Nouveau champ d'activité professionnel pour les guides suisses. De montagnards à entrepreneurs | Club Alpin Suisse CAS
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Nouveau champ d'activité professionnel pour les guides suisses. De montagnards à entrepreneurs

Nouveau champ d' activité professionnel pour les guides suisses.

De montagnards à entrepreneurs

Le champ d' activité professionnel des guides s' est fortement modifié ces dernières années. Une parfaite maîtrise des techniques alpines ne suffit plus à satisfaire toutes les exigences de la clientèle. L' Association des guides de montagne de la Suisse ( AGMS ) réagit et pense à adapter la formation. Un reportage tout en impressions, tirées d' entretiens et de la pratique.

Personne ne dit mot. Seuls le craquement menaçant du glacier voisin, le murmure du ruisseau et le bruit de neuf paires de chaussures de montagne résonnent dans le silence. Chacun tente, à sa manière, de faire corps avec le petit jour: il est trois heures du matin, en ce neuf septembre, et nous avons quitté la cabane Monzino, sur le versant sud du Mont-Blanc, pour le glacier du Brouillard. Sur sa glace zébrée de profondes crevasses, nous montons jusqu' à l' arête de l' Innominata, qui, en réalité, n' est pas une arête, mais plutôt un va-et-vient compliqué à plus de 2500 m d' altitude à travers neige, glace et cailloux, une alternance d' arêtes, de marches et de flancs qui mène au sommet du Mont-Blanc – la course idéale pour éprouver les compétences d' un alpiniste dans le terrain mixte et, par la même occasion, pour un examen sanc-tionnant une période de formation durant laquelle ont eu lieu plusieurs courses analogues.

Malgré le silence, la tension est perceptible lorsque nous nous encordons sur le glacier du Brouillard. Nous, c' est à dire le responsable technique de la formation bernoise des guides de montagne, Edi Bohren, le formateur Emanuel Wassermann avec sa classe, composée de six candidats aspirants guides, ainsi qu' une invitée, l' auteur de cet article. La classe est représentative de la Suisse: trois Romands, trois Alémaniques, dont un citadin et deux montagnards. Les différences se retrouvent au niveau de l' âge et de la formation – plusieurs corps de métier sont représentés, comme patrouilleur, moniteur de ski, journaliste ou architecte. Que disait déjà Edi Bohren la veille? « Chaque candidat a son histoire, son métier, ses idées – et parfois aussi ses illusions... »

Examens finaux dans la pratique Sur l' arête de l' Innominata, ce n' est plus le moment de se bercer d' illusions. L' as requiert une concentration de tous les instants, une technique fouillée, un maniement parfait de la corde et, pour le premier de cordée, un choix d' itinéraire judicieux. Les candidats sont naturellement trop tendus pour ressentir la beauté de ce petit matin – l' aube qui rougeoie derrière l' arête Peuterey; le sommet du glacier du Brouillard qui s' embrase dans les premiers rayons du soleil; le coup d' œil impressionnant sur les falaises menaçantes du Gruber et sur le glacier du Frêney, théâtre d' une des tragédies de l' alpinisme; l' esthétisme de ces arêtes de liaison propres à l' Inno, acérées comme des lames de couteaux; les traces que nous avons laissées dans le manteau neigeux avant d' at l' arête du Montblanc de Courmayeur, qui semblent vouloir rejoindre le ciel; au sommet du Mont-Blanc ( 4807 m ), après neuf heures de marche, le dernier regard jeté sur la sauvagerie

tion du terrain, choix de l' itiné, etc. Un passage exposé tout en haut de l' arête de l' Innominata Pho to :C hr ist ine Kopp

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Le but de l' examen sur l' arête de l' Innominata est d' examiner les aptitudes requises chez un guide en terrain mixte: maniement de la corde, qualité de la technique sur la glace, la neige et le rocher, rapidité de décision et d' action, flexibilité, observa- LES ALPES 5/2001

de sa face sud. La tension se relâche à la descente seulement, au moment où nous croisons une cordée qui ne comprend pas grand chose à l' art de guider – la tension de la classe, mais aussi celle du formateur. Plus tard, Emanuel Wassermann dira: « Le travail de formateur est très difficile. Le plus pénible est le fait que l'on forme et que l'on examine simultanément pendant les cours. En tant que formateur, j' aimerais transmettre le plus de connaissances possibles, aider, susciter des échanges, en toute collégialité – mais ce n' est pas si simple, car je dois en même temps évaluer, donner des notes. » Wassermann appartient au groupe de travail qui planche sur la réforme de la formation – car il « aime le métier et aimerait lui assurer un avenir ».

Compétences sociales et esprit d' entreprise Pourquoi une réforme? La formation technique des guides de montagne suisses est de très bonne qualité et peut soutenir la comparaison avec celle des pays limitrophes. Cependant, le champ d' activité de la profession s' est fortement modifié: aujourd'hui, un guide ne doit plus seulement être au top au niveau des techniques alpines, mais doit aussi faire preuve d' importantes compétences sociales. Pour réussir comme entrepreneur, il doit apprendre, lors de sa formation, les bases du marketing et des relations avec le client ( arrangements financiers ), aborder les questions touchant à l' envi et au matériel, acquérir des notions en médecine et en droit, et travailler la méthodologie et la pédagogie. La profession s' est diversifiée et la concurrence ( qu' on pense au canyoning ou à la randonnée en raquettes ) a augmenté ces dernières années: les aspects susmentionnés ne sont pas suffisamment pris en compte dans la formation actuelle. L' enseignement théorique est souvent lacunaire: il est inséré dans les cours, comme un à-côté. Edi Bohren, le président de la commission technique de l' AGMS, le dit sans détour: « La situation doit changer. On doit enseigner la théorie séparément et non plus l' improviser, le soir, dans une cabane, devant des candidats épuisés. »

Les différents avantages de la création de modules Que la théorie soit séparée en blocs de cours – en modules selon la terminologie – profiterait finalement à la pratique: « De ce fait, nous aurions plus de temps pour l' alpinisme », estime Silvan Bordogna, président de la commission CAS des guides et formateur. Il constate, en accord avec d' autres formateurs, que les candidats manquent souvent d' expé en terrain mixte, en haute montagne et en peaux de phoque. L' allonge de la durée de la formation et la création de modules permettraient aux candidats de parfaire leur maîtrise des techniques alpines et de se forger une expérience. C' est cette voie qu' emprunte la restructuration en cours de discussion: dans un premier temps, le groupe de travail mis en place par l' AGMS a dressé l' état actuel de la formation des guides de montagne. Et, sur la recommandation de l' Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie ( OFFT ), l' a converti sous forme de modules. Le

Pho to s:

Ch rist ine Kopp Champ de glace raide jusqu' au col Eccles; ici, les candidats peuvent mettre à l' épreuve leur technique et leur maniement de la corde Vue sur la Dent du Géant, Grandes Jorasses ( à l' arrière ), et sur l' arête Peuterey ( au premier plan, à droite ) LES ALPES 5/2001

métier de guide de montagne est reconnu par l' OFFT, qui appuie de son côté la formation des professionnels du tourisme et du sport. Le but de l' AGMS est d' assumer un rôle prépondérant dans une telle formation et de trouver, en collaboration avec d' autres organismes, comme l' Association des maîtres de sports de neige, une réglementation valable pour l' ensemble de la Suisse. « L' AGMS », dit Wolfang Wörnhard, secrétaire central, « ne veut pas réagir, mais agir, montrer la voie en matière de formation. C' est pourquoi, en tant qu' association, nous voulons déterminer les domaines où il faut élargir la formation. L' étape suivante sera de voir si certains modules sont utilisables tels quels par une autre formation, comme celle de moniteur de ski, ou à l' inverse, si une profession offre déjà des modules intéressants pour les guides de montagne. » La séparation en modules soulève donc la question suivante: doit-on mettre en place des formations partielles – des moniteurs d' escalade et des chefs de randonnées pourraient par exemple, dans un cadre clairement défini, offrir leurs services contre rémunération? Un thème qui suscite immanquablement des controverses en Suisse, au sein même des formateurs.

Garantir la qualité avant tout Comme le souligne Edi Bohren, il s' agit avant tout de garantir la qualité. Mais il s' agit également de concilier deux aspects, qui ne sont contradictoires qu' en apparence: d' un côté, l' AGMS doit pouvoir maintenir une formation différente des autres institutions; de l' autre, elle doit intensifier sa collaboration avec des institutions actives dans des domaines apparentés ( Swiss Outdoor Association, Interassociation suisse pour le ski ). D' après Emanuel Wassermann, le profil des candidats s' est modifié: la plupart disposent d' une bonne formation professionnelle ou ont déjà leur propre expérience de l' enseignement et ont donc des attentes correspondantes vis-à-vis des formateurs. C' est pourquoi la formation des formateurs constitue, pour Wassermann, un aspect central qu' il faut aborder en même temps que la réforme. Au terme de leur formation, les guides fraîchement émoulus critiquent le plus souvent le niveau des formateurs, qu' ils trouvent très variable. Mais d' autres points sont également mis en cause, comme le manque d' une documentation standard, l' insuffisance de l' enseignement théorique ou le fait que les semaines de cours soient à la fois formation et examens.

Le niveau technique des cours est en revanche unanimement apprécié. Pour tous les participants – formés ou formateurs – cela doit rester le point fort de la formation. Que l'on considère seulement la course à l' Innominata ( dernière phase du cours d' aspirants avant les examens finaux ) ou la phase avalanche organisée tout au début du cours, et l'on s' aperçoit que la formation des candidats est non seulement large, mais s' ap encore sur l' autorité de spécialistes – Werner Munter, pour la phase avalanche et pour la phase varappe sportive, des experts comme Jürg von Känel, Andres Lietha ou Hanspeter Sigrist.

On demande de nouvelles orientations Plusieurs formateurs font la même constatation: « Le cours terminé, nous félicitons les nouveaux guides et nous ne les voyons plus !» « On croise rarement de jeunes guides avec leurs clients en montagne !» Pourquoi? Les candidats suivent-ils uniquement la formation pour le prestige attaché au diplôme de guide de montagne? Combien de guides considèrent leur métier comme un gagne-pain accessoire, pensant qu' ils ne pourraient pas en vivre à plein temps? Mais quels sont les honoraires d' un guide de montagne? La rétribution journalière de cette activité exigeante, physiquement et psychiquement, et qui comporte des risques d' accidents parfois mortels ( tout particulièrement dans la neige ou en terrain mixte ), varie, pour un guide suisse, entre 400 et 600 fr. Que l'on compare avec d' autres professions exigeant une disponibilité, des compétences et des prises de risque analogues, et l'on constate que le guide s' en tire très mal. Professionnels de la montagne et clients ne devraient-ils pas, ici aussi, se poser des questions?

Vue de la cabane Monzino; à l' arrière, au milieu de l' image, l' arête de l' Innominata, puis la Punta Innominata, à droite, l' arête Peuterey et l' Aiguille Noire de Peuterey LES ALPES 5/2001

Que ces problèmes semblent loin lorsque nous approchons de l' arête de l' Innominata, où nous attend un jour plein de ces surprises, qui sont le lot du guide: sur le terrain, ce dernier doit en effet constamment prendre de nouvelles décisions, se montrer flexible. Ou, comme le dit en d' autres termes Emanuel Wassermann: « Le quotidien d' un guide de montagne est fait d' incerti, de zones d' ombres – autant de reproches que l'on adresse souvent à la formation. Mais elle prépare justement le guide aux aléas de son métier. » Un quotidien qui s' est éloigné du cliché du montagnard primitif pour rejoindre la réalité d' un entrepreneur moderne: le guide de montagne doit aujourd'hui être « bon » dans les disciplines les plus diverses des sports de montagne. Il doit apparaître comme un professionnel vis-à-vis de ses clients et des entreprises. Son image se modifiera au cours des prochaines années. Adapter la formation, déjà variée et exigeante, pour préparer non plus des alpinistes purs et durs, mais des guides, est la seule manière pour que le guide, malgré sa bonne préparation, ne soit pas à la traîne face aux nouvelles exigences qui lui sont posées.

Diverses informations sur la profession de guide de montagne

La formation de guide de montagne en Suisse ( état mars 2001 )

1 re année: Cours pour aspirants et candidats guides: Le cours comporte cinq phases que l'on doit suivre dans l' ordre suivant ( la réussite d' une phase est la condition nécessaire pour entrer dans la suivante ): phase avalanche ( 8 jours ); phase d' escalade de cascades de glace ( 3 jours ); phase d' hiver ( 13 jours ); phase de varappe sportive ( 6 jours ); phase d' été ( 14 jours plus deux jours d' examens techniques ) 2 e année: Pratique personnelle: Les candidats qui ont réussi les cours pour aspirants doivent se forger leur propre expérience et élargir leurs connaissances, avant de pouvoir commencer la seconde partie de la formation. Le candidat doit

Immersion totale: les candidats sont à une semaine du terme de leur formation; ces alpinistes obtiendront dans trois ans leur diplôme de guide et pourront emmener des clients, sous leur responsabilité, dans chaque type de terrain Les arêtes de liaison de neige, petites et étroites, qui conduisent au prochain palier, sont caractéristiques de l' itinéraire qui suit l' arête de l' Innominata; elles exigent des candidats ( à l' image, un aspirant avec le chef de classe Emanuel Wassermann ) une bonne technique et un parfait maniement de la corde

organiser, sous le contrôle et la responsabilité de guides patentés, le plus de courses possibles ( skis, haute montagne, ou autres ) et doit suivre des cours de perfectionnement et de varappe sportive ( période d' apprentissage sous surveillance ).

3 e année: Examens professionnels: Les examens professionnels pour l' obtention du diplôme se composent d' une phase d' hiver ( condition d' entrée: avoir réussi le cours pour aspirants ), et d' une phase d' été ( examen préliminaire réussiphase d' hiver ( 14 jours, examen préliminaire inclus )

– phase d' été ( environ 14 jours, plus deux jours d' examens )

passerait de 765 à 875 heures de cours, soit de 76 à 95 jours.

Les buts de la création de modules sont de garantir la qualité de la formation, de proposer des qualifications partielles, qui, combinées, conduiraient à l' obtention du diplôme professionnel, d' harmoniser et de reconnaître les modules d' autres professions voisines.

Adresses et chiffres AGMS: Association des guides de montagne de la Suisse; président Toni Fux, Hubelstrasse 11, CH-3930 Visp; secrétariat: Wolfgang Wörnhard, Had-laubstrasse 49, CH-8006 Zürich, tél.

Suivre l' arête de l' Innominata, c' est alterner sans cesse entre un terrain rocheux et un terrain neigeux – la formation de guides exige beaucoup des candidats qui ont, ici, bientôt atteint le terme de leur formation ( vue dans le Val d' Aoste, à l' arrière ) Phase avalanche: pour la partie « carte et compas », le candidat doit résoudre des situations sur le terrain; on fait en sorte qu' elles correspondent aux problèmes rencontrés quotidiennement par le guide, pour tester de manière adaptée le candidat. La première phase du cours comprend par ailleurs un examen théorique écrit sur les avalanches En route pour la première partie de l' examen de ski, qui doit être réussi lors de la phase avalanche; l' examen comprend aussi une descente dans un couloir aux inclinaisons diverses, des conversions dans des pentes raides, plusieurs sortes de sauts, etc. – les candidats sont, pour chaque partie, évalués par plusieurs formateurs Pho to s: Ch rist ine Kopp

0041/1 360 53 66, fax 0041/1 360 53 69, e-mail: www.ch">sbv@awww.ch, Internet: www.4000plus.ch

ASEA: Association suisse des écoles d' alpinisme, président Beat Burgener, tél. 027/473 28 03, fax 027/473 28 55, e-mail: bburgener(at)dplanet.ch

Chiffres: début 2001, la Suisse comptait 1375 guides, dont 16 femmes.

Soirée d' infos du CAS Le secrétariat administratif du CAS organise jeudi 20 septembre 2001, à 18h, une soirée d' information pour toutes les personnes que la formation de guide de montagne intéresse. a

Christine Kopp, Unterseen ( trad. )

Offres La formation est déléguée à tour de rôle aux cantons de Berne, des Grisons et du Valais. Le CAS participe aux frais. L' AGMS s' occupe des inscriptions et contrôle le cours de la formation.

Création de modules ( en discussion ) Pour le moment, la formation théorique est intégrée dans la partie pratique; la création de modules permettrait de l' élargir en la séparant en partie dans des modules entièrement théoriques, comme « Nature et environnement », « Communication, tourisme, droit ». La formation passerait de 765 à 875 heures de cours,

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