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Ski de printemps sur le Glacier du Rhône

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

sur le Glacier du Rhône

Georges Perrin, Vevey

La réalisation de cette course est due à un premier échec que j' eus quelque peine à supporter et que je désirai effacer rapidement: une aventure amusante, arrivée à un groupe de neuf clubistes dont j' étais le chef de course, et qui se termina fort bien.

Après avoir magnifiquement réussi le Sustenhorn, au départ de la cabane Tierbergli, un samedi de Pâques, par un ciel sans nuage et dans une « neige de cinéma », notre groupe se dirige, plein de confiance, au début de l' après, vers le couloir Zwischen-Tierbergen, avec la ferme intention de rallier la cabane du Trift le même soir.

L' homme propose, mais Dieu dispose. L' un de nous manque passablement d' entraînement et maîtrise mal ses skis. Aussi la descente du couloir est-elle laborieuse et prend-elle beaucoup de temps, beaucoup plus que prévu par le chef de course quelque peu désespéré. Une fois sur le plat du Triftgletscher, l' heure avancée et l' aspect rébarbatif de la cassure du glacier nous font renoncer rapidement au désir d' atteindre la cabane du Trift.

La petite cabane de la Windegg, comme posée là pour la circonstance, unpeuau-dessous de la langue du glacier, est juste assez grande pour accueillir notre équipe, qui y passe une soirée fort sympathique. La cabane du Trift est vite oubliée! Nous ne pensons plus qu' aux beaux moments de la journée!

Après une descente quelque peu pénible sur Nessental, le lendemain, la course se poursuivit de façon fort originale et ne début personne: cabane Gelmer atteinte, non sans difficulté, de la Handegg, Tieralplistock, descente du Glacier du Rhône dans une neige revenue à point, le Belvédère, Gletsch et Oberwald.

Toutefois, pour moi, le fait d' avoir manqué la cabane du Trift me tourmentait. Je voulais l' at à ski et n' abandonnai jamais le désir de la visiter un jour: elle figurait, en effet, au catalogue de mes projets.

Et l' occasion se présenta, plusieurs années plus tard, à la fin de mai i 966, durant le week-end de la Pentecôte. Un printemps riche en neige, comme nous allons le voir.

Ce sont, cette fois, sept amis qui participent à cette nouvelle aventure dont les objectifs sont le Dammastock et le Galenstock. Nous sommes tous de solides skieurs alpins, et aucun d' entre nous ne risque de compromettre la course.

Le beau temps règne en Valais, mais, à l' ap du Gothard, le ciel se couvre et devient même menaçant. Ce qui ne nous empêche pas de monter le plus haut possible avec nos deux voitures sur la route Oberwald—Gletsch, à la limite de la neige. Il est g heures quand nous parvenons à 1600 mètres environ, et le départ d' une longue étape est donné. Quelques flocons de neige, de légers brouillards, un plafond bien bas ne sauraient altérer notre excellente humeur.

Skis aux pieds, nous suivons ce qui nous paraît être le tracé de la route qui disparaît par endroits sous des mètres de neige. Les cantonniers du chemin de fer Furka-Oberalp sont les seuls êtres humains que nous rencontrons. Alors que nous sommes là pour notre plaisir, eux luttent contre les éléments avec une volonté farouche, afin d' ouvrir au trafic, dans quelques jours, la ligne à crémaillère de la Furka. Ils utilisent une petite locomotive à vapeur, certainement d' un âge vénérable, et dont le halètement sympathique, interrompu de longs silences, s' entend loin à la ronde.

Une fois la voie dégagée, ils replaceront les poteaux et la ligne électrique aérienne. Quel labeur, mes amis, à refaire,année après année! et quel mérite ont ces hommes d' œuvrer ainsi en pleine montagne et par n' importe quel temps!

Nous saluons Gletsch au passage, sans y rencontrer âme qui vive. De là jusqu' à Muttbach, notes empruntons la voie du chemin de fer pas encore dégagée et plus directe que la route: montée régulière qui nous permet de contempler, tout à notre aise, un paysage uniformément gris. L' étape suivante, l' accès au Belvédère, est une autre histoire. Cette pente raide, exposée au sud-ouest, entrecoupée par les lacets de la route, est libre de neige ou, au contraire, recouverte d' amoncellements invraisemblables. Certains tronçons de la chaussée sont impraticables et nous obligent à grimper directement dans l' herbe mouillée et les cailloux. Quelle gymnastique! C' est avec soulagement que nous posons le sac au Belvédère et que nous nous accordons un repos bien mérité.

Peu avant midi, bien restaurés, nous quittons ces lieux si fréquentés en été, mais tristement déserts en cette saison. Courte montée au nord de l' hôtel, descente de biais, et nous posons bientôt le pied sur le Glacier du Rhône. Une voie royale, une autoroute dont la largeur aurait été centu-plée!

Vitesse de croisière, les pensées branchées sur un sujet sympathique, ce sera, des heures durant, en direction du nord, une marche régulière dans la trace du camarade qui vous précède, l' observa quasi permanente des mouvements qu' il fait à chaque pas, avec une régularité d' horloge bien réglée. Nous remarquons sur notre gauche un sommet dominant le glacier, toujours à la même place, de quart d' heure en quart d' heure, et ne reculant qu' avec une extrême lenteur. Quelques plis du glacier réclament, pour un bref instant, un changement de rythme, vite repris sitôt que l' in idéale est retrouvée. Et comme tout a une fin, même les plus longues tâches, nous atteignons sans histoire, vers 5 heures du soir, 1' Untere Triftlimmi ( gogo m ), à la frontière bernoise.

Le-Triftgletscher nous offre de vastes espaces, une neige favorable et une jolie descente, pas trop raide, qui nous fait perdre six cents mètres d' alti. La cabane du Trift apparaît au loin, admirablement placée sur son éperon. Pour y accéder, il.faudra encore remonter une centaine de mètres, dernier effort à la fin d' une longue journée où la chance nous aura souri, puisque notre chemin fut toujours libre de brouillard. Il est six heures et demie et les lieux sont déserts.

Mais il était dit que nous n' avions pas encore mérité notre refuge, puisque sa porte d' entrée se trouve presque complètement cachée par la neige. N' ayant pas emporté de pelles d' aluminium, c' est avec la spatule des skis que deux d' entre nous entreprennent de la dégager. L' opération est presque terminée lorsque je découvre une entrée de secours! En effet les volets d' une fenêtre, du côté opposé à la porte, s' ouvrent de l' extérieur.

Qu' elle est sympathique notre cabane! et qu' il y fait bon allumer le potager et préparer la soupe! En cours de soirée, un groupe de clubistes suisses alémaniques, partis du Gadmental, nous rejoignent. Nous avons pu suivre longtemps leur itinéraire de montée, qui comporte au printemps un énorme détour par l' ouest de la vallée.

Le plus merveilleux des temps, un ciel sans nuage et un spectacle grandiose nous saluent en ce dimanche matin de la Pentecôte. Et pourtant, malgré le confort de cette cabane du Trift, nous prenons d' emblée une décision importante: nous renonçons à y revenir ce soir comme prévu, après l' ascension du Dammastock, comme nous renonçons, du même coup, à l' ascension du Galenstock envisagée pour le lendemain. Nous estimons que notre point d' appui est vraiment trop éloigné de ce sommet que nous découvrirons une autre fois en venant de la cabane Albert Heim. Les treize kilomètres de glacier que nous avons parcourus la veille ne sont certainement pas étrangers à cette décision, surprenante peut-être par un temps pareil. Mais il faut savoir parfois être sage à contrecœur.

Et c' est en ordre dispersé, sur une neige qui porte, que nous remontons à Y Untere Triftlimmi. Notre solitude n' a d' égale que la beauté du paysage. Les sommets portent des noms peu familiers à nos oreilles.

Du col, droit devant nous et en premier plan, le Galenstock, massif et bien détaché, a grande allure. Se moquerait-il de nous? A l' est, le Dammastock est plus effacé, quoique plus élevé, mais il est entouré de sommets d' égale hauteur. La pente jusqu' au point culminant, toute de neige, est très régulière.

Les choses allaient trop bien quand, tout à coup, une légère bise commence à souffler. Son intensité augmente avec l' altitude à tel point que l' arrêt au sommet est réduit au minimum. A regret, car le panorama est stupéfiant dans toutes les directions.

La descente à ski du versant ouest du Dammastock, suivie de celle du Glacier du Rhône, mérite d' être faite par tous les bons skieurs alpins. C' est l' une des plus belles des Alpes, et elle soutient la comparaison avec des descentes plus connues.

C' est pour nous le grand moment de la course. D' excellentes conditions de neige nous permettent d' en jouir au maximum. Un moment malheureusement bien court, malgré la distance réelle parcourue, qui n' est qu' une succession de schuss impressionnants, entrecoupés d' arabesques d' ins toute personnelle. Le Belvédère est vite atteint, le mauvais passage franchi, voici déjà Gletsch, puis les voitures. Nous enlevons les skis à quelques mètres de nos véhicules.

Seul le halètement de la petite locomotive rompt encore irrégulièrement le grand silence de la montagne.

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