ) à St-Antönien au Prätigau, en passant par le Fermeltal ( Haut Simmental ), Unterseen, les parages du Lac de Brienz, le Muothatal et le Maderanertal. Le canton d' Uri eut à lui seul 8 morts. En comptant encore 9 touristes emportés en montagne, le nombre total des victimes des avalanches s' élève à 32.

1 Zeitschrift für Gletscherkunde, Band II, Heft 1, 1952.

2 Zeitschrift fur Gletscherkunde, Band II, Heft 2, 1953.

3 Revue forestière française, n° 1, 1955.

A la fin de l' hiver, l' enneigement était plutôt faible. Au Säntis, par exemple, la hauteur maximale de l' enneigement n' atteignit que 2,9 m. ( 18 avril ), soit les deux tiers de la moyenne.

L' enneigement alpin atteint généralement sa valeur maximale en mai-juin. Cependant, en 1954, les conditions furent fort différentes. En raison de la nébulosité de l' été et du fort déficit thermique, la fonte ne se fit que très lentement et la hauteur de la neige ne diminua que peu au cours de fete. Juillet fut particulièrement froid et dès le 20 août, des précipitations anormales provoquèrent non seulement des débordements et des inondations dans les Alpes centrales, le Tessin et les Grisons, mais encore un enneigement très précoce.

Dans ces conditions, tous les observateurs1 ont note des résidus d' accumulation importants et l'on trouvera dans les tableaux annexes les valeurs détaillées. Relevons cependant ici, comme de coutume, les observations faites par notre collègue M. Kasser sur le Jungfraufirn ( 3350 m. ). Le résidu y était de 4,82 m. et la surface du névé marquait sur l' automne précédent un relèvement de 0,1 m. Cette précieuse observation corrobore la tendance générale manifestée depuis 1950 à une légère amélioration du régime d' alimentation des névés.

A. Renaud Chronique des Glaciers suisses en 1954a La présente chronique est ma quarantième depuis 1914. Elle sera aussi, dans mon intention, la dernière. L' âge m' incite à remettre à d' autres le soin - et le souci souvent aussi -de continuer l' œuvre de Forel dont l' exemple s' étend maintenant sur toutes les régions englaciées de la terre. Je tiens à remercier encore chaleureusement tous ceux qui m' ont aide: agents forestiers cantonaux - et parmi eux spécialement mon collègue Oechslin, l' inlassable visiteur de ses glaciers d' Uri - ainsi que mes autres collaborateurs de la Commission Helvétique des Glaciers et du Club Alpin. Je remercie aussi les Entreprises Hydro-Electriques: Les Forces motrices de l' Oberhasli en tout premier lieu, l' Energie Ouest-Suisse, La Grande Dixence, Electrowatt, enfin les rédacteurs des Alpes: MM. Oechslin et Seylaz, si accueillants et compréhensifs envers les exigences de notre tâche.

Nous avons pour 1954 des données sur 73 glaciers, nos principaux heureusement. On trouvera à la fin du rapport complet les valeurs numériques; je me borne donc à exposer les faits dignes d' attention.

L' extrémité du Glacier du Rhône, sur les rochers de son ancienne cataracte, avait à la mi-septembre 1954 très sensiblement le même aspect qu' en 1952 et 1953 et se terminait au même point. C' est à peine si les mesures photographiques montrent d' une année à l' autre une diminution d' aire de l' ordre de 0,5 %. Le glacier du Rhône doit donc être considéré comme stationnaire. Au Belvédère, selon M. Turini, exploitant de la Grotte, le bord gauche du glacier s' est rapproché de 73 m. en 1954 à 67 m. du repère plombé. Un déversement des masses semble s' être produit de droite à gauche dans ces parages.Mercanton ) II m' a paru intéressant de donner dans mon ultime chronique une vue d' ensemble des variations frontales du Glacier du Rhône, image qui n' a guère sa pareille car les positions du front nous sont connues depuis 1602 déjà. Le présent diagramme donne pour chaque époque la distance du front à un repère demeuré jusqu' à ce jour sans changement et que nous avons décrit dans le rapport de l' an dernier, la petite source thermale de Gletsch. Cette source a servi de base aux estimations de la distance du front jusqu' en 1874, où les 1 Cf. W. Kuhn. Der Firnzuwachs pro 1954 in einigen schweizerischen Firngebieten. ZNG. Vierteljahrschrift XLIX, 1954.

2 Le rapport complet, avec les tableaux numériques, peut être obtenu gratuitement en s' adressant au secrétaire de la Commission, M. A. Renaud, prof., Lausanne, Av. Rambert 20.

LES VARIATIONS DES GLACIERS DES ALPES SUISSES 1954 « Mensurations annuelles » du glacier ont débuté. Ces anciennes estimations des voyageurs se rapportent tantôt au front même, tantôt à la position des moraines frontales laissées sur le terrain. Leur précision est évidemment assez faible. Les mesures sont devenues plus sûres depuis 1874. Les récurrences de crues temporaires du glacier ont amené parfois l' arasement de moraines déposées, nous l' avons fait remarquer dans le diagramme par un signe spécial. Les distances indiquées sont - insistons sur ce point - des distances itinéraires, et non cartographiques, suivant sur le terrain le recul ou l' avance du glacier. Ce terrain est

fader du/Rkcme

à la Source Tkermale de Qletsck Front Moraine -frontale subsistante Moraine frontale arrasée 200C 1200 êtres eoo 800 400 400

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255 oooooooò cd coco P.L M. strux. Keller del d' abord le Gletschboden, qui monte assez régulièrement ( 3° ) vers le sud-est, jusqu' au pied du Belvédère; de là le recul s' est effectué continuellement vers le nord, sur les rochers de la cataracte ( rampe moyenne de 35° ) jusqu' à l' altitude de quelque 2050 m. ( Mercanton ) Le liséré frontal du Gratschlucht, au droit du repère de 1948, s' en trouvait à 120 m. Il y a eu donc recul faible; mais il n' est pas possible d' en donner la valeur précise, la mesure de 1953 ayant rencontré en ce point un mélange de neige et de boue. La diminution des deux petites langues glaciaires de part et d' autre de l' amas morainique du repère, confirment le recul.Mercanton ) L' exploration systématique du Grand Glacier d' Aletsch, commencée voici plus de dix ans déjà par le groupe Hasfeli, s' est poursuivie diligemment par les soins de M. Kasser surtout. Les mesures ont révélé un grossissement général du Jungfraufirn, tandis que l' ablation s' ac sur le dissipateur où de multiples balises la contrôlent. Ces tiges de bois, articulées, longues souvent de dizaines de mètres, s' implantent avec rapidité et sans difficulté dans la glace grâce à un dispositif de forage par eau chaude, perfectionnement par M. Kasser de l' inven de Calciati. La position du front dans la gorge peu accessible de la Massa a pu être fixée trigonométriquement et reportée sur la carte.Kasser ) De son côté, le professeur R. Hœfeli, en collaboration avec l' Administration des PTT, a étudié les déformations subies par la galerie creusée dans la calotte de glace du Jungfrau- wch. Cette étude dans la « glace froide » ( 2 à 3 degrés sous zéro ) est très instructive, car cette chape de glace est assimilable quelque peu à celle des glaciers polaires. Des venues d' eau y ont été constatées, et, dans le « laboratoire de glace » qui y est aménagé, MM. A. Renaud et H. Röthlisberger ont observé et photographié de très belles formations de cristaux de glace et de givre de sublimation ( fig. 3,4, 5 ).

A Bagnes, M. J.L. Blanc et son équipe ont contrôlé le Breney, toujours en retrait et placé des repères devant les glaciers de Mont Durand et d' Otemma qui finissent tous deux dans des ravins étroits, d' accès difficile. Une paroi rocheuse haute d' une trentaine de mètres coupe maintenant Otemma de son affluent àiEpicoun.

Au Trient un étranglement grandissant à la naissance de la langue, sous les rapides supérieurs, témoigne d' un amaigrissement graduel de cette partie basse, ce que l' ampleur du recul confirme A. Guex ) Les petits glaciers des Alpes vaudoises: Sex Rouge, Prapioz, Petit et Grand Plan Névé, ont des allures déconcertantes et malaisées à déterminer. Sex Rouge, Prapioz et Petit Plan Névé ont beaucoup grandi, seul le Grand Plan Névé est encore en décrue.Graf ) II pourrait y avoir en pareil cas ambiguïté: faut-il tenir comme en crue un glacier dont un névé persistant recouvre la glace terminale? Topographiquement, je réponds oui et mécaniquement aussi, car les glaces frontales protégées contre l' ablation poursuivent leur descente.

Grindelwald. MM. Boss et Jost ont contrôlé les deux glaciers du Grindelwald au début d' octobre. L' extrémité du Supérieur se dissimule dans le ravin étroit, courant au pied du Mettenberg et qui débouche sous le Milchbach. Cette fissure est d' un accès scabreux quand le torrent est gros. Un nouveau repère a néanmoins pu y être marqué. Le recul a été de 11 m. Des lagots se sont établis devant le glacier sur la tête rocheuse.

Le glacier Inférieur présentait une extrémité tourmentée dont des masses frontales tombaient incessamment dans la gorge, profonde ici de 250 m. Le retrait a été de 43 m. Un nouveau repère a été peint à quelque 39 m. du glacier, sur le bord droit de la gorge. Dans ces mêmes parages, le cryocinémètre, surveillé durant trois heures, a marqué des avances, comme toujours assez changeantes d' un moment à l' autre, faisant 9,3 cm./jour.

Le glacier de la Blümlisalp a reculé, mais le lagot, devant lui, en s' élargissant jusqu' aux flancs du ravin, a empêché les mesures précises.Lombard ) Les campagnes de M. l' ing. Flotron ( OKW ) aux deux glaciers de VAar ont fourni comme toujours de très instructives données. A YUnteraar, l' ennoyage estival du front a duré 83 jours, soit 43 de moins que l' année précédente. Le lac est resté à sa cote maximale pendant 7 jours seulement, soit 67 de moins qu' en 1953. Le recul moyen du front a été de 17,2 m. en 381 jours et le terrain délaissé 8260 m2, soit 3212 de plus qu' en 1953. Sur le segment nord du front, le recul a varié entre 10 et 32 m.; le segment sud est demeuré quasi stationnaire. Il y avait deux portails inégaux, l' un un peu au nord, l' autre un peu au sud de l' axe du glacier. Leur voûte s' élevait de 1 m. au-dessus de la nappe d' eau. La falaise, moins abrupte qu' auparavant, avait quelque 30 m. de haut.

Le front était à 56 m. en moyenne du profil Brandlamm Inférieure.Vitesse et altitude ont encore baissé sur ce profil, devenu de plus en plus inégal. Les chutes de neige ont empêché de lever le profil Brandlamm Supérieure. De même pour le Bloc Hugi.

Sur le profil Pavillon Dollfus la vitesse superficielle a augmenté de 1 à 2 m. à la marge droite dont la cote n' a presque pas changé.

Sur tout le profil Mieselen, la vitesse a augmenté. En amont de ce profil l' affluent du Lauteraar s' est abaissé partout de 1 m. En revanche, l' affluent du Finsteraar a peu changé. La vitesse a augmenté de 2 m. environ sur son profil.

A YOberaar, le front a reculé de juillet 1953 à juillet 1954 de 91 m ., délaissant 41 360 m2, la plus grande libération depuis le début des observations en 1926. Au milieu du front, soit à la colline de glace couverte de moraine, le recul a atteint 170 m. Ce mamelon présente là une falaise verticale haute de 20 m. Le recul a été moindre sur les deux ailes du glacier. En résumé, l' abaissement moyen des surfaces contrôlées a été de 1953 à 1954 de 1,4 m. à YUnteraar, et de 1,7 m. à YOberaar.Flotron, OKW ) En prenant en quelque sorte congé d' un glacier illustré par plus d' un siècle d' études remarquables, je veux consigner ici un de ses plus récents enseignements, aussi précieux pour l' ingénieur que pour le naturaliste: l' accentuation énorme de l' ablation frontale de YUnteraar par son ennoyage annuel par le lac de la Grimsel. La série complète de mesures de l' OKW montre en effet que depuis 1932, époque de sa première immersion, à fin 1954, moment de son emersion la plus récente, le front de ce glacier, large d' un demi-kilomètre, a reculé sur l' Aarboden de 24,6 m./an en moyenne ( 23 ans ), libérant annuellement 12 766 m2. Durant la période de 16 ans immédiatement antérieure ( 1915-1931 ) où le front restait toute l' année libre sous un climat à peine un peu moins chaud ( —0,4° ) qu' aujourd, le retrait n' a été que de 11,4 m./an avec une libération de 6782 m2. L' ennoyage annuel du front a donc dissipé les glaces de l' Unteraar deux fois plus vite qu' auparavant.

Lors de la dernière grande crue de l' Unteraar, terminée vers 1871, l' avance annuelle du front était seulement de 4,5 m./an. En cas de récidive, le lac n' aurait - on le voit - guère de mal à venir à bout d' une telle poussée temporaire.Mercanto » ) L' extrémité du Rosenlaui a subi un retrait de l' ordre de 14 m. depuis 1953.

( Campione ) Au pays d' f, le glacier de Brunni, toujours en recul net, s' est fortement amaigri partout. A YHufi, le trou dans lequel tombaient les eaux du torrent s' est ouvert au large, faisant place à un lagot qui s' appuie à la paroi rocheuse d' où tombe le torrent en une jolie cascade.

Le Wallenbühl Voralp doit son apparence de crue à la poussée de son affluent de droite ( 14 m .), tandis qu' à gauche le glacier a perdu 13 m. De même que le Gries, le Damma a reculé malgré son exposition au nord.

Le recul persistant du Kehlen est impressionnant ( 38 m. ). Le St-Anna, exposé lui aussi au nord, diminue avec une rapidité qu' explique la faible étendue de son collecteur. ( Oechslin ) Des éboulis rocheux ont recouvert partiellement le front du Suretta, en décrue. Une nouvelle base, plus proche, a été établie devant le Paradies.

Le Forno et le Tiatscha sont en décrue.

Au Palü, sur la terrasse dominant la grande paroi de rocher abrupte qui, depuis 1933, empêchait toute mesure, M. O. Bisaz a pu enfin établir une nouvelle base rattachée trigonométriquement à la base inférieure, périmée, permettant ainsi d' avérer un recul total de 542 m. en 21 ans.Bisaz ) Conclusion: En 1954, de 100 glaciers suisses 7 étaient en crue, 4 stationnaires et 89 en décrue.

Le retrait moyen de 60 glaciers a été de 16,5 mètres.P.L. Mercanton )

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