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Noms de lieux alpins

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

rPar Willy Gyr

Une mise au pointChandolin ) Dans les derniers numéros des Alpes ( n° 1, p. 34—37, n°2, p. 45—52 ) M. Jules Guex a étudié un certain nombre de noms de lieux du Val d' Anni, en se basant sur les feuilles 547 et 567 de la nouvelle Carte Nationale Suisse ( C. N. S. ). Les conclusions qu' il en tire ne sont pas toujours tout à fait justes, ce qui est fort pardonnable, puisque pour bien interpréter un nom local, il faudrait 1° connaître à fond le patois de la région, 2° examiner sur place la partie de terrain qu' il désigne. L' examen purement phonétique des noms de lieux, très en vogue dans les deux premières décades de notre siècle, comporte de fâcheuses insuffisances, aussi est-il préférable d' adopter la méthode nouvelle qui consiste à étudier les noms locaux dans leur cadre naturel en tenant tout particulièrement compte des objets qu' ils désignent. L' étude des choses ( en allemand « Sachforschung » ), si désirable dans la dialectologie, est absolument indispensable pour l' étude de la toponymie, car cette dernière représente souvent une étape plus reculée dans le développement du patois actuel.

En ce qui concerne la Vallée d' Anniviers, il faut d' abord se rappeler qu' elle ne forme pas une unité linguistique proprement dite, mais qu' elle est divisée en trois groupes1 qui diffèrent surtout par rapport au développement de certains groupes de consonnes et au traitement des voyelles toniques. A part ces différences régionales, il convient de mentionner encore d' autres, dépendant de l' âge des patoisants. Ainsi le groupe -ST- aboutit à th ( th anglais ), ch ( comme l' allemand ich ) ou h ( hache aspirée ) tout selon l' âge de l' interlocuteur. Quant aux effets de liaison de Ys final avec les consonnes initiales, ils ne forment point la règle, mais constituent plutôt des exceptions très rares, conservées surtout dans des noms de lieux.

L' orthographe des noms locaux dans la C. N. S. a déjà fait l' objet de critiques fort sévères de la part des philologues; qu' on ne m' en veuille pas si je ne puis partager l' enthousiasme de M. J. Guex. Sans vouloir anticiper l' étude plus complète que je me propose de publier sur ce sujet, je tiens néanmoins à signaler ici quelques échantillons, choisis au hasard, qui peuvent mettre en évidence le manque total de système, sinon de logique, qui caractérise la graphie des noms dans la nouvelle C. N. S.:

Pourquoi transcrire le même mot tantôt par La Rèche, tantôt par Réchy, La Combe et Comba, Tracuit et Tracui? Pour quelles raisons est-ce que le même suffixe latin -ITTU est reproduit par -et ( Tsampelet ) et -ette ( Tsa-helelte),OSA une fois par -ousa ( Tignousa ), une autre fois par -ouja ( Per-roujaj? Pourquoi enfin met-on l' article dans certains noms, pour l' omettre dans d' autres, et pourquoi a-t-on francisé les noms dont les explorateurs comprenaient la signification, tout en laissant la forme patoise à ceux dont 1 Pour plus de détails, comp. W. Gyr, La vie rurale et alpestre du Val d' Anniviers, p. XL/XL I.

ils l' ignoraient? Qu' est qui pourrait justifier l' existence, sur la même feuille, des deux formes Chaux et Tsa, dont le sens est identique, et qui écrirait Petite Chaux quand les indigènes disent toujours tsayètta? Pourquoi s' obstiner à écrire Sex, Besso, Ortsiva et Joe quand on prononce ché, bècho, ourzéva et zok? Au lieu de conserver les matériaux précieux contenus dans les noms de lieux par des transcriptions fidèles, on les a partiellement francisés pour en faire une véritable salade; or, c' est tout simplement une honte pour un pays comme la Suisse qui a produit tant de philologues de renommée internationale.

Qu' on me permette d' examiner un peu plus près quelques-uns des noms cités par M. Guex; je m' occuperai principalement de ceux de la rive droite de la vallée qui m' est tout particulièrement familière: Chandolin reste énigmatique et ne peut être rattaché au latin scinauta « bardeau » pour la raison bien simple que ce dernier était inconnu au 13e siècle; l' ancienne toiture se composait de planches épaisses, de la longueur d' un pan de toit, et désignées par d' autres termes. Enfin, le nom allemand de ce village pittoresque est « Schändiis », qui ne rentre guère dans la famille des « Schindeln ».

La Rèehe ne signifie nullement « scierie », car la première ne fut construite à Chandolin qu' en 1935. Et pourquoi aurait-on installé une scierie dans un mayen où il n' y a point de torrent? Le nom désigne un terrain maigre et pourrait dériver de l' adjectif « rêche ».

Le Collyou réunit, dans ce cas particulier, les deux sens de « couloir » et de « grande passoire de la l' alpage »; il désigne en effet un couloir qui s' amin vers le fond.

Le Par des Modzes devrait s' écrire Par di Mozé « parc des génissons ». Garboula n' a rien à faire avec l' écume du petit-lait, qui s' appelle bargo et non garbo; l' origine est encore incertaine.

Saint-Luc, en patois louk, a bel et bien adopté Saint Luc comme patron du village, ceci malgré le fait que l' ancienne chapelle était dédiée à Saint Georges. Cas très rare où le nom d' une commune a influencé le choix du saint.

Rotzec ne veut pas dire « petit rocher », mais « endroit couvert de rocs, pierrier »; c' est le résultat normal du suffixe -ETUM. Il ne faut pas le confondre avec Rotsé « mamelon », au suffixe -ELLUM.

La Tenda est une graphie parfaitement juste, puisque le mot appartient à la famille de « tendre ». On dit d' un pré d' une longueur considérable: l' è to d' ouna tenda « c' est tout d' une pièce, en un morceau ». Boua n' a aucun rapport avec le mot « rue »; le sentier mal entretenu du Meidenpass, rarement fréquenté par les gens du pays, n' est pas si important qu' il ait pu donner son nom à l' alpage en question. Il y a confusion de róua ( accent sur ou ) avec roud ( accent sur a ), le premier signifiant « roue », le second « rue ». Il y a deux possibilités: 1° L' alpage de ce nom était autrefois un mayen appartenant à la famille Rouaz. 2° Les différents chalets de l' alpage sont disposés en cercle, d' où la comparaison avec une roue. Cuimey se prononce avec une nasale: couingmé.

L' Armina, « alpem mediana » est fort douteux, mediana aboutissant, dans notre patois, toujours à meangna. L' article n' a pas de raison d' exister, puisqu' on dit ein armèna « à Armina », et louché d' armèna « lac d' Armina ».

Visivi, prononcé vijivi, n' est pas une alpe à génissons, mais au contraire une partie de l' alpage de Tounot; on emploie d' ailleurs le singulier, ou vijivi « à V. ».

Les Girettes ne peut jamais se traduire par « les airettes », car ce parchet, confin à l' alpage, se trouve à 1900 m. Or, on n' y a jamais planté du blé, et on ne l' a certainement jamais porté jusqu' à l' alpage pour le battre. La prononciation de « airette » est d' ailleurs l' erètta et non irètta. Par contre, le singulier L' Iretta désigne bien un ancien champ communal de Niouc ( 990 m .) où l'on battait le blé en plein air.

I Savanes n' a rien à faire avec les « cabanes », dont il n' y a pas la moindre trace sur le parchet en question, ce nom désigne toujours un terrain maigre, sans rapport, ordinairement très en pente. On dit l' è k' ouna savana ( sg !) « ce n' est qu' un terrain sans valeur ». Origine inconnue.

Tsatelet n' a certainement pas le sens de « petit château », étant donné qu' un lieu-dit portant ce nom est situé sur l' alpage de Nava, à 2513 m.! C' est un dérivé du verbe tsathéla « remplir une hotte jusqu' à ce que le contenu dépasse, en forme de monticule »; le sens de « rond » étant aussi contenu dans l' adjectif eintsalhéla « ventru », en parlant d' une vache qui a trop bu. Les deux Tsatelet désignent effectivement de petits monticules ronds.

La Prige devrait s' écrire au pluriel, puisqu' on dit ba i prijé. Je ne puis admettre « propriété prise sur les terrains communaux », j' y vois plutôt le mot prija dans le sens de « récolte », car les champs de ce nom sont d' un très grand rapport.

Bella Vouarda veut bien dire « belle garde », mais dans le vocabulaire du paysan qui doit « garder le bétail », et non dans celui du touriste qui vient pour « regarder »; il désigne par conséquent un pré ou parcours où le bétail est facile à garder.

Petolioz, composé du suffixe -A TORIU, qui ne s' ajoute jamais à un substantif, mais toujours à un verbe, est un dérivé du verbe pèiola « dégringoler »; il désigne par conséquent un terrain léger qui dégringole toujours un peu et devrait s' écrire Pètolliou.

Bella Lé n' est pas de la famille de léss « ardoise »; ouna llét1 désigne au contraire un beau coteau, une partie de l' alpage qui est bien unie et lisse, de grand rapport. Bella Lui ( Montana ) est le même mot dont l' origine reste obscure.

Barneusa est une graphie fort inexacte de Barnouja, car -OSA donne toujours -ouja. L' alpage en question est couvert de vernes, du moins dans sa partie inférieure, il n' y a donc pas de raison pour ne pas accepter l' éty vernosa.

1 11 pour 1 vélaire du patois d' Anniviers.

( A suivre )

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