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Sous les séracs du Breithorn Leçon d’humilité au Triftjigrat

Des cinq sommets principaux du Breithorn de Zermatt, le sommet occidental est réputé comme étant « le 4000 le plus facile des Alpes » pour qui le gravit par le sud. L' alpiniste expérimenté y préférera une approche par le nord, dans un univers de roche et de glace dominé par les séracs.

Le verdict de Gervas Perren, gardien de la Gandegghütte, ne laisse planer aucun doute: « Trop chaud. Les pentes se sont vite asséchées, et la glace sort déjà. En plus, il y a des chutes de pierres régulières. Il faut attendre un coup de froid. » Partir dans ces conditions pour le Triftjigrat, sur le versant nord du Breithorn de Zermatt, s' apparente à jouer à la roulette russe. Il faut en prendre note tout en ayant la dérangeante impression que l' histoire se répète. Cela fait maintenant trois étés consécutifs que nos tentatives échouent sur un coup de téléphone au gardien. Toujours pour les mêmes raisons. La récurrence des saisons sèches a quelque peu modifié les pratiques des alpinistes et poussé à fréquenter les courses de neige en début d' été. Ainsi, on en vient parfois à privilégier le mois de juin. Détail ennuyeux, les hautes températures et l' instabilité caractérisent ce dernier. Pas facile dès lors de trouver le bon créneau. Reste à patienter, vertu indispensable en montagne. Un peu à l' image de gangsters attendant que l' opportunité se présente pour dévaliser la salle des coffres d' une banque en toute sérénité. Début juillet, les nouvelles s' améliorent du côté de la Gandegghütte: « Excellentes conditions, itinéraire enneigé, températures basses. » Le rendez-vous est donc prisSur les traces des pionniers La première de cet itinéraire élégant, réalisée le 15 septembre 1869, semble s' être déroulée sans accrocs pour les ouvreurs. Partis de Riffelalp à 4 h 30 du matin, ils descendent sur le Gornergletscher et gagnent la base du Triftjigrat, qu' ils remontent intégralement. La ligne du Gornergrat n' existant pas encore, le retour à Zermatt se fait à pied! Le Britannique Robert Fowler se fait guider par Gregor Ruppen et Peter Knubel, dont le nom n' est pas étranger à l' histoire de l' alpinisme dans la région de Zermatt. Peter Knubel fut en effet le premier répétiteur de l' arête du Hörnli au Cervin. Après le drame retentissant qui a marqué la première conquête de ce dernier par Edward Whymper et ses compagnons le 14 juillet 1865 ( voir Les Alpes 3/2009 ), lui et J. M. Lochmatter étiennent quasiment le monopole des ascensions du fier monolithe valaisan.

 

Pour qui cède volontiers aux charmes des paysages glaciaires, le Triftjigrat recèle des trésors. Difficile en effet de ne pas s' imaginer dans un palais lorsque l'on chemine au cœur de ces décors envoûtants. Durant l' approche, la muraille de roche et de glace du Breithorn est omniprésente, tant et si bien qu' une bonne part de la voûte céleste demeure hors du regard. Les pentes précédant l' arrivée au Triftjisattel finissent d' échauffer l' organisme. Devant soi, une ligne comme une invitation se dessine. On chemine alors entre neige et rocher, déjouant sans peine les premiers obstacles. A l' orient, l' horizon rougeoyant annonce une nouvelle genèse. La vie redémarre autour de soi. Le Cervin reprend son premier rôle, inlassablement. Les séracs du Breithorn ressortent de l' ombre. Jamais la glace n' a paru si chaude. Impossible alors de ne pas faire halte quelques instants. Au-dessus de nous s' étire la crête du Breithorn, dont la traversée intégrale, entre le sommet occidental et la Roccia Nera, constitue certainement l' une des plus belles chevauchées des Alpes. En contrebas vers l' est, notre regard est attiré par le Chli Triftjigrat, dit aussi Young-Grat, plus petit que son voisin par le nom uniquement. Parcourue pour la première fois en 1906 par R. J. Mayor, C. D. Robertson et G. W. Young, aves les guides Joseph Knubel, fils de Peter, et Moritz Ruppen, cette arête dessine une merveilleuse ligne dans le versant septentrional du Breithorn oriental.

 

Débouchant au sommet des premières pentes, l' itinéraire remonte ensuite vers le Triftjiplateau. Conditions exceptionnelles, neige dure et ne nécessitant pas de pénibles efforts de brassage, donc merveilleuse à cramponner. Une fois sur le replat, le tableau que peignent les grappes de séracs lovées au cœur des parois septentrionales du Breithorn inspire le respect. Le château de glace n' a pas fini de nous enchanter. Ce n' est pourtant pas faute d' en avoir admiré d' autres auparavant, mais leur proximité les rend plus impressionnantes encore. Grande se fait alors la tentation de s' approcher davantage, mais la raison l' emporte. Tout en se tenant à distance respectable, on laisse son esprit errer au sein de ces géants pétrifiés. Le plateau accorde au corps et à l' âme de délectables minutes de répit. Et ceci avant le mur final. Il s' agit d' abord d' étudier la voie, de chercher le point faible de cette forteresse imprenable. Puis, la rimaye franchie, nous nous hissons le long d' une ligne très pure. Un couloir rectiligne sur 300 mètres, d' une blancheur immaculée, une « échelle » pour accéder au sommet d' un rêve caressé pendant de longues années. La pente se redresse, et l'on comprend mieux la cotation annoncée dans les topos: « D », cela signifie déjà une inclinaison de 50 à 55 degrés. Une image tirée de l' ouvrage de Michel Vaucher, Les Alpes valaisannes. Les 100 plus belles courses vient à l' esprit: au cœur d' un miroir de glace, un alpiniste se tient en équilibre sur les pointes avant de ses crampons, armé d' un piolet droit. Aujourd'hui, les piolets ancreurs rendent l' exercice presque aisé.

Le point culminant reçoit les premières visites en provenance du « Petit Cervin » ( Klein Matterhorn ). Un panorama exceptionnel se dévoile alors: les géants de Zermatt, le Cervin tout proche, le Gornergletscher en contrebas, avec sa langue qui compte parmi les plus étendues des Alpes. Amorçant la descente vers le Breithornplateau et le Klein Matterhorn, une impression grisante gagne l' alpiniste, celle d' avoir dérobé un trésor sans être pris, à la manière d' un « gangster » alpin. 

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