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Tiefmatten

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

16—18 avril 1949Par Raymond Monney et Jean Fuchs Avec 1 illustration ( 55Depuis une année déjà, cette face hantait nos esprits. Nous ne savions rien d' elle, sinon qu' Herrmann en 1929 l' avait gravie sur la gauche... en évitant le dernier ressaut qui forme la tête du Cervin.

Une photo, cadeau de mon ami, pliée au fond de mon portemonnaie, devait, tout en excitant mon envie, me permettre de parcourir cet itinéraire plusieurs fois par jour... en rêve.

Les chutes de pierres semblaient être la grande difficulté, car cette face peu redressée ne devait pas présenter de gros obstacles techniques. La gravir en été nous semblait être suicide, en hiver également: il nous restait donc le printemps.

Cet hiver 1949 avait été bien triste pour les skieurs, et surtout dans la région de Zermatt la neige faisait totalement défaut. Les conditions de haute montagne semblaient être idéales pour les ascensions rocheuses. Dès le début de mars, nos chaussures légères et notre ferraille avaient remplacé skis, bâtons et tout le matériel hivernal. Dans nos rochers du Schilt près de la Heutte nous avions repris notre entraînement intensif et systématique.

15 avril! Le temps est magnifique. Très lourdement chargés nous débarquons à Zermatt et montons tout de suite à Schönbiel. Aussi discrètement que possible nous préparons nos sacs, pourtant les skieurs qui se trouvent à la cabane nous regardent avec étonnement. Après avoir mis le gardien au courant de notre projet nous nous couchons.

2 heures du matin! Les étoiles scintillent et nous ne pouvons nous lasser d' admirer ce magnifique paysage faiblement éclairé par la lumière blafarde d' une grande lune qui se couche derrière la Dent d' Hérens. Ainsi profilée sur un ciel noir, nous apparaît cette magnifique face de Tiefmatten, rendue encore plus terrible et plus lugubre par cette faible clarté déclinante.

A la base du grand couloir central, nous déposons nos skis et remplaçons nos lourdes chaussures par de légers souliers d' escalade « Spécial Dittert. » Nous espérons ainsi progresser plus rapidement. Pour excuser notre... imprudence, Monty 1 m' explique qu' il supporte très bien le froid aux pieds et que les miens sont trop longs. Nous nouons notre « Viking » 10 mm ., mise à double et attaquons. Dans le couloir la neige est juste assez dure pour porter, nous progressons assez rapidement. Pourtant, aussitôt que possible, nous la quittons pour le rocher qui nous semble préférable: de la caillasse et des dalles très peu redressées.

Sans que nous nous en soyons aperçus, le jour s' est levé. La Dent d' Hérens et la Dent Blanche qui tout à l' heure étaient d' un blanc immaculé, se colorent jusqu' à devenir roses puis violettes.

Nos dalles, sans se redresser beaucoup, deviennent plus difficiles. De petits ressauts insignifiants compliquent et ralentissent notre progression. Tout à coup un mince et traître verglas fait son apparition. Nous traversons quelques mètres sur la droite.

Mon ami plante un piton, hésite, revient en arrière, dégage un petit coin de rocher pour poser le pied, plante un peu plus loin un second piton mais n' ose s' élancer. Je suis tout près, mais ne comprend pas ce qui le retient... J' ai l' impression qu' il n' est pas en forme; je n' ai pas l' habitude de le voir ainsi perdre du temps sur des dalles peu inclinées. Un... deux... trois pitons, puis le passage est franchi. A mon tour! C' est presque plat, mais les mains ne trouvent pas de prises et les pieds glissent. Je retire deux pitons et ne sais plus comment me tenir, je n' ose plus bouger, pourtant je 1 C' est le nom familier de mon ami R.M.onney.

finis par rejoindre mon camarade. Le passage était sérieux. Nous traversons maintenant une plaque de neige dure. Monty m' a passé son piolet et je taille degré après degré. Sans crier gare mon mouchoir sort de ma poche et, souple et léger, descend la pente ne semblant pas se soucier de l' inclinaison. Encore quelques marches et nous voici au pied d' une cheminée-couloir, aux flancs lisses et surplombants, tapissée dans le fond d' une épaisse couche de glace. Je me fais tout petit... et suis content de voir mon camarade reprendre la tête. Péniblement, il gagne quelques mètres sur le côté gauche, plante un piton d' assurage, regagne le couloir jusqu' à quelques mètres du fond, met une seconde fiche. Et se tenant de la main gauche à une double corde, dans une position presque horizontale, les pieds reposant sur une petite prise, taille de la main droite une marche dans de la glace très dure. Le travail est épuisant, à plusieurs reprises Monty revient en arrière pour se reposer, mais il ne se lasse pas; plusieurs fois il repart à l' assaut et frappe la glace avec plus d' énergie et de violence. Une bonne marche est terminée, et par un grand écart dépassant tous ses précédents, mon camarade gagne ainsi un pas. Le plus haut possible, il plante une broche à glace Cassin qui entre assez facilement. A la hauteur de la ceinture et sous la glace un petit éperon rocheux se dessine, de quelques coups de marteau il est dégagé, et par un tour d' acrobatie digne d' une arène de cirque, il y pose le pied et se rétablit. Une ou deux broches à glace employées en traction, quelques encoches pour les pieds, et mon ami atteint le rocher à droite du couloir. Un peu de verglas, un passage délicat, puis il est en haut. Un cri de joie: « J' y suis! C' est de la rigolade, la suite. Monte Gosse! » Je suis complètement gelé. J' attends depuis plus d' une heure. Maladroitement en enlevant mes gants je laisse tomber mon marteau, il glisse sur la glace, puis se plante dans la neige quelque trente mètres plus bas. Pas même un juron, j' ai trop froid. Inutile d' aller le chercher, nous perdrions beaucoup trop de temps. Je sortirai les pitons avec mon petit piolet-marteau. Je dois laisser le dernier piton de rocher sinon il me serait impossible de traverser dans le couloir. Les broches à glace qui se sont plantées assez facilement ne veulent plus sortir, je suis obligé de creuser la glace autour. Pour gagner du temps nous passons une boucle de corde au dernier piton, et en me tirant je rejoins rapidement mon ami.

Il fait maintenant grand jour. Vis-à-vis, des caravanes de skieurs, minuscules petits points, remontent le glacier de Tiefmatten. Le froid est intense, et nous donnerions beaucoup pour avoir un peu de ce soleil dont ils sont baignés.

A droite, une petite crête rocheuse nous conduit sur de grandes dalles lisses, imbriquées et verglacées. Les passages sont tous plus délicats les uns que les autres; les fissures, toutes tournées en aval, ne permettent pas de planter de solides pitons. Nous en mettons jusqu' à cinq d' assurage sur quinze mètres, espérant qu' en cas de chute l' un d' eux tiendra. Pourtant, nous ne nous faisons pas beaucoup d' illusions et ne comptons que sur nous-mêmes. Avant de poser le pied ou la main, il faut chercher un petit coin sans glace ou encore à l' aide de nos marteaux-piolets faire sauter le verglas. Nous nous tenons à rien. La simple adhérence de nos semelles de gomme et de nos paumes de main plaquées sur le rocher lisse nous maintient. 11 faudrait si peu pour que cette fragile architecture s' écroule... la tension nerveuse est très grande.

A la Dent d' Hérens, une avalanche poudreuse s' est déclanchée. D' énormes tourbillons de neige accompagnés d' un roulement de tonnerre viennent se briser avec fracas au pied de la falaise. Le bruit se répercute contre la tête du Cervin, il semble que toute la montagne va s' effondrer. Nous retenons notre souffle et nous plaquons instinctivement contre les dalles. Lentement le bruit diminue et l' ordre se rétablit.

Pas après pas, mètre après mètre nous progressons. La montagne se défend bien et la partie s' avère difficile. Nous réalisons non sans une certaine inquiétude que si les difficultés ne diminuent pas, nous resterons plusieurs jours dans la face. Perspective peu rassurante...

Enfin nous atteignons le haut de cette première zone de dalles. N' importe quelle structure de rocher nous semble préférable car ces dalles peu inclinées n' offrant aucune stabilité nous mettent à dure épreuve. Le rocher se redresse, la glace diminue. Une bonne crête rocheuse nous permet de progresser plus rapidement et nous mène à une petite épaule de neige, suivie d' un ressaut lisse et vertical. L' entrain revient, voilà des difficultés, du vrai rocher solide. Sur la gauche quelques mètres de rocher très délité nous conduisent à un petit trottoir incliné recouvert de gravier. La dalle qui le surplombe semble vouloir nous repousser et nous précipiter dans le vide. Une progression directe est impossible! Nous suivons ce petit balcon pendant une trentaine de mètres vers la droite et, à l' aide de trois pitons de traction, franchissons le ressaut vertical. La varappe est difficile mais le rocher bon, nous nous sentons à l' aise. Mais quelle déception nous éprouvons en sortant de nouveau sur des dalles encore plus lisses que les précédentes. Nous ne sommes pas très éloignés du pied du grand ressaut jaune qui coupe la plus grande partie de la face en deux zones bien distinctes. Comme direction générale, nous nous proposons l' en où le couloir central se heurte contre ce ressaut. Nous espérons que plus loin la formation de la montagne changera. Ces dalles extrêmement lisses sont généralement recouvertes de glace ou de neige. Nous montons très lentement et le temps passe vite. A un moment donné, nous sentons des gouttes. Ce n' est rien d' autre que l' eau qui tombe du toit formé par le grand bastion dont nous sommes pourtant encore assez éloignés. Désormais nous sommes à l' abri des chutes de pierres. Elles ne nous ont pas encore dérangés, mais comme le soleil commence à donner dans la face, elles pourraient nous incommoder et présenter un sérieux danger.

L' eau a fait place à la glace et augmente ainsi les difficultés. Plus possible de tailler de petites prises, et nos semelles de gomme glissent désespérément sur ce rocher poli. Mon ami se trouve dans uns position extrêmement délicate. Son pied droit est en adhérence sur une dalle mouillée, le gauche repose... sur le vide, deux minuscules prises de doigts le maintiennent en équilibre. Nous ne sommes assurés que par deux mauvais pitons. Monty n' ose pas se rétablir sur ces deux insignifiantes aspérités; il cherche autre chose. Au même moment son pied droit glisse, il est pendu par les mains... à rien. Prompt comme l' éclair, d' un coup de reins il se redresse, et déjà son pied a trouvé une prise. Quelle émotion !.

Il se fait tard déjà. Nous nous mettons en quête d' un emplacement de bivouac. Pourtant, aussi loin que la vue s' étend, ce ne sont que dalles. A l' horizon le soleil décline. Quelques bandes de nuages très foncés barrent le ciel, l' une d' elles coupe en deux l' énorme boule rouge du soleil. Peu à peu la lumière diminue et il ne reste plus dans le ciel qu' une teinte violacée faiblissante... dernier vestige de cette journée. Ce coucher de soleil que nous avons admiré avec une si profonde émotion nous inquiète un peu, un changement de temps nous mettrait dans une position très critique. Dans le fond de la vallée il fait déjà nuit, j' ai de la peine à distinguer mon camarade qui est une dizaine de mètres plus haut. Nous n' avons toujours pas trouvé d' endroit où passer la nuit. L' obscurité est complète, alors que mon ami pousse un faible cri de contentement. Il a trouvé deux petites dalles un peu moins inclinées que les autres où nous passerons la nuit. Davantage en me faisant tirer qu' en varappant je le rejoins. Notre place de bivouac se révèle tout de suite moins bonne que nous ne l' avions prévu. Nous plantons trois solides fiches pour nous ancrer à la montagne. Ces étroites plateformes sont tellement inclinées que nous ne pouvons même pas rester debout sans nous tenir. Et nous devrons rester là dix longues heures... Tout de suite nous commençons les préparatifs. Nous mettre dans nos sacs de bivouac est une opération longue et pénible qui nécessite une bonne heure. A force de prodiges, je réussis à m' asseoir sur mon sac de cuir. La place est restreinte. C' est les genoux ramenés contre la poitrine que je passerai toute la nuit. Puis c' est la longue attente, tous les membres qui font mal, le froid qui peu à peu nous gagne malgré nos habits duvets et les sacs de bivouac. De temps en temps, un gobelet d' Ovomaltine chaude fait cesser pour quelques instants ce grelottement qui nous secoue sans discontinuer. A plusieurs reprises je m' assoupis et me laisse aller, aussitôt une brusque secousse de la corde me ramène à la réalité.

A 4 heures, nous commençons les préparatifs de départ. Nous sommes entièrement « rouillés ». Nos jambes extrêmement douloureuses nous supportent à peine. Tous nos gestes sont maladroits. Nous avons beaucoup de peine à sortir de nos sacs. A 5 heures enfin, bien que nous soyons encore engourdis, nous partons vers la gauche et... pour changer, sommes tout de suite aux prises avec des dalles lisses et rebelles. Je suis transi et monte je ne sais comment! Enfin voilà des bandes de neige. Monty me laisse passer devant. C' est avec un plaisir fanatique que je taille, mes pieds reposent sur de petites plateformes bien horizontales. Je peux me tenir entièrement debout, détendre mes membres et frapper la glace avec violence. Peu à peu mon corps se réchauffe et mes muscles retrouvent leur souplesse. Après quelques longueurs de corde nous atteignons le bord du couloir central. Il est profond et très délité. Un rappel nous mènerait beaucoup trop bas. Nous traversons donc à l' horizontale et gagnons le fond. Les prises sont nombreuses mais rien ne tient. En essayant de sortir un piton, je le laisse maladroitement tomber. Pendant de longues secondes, nous l' entendrons rebondir et dévaler dans le couloir. Encore deux ou trois fiches à retirer et j e rejoins Monty: délicat travail! Par des dalles extrêmement lisses nous continuons de traverser sur la gauche tout en montant. Ces dalles sont je crois encore plus lisses que les précédentes... si cela est possible! De temps en temps de petites pierres soudées aux dalles par un peu de glace nous fournissent de bonnes prises... pourtant peu sûres!

Quelque cinq cents mètres plus bas, minuscules petits points noirs au pied du couloir, nous voyons nos skis plantés dans la neige. Que de temps et de gymnastique il nous a fallu pour gagner si peu de hauteur. A cette allure, nous nous demandons si nos dix jours de vacances suffiront pour atteindre le sommet! Comme hier, nous voyons les caravanes de skieurs qui montent au col de Valpelline. Nous les envions. Au soleil, ils montent paisiblement les skis aux pieds, ils ont une belle descente en perspective... Nous sommes accrochés à cette paroi qui se défend mètre après mètre.

Nous atteignons la partie inférieure de la bande de neige bien visible depuis le bas et qui subsiste toute l' année. Au premier abord nous pensions monter directement et, par un couloir-cheminée extrêmement raide, franchir le grand ressaut jaune. Mais à cette époque le couloir est transformé en une gigantesque cascade de glace. Nous abandonnons notre projet et continuons notre traversée ascendante vers la gauche. Nous sommes encordés à quinze mètres. A tour de rôle nous taillons dans une glace extrêmement dure. A chaque longueur de corde, nous aménageons une plateforme plus grande que les autres et plantons une broche. Ce petit manège dure des heures. La fatigue commence à se faire sentir. Comme nous taillons vite pour gagner du temps, nous sommes contents d' arriver au bout des quinze mètres. Tout en avançant, je m' appuie de la main droite contre la glace. Tout à coup je m' aperçois que trois de mes doigts sont tout blancs et insensibles. Rien de grave heureusement! En les frottant un peu la circulation revient.

La plaque de glace un peu moins inclinée est recouverte de neige, nous progressons plus rapidement. Enfin nous arrivons au bout. Traversant le petit couloir qui est devant nous, nous nous trouvons sur de belles dalles ensoleillées., Nous en profitons pour faire une petite halte, enlever nos duvets et casser la croûte. Que ça fait du bien de toucher du granit solide et d' être au soleil!

Après avoir grignoté quelques fruit secs, nous continuons en montant légèrement sur le flanc gauche de l' arête. Nous sommes de nouveau à l' ombre. Le froid se fait sentir. La structure de la montagne a totalement changé. Nous sommes maintenant accrochés à des parois verticales. Après une longueur de corde sur du beau rocher, nous rencontrons une caillasse indescriptible: une architecture de blocs qui tiennent je ne sais comment. Monty se fait aussi léger que possible et progresse lentement. En prenant bien soin de répartir le poids de son corps sur ses quatre membres, il réussit à trouver des prises qui tiennent.

Il rejoint alors le fil de l' arête et je monte. Je ne sais à quoi me tenir, tout bouge, et c' est vertical. Plus haut nous rencontrons même de petits surplombs. Pourtant, nous préférons encore cela aux dalles lisses sur lesquelles nous avons varappé hier. Peu à peu la roche s' améliore et nous grimpons maintenant sur de belles dalles solides, d' un bon granit. La fatigue passagère que nous éprouvions ce matin en taillant a totalement disparu. Nous pro- gressons extrêmement rapidement et même quelquefois ensemble. Les pitons d' assurage que Monty plante avec une énergie redoublée entrent en faisant un petit son musical très agréable. Rapidement nous gagnons de l' altitude. Tout en bas, sur le glacier de Tiefmatten, nos skis deviennent de plus en plus petits. A 6 h. du soir nous rejoignons l' itinéraire de Zmutt peu au-dessous de l' épaule. Nous y voyons de belles plateformes et décidons de rester là pour bivouaquer. En attendant la nuit, nous aménageons notre bivouac et remplissons nos gourdes avec l' eau qui suinte des rochers. Puis le soleil se couche, magnifiquement, derrière Tête Blanche. Nous ne nous lassons pas d' admirer ce spectacle et regrettons de ne pas avoir quelques clichés en couleur à tirer.

Le froid devient tout de suite piquant. Nous nous enfilons dans nos sacs de bivouac. Puis c' est une longue et interminable nuit, pourtant plus confortable que la première ( ou plutôt moins pénible !). Assis sur notre petit balcon, les jambes tantôt pendantes dans le vide, tantôt repliées contre la poitrine, nous pensons à la journée écoulée. Nous sommes impressionnés ainsi loin du monde, perdus dans cette sauvage nature. Au ciel les étoiles scintillent. Tout est tranquille. Que c' est reposant de ne penser à rien et de regarder... dans le vide. Un bivouac peut être extrêmement pénible, pourtant s' il est bien organisé, il procure des joies et des sensations bien différentes mais tout aussi fortes que l' escalade elle-même.

A 5 h. 30, alors que le jour pointe à peine, nous sommes déjà en route. Le rocher est froid. Nous varappons avec les gants. Depuis hier il me reste toujours une sensation de fourmillement au bout des doigts de la main droite. Nous suivons la voie normale. Dans les galeries Carrel les conditions sont mauvaises: beaucoup de verglas. Nous progressons lentement et prudemment, mais ne rencontrons pas de difficultés sérieuses. A 8 h. 45, nous nous serrons la main au sommet avec un ouf de soulagement. La course était longue et dangereuse, nous sommes contents d' arriver. Nous trouvons quelques papiers attestant le passage de nos deux camarades qui, après avoir gravi Zmutt deux jours plus tôt, ont bivouaqué ici, au sommet même du Cervin.

Après avoir longuement contemplé la vue, nous nous préparons pour la descente. Nous pensions descendre Zmutt, mais les conditions sont trop mauvaises et nous optons pour le Hörnli. Le début va bien, mais ensuite nous trouvons passablement de neige, parfois poudreuse recouvrant de la glace. Nous devons toujours bien assurer et même faire quelques rappels. Si bien qu' il est 6 h. du soir lorsque nous atteignons la cabane du Hörnli. Nous avons très faim et soif. La gorge me brûle, j' ai la langue douloureuse, tant ma bouche est desséchée. Dans la cabane nous trouvons quelques quignons de pain, qu' après avoir émiettés avec nos piolets nous mettons tremper dans l' eau.

Puis c' est un pas de course jusqu' à Zermatt que nous atteignons deux heures plus tard.

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