Randonner et voler, ou quand le rêve devient réalité | Club Alpin Suisse CAS
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Randonner et voler, ou quand le rêve devient réalité Histoire du parapente (3e partie)

Jouir d' une randonnée régénératrice en montagne muni d' un petit sac à dos et se laisser ensuite porter par son aile jusqu' à la vallée, c' est possible aujourd'hui grâce à un matériel devenu extrêmement léger. « ?Retour aux origines ?», ainsi pourrait se nommer la toute nouvelle mode qui fait fureur aujourd'hui dans le petit monde du parapente, mais que l'on doit en fait aux pionniers de la discipline.

Un matériel toujours plus léger Comme les athlètes devaient porter eux-mêmes l' entier de leur équipement dès qu' ils ne volaient plus, les fabricants commencèrent à développer pour eux des prototypes superlégers de voiles, de sellettes et d' accessoires divers. L' idée de concilier ces deux activités magnifiques que sont la marche et le vol libre avec un équipement léger trouva très vite des adeptes au sein d' un petit groupe de pilotes de loisirs. Certains fabricants reconnurent le potentiel de cette nouvelle manière de voler et se mirent à fabriquer en série des équipements de vol légers sous la dénomination « ?Hike and fly? ». Aujourd' hui pratiquement tous les fabricants s' y sont mis et proposent dans leur offre des équipements légers, voire ultralégers. La différence de poids avec les équipements normaux est si grande que même la randonnée alpine avec ce genre d' aile devient un plaisir. Dans les modèles les plus légers, l' aile et le sac à dos-sellette réunis ne pèsent qu' entre cinq et six kilogrammes ?! Nombreux sont les parapentistes qui font l' ascension de montagnes en portant leur aile sur le dos pour jouir ensuite d' une descente tranquille par les airs, à la fin de l' été ou en automne. Mais ce matériel léger permet également de voler à la perfection en hiver aussi. Qu' y a-t-il de plus beau en effet que de terminer une course à raquettes éprouvante loin des pistes surpeuplées par un vol rateurL' appel des faces verticales Tandis que de nouvelles dimensions s' ouvraient pour le commun des mortels, les sportifs de l' extrême planchaient déjà sur de nouvelles manières de s' amuser. C' est ainsi que le base jump vit le jour. Les adeptes de cette discipline sautent à partir de saillies rocheuses, équipés d' un parachute ne pesant que deux à trois kilogrammes et ouvrent ce dernier le plus tard possible. Il en résulta une variante extrême réservée à quelques rares initiés, que l'on pourrait nommer « ?Climb and jump ?». Il s' agit en effet de grimpeurs de pointe qui évoluent physiquement et psychiquement à un niveau hors du commun, jouant avec le risque, aux limites du possible. Xavier Bongard, un jeune Fribourgeois enthousiaste, était de la partie. Il jouissait déjà d' une grande reconnaissance sur la scène alpine pour ses ascensions en solo de Big Walls, à El Capitan, et pour son incroyable talent en escalade de glace. A l' instar de Jean-Marc Boivin2, Xavier Bongard, alors âgé d' à peine 30 ans, se forma au base jump immédiatement après s' être initié au saut en parachute. Auteur de sauts spectaculaires, il eut tôt fait de se faire un nom dans cette nouvelle discipline. Comme Jean-Marc Boivin et quelques autres pionniers qui ne se laissaient pas conter les limites du possible dans les domaines de l' alpinisme, du vol libre et de l' aventure en général, mais qui préféraient s' y mesurer eux-mêmes, Xavier trouva la mort alors qu' il pratiquait sa passion. C' était le 15 avril 1994, lors d' un saut à Lauterbrunnen. On peut supposer que ni l' un ni l' autre ne s' était initié au base jump dans le seul but d' ajouter du piment dans une vie déjà très excitante. Si l'on se réfère à la polyvalence et à la créativité de ces deux aventuriers d' exception, il faut plutôt comprendre leur activité comme un vaste projet résolument tourné vers l' avenir, à savoir le couronnement de courses d' escalade de difficulté extrême avec un saut. Deux jours de montée pour trois minutes de descente Le mariage entre course d' escalade extrême et base jump sourit au célèbre alpiniste suisse Stephan Siegrist, un ami très proche de Xavier Bongard. Le 16 juin 2009, il fit, avec son partenaire Ralph Weber, l' ascension après travail de Magic Mushroom, une voie de 21 longueurs d' une difficulté allant jusqu' au 7 c+ dans la face nord de l' Eiger. Elle se termine sur le « ?Champignon ?», un lieu de saut bien connu des base jumpers et que l'on atteint habituellement depuis la face ouest de l' Eiger au moyen d' une tyrolienne. Si l' ascension avait nécessité deux jours complets incluant une nuit passée dans la face, la descente dura moins de trois minutes, dont un peu moins de 60 secondes en chute libre. Le Bavarois Thomas Huber, l' aîné des célèbres frères du même nom et spécialiste d' escalade de vitesse, s' est lui aussi voué au base jump. Il réussit en août 2008, au troisième essai, un enchaînement digne de tous les superlatifs aux Tre Cime di Lavaredo, à l' occasion duquel il raccourcit massivement les temps de descente grâce au base jump. Il avait prévu un autre saut fin 2008 avec Stephan Siegrist. Ils auraient dû en effet clore leur ascension commune de l' Ulvetanna, un sommet culminant à 2931 mètres d' altitude sur la Terre de la Reine-Maud, au milieu de l' Antarctique, par un final décoiffant. Finalement, les deux hommes durent renoncer à leur saut, moins en raison des températures glaciales pouvant atteindre les -50°?C que des vents violents. Mais les limites du faisable ne semblent pas encore être atteintes. Que dire d' une ascension en free solo de la face nord de l' Eiger, équipé sans autres artifices qu' une paire de chaussons d' escalade, d' un pantalon usé et, pour le saut des sauts, d' un parachute accroché dans le dos ?? Cela non plus n' est plus une utopie depuis que l' Américain Dean Potter a escaladé de cette manière, en août 2008, la voie Deep Blue Sea ( 7b+ ), sur le côté droit de la face nord de l' Eiger. En guise d' assurage, il portait sur son dos un parachute de base jump. Il vint finalement à bout de la voie et sauta depuis le « ?Champignon ?», comme devait le faire plus tard Stefan Siegrist. Ainsi, Dean Potter réalisait à peu de choses près le même exploit que son ancienne partenaire, Steph Davis, qui avait gravi en mai 2008 la Castleton-Tower, dans l' Utah, en free solo, avant de redescendre en sautant. Cependant, elle avait déposé auparavant son parachute sur la tour. La randonnée redécouverte Il y a trente ans, ce furent donc avant tout des alpinistes qui découvrirent pour eux le parapente, tandis qu' ils cherchaient un moyen plus confortable et plus rapide pour regagner la vallée. Toutefois, les ailes étaient plus lourdes à l' époque, et les sommets ne s' apprêtaient de loin pas tous au décollage. La combinaison de l' alpinisme et du vol libre resta donc durant longtemps une exception. Lorsque les ailes devinrent plus performantes, quelques randonneurs se mirent à donner la priorité au vol. Les meilleurs exemples en sont l' Allemand Sepp Gschwendtner, le Britannique John Silvester et le chef actuel de la Ligue suisse de parapente, Martin Scheel, tous d' anciens grimpeurs de talent, dont quelques-uns volent encore au plus haut niveau et ont connu le succès lors de compétitions de parapente. La situation actuelle est presque inversée. Nombreux sont les parapentistes, surtout les plus expérimentés d' entre eux, qui découvrent cette combinaison liant randonnée et vol. Cet engouement nouveau est né avec l' apparition d' ailes parfaitement adaptées aux exigences alpines grâce à un maniement très simple au décollage et à un comportement sûr en vol. Par-dessus le marché, le poids de ces ailes, sellette et sac à dos compris, s' est allégé au point que l'on peut les porter sans problèmes sur de longues distances. En raison de leur poids plume et de leur petit volume, ce genre d' équipement se prête également de manière optimale à des destinations de voyage plus lointaines nécessitant un déplacement en avion. D' une simple mode, le « ?Hike and fly ?» s' est érigé en discipline à part entière. Les matériaux sont toujours plus légers, plus robustes et plus flexibles ou, selon le type d' utilisation, plus rigides. Leur transformation en des appareils techniques est améliorée en permanence. En même temps, les athlètes en augmentent les performances grâce à des méthodes d' entraînement professionnelles, à une alimentation spéciale et à une préparation mentale particulière. La collaboration entre athlètes et fabricants innovants permet à ceux-ci de développer sans cesse de nouveaux prototypes plus performants, plus légers et en même temps plus sûrs. Une fois proposé en série, ce matériel offre la possibilité aux alpinistes « ?normaux ?» et aux randonneurs de combiner le plaisir d' une ascension avec celui d' un vol de retour en toute sécurité. Le matériel actuel met à la portée du plus grand nombre ce qui était encore réservé il y a peu à une élite.

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