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Sur les pas de Maurice Zermatten Randonnée dans le val d'Hérens

L'écrivain Maurice Zermatten a usé nombre de fonds de culottes dans le val d' Hérens, avant d' user tout autant de crayons dans les ouvrages qu' il a consacrés à ce coin de pays. Ses récits guident cette randonnée de trois jours, le long du sentier qui lui a été dédié 1, puis dans la descente du sauvage vallon de Réchy. Mieux que quiconque, ce romancier évoque l' irrationnel et le fantastique qui planait sur cette région. A chaque palier de la montée, il relate la vie d' autrefois et ravive les légendes qui lui donnaient du sel. Une vie rude dans un environnement hostile où chaque champ, chaque bâtisse n' autorisait l' autarcie qu' à la sueur du front et au défi des caprices du temps.

L' entrée dans le val d' Hérens longe la gorge de La Borgne, une approche pédestre inédite alors que de confortables chemins conduisent dans la vallée par les versants supérieurs des précipices. La Borgne, cette « rivière sournoise et invisible... fl euve aux sources lointaines où ruisselait la légende » 1, fume du peu d' eau qu' il lui reste. Quel vacarme

devait régner ici, avant les grands barrages, lorsqu' à la saison chaude, la rivière drainait les fl ots des hauts glaciers de la vallée? Depuis, la rumeur ne se réveille que les soirs d' orage. Le terrain se fait plus doux et les clairières plus généreuses à Combioula; « dernier refuge avant les neiges de décembre, Ossone nous plaisait, Combioula nous faisait peur » 1. Les gamins s' y aventuraient malgré tout pour aller plonger les pieds dans d' agréables sources tempérées. Chargée des sels minéraux des profondeurs, l' eau chaude surgit le long de la rivière en amont du pont, là où subsis-terait la Zaudanne, une grotte creusée jadis à la recherche de sel. Les gamins les plus courageux y affrontaient l' odeur de souffre et les chauves-souris à la lueur vacillante d' une bougie. Après une centaine de mètres, la voûte s' élevait et les voix se répercutaient en échos, dans une grotte immense, remplie d' eau tiède où ils pataugeaient durant des heures. Le tunnel menant à cette grotte souterraine ayant été comblé par une débâcle du glacier de Ferpècle, la montée se poursuit sous le soleil brûlant, au rythme du chant de la cigale rouge de Méditerranée. Au raide fl anc de coteaux asséchés, on parvient aux prés d' Ossone, « seul coin plat dans ce pays où la pente ne cesse de choir vers le lit de la rivière ou de monter vers les cimes » 1.

Jadis, quelques familles demeuraient tout l' hiver autour de la petite école d' Ossone; celle des Zermatten y est restée jusqu' au printemps 1962. « Une nuit à Ossone, comme on manquait d' eau à la maison, je suis descendue à la fontaine, un bidon à la main. J' ai vu, en descendant, dans le ciel, une boule de feu qui traversait la vallée, loin au-dessus de La Borgne, et venant d' Hérémence. Cette boule est arrivée en même temps que moi devant la source. Colas, le guérisseur, en est sorti. Il m' a dit: ‹ Philo-mène, je viens veiller chez vous... › Il a veillé chez nous puis est reparti par le même chemin. » 1

Le temps se mesure à l' heure de l' église d' Hérémence, dont les cloches appellent à la messe. Egrené de lieux de légendes, le chemin muletier monte jusqu' à Saint-Martin. Aux Flaches, en bordure des falaises où planent l' épervier et l' autour des palombes, Maurice Zermatten imagina le village de La Fontaine d' Aréthuse, un village d' une cer taine importance, qui a succombé à la tentation du modernisme, de l' argent vite gagné, et a perdu son âme. Le village aurait peut-être vu le jour à la fi n des années 1970 si les autorités fédérales avaient donné le feu vert à un projet de remontées mécaniques montant de Saint-Martin au Bec de Lovégno. Le destin en a voulu autrement, l' avenir dira s' il a eu raison. Entre-temps, la commune a gardé son âme et fait d' importants efforts pour la transmettre aux jeunes générations. Elle poursuit une stratégie de développement durable et doux, compatible avec son patrimoine naturel et humain. A l' horizon 2009, la région de la Maya et du Mont-Noble souhaite même obtenir le label de Réserve de biosphère décerné par l' Unesco.

La montée se poursuit jusqu' à la Tsina, la combe située juste sous le village de Suen. Y subsistent quelques chene-vières, des jardins ainsi que de petits champs. Les jardins entouraient un étang et ses innombrables têtards où l'on mettait le chanvre à rouir. Chaque famille en plantait pour tisser la toile des chemises et les draps de lits. « Ils duraient plus longtemps que la vie des hommesils s' héritaient d' une génération à l' autre. A défaut de finesse, ils avaient la solidité. » 2

Arrivent enfin les ruelles pentues de Suen. « Un entrelacs de ruelles étroites et de passages hasardeux entre les greniers... un emmêlement de parois, de murailles, de galeries où l'on grimpait à l' heure des jeux, rien qu' une foule de secrets obscurs, des niches dans les tas de bois, la bouche béante du four où flambaient des bûches crépitantes, des cachettes introuvables derrière les piloris des raccards. » 2 Pour les adultes par contre, l' alignement des granges, des maisons et des greniers évoque le labeur des jours d' œuvre.

Le labeur se reflète dans l' harmonie du village de Suen, accroché à la montagne. S' y mêlent habitations, granges-écuries, raccards et greniers, tous ayant leur fonction spécifique. Après une nuit réparatrice, mieux vaut partir dès le retour de la lumière; la montée du jour sera plus agréable à accomplir avant les fortes chaleurs. Le noyau des anciennes habitations frappe par sa densité. « Un hameau constitué de vieilles poutres desséchées par le soleil, de proies craquantes, de mèches de paille entre les madriers des raccards, désordre de toutes ces bûches éparses ou entassées » 1, autant de proies pour les flammes qui constituent la hantise de tous les habitants. A Suen, le dernier incendie date de 1777. Dans un revers que le sentier ignore, une forêt à ban est d' ailleurs toujours réservée à sa reconstruction. Le rabot se fait alors aussi docile et précis que lorsqu' il taille les innombrables croix marquant les belvédères de toute la vallée. « La mort guettait partout les vivants qui l' apprivoisaient par la prière... Partout présente, elle imposait ses croix, le long des sentiers, ses oratoires, ses chapelles, ses cloches funèbres, ses ossuaires, ses liturgies noires, ses rites expiatoires. » 3

A Granges-Neuves, la maison familiale des Zermatten attend à l' orée de la forêt. « Humble maison que des mains très anciennes ont bâtie, elle représente l' inconfort. Son toit, pourtant, abrite le bonheur... Comme nos ancêtres, nous lisions l' heure aux mouvements de la lumière. La voix des cloches n' arrivait plus jusqu' à nous. » 3 Le sentier poursuit entre de hauts épicéas qui filtrent la lumière, puis s' en va à flanc de coteau voir le grand mélèze, cet ancêtre fier et superbe qui vit ici depuis plus de cinq cent ans.

Bientôt les sapins et les mélèzes s' éclaircissent en vue de l' ancien alpage de Lovégno. La Maya monte la garde. Sous son œil bienveillant, la pente du sentier s' apaise et traverse en direction des petites chottes de l' A Vieille. Dans les alpages de la région, chaque famille possédait une ou deux modestes écuries en fonction de ses têtes de bétail. Les écuries familiales de l' A Vieille ont été rénovées par leurs propriétaires. Une chapelle neuve veille sur le hameau; elle rappelle le souvenir de Nicolas Gaspoz et d' Eddy Gross, deux guides décédés sous une avalanche lors d' une action de sauvetage près de Zinal. A droite de la ruelle, les consorts ont bâti une écurie collective pour les vaches.

La montée au Pas-de-Lona n' est pas si terrible pour celui qui reste sur le sentier. Au-delà, la sente grimpe encore en un décor de roches lunaires jusqu' au pied des Becs-de-Bosson. Un fabuleux panorama dévoile progressivement les 4000 mètres de la Couronne impériale, du Weisshorn à la Dent-Blanche. Par chance, le crépuscule teinte le décor de couleurs aux nuances inédites, ajoutant une profonde satisfaction à la fatigue physique, c' est le couronnement de la journée à la cabane des Becs- de-Bosson.

Le vallon de Réchy débute en pleine montagne cristalline. Il fait le dos rond et froid, puis descend plein d' espoir vers les vignes, le soleil et le Rhône. Trois cents millions d' an ont patiemment sculpté ce vaste escalier naturel constitué de sept paliers successifs. En plein Valais aménagé de part et d' autre, ce joyau du Créateur est demeuré comme l' ont abandonné les glaces, il y a quelque vingt mille ans. Le seul glacier qui y subsiste est rocheux, sous les Becs-de-Bosson; il emmène d' impressionnantes masses de roches éboulées vers le bas, au rythme de la reptation immémoriale de ses glaces fossiles. Patient travail de la nature! Tout semble immobile dans le décor minéral, mais tout s' écroule brusquement lorsque l'on quitte le chemin. Immuable, l' érosion exerce son patient travail de sape. Ses instruments sont l' eau, la température et le vent qui sculptent le paysage où l' observateur attentif peut déceler de nombreux indices, tels ces deltas, sur les rives du lac de Louché ( 2567 m ), qui accompagnent la première apparition de l' eau, avant qu' elle s' en aille, d' étage en escalier, modeler le vallon à sa guise. Très discrète dans le sous-sol karstique des hauts, elle forme un étonnant chevelu à l' étage d' Econdoi ( 2433 m ), épandant de manière anarchique une multitude de fi lets sur le moindre replat. Dès que la pente augmente un peu, l' eau regroupe ses forces et se creuse un lit, osant dès lors revendiquer son appellation de Rèche.

Ragaillardie par la force de gravité, elle s' engouffre dans une petite gorge et dévale, ambitieuse, vers l' étage inférieur. Mais la pente modeste du vaste plateau de l' Ar du Tsan ( 2200 m ) sème à nouveau le doute.. " " .Voici la Rèche qui hésite, divague et se divise, va et vient en de superbes méandres tantôt alimentés d' eau claire, tantôt abandonnés jusqu' à ce que les pluies leur redonne vie. Rares sont les sites alpins aussi bien préservés, juste pâturés par quelques génisses. A la croisée des chemins de l' Ar du Tsan, la Rèche regroupe ses forces de manière décisive; elle quitte le plateau en une cascade vaporeuse puis descend sauvagement entre les premiers mélèzes. Le Vallon se décide enfi n à creuser vers l' aval, ne laissant aucun cours alternatif à son torrent, que viennent grossir des sources claires.

Au fi l des siècles, l' homme a creusé trois bisses en rive droite et quatre en rive gauche. Le grand bisse de Vercorin, le bisse de Réchy et le bisse Meyen partent sur la commune de Chalais alors que le bisse Morété, le bisse de Grône et le bisse des Ormoz partent en rive gauche. Après une descente plus escarpée dans un vallon soudain boisé, le randonneur fatigué peut s' en échapper par la droite, à l' étage du grand bisse en direction de Vercorin; un parcours agrémenté de panneaux didactiques et d' une plaquette donne des explications sur la vie d' autrefois, notamment celle des charbonniers qui exploitaient les bois abondants. Dès l' Ar du Tsan débute un agréable sentier qui rejoint Nax par la rive gauche et l' alpage de Bouzerou. Ce parcours permet d' entrevoir l' avifaune richissime de ces bois d' épicéas, d' aroles et de mélèzes. De son côté, la Rèche poursuit sa descente jusqu' à la cascade invisible du Scex Blanc; elle y saute une dernière falaise avant de rejoindre le Rhône, paisible, qui l' atend.

La fi nalité de la randonnée est de se familiariser avec le passé et de composer avec le présent au rythme de la marche et des écrits d' un enfant du pays. Deux jours permettent de grimper les 2500 mètres au menu. La marche se fait sur un sentier agréable, exceptionnellement étroit mais pas vertigineux. Les points de départ et d' arrivée sont desservis par des transports publics.

 

1 Sentier didactique Maurice Zermatten, édité par la commune de St-Martin, 1999

2 Extraits de son ouvrage Sentiers valaisans, Editions Slatkine 2007 Crépuscule d' automne à la cabane des Becs-de-Bosson. Obergabelhorn et Dent Blanche lorgnent par-dessus les nuages.

3 Extraits de Les sèves d' enfance, Maurice Zermatten, Editions Cabédita, 1994 Dès que la pente augmente un peu, l' eau regroupe ses forces et se creuse un lit, osant dès lors revendiquer son appellation de Rèche.

Portrait de Maurice Zermatten

Naissance: Cadet d' une famille de neuf enfants, Maurice Zermatten est né à St-Martin en Valais en 1910. Il est mort à Sion en 2001.

Carrière: Il étudie à l' Ecole normale, puis à l' Univer de Fribourg. Il enseigne au Lycée de Sion, profession qu' il exerce jusqu' à la retraite. Dès 1952, il est chargé de cours à l' Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Il accomplit en parallèle une carrière militaire le conduisant au grade de colonel.

Premier roman: Le cœur inutile, 1936

Récompenses: L' écrivain valaisan a reçu de nombreuses distinctions telles que le Prix de la Fondation Schiller et le Prix de l' Académie française.

Diversité: Maurice Zermatten s' est consacré à de nombreux genres littéraires comme le roman, le conte, la nouvelle, le théâtre, dans lesquels il a surtout évoqué son canton, dont les habitants et les traditions le fascinaient.

Auteur prolifique: Maurice Zermatten a publié plus de 120 ouvrages, dont une moitié de romans. Parmi ses œuvres les plus signifi catives, on peut citer La colère de Dieu ( 1940 ), Le sang des morts ( 1942 ), La Montagne sans étoiles ( 1956 ).

Critiques: Sa participation à l' ouvrage Défense civile, publié par le Conseil fédéral, lui a souvent été reprochée. Ce fascicule, distribué à tous les ménages suisses, visait entre autres à renforcer le patriotisme.

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