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Mels

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Oü tracer la limite raisonnable de l' ascension mecanisee et motorisee? Nos devanciers, pour aller aux montagnes, partaient ä pied de leur domicile. Pour notre generation, il est tout naturel d' utiliser les moyens de transport existants. On roule au moins jusqu' au village de montagne. jourd' hui, nous nous sommes fait vehiculer jusqu' au du village, et nous considerons cela comme une commodite qui va de soi. Mais c' est avec des sentiments melanges que nous attendons le montage d' un telepherique au Schilthorn, et quant au survol des glaciers, nous ne le recommandons que dans les cas de sauvetage ou pour le transport de materiel, mais non point pour le transport commercial des personnes!

Pour nous, l' excursion commence. Les traces dans la raide « Plattwang » sont encore durement gelees et en partie gätees par des empreintes de pas. Aussi devons-nous porter nos skis jusqu' au moment oü nous penetrons dans l' Engetal. Quelle tranquillite dans ce vallon!

Depuis longtemps, le bruit des avions s' est tu. Les aviateurs ont gagne les abords de l' hötel Männlichen, et lä-bas continuent leurs lointaines evolutions, la plupart du temps hors de notre vue et sans que leur bruit nous atteigne. Nous nous delectons de notre solitude, et pourtant nous ne sommes pas seuls: des points sombres se meuvent dans les raides parois qui nous fönt Les Alpes - 1962 - Die Alpen 1 face, disparaissant sur le rocher noir et reparaissant sur les taches de neige. Un coup d' ceil dans les jumelles nous revele des chamois en promenade matinale. Manifestement, ils ne nous ont pas encore eventes, et nous nous approchons constamment de leur sejour sans qu' ils prennent la fuite. Ce n' est que lorsque nous pouvons tres bien suivre leurs mouvements ä l' ceil nu qu' ils prennent peur et disparaissent definitivement dans les rochers.

Pres de la cabane du Schilthorn, nous faisons halte. Les touristes qu' elle a recus pendant la nuit l' ont depuis longtemps quittee, et nous apercevons les premiers de ces « leve-töt » sur la pente sommitale. Rien ne presse. Nous avons la journee devant nous, et comme but, ce soir, la rentree ä Murren. Ainsi nous remontons sans häte PEngetal, sachant que l' effort veritable ne commencera qu' au du petit « Grausee ». Dans la traversee des pentes qui le dominent, la neige de surface, mal tassee, s' est dejä eboulee en d' innombrables glissoires qui nous forcent ä reperdre quelques metres. Dommage, car le soleil brüle dans cette combe comme dans un chaudron! Encore un changement dans le plafond de brouillard, qui s' est eleve, et tantöt, au-dessous de nous, decouvre le « Wasenegg », tantöt le derobe en l' enveloppant comme d' un manteau. Bien que la pente descende, pas question de se laisser glisser. Ici nous trebuchons sur des restes d' avalanches, lä nous luttons pour ne pas deraper. La trace s' ameliore lorsque nous reprenons la montee. Mais avant le sommet proprement dit, une ample cuvette nous accueille. La neige y est poudreuse et nous promet, au debut de la descente, des jouissances hautement hivernales! Mais, pour l' instant, il s' agit de grimper encore, de peiner et de transpirer. La pente est de plus en plus raide, les lacets de plus en plus etroits. Enfin nous foulons l' epaule, oü un aplanissement de l' arete nous permet le depöt sür de nos skis. Une courte serie de marches profondement enfon-cees conduit au point culminant, oü des plaques de gazon, que le vent a debarrassees de leur neige, nous invitent ä un arret au bon soleil d' automne. Peu de gens se sont tires des profondeurs humides et brumeuses pour se hisser jusqu' ici. La plupart ont prefere se faire « draguer » sur le Schiltgrat, dont la Station apparait par eclipses, au gre d' un brouillard ondoyant. Les jambes etendues, la tete sur le sac, nous songeons. Le regard se perd dans le bleu du ciel ou reste accroche ä un des innombrables sommets.

Avant le depart, nous plongeons nos regards dans le « Saustal » par oü la descente serait belle. Mais le temps a passe: nous rentrerons par l' Engetal qui nous offre une belle neige poudreuse. C' est une jubilation que de filer et de tourner dans cette belle poudre qui vole, jusqu' au moment oü nous atteignons la combe gelee oü les skis glissent en crissant. Breve remontee pour entrer dans l' Engetal, tandis qu' un chamois solitaire se dirige vers l' arete du « Birg »... Puis, ä peine avons-nous fait les premiers virages, nous sommes happes par le brouillard. A l' aveuglette nous franchissons le defile qui nous mene ä la « Plattwang ». Sur la derniere pente avant la seile de l' Allmend, nous debouchons sous le plafond de brume. II nous reste ä prendre la piste jusqu' au village. Pendant que, heureux de cette belle journee, nous lions nos skis pour remonter chez nous, le monte-pente lache son torrent de gens. Dans « notre » petit chalet, le feu de bois petille bientöt, et dans la douce ambiance intime de l' eclairage au petrole, nous assistons ä la chute du jour qui progressivement s' eteint sur la montagne.

Septembre Samedi apres-midi. Nous roulons, relativement tard, vers Stechelberg. Puis nous prenons le chemin muletier qui monte ä Gimmelwald. II est pierreux et raide. Nous comprenons que les paysans souhaitent une liaison par telepherique avec la vallee. Mais les frais sont trop eleves pour eux... Pour le moment, il s' agit encore de marcher. Nous nous accoutumons ä la grimpee et, comme nous avons franchement chaud, c' est avec joie que nous penetrons dans la fraicheur du soir. Dans sa gorge, la Lütschine de Sefinen bondit, alerte, vers la vallee. A partir de la bifurcation du chemin vers Gimmelwald, nous ne rencontrons plus personne. Solitaire et calme est la vallee de Sefinen. Plus de clarines, plus de troupeaux, les alpages sont abandonnes. Nouvelle bifurcation: nous prenons ä droite, pour l' alpe de Boganggen. Crepuscule. A la lueur mourante du jour qui se termine, nous distinguons encore des chevreuils broutant dans un päturage. Us entendent nos pas et fuient sous le couvert de la foret proche. Puis c' est la nuit complete. Insensiblement le ciel s' est couvert. Les etoiles se sont voilees. II tombe une fine pluie. Les traces se perdent dans l' herbe et nous ne savons plus oü le chemin continue. Un vallon nous separe du but de la journee. Nous remontons. Quelques faux-pas, et nous nous retrouvons sur le chemin qui conduit de Murren ä la cabane Rotstock du Skiclub Stechelberg. Accueil cordial. Bientöt la soupe et le the fument sur la table. Et l'on apprecie egalement de verre de vin qui suit.

Debout de bonne heure, je fais une promenade matinale sur l' alpe que noie encore la brume. Le betail qui rumine me regarde avec etonnement. Un berger vient pour ramener aux chalets les bestiaux eparpilles sur tout l' alpage. Revenu ä notre abri, je le trouve qui a repris vie. Le feu brüle dans le potager, et le cafe sent bon. Puis, le jour tout ä fait leve, nous partons sans häte, laissons bientöt le chemin de Sefinen, et marchant sur des pierres, franchissant des ruisselets qui courent et bondissent, foulant des tapis de gazon, nous montons entre le Hundshora et le Schilthorn. Dans un paysage immense, qu' on ne peut embrasser d' un coup d' ceil, des traces rouges nous aident ä garder la bonne route. Nous sommes seuls. II n' y a, plus loin sur la droite, qu' un promeneur solitaire, lequel essaye d' atteindre le sommet du Schilthorn par la voie la plus rectiligne. Mais il semble s' apercevoir que, en montagne, la liaison la plus courte entre deux points n' est ni la voie la plus rapide ni la meilleure. De plus en plus il se trouve en mauvaise posture, jusqu' ä ce qu' enfin il se voie contraint de reprendre la route normale, loin derriere nous.

Au-dessus des parois de Boganggen, nous atteignons lazone desschistes. Avant de nous risquer dans ses pentes raides et glissantes, nous faisons halte. Face ä nous se dresse le Gspaltenhorn, oü, au cours de l' ete, nous avons du faire demi-tour ä la moitie de l' ascension, parce que le neve se trouvait en mauvaises conditions et nous-memes mal disposes, ce qui nous valut une bien jolie et heureuse flänerie ä tra vers le Kien tal. Dememe, aujourd'hui, nous voulonsjouir de notre journee, nous promener et nous arreter oü il nous plaira, sans souci des aiguilles de la montre. Aussi, la halte des « dix heures » s' etire demesurement! Ce sont des excursionnistes venus du Spiggengrund par le Roten-Herd qui nous rappellent que le chemin jusqu' ä Stechelberg est encore long. De la neige fraiche blanchit un des pans du sommet, car il a neige la nuit derniere. Mais d' hui le soleil est de nouveau brülant, et le chemin, trace dans les eboulis schisteux et couvert de neige fondante, est toujours plus mouille et glissant. Pourtant notre ascension continue et nous nous approchons du point culminant. Et une fois de plus cette joie nous est donnee, de la halte au sommet. II y a lä-haut un peu plus de place qu' en hiver, mais les visiteurs sont aussi plus nombreux. Et, malgre tout, il n' y regne aucun bruit. Tous les amis de la montagne ici presents ont ä leur actif des efforts certains. Ils ne se sont pas fait vehiculer jusqu' ici. Et chacun de ces promeneurs a vecu sa montee pas ä pas, degre par degre; il a atteint le sommet, qui a ete l' objet de son attente, de son espoir; il l' a foule en silence et dans l' emerveillement; il porte maintenant son regard au loin, et son repos lui-meme est riche et fecond. II a vu des fleurs rares et des plantes peut-etre inconnues de lui, qui prenaient racine dans un sol avare: il a vu des papillons, des coleopteres et d' autres bestioles, d' innombrables creatures minuscules qui lui ont rendu sensible la grandeur de la nature.

Peu ä peu, le sommet se depeuple. Pour nous aussi, il est temps de partir. Des restes de neige, sur le versant nord-est sous le sommet, nous invitent ä la « routchee ». La, nous plongeons en plein hiver. Aujourd'hui nous devalons, sans suivre le fil de l' arete, droit sur l' avant: nous jouissons ainsi plus longtemps du coup d' ceil sur les « geants de l' Oberland bernois ». Le modeste « Grausee » n' est plus qu' une flaque en voie d' assechement. Nous en longeons la rive jusqu' ä la pente qui plonge directement dans le Schilttal et qui, avec ses trois cents metres de denivellation, nous en « met plein les genoux ». Mais ä son pied recommence la tranquille promenade qui va deboucher dans la vallee, vers les chalets brunis de la Schiltalp, oü, il y a quelques mois, nous skiions et nous jouissions de bains de soleil printaniers. Maintenant, le betail y pait. Et pourtant la premiere neige va bientöt tomber. Le proprietaire de notre « ermitage d' hiver » ( et son habitant durant l' ete ) y apporte justement le dernier regain, alors que nous sortons du Wintertal et que nous apercevons Murren. Au soir tombant, nous rentrons par Gimmelwald ä Stechelberg, ache- vant ainsi notre circuit..,. Traduit de laUemand par G. Widmer

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