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Skier dans le plus ancien désert du monde Expédition à skis « Transnamib 2009 »

Tandis que j' attends, dans l' obscurité de la nuit tombante, le guide du très visité camp de Sesriem, dans le désert namibien, des rythmes africains émanent du gîte éclairé. Voilà qu' apparaît un jeune homme trapu aux cheveux blonds et à la peau brunie par le soleil. Jacques Erasmus, c' est son nom, m' emmène vers un véhicule tout-terrain ouvert et me montre le plateau arrière. Au moins dix paires de skis de fond y sont entassées. Tout dessous cependant, je repère une paire de skis de descente gris équipés de fixations de sécurité ainsi que de vrais chaussures de ski de descente en plastique à ma taille. Très vite, nous nous mettons d' accord sur les frais de location pour le jour suivant.

Mais j' attends avec impatience la « dune 45 » et ses pentes raides, que j' ai choisies la veille comme terrain idéal pour mes premières tentatives de glisse sur sable. Une fois arrivé, je chausse avec empressement mes souliers de ski et, mes lattes sur l' épaule, j' évolue péniblement sur l' arête de la dune, mes pieds s' enfoncent encore et encore dans le sable tendre. Je parviens finalement à force de gros efforts au point culminant et je croche fébrilement mes skis. Prudemment, je me lance en travers de la pente et j' amorce mon premier virage … mais aïe, ça ne va pas du tout: beaucoup trop lent et ayant pris mon virage trop large, je reste bloqué. Mais je remonte, lorgnant la face est de la dune, plus raide. Une fois en haut, je rassemble tout mon courage et me lance directement dans la pente. Lorsque j' ai atteint une vitesse suffisante, j' aligne quelques virages courts. En godille, j' entre dans l' ivresse de la descente, comme dans la neige. Parvenu au fond sans chute, je laisse échapper un cri de joie. Je me dis que faire du ski uniquement dans la neige est une idée fixe. Tout skieur devrait à mon avis pouvoir tenter cette expérience lors d' un voyage en Namibie. C' était en mars 1995, sept ans avant que ne commence l' exploitation professionnelle du ski en Namibie.

Quatorze ans plus tard, le 15 mars 2009, je reviens accompagné de six autres personnes bien entraînées et convaincues par le projet. Mais cette fois, je ne me contenterai pas d' une seule dune. Je traverserai avec mon groupe les 36 000 km 2 de la grande mer de sable du désert du Namib, le plus grand du monde. Equipé de skis de fond à écailles ou de skis de randonnée, nous envisageons de parcourir à travers les sables du Namib les 60 kilomètres qui nous séparent de notre but, le Sossusvlei. Au préalable, nous avons évalué à quatre jours le temps nécessaire à ce trajet. L' étude des images satellites m' a montré qu' il faut attaquer les dunes longitudinales transversalement. De cette manière, nous pouvons nous attendre à des montées peu escarpées de 10° à 15° et à de courtes descentes jusqu' à 30°. Nous espérons économiser jusqu' à 30 % d' énergie grâce aux skis.

Malgré ce soulagement, il était clair pour nous dès le début que nous aurions besoin d' aide. L' idée de traîner dans les conditions extrêmes du désert du Namib les réserves complètes d' eau ( 3 à 4 litres par jour et par personne ), auxquelles s' ajoutent quinze kilos supplémentaires d' équipement et de denrées alimentaires, nous semblait irréaliste. Nous avions d' abord pensé pouvoir partir en autarcie complète avec tous nos bagages, en nous aidant d' une pulka ( traîneau d' expédition ) par personne. Mais l' usage d' un tel engin, habituellement utilisé sur la neige et la glace, nous sembla trop gourmand en énergie. Malgré quelques essais prometteurs avec une pulka sur roue, les conditions auxquelles nous pouvions nous attendre dans les dunes nous semblèrent trop incertaines et nous y renonçâmes.

Afin de ne pas mettre à mal notre projet, nous nous assurâmes le soutien de l' entreprise namibienne Uri Adventures, disposant d' une licence pour le désert du Namib et spécialisée dans la conduite dans les sables du désert.

Nous sommes encore à Walvis Bay, sur la côte atlantique, que nous quittons pour gagner le point de départ de notre expédition. Assis dans un véhicule de safari ouvert consacré au transport de personnes, l' Uri, et suivis de deux autres véhicules tout-terrain pleins de bagages, nous arrivons à Sandwich Harbour, une lagune naturelle, certes, mais toujours plus ensablée, seul refuge pour les oiseaux de mer. La route se poursuit le long de la côte, peuplée de colonies de phoques à l' odeur pénétrante, jusqu' à l' épave de l' Eduard Bohlen, un navire marchand échoué là en 1909. Nous prenons ensuite vers le sud, avant de virer à droite à la hauteur de Meob Bay, laissant derrière nous la côte atlantique pour gagner à l' intérieur des terres notre Campement dans le spectaculaire paysage de dunes du Naukluft-Park. On reconnaît bien les flancs des dunes exposés au vent en arrière-plan.

Epave de l' Eduard Bohlen. Ce bateau s' est échoué le 5 septembre 1909 dans un épais brouillard. Aujourd'hui, 800 m le séparent de la côte. Cette dernière gagne du terrain sur la mer en raison du sable qui, soufflé par les vents du désert, termine sa course dans la mer.

Nous nous levons à 5 heures. Le petit-déjeuner englouti et les paquetages terminés, nous brûlons tous d' impatience à l' idée de mettre nos skis à l' épreuve du sable. Le jour n' est pas encore levé que nous nous mettons en route dans le froid du matin. A l' est, le rouge de l' horizon laisse peu à peu la place à la clarté du soleil qui caresse de ses premiers rayons les crêtes des plus hautes dunes. Dans cette lumière matinale dispensée par un soleil encore bas sur l' horizon, les dunes créent de leurs ombres des formes si variées qu' on en a presque le souffl e coupé.

Je laisse rapidement glisser mes skis sur le sable, sans un effort. Seul le bruit léger et régulier émis par le frottement des skis sur le sable se fait entendre. Même s' il n' est pas possible de laisser glisser les skis comme sur la neige, ces derniers me portent quand même sur le sable, ce qui me permet d' épargner une énergie précieuse. Je me régale de l' atmosphère et du paysage offert par les dunes. Je me sens bien et de bonne humeur. Dans la montée sur le fl anc des dunes, les participants tracent souvent des itinéraires différents. Les skis de fond à écailles permettent presque toujours d' attaquer directement les montées raides grâce à leur très bonne adhérence sur le sable. Il en va autrement pour ceux d' entre nous qui sont équipés de skis test de randonnée comme ceux que l'on utilise dans les Alpes. Lorsque la pente devient trop raide, ils doivent effectuer de légères conversions, ce qui ne nécessite toutefois pas de peaux. Avec le temps, nous réalisons que le télémark pratiqué dans la ligne directe de la pente est la technique qui se prête le mieux dans la descente sur le sable tendre des pentes raides orientées à l' est.

Le quatrième et dernier jour de randonnée prévu au programme, nos yeux distinguent vers midi, au loin entre les dunes, une surface blanche argentée surmontée d' une montagne rocheuse. Nous essayons de deviner: ce ne peut être que la plaine herbeuse de la vallée de la Tsauchab, qui mène du célèbre Sossusvlei vers Sesriem à l' est, et le Witberg. Lorsque nous nous approchons, grimpant sur la plus haute dune à notre portée, un spectacle purement insaisissable s' offre à nous: la vallée de la Tsauchab, pourtant bordée des plus hautes dunes en étoile du monde, est intégralement recouverte d' un dense parterre d' herbes aux reflets argentés arrivant à la hauteur des hanches. Je ne m' attendais pas à une telle surabondance d' herbe, car j' avais déjà eu l' occasion, lors de mes précédentes visites sans les skis, de constater la pauvreté en herbe de cette vallée. Mais la pluviométrie exceptionnelle de cette année 2009 explique ce spectacle inhabituel.

Grisés par ce finale, nous remontons après quatre jours dans l' Uri, qui nous emmène jusqu' au camp de Sesriem en traversant la vallée de la Tsauchab, longeant les énormes dunes rouges en étoile qui dominent cette dernière telles des dents de requins. Dès notre arrivée, nous prenons d' assaut le seul et unique kiosque. Chacun s' em d' une, voire de deux cannettes de Winhoek Lager, la bière brassée en Namibie dans le respect de la tradition allemande: une jouissance indescriptible après toute l' eau ingurgitée durant ces derniers jours. Des grillades viennent couronner notre expédition à skis « Transnamib 2009 », première traversée du Namib à skis sur une distance de 60 kilomètres. Je regrette que Jacques Erasmus, l' un des pionniers du ski en Namibie, ne puisse être de la fête avec nous. C' est tout de même lui qui m' a donné le goût de la pratique du ski sur le sable.

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