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Splendeur et déchéance alpines Nouvelle exposition Stations de soins intensifs au Musée alpin

Bienvenue dans le monde merveilleux des sports d’hiver! Avec l’exposition Stations de soins intensifs, le Musée alpin suisse montre la face cachée du tourisme hivernal des «events» et du «fun». Au centre de cette exposition, les photographies de Lois Hechenblaikner sont la froide et cruelleillustration des dommages causés à l’environnement alpin.

«Have fun»: c’est ce que l’on peut lire sur un écriteau, dans un domaine skiable germanophone. Fun, fun, fun: telle est la devise du tourisme de masse. Fun sur la neige artificielle, fun avec des engins pyrotechniques, fun dans l’après-ski. Cette culture du fun a son revers. Alors que le succès des sports d’hiver tient en partie à la nostalgie de la nature, l’essentiel de ce qu’on y trouve se révèle artificiel: une nature construite, arrangée, défigurée et vendue en produit fabriqué.

Un témoin impitoyable

Observateur attentif de cette évolution, le photographe autrichien Lois Hechenblaikner documente sans complaisance les traces que la culture du fun et des «events» laisse dans les domaines skiables. Ce qu’il montre, ce n’est pas l’alpe sublime, mais les pistes aménagées et lissées comme des autoroutes au travers de la nature. En été, ce ne sont plus que de choquantes cicatrices. Il met en évidence les gigantesques terrassements nécessaires à la construction des réservoirs qui alimentent les canons à neige. Il montre aussi les estrades construites à l’occasion des manifestations hivernales. Derrière ces monuments d’apparence absurde s’amoncellent des montagnes de détritus. Dans les coulisses de la gastronomie alpine, il dévoile les installations industrielles d’approvisionnement de boissons: ce ne sont que tubes et conduites, installations électroniques de mesure et de pilotage évoquant un environnement de soins intensifs.

Qui est en réalité le patient?

Ironiquement, voire cyniquement, l’auteur donne à ce monde le sobriquet de «Winter Wonderland». L’exposition basée sur les photographies de Lois Hechenblaikner le nomme plus sobrement et clairement «Stations de soins intensifs». On peut en effet se demander si l’industrie des manifestations se fixe comme objectif de mettre la masse des touristes dans une sorte de béatitude comateuse et irresponsable, ou si la nature sinistrée n’aura pas finalement besoin d’une réanimation. Une chose est sûre: ces images ont le pouvoir de choquer. Elles ôtent le blanc manteau de l’innocence à l’idylle alpestre vendue par l’industrie des «events». Les stations de ski que montre l’exposition ne se trouvent pas en Suisse, mais en Autriche et dans le Tyrol du Sud. Notre pays ne fera pas l’économie d’un questionnement sur l’usage que nous faisons des ressources de nos Alpes, et sur notre manière de gérer le tourisme de masse et les manifestations.

Montagnes … de déchets

Lorsque Beat Hächler s’empare d’une telle problématique, on peut être certain que la représentation et la communication qui en résultent seront aussi un événement. Directeur du Musée alpin suisse, il ne craint pas de choquer. Le message est clair dès l’entrée: on pénètre dans une salle cliniquement stérile où s’amoncellent des skis déchiquetés, résultat d’une saison de ski dans une station tyrolienne. Au centre et en grand format, des photos prises par Hechenblaikner. La mise en scène est si bien faite que la confrontation engendre une irritation immédiate. Dans la salle «Hodler», c’est le spectacle en boucle d’une machine à déchiqueter les skis. Au public d’imaginer le rapprochement qu’il peut faire avec le monumental tableau Ascension et chute qui montre le triomphe et la tragédie de la première ascension du Cervin. Dans une autre salle, on passe à l’après-ski: bienvenue dans le monde des soirées festives, des monceaux de bouteilles et de l’ambiance folle des grandes salles de fêtes.

Opération réussie ...

On ne demande alors plus qu’une chose: quitter au plus vite ce monde artificiel. Peut-être aura-t-on aussi la nostalgie de la bonne vieille cabane que l’on atteignait en brassant une épaisse couche de neige. Celle qui ne devait rien aux canons. Loin de tout «event», dans un silence pas fun du tout, on y trouvait une authentique joie de vivre. Pourtant, l’exposition Stations de soins intensifs ne lâche pas le visiteur avant la fin: dans la dernière salle, on retrouve des grands formats d’Hechenblaikner: ils montrent des moignons glaciaires que l’on a recouverts de grandes bâches destinées à retarder la fonte estivale. Le monde des glaciers est aussi à la base de la culture des «events». Et cette base doit être préservée.

Les bâches évoquent des suaires. L’exposition Stations de soins intensifs illustre un drame: on en sort avec la constatation que l’opération a réussi, mais que le patient est mort.

Infos

Exposition Stations de soins intensifs, Musée alpin suisse, Helvetiaplatz 4, Berne, 28 septembre 2012 au 24 mars 2013, www.alpinesmuseum.ch

Pour en savoir plus: Lois Hechenblaikner, Winter Wonderland, Steidl Verlag, 2012, 54 francs, www.hechenblaikner.at

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