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Norvège, au pays des fjords Skier dans les Alpes de Lyngen

Tout au nord de la Norvège, bien au-delà du cercle 26 polaire, les Alpes de Lyngen sont un nouvel eldorado pour le ski de randonnée. Massif alpin par excellence, c'est en bateau qu'on le découvre. Mer et montagne, voici une association plus que séduisante...

Les fjords allaient être la clé de mon voyage. Car ces fameuses Alpes de Lyngen, qui culminent à 1833 m, au Jäggevarre, ont passé une alliance avec la mer et le grand Nord. Dans l' avion qui allait me déposer à Tromso, la découpe se fit encore plus précise. Chaque fjord est gardé par un chapelet d' îles, souvent défendu par une dentelle de rochers. Chaque île est surmontée par une montagne. Chez nous, elles paraîtraient débonnaires, avec leurs sommets qui flirtent à peine avec les mille mètres d' altitude. Ici pourtant, ce sont des reines, jalousement gardées par une météo tempétueuse.

Avec Jean-Sébastien Knoetzer et son équipe, nous devons passer une nuit d' escale à Tromso. C' est le port d' attache du monde arctique. C' est d' ici que l' explorateur et homme politique norvégien Fridtjof Nansen ( 1861-1930 ) est parti, en 1893, sur son bateau, le Tram, pour une des plus grandes épopées de l' exploration polaire: l' exploration de l' océan Glacial arctique.

En ce début avril, la neige continue de tomber et rien n' indique que l' hiver va finir. On dit souvent que la Norvège est avant tout une côte. Son port en confirme l' impression et ce n' est pas un hasard si le pays est le principal exportateur de pêche d' Europe.

Notre bateau, Isbjern 2 ( l' ours polaire en norvégien ), un solide caboteur danois, est ancré là. La double coque en chêne inspire confiance. Il y a encore quelques années, les Danois l' utilisaient pour mettre en place des balises le long des côtes du Groenland, quelles que soient les conditions. Le capitaine du bateau, c' est Bernard Audrezet, un marin de la Trinité-sur-Mer, qui a longtemps bourlingué. Aujourd'hui, il a mis le cap sur le grand Nord, passant dix semaines au Spitzberg en été et autant ici en hiver.

Depuis une petite dizaine d' années, ce territoire montagneux est devenu une spécialité française. C' est d' abord Frédéric Meunier qui lança le concept mer-montagne, puis Bernard a repris le flambeau, il y a maintenant cinq ans. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Norvégiens, pêcheurs et montagnards, nourris par la mer, sont méfiants quand il s' agit d' affronter les sommets. A la fin du printemps, quand la neige est complètement transformée, certains se hasarderont bien dans les pentes en télémark, mais au cœur de l' hiver, qui s' accroche qu' à la mi-mai, pas question de tenter le diable. Ce sont alors des dizaines de montagnes et de couloirs qui demeurent vierges de toutes traces...

Ce matin, nous embarquons. Muriel, notre hôtesse, nous accueille sous la neige, en bras de chemise! Aussi experte en cuisine, pour réchauffer l' ambiance que pour les manoeuvres d' accostage, la voilà qui largue les amarres. Nous prenons le large. Aucun de nous, pourtant, n' est dépaysé.

En pénétrant dans le carré nous découvrons au passage une multitude de cartes marines. Les similitudes sautent aux yeux. Mer et montagne n' ont qu' une façon de s' exprimer. Les portraits détaillés des côtes, comme ceux des sommets, sont déjà, en soi, une invitation au voyage. C' est pour cela sans doute que marins et montagnards n' ont pas besoin de beaucoup de mots pour se comprendre. Bernard, tout en restant sur son bateau, est devenu un familier de la montagne. Il connaît toutes les pentes, tous les pièges, et peut orienter nos sorties en fonction de la météo et du vent.

Quelques heures après notre départ, Vincent, le second, nous débarque avec le canot à moteur pour faire la traversée d' Ullstinden. Le départ dans la forêt est surprenant. Sous l' effort, nous avons l' im de baigner dans un sauna. Au bord de la côte, il fait extrêmement doux, à cause du Gulf Stream. Ce courant chaud, venu du golf du Mexique, traverse l' Atlantique, remonte les côtes de Norvège avant de venir mourir vers la Nouvelle-Zemble. Son incidence est énorme. Sans lui, les côtes de Tromso seraient gelées en permanence, même en été, alors que nous sommes encore dans l' hiver polaire et que tout est dégagé. Ici la température descend très rarement sous les -20 °C. Pourtant, à 50 kilomètres à l' intérieur des terres, il n' est pas rare de voir le thermomètre plonger sous les -50 °C!

Rapidement, le brouillard nous enveloppe. Plus nous montons, plus la température chute. Le vent glacial hurle. Le masque sur les yeux, nous atteignons le sommet dans un rayon de soleil. Un bref instant les nuées se sont déchirées, puis la tempête de neige a effacé d' un coup la montagne et, plus bas, la mer et le bateau.

Mais le jour a déjà un avant-goût de nuit. Nous descendons vite, traversant avec effroi une pente laminée par une immense plaque à vent. Des milliers de mètres cubes de neige, ramassés par une sorte de bulldozer monstrueux, ont raboté la pente, créant à certains endroits des accumulations de blocs rappelant une carrière en activité. C' est aussi çà, le grand Nord, le pays des corniches et du vent. Nous rejoignons la côte avec prudence, dans les restes de cette bataille d' hiver. Face à la mer, à deux mètres de la plage, dans une poudreuse légère, nous effectuons notre dernier virage, un virage forcément magique...

Les jours qui suivent, un brouillard gris, pétri de vent, nous accompagne. Les corniches, les montagnes, les couloirs deviennent encore plus fantomatiques. Nous devons nous battre contre les éléments pour grappiller quelques minutes de lumière, découvrir l' étendue de ces mystérieuses vallées couronnées de glaciers étincelants, s' insinuant entre de sombres caps et dérobant sans cesse au regard du voyageur l' ultime étape de son périple. Mais à chaque fois, nous n' aurions renoncé en rien à ces moments étranges, où les skis se lancent dans la pente et plongent vers la mer.

Alors que nous naviguons au large d' Uloya, Jean-Sébastien vient me réveiller pour assister à l' un des plus beaux spectacles naturels: une aurore boréale. C' était la première fois et je compris pourquoi les Vikings y voyaient la main de Dieu. Cette lumière étrange semble se déplacer avec une sorte de nonchalance que connaît peu la nature. Il n' y a ni organisation, ni régularité, et pourtant c' est beau. Comme le commencement du monde, où l' étrange a sans doute rencontré le hasard.

Il est une heure du matin, le bateau file à dix nœuds et pourtant je n' éprouve aucune envie de quitter cette lumière veloutée. Elle vient de se remettre en mouvement. Elle prend encore plus d' ampleur, se contracte, se déchire en cercles d' ar, puis s' éteint subitement, comme une mystérieuse apparition.

Finalement, au bout de quatre jours, le mauvais temps nous accorde une trêve. Nous quittons le bateau amarré au quai d' Arnoya pour rejoindre les pentes.

Chaque maison posée sur l' île est encerclée par des milliers de morues qui pendent à d' étranges gibets. Même si la Norvège est riche, grâce à ses ressources pétrolières, dans l' archipel où nous nous trouvons, qui dispose de peu de ressources, le cabillaud est « le minerai de la mer ». Tout est consommé, jusqu' à la langue.

Peu à peu, le bruit des peaux s' impose. Au fur et à mesure que nous nous élevons, nous admirons le spectacle insolite des montagnes que nous côtoyons depuis maintenant cinq jours. C' est la première fois que nous découvrons le décor dans son intégralité. L' ombre et la lumière jouent un jeu curieux, inclinées au maximum, rasant à peine certaines combes. Elles donnent à ces montagnes blanches une allure féerique. Skis aux pieds, dans une pente soutenue, face aux chalutiers colorés, nous glissons dans une poudreuse sèche, légère, jusqu' au petit port morutier.

Encore une journée à skier avant de rejoindre Troms0, surnommé le « Paris de l' Arctique », allez savoir pourquoi? Nous débutons cette randonnée sous un ciel mélangeant soleil et crachin. Le soleil nous accompagne finalement jusqu' au sommet de Reinoya. Mais les trolls, ces petits diablotins, ont décidé de nous jouer un dernier tour. Alors que nous étions passés sous d' énormes corniches sans trop de tracas, une simple contre-pente se révèle être une belle plaque à vent. Jean-Sébastien, puis Jean-Charles se font un peu bousculer par la neige.

Il ne reste qu' à regagner Tromso, livré comme tous les samedis aux habitants, partis pour une longue virée dans les bars de la ville. Et ils sont plutôt nombreux!

Nous, nous sommes encore ailleurs. Sans doute perdus dans cette combinaison noire et blanche, où l'on ne sait pas qui, de la montagne ou de la mer, a le plus d' importance. Guettant une hypothétique aurore boréale, nous chantons cette civilisation du froid et ce pays des fjords, le cœur polarisé par ce grand Nord, décidément bien fabuleux...

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