Mont Blanc par l'éperon de la Tournette (Le -) | Club Alpin Suisse CAS
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Mont Blanc par l'éperon de la Tournette (Le -)

sant Brouillard ) s' était, il y a quelques années, posée en des termes assez virulents! A l' origine, ce bivouac devait surtout servir de havre de sécurité. Mais aujourd'hui il est essentiellement utilisé comme lieu de séjour par nombre de grimpeurs venus effectuer quelques longueurs dans les voies modernes des Piliers du Brouillard. Les alentours des refuges ( l' ancien refuge a été doublé il y a quelques années ) sont encombrés de déchets plus ou moins discrets ( cartouches de gaz, papiers gras, boîtes de conserve, etc. ) et plus ou moins nauséabonds. La question de supprimer les refuges-bivouacs Eccles est plus cruciale que jamais.

Pourtant, les voix allant dans ce sens ne portent guère!...

Quant au Pilier Rouge du Brouillard, il n' est pas vain de rappeler quelques vérités: c' est en juillet 1959 que Walter Bonatti lui a donné naissance, en ouvrant un superbe itinéraire, très engagé pour l' époque. Cette voie nommée aujourd'hui la classique a été fortement dévaluée par son équipement en rappels. Et au regard de ce qu' est devenu la fréquentation des lieux, il m' est bien difficile de trouver une justification à ce type d' équipement particulièrement discutable. Le Pilier Rouge du Brouillard, par quelque voie que ce soit, mérite d' être accompli jusqu' au sommet du Mont Blanc. Ainsi réalisé, il n' a rien à envier à son grand frère, le pilier Central du Frêney! Ajoutons que des cordées réussissent chaque année cette course en partant du refuge Monzino, preuve supplémentaire de la nécessité toute relative des bivouacs Eccles en tant que point de départ...

Heureusement, il reste des endroits qui ne sont pas sujet à polémique. Le majestueux versant de la Tournette est de ceux-là.

Le monde du silence

Le soir approche et les ombres se font sérieuses. Après six heures trente de marche, nous parvenons au petit refuge Sella, que son mur d' enceinte, construit en pierres, fait ressembler à une bergerie. Son mimétisme est total, et bien malin celui qui saura le repérer depuis le glacier de Miage. Les nuages, écheveaux du ciel, boivent une dernière fois à la lumière du crépuscule. Mon ami Bernard fouille dans son sac. Anne, ma compagne, nous prépare du thé pendant que je vais repérer une petite portion de l' itinéraire à faire de nuit. Tout semble naturel et profond. Nous vivons, chacun à notre manière, la sensation merveilleuse de nous mouvoir au creux d' un sanctuaire. J' ai l' intime conviction de me trouver dans ce qui est peut-être le plus bel endroit du Mont Blanc. Tout est calme. C' est le moment où les pensées des guides et des marins s' unissent dans le même souci du lendemain...

Nous quittons notre abri vers trois heures du matin. Le cœur serré, nous fermons la porte du

Née d' une nouvelle aube, la face sud du Mont Blanc expose ses beaux piliers à la souveraine lumière. Plus bas, le glacier du Brouillard étend sa peau de glace comme une traîne de Alpinisme et autres sports de montagne

refuge tandis que déjà la nuit nous absorbe. Certains départs me semblent bien difficiles... La bergerie fut pour nous une ruche d' heures sereines sous la voûte étoilée. Mais ne faut-il pas parfois savoir défaire les liens du confort afin de garantir quelque chance de succès au désir qui nous habite?

Une rapide désescalade nous amène en bordure d' une pente de glace. Cette dernière doit être remontée sur environ 300 mètres pour gagner l' épaule qui domine le glacier du Mont Blanc. L' inclinaison est forte. Certaines goulottes, formées par les chutes de pierres et les coulées de neige des heures chaudes, dépassent les 50°. Nos chevilles encore tout endormies sont impatientes de rencontrer le sommet libérateur. Celui-ci se présente sous la forme d' un vaste dôme dont l' envers plonge rapidement sur le plateau supérieur du glacier du Mont Blanc. Nos silhouettes continuent de glisser à travers une nuit d' encre. Peu crevassé, le terrain permet une progression rapide. Presque trop rapide, car c' est toujours le noir le plus absolu qui nous accueille dans la zone des rimayes! Complètement effondrées, ces dernières m' obligent à une longueur de glace hasardeuse au travers de quelques ressauts verticaux et à une sortie le long d' une fissure oblique dans un rocher particulièrement compact et mal éclairé. Les premières lueurs du jour commencent à poindre lorsque je termine le délicat passage. Le relais installé, je fais monter mes compagnons. Ce laps de temps m' autorise à scruter le ciel et à observer une partie du chemin accompli durant la nuit. La rêverie est de courte durée, Anne et Bernard, les crampons noyés dans une gerbe d' étin, parviennent déjà à mes côtés. L' escalade d' une longue cheminée verglacée me porte à un petit promontoire, sur le fil même de l' éperon de la Tournette. De ce point, nous jouissons d' un spectacle magnifique! L' isolement et l' ampleur du bassin où nous nous trouvons sont déconcertants. Encore à moitié endormie, la face ouest du Mont Blanc laisse patiemment mourir ses ombres. Tout en haut de la face, la lumière nous éblouit de ses contrastes. Opale de feu ou tison incandescent, le Mont Blanc émerge de sa torpeur nocturne tel un seigneur gainé de pierres fines et de glace laiteuse...

Nous continuons notre progression. L' escalade, facile mais intéressante, réclame beaucoup de circonspection. Le rocher est très verglacé et la recherche de l' itinéraire demande une bonne habitude du terrain. Le mauvais choix d' un passage nous propulse vite dans des difficultés qui n' ont rien à voir avec l' homogénéité de la course. Nous montons le plus souvent ensemble, nous assurant chaque fois qu' un doute surgit. Au fil du temps qui s' égrène, la promenade devient aérienne. A notre marche lourde et maladroite de la nuit ont succédé des pas de funambules. Ils sont devenus caresses au monde du silence...

Belle escalade sur la partie médiane de l' éperon de la Tournette.

La partie sommitale

Sorti d' un petit mur délicat, je me cale à l' abri d' un gros bloc pour assurer mes compagnons. Tout en bas, à travers une échancrure, je distingue un peu de verdure appartenant au Val Veni. Sur ma gauche, lumineuse et régulière, la pente s' incurve et exhale les fumées du vertige. Mon regard explore la face dans ses moindres détails et finit par se perdre, au loin, sur l' arête du Brouillard. J' y repère deux grimpeurs qui évoluent lentement sur de fragiles dentelles de neige. Nous les rencontrerons au soir, au refuge Gonella. Il s' agit de deux Italiens, partis du lac des Marmottes ( près du lac Combal ) pour réaliser l' ascension intégrale de l' arête du Brouillard en trois jours. La solitude absolue... Réunis tous les trois sur notre plate-forme, nous nous octroyons un court repos et mettons les crampons. La suite de l' itinéraire est constituée d' un ensemble de ressauts rocheux, reliés entre eux par de fines et raides arêtes de neige. Ce type de terrain, neige dure et longs passages en rocher pur, impose une progression assez lente, du fait de devoir souvent

Le versant SW du Mont Blanc, L' itinéraire de la Tournette se déroule dans la vaste zone rocheuse occupant tout le centre du cliché: au milieu de celle-ci dans la partie inférieure, où se trouve le refuge Sella ( à mi-hauteur environ de l' ensemble ), puis à la limite des rochers et de la neige.

Regard vers le sud. On voit ici les pentes sommitales du versant ouest du Mont Blanc et la partie terminale de l' arête du Brouillard enlever et mettre les crampons. Nous sommes à 4600 mètres et un petit vent froid nous indique que l' arête des Bosses ne doit plus être loin. Une étroite vire aérienne et verglacée m' oblige une nouvelle fois à chausser les crampons au milieu d' une section rocheuse. La énième répétition de cette manœuvre me convainc de les garder définitivement aux pieds, quitte à devoir les réaiguiser avant d' accomplir la course du surlendemain, à nouveau le Mont Blanc avec des clients! Nous enchaînons ainsi, durant deux bonnes heures, une succession de très beaux passages en mixte. Je me rétablis au sommet d' un petit éperon et découvre devant moi l' ultime pente de neige venant se souder à l' arête des Bosses. Au-dessus, à une trentaine de mètres, défilent les cordées léthargiques qui tentent le sommet depuis le refuge Vallot. La proximité de ces gens souvent en pleine torpeur nous ramène à la réalité... Une réalité abrupte, flirtant dangereusement avec le désenchantement. Du coup, l' attrait du sommet s' estompe un peu pour laisser place à la nostalgie de cette poignée d' heures exceptionnelles que nous venons de vivre. Nous décidons de nous accorder un dernier repos sur l' ultime replat domi- Les pentes de neige à mi-hau-teur de l' itiné. Tout au fond, le glacier de Miage et le Rocher du Mont Blanc.

< nant tout notre itinéraire. Tandis que mes compagnons grignotent quelques aliments, une paisible rêverie s' installe en moi. Mon regard file par-dessus l' arête du Brouillard et va se perdre dans le bleu du ciel. D' ici, l' infini n' est pas loin et se l' imaginer ne demande pas de gros efforts. Le corps entier se berce de tant de calme. Pour un peu, il serait prêt à l' éternité...

Nous atteignons le sommet du Mont Blanc à 14 heures. Notre horaire a été celui d' une cordée de trois, peu pressée et confiante dans la sérénité du ciel. Une cordée idéale dont chacun des membres à pu caresser le bonheur simple de se sentir vivre.

La question du choix de l' itinéraire de descente ne se discute pas longtemps. Aucun d' entre nous n' émet le désir de retrouver le cosmopolisme fiévreux du téléphérique de l' Aiguille du Midi, même si cette option représente le chemin le plus confortable pour le retour. Et c' est donc en toute logique que la voie normale italienne s' impose. Elle a l' avantage indéniable de prolonger notre course de Alpinisme et autres sports de montagne façon harmonieuse en nous préservant de toute rencontre humaine. Certes, le refuge Gonella n' est pas vide, loin s' en faut! Mais nous ne rencontrons qu' une seule cordée durant toute la descente. Ce choix nous offre également la possibilité de revoir la plus grande partie de l' ascension sous des angles très intéressants.

La matinée de notre troisième jour est consacrée à la descente depuis le refuge Gonella. Nous cheminons tranquillement sur le glacier de Miage, guettant les rares apparitions de touffes de génépi qui, malgré l' instabilité des cailloux emmenés par l' avance de la langue glaciaire, parviennent à prendre racine en ces lieux désertiques. La marche, longue et monotone, est propice à l' évasion de l' esprit. Je songe à ce que devait être l' éperon de la Tournette en d' autres temps. Car si aujourd'hui cet itinéraire n' est plus guère visité ( cinq passages sur le livre de cabane pour l' année 1995 ), il n' en a pas été toujours ainsi. La première ascension date du 2 juillet 1872 et elle fut l' œuvre de Thomas Stuart Kennedy, grand pionnier de l' alpinisme et premier président de l' Alpine Club. A cette époque, le versant ouest du Mont Blanc était encore totalement inexploré. Infatigable défenseur de l' alpinisme sans guide, S. Kennedy ne craignait pas les paradoxes et n' hésitait pas à avoir recours aux services des meilleurs professionnels pour mener à bien ses réalisations. C' est ainsi qu' il engagea Johann Fischer, de Belalp, et Jean-Antoine Carrel, de Valtournanche, pour effectuer la première ascension de l' éperon de la Tournette. La cordée, qui partit d' un bivouac installé sur l' actuel promontoire du refuge Sella, mit une dizaine d' heures pour atteindre le sommet du Mont Blanc.

Par la suite, la voie de la Tournette devint classique et il n' était pas rare, au début du siècle, de l' utiliser également à la descente. Sachons aujourd'hui reconnaître pareil morceau de bravoure à sa juste valeur! Le matériel dont étaient pourvus les grimpeurs d' alors rendait cette façon de procéder extrêmement périlleuse. Rochers verglacés sur le haut de l' itinéraire, taille de marches obligatoire sur les raides arêtes neigeuses de la partie médiane, traversée des couloirs à la base de l' épe ( pouvant être exposés aux chutes de séracs ) pendant les heures chaudes et pentes ramollies au-dessus du refuge Sella, tel était le menu proposé aux candidats à l' aventure. Ces derniers furent pourtant assez nombreux. Au point que, à la montée en tous cas, certains proposèrent de considérer cet itinéraire comme voie normale du versant italien. Une façon de voir qui resta sans suite, tant la Sertie dans le bleu du ciel, l' Aiguille Noire de Peuterey se pare des premières neiges automnales comparaison avec la route des Aiguilles Grises était vaine. L' éperon de la Tournette continua d' être fréquenté jusque vers les années trente puis, peu à peu, sombra dans l' oubli. Il est d' ailleurs étonnant de constater à ce sujet combien la nature a su reprendre ses droits. Si une bonne sente existait il y a encore quelques années dans la montée au refuge Sella, l' alpiniste d' aujourd ne peut compter que sur son flair et son sens du terrain pour découvrir, de-ci delà, une ou deux vagues traces laissées le plus souvent par la faune locale.

Pour ce qui est de l' éperon de la Tournette, nous n' y avons pas repéré une seule boîte de conserve, pas un seul anneau de cordelette, pas le moindre piton. « Seuls » quelques vieilles couvertures, bouts de câbles électriques et autres morceaux de tôle d' acier tapissent encore par endroits le haut de l' éperon. Ces sinistres reliques proviennent toutes du Malabar Princess, un avion de la compagnie Air India qui s' est tragiquement écrasé, le 3 novembre 1950, sous le sommet du Mont Blanc!

Le retour dans le Val Veni m' extirpe définitivement de mes rêveries, et les nombreux touristes que je croise retiennent toute mon attention. Je m' amuse des regards échangés et des interrogations qu' ils suscitent. Les multitudes de questions sans réponses, la beauté éphémère d' un visage ou d' une attitude, les pas feutrés d' une petite fille jouant avec les herbes folles... Davantage encore que réaliser une belle ascension, gravir la Tournette au Mont Blanc c' est se retrouver quelque temps avec soi-même.

fie du club

fita del club

1 tus dem Clubleben

Maurice Brandt et Giuseppe Brenna partagent la même philosophie de la montagne et la même façon de décrire les itinéraires, voire la manière de traiter les aspects techniques, naturalistes, historiques, en un mot culturels, si l'on entend par culture tout autant a prise de conscience de son propre passé que celle du monde d' aujourd. L' amitié qui lie les deux montagnards a permis la réalisation en commun de ce volume. La description des itinéraires ne se limite pas à des données concernant l' altitude, le temps de parcours, le degré de difficulté, mais elle est complétée par des informations sur la vie quotidienne d' antan, lorsque les gens exploitaient chaque parcelle de terrain afin de survivre dans leurs transhumances continuelles entre fonds de vallées et alpages.

Il s' agit également pour les deux auteurs de présenter des itinéraires qui se déroulent en dehors des zones envahies par un tourisme de masse eilè1sreàipi ficinësT Dal Passo S. Jorio al Monte Generoso Maurice Brandt/Giuseppe Brenna

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