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Un été au Spitzberg

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR LUC SAUGY, PARIS

Avec 1 carte et 5 illustrations ( 28-32 ) Au début de mars 1964, au moment où je venais d' être désigné par ma compagnie pour diriger une mission de reconnaissance pétrolière dans ces terres arctiques, j' en ignorais absolument tout. C' est le Petit Larousse qui me fournit mes premières notions me renvoyant d' ailleurs au nom de Svalbard par lequel les Norvégiens désignent l' ensemble d' un archipel d' une superficie de 62000 km2 avec 800 habitants et des exploitations de houille. D' autres renseignements venaient compléter rapidement ces notions sommaires: des collègues géographes me renvoyaient banalement à une agence de voyage des Champs-Elysées, comme s' il se fût agi d' une croisière en Méditerranée ou aux Canaries! S' il est vrai que le simple touriste peut prendre son billet pour le Spitzberg et en ramener un bon éventail de souvenirs polaires, cela ne signifie pourtant pas que cette région du globe soit aussi accessible et courue que les Alpes suisses en été. Le SS « Lyngen », navire à vapeur qui assure une navette entre la Norvège et le Spitzberg pendant l' été, ne dessert que quelques points de la côte occidentale aux noms évocateurs, Montagne du Temple, Baie du Roi, Baie Madeleine, Longyear City, propres à allécher le touriste. Le restant de l' archipel est absolument inaccessible au commun des mortels sans moyens importants.

La mission s' articula autour d' un phoquier de 300 tonneaux, de véhicules à chenilles, de 2 hélicoptères et d' un Pilatus; une dizaine de personnes devaient accompagner quatre géologues. Les choses allaient être rondement menées pour que tout fût prêt pour la fin juin: matériel et programme scientifique. Ce fut un printemps harassant, passé en allées et venues entre Paris, la Norvège, diverses bibliothèques scientifiques et mon domicile du Languedoc. Aussi est-ce avec soulagement que je pris l' avion à la mi-juin pour Oslo où me rejoignait un étudiant géologue norvégien qui en était à sa 6e saison arctique consécutive. La route du soleil de minuit de SAS étant encombrée, c' est par Stockholm, Lulea et Kiruna que nous devions rejoindre Bardiifoss, puis Harstad, port du nord de la Norvège d' où partait un navire-charbonnier. Le restant de la mission nous rejoindrait un peu plus tard en s' embarquant de Tromsö sur notre phoquier. Ce détour nous valut de survoler au milieu de la nuit, mais par un beau soleil, le pays lapon et la chaîne frontière. A Harstad, nous embarquions sous un ciel gris et bas à bord du MS « Ingerfire », un des nombreux charbonniers qui d' avril à octobre assurent l' évacuation du charbon à destination de divers ports norvégiens et allemands.

Après trois jours de navigation par mer calme apparaissent les sommets déchiquetés de la côte ouest du Spitzberg, encore plâtrés de neige jusqu' au niveau de la mer. Nous débarquons à Longyearbyen, dans l' Isfjord par une soirée grise que je trouve glaciale. Nous sommes complètement saisis par le passage brutal de l' été méditerranéen à l' été arctique, et pourtant la température n' y a rien de polaire, en été, puisqu' elle reste toujours entre 0 et 10° C. Longyearbyen étale de laids bâtiments de bois sur 3 ou 4 kilomètres au fond de l' Adventdalen; c' est la capitale administrative norvégienne de Svalbard. Il faut pénétrer à l' intérieur de ces maisons pour constater que le confort nordique n' est pas un vain mot, et comprendre que 800 habitants peuvent vivre heureux, retirés du monde, avec comme seul souci l' extraction de leur charbon. Les rares étrangers à la mine sont le gouverneur, les employés de la poste et du télégraphe et le pasteur; encore sont-ils complètement dépendants de la mine qui assure ravitaillement, boulangerie, distribution d' eau chaude et froide et impression du papier-monnaie. Seule entreprise privée, un bazar offre au passager du Lyngen souvenirs, caméras japonaises et cigarettes détaxées, car le Spitzberg est zone franche de par son statut international.

Les quelques jours de répit précédant l' arrivée du navire de la mission sont utilisés à prendre contact avec les personnalités locales et surtout à reconnaître par hélicoptère les premiers travaux géologiques prévus. L' enneigement ayant été très tardif, tout est encore recouvert de névés fondants, même au niveau de la mer. Notre programme prévoit l' exploration rapide mais complète du bassin sédimentaire situé dans la partie sud de l' archipel, et ma première visite est pour la célèbre coupe géologique de Festningen - bancs de grès s' avançant dans la mer tels une forteresse - proche d' Isfjord. Le trajet nous fait longer d' impressionnantes falaises où nichent des milliers d' oiseaux. Nous passons devant la ville russe de Grumantbyen, abandonnée depuis que les veines de charbon sont épuisées: de tristes bâtiments achèvent de tomber en ruine, un débarcadère s' effon dans la mer. Une ligne de chemin de fer désaffectée serpente le long de la côte jusqu' à Barentsburg, autre ville russe bien vivante cette fois-ci. Avec Pyramiden située au fond du Billefjord, ces deux cités groupent 3000 habitants russes; curieux terrain d' affrontement Est-Ouest que cette terre arctique à statut international strictement neutre, où 800 Norvégiens sortent le même tonnage de charbon que 3000 Russes...

A la station d' Isfjord, l' accueil est toujours cordial, avec bar et réfrigérateur garnis à disposition, et même lit, douche et sauna lorsque le brouillard nous y clouera au sol. Une douzaine d' hommes y vivent en permanence très confortablement mais complètement isolés, avec pour seules distractions la pêche, la chasse, l' alcool et bien sûr les dialogues avec les avions des lignes aériennes polaires.

Je reconnais ainsi rapidement tous les travaux prévus dans le rayon d' action de notre hélicoptère, un vieux Bell 47, car les dépôts d' essence ne seront disséminés sur les côtes qu' après l' arrivée de notre phoquier. Du Kapp Linné où est situé Isfjord-Radio, une côte extrêmement plate, ancienne plage surélevée s' étend jusqu' au Bellsund. Au Kapp Martin qui en marque l' entrée se trouve un véritable cimetière de baleines, vertèbres assez hautes pour servir de sièges et bassins suffisamment vastes pour servir de baignoires. Une vieille trappe à ours polaires est à jamais close; ce modèle unique n' a jamais fonctionné: le vent l' ayant refermée, un ours y a creusé un trou pour s' emparer de l' appât! Ainsi foisonnent au Spitzberg nombre d' histoires de trappeurs.

Fin juin, le Van Mijenfjord est encore entièrement gelé, et la glace est parsemée de petits points noirs qui disparaissent au moment où nous les survolons: ce sont autant de phoques qui plongent dans leur trou, dérangés dans leur sieste par le bruit de notre moteur. Sur un petit promontoire, à l' entrée du Reindalen, un traîneau à chiens, chargé de tonneaux remplis de peaux d' ours conservées au sel, gît à proximité du rivage. Rendez-vous a été pris près d' un an auparavant entre des trappeurs et le phoquier du gouverneur, le « Nordsyssel ». Avant la débâcle des glaces, ces chasseurs norvégiens ont quitté leur lieu d' hivernage de file d' Edge pour rallier ce point de rendez-vous, où ils attendent le passage du navire dans un baraquement abandonné, vestige d' une mine épuisée ou non rentable. Ainsi vivent encore des trappeurs, tout comme ceux de Jack London qui charmèrent notre jeunesse.

Sur la côte nord du Spitzberg, une famille de trois personnes vit en permanence. Une fois pendant l' hiver, un trappeur leur rend visite de Longyearbyen, parcourant quelque 250 kilomètres sur un traîneau à chiens.

Au fond du Van Mijenfjord se trouve la mine de Sveagruva. La concession renferme les niveaux de houille les plus épais du Spitzberg, mais seuls des navires de faible tirant d' eau pouvaient accoster au débarcadère. Elle a donc été fermée en attendant la construction d' un câble de plus de 50 kilomètres qui suivrait tout le fjord jusqu' aux îles qui en barrent l' entrée. Les mines de la SNSK1 sont en effet extrêmement modernes comme j' ai pu m' en rendre compte lors d' une visite: tout ce qui pouvait être mécanisé l' a été, en dépit de l' épaisseur réduite ( 0,5 à 1 m ) du niveau principal de 1 Store Norske Spitzbergen Kulkompani.

houille. Mais ce qui frappe le plus le visiteur est la blancheur paradoxale des galeries. Propreté Scandinave? Non pas, mais couche immaculée dégivre!

Cette première reconnaissance se poursuit le long des rives de l' Isfjord et de ses ramifications: Billefjord, Dicksonfjord, Eckmannfjord etc... De nombreuses huttes de trappeurs se dressent sur la côte, entretenues par la SNSK et visitées lors de week-ends par ses employés. Dans l' une d' elle à l' entrée du Sassendalen un trappeur vécut jusqu' à 80 ans. Des restes de jouets témoignent d' une présence enfantine. Une quantité énorme de bois flotté est échouée sur les plages, amenée d' une lointaine Sibérie par les courants. Dans les vallées paissent de nombreux troupeaux de rennes et des hordes, plus rares, de bœufs musqués, d' aspect rébarbatif et redoutable. Leur toison est si longue et épaisse que l'on peut facilement confondre tête et queue! Les flancs des montagnes sont presque toujours abrupts et les crêtes déchiquetées, même lorsque les marnes ou autres roches tendres prédominent. J' ai pu observer ainsi des falaises de gypse, hautes de 100 ou 200 mètres, alors que sous nos climats ces formations donnent un relief émoussé. Quant aux sommets, ils sont souvent constitués de plateaux occupés par de petits névés ou glaciers, vestiges de l' inlandsis qui recouvrait le Spitzberg en des temps reculés. Du point de vue géographique le fait le plus frappant est l' absence de glaciers importants dans toute la région située entre l' Isfjord et le Van Mijenfjord. J' ai photographié en outre dans le Reindalen de curieux alignements morainiques en forme de petits cônes volcaniques de 200 à 300 mètres de diamètre.

Ces quelques jours m' ont bien accoutumé à la géologie, au relief et aux différents problèmes du pays, si bien que nous pouvons aller de l' avant dès qu' arrive, au début de juillet, le Kvitungen, notre phoquier. Son pont étroit est encombré de trois véhicules à chenilles, d' une barge de débarquement et de fûts d' essence. A l' arrière, on a aménagé une plate-forme pour hélicoptère extrêmement exiguë: la queue du Bell 47 surplombe la mer, alors que les pales du rotor tournent à moins d' un mètre de la cheminée: l' appontement est toujours très impressionnant.

Notre premier camp de base est installé près d' Isfjord et pour la première fois nous débarquons à terre tout le matériel. Ce n' est pas une mince affaire que de transborder les snow-tracks sur la barge et de remorquer celle-ci vers le rivage avec les deux baleinières du bord. Nous installerons au cours de l' été quatre camps principaux et une quinzaine de camps secondaires, transportant chaque fois des tonnes de matériel. Nous disposons de tentes-igloo à arceaux gonflables et de tentes de mess à armatures tubulâires. Le ravitaillement est constitué en partie de conserves apportées de France et en partie de nourriture fraîche achetée à la mine.

Durant les premières semaines, la neige est encore abondante, complètement pourrie nuit et jour, et nous y enfonçons souvent plus haut que les genoux. Les journées sont longues, et le jour ininterrompu n' incite pas au sommeil. Le soleil, qui se maintient immuablement à une largeur de main au-dessus de l' horizon, ne facilite guère l' orientation du géologue sur le terrain. L' évaluation des distances et de la lumière est en effet complètement faussée, toujours sous-estimée. Mais, peu à peu, au fil des jours, la routine du travail et de la vie du camp se crée. Le temps maussade est très inquiétant: un plafond plus ou moins dense se maintient toujours au-dessous de 1000 mètres, ce qui compromettra la campagne de photos aériennes incombant au Pilatus. Ce dernier arrive à la fin de juillet, à bord d' un charbonnier. C' est la première fois qu' un avion va être utilisé en « tout-terrain » dans ce pays, et on nous a prédit notre perte ou du moins celle de notre appareil. Cependant les premiers vols montrent qu' une multitude de terrains sont praticables et nous en essayons un bon nombre. L' équipage est finlandais, l' un des pilotes ayant fait plusieurs saisons comme « bush-pilot » en Alaska, nous sommes en de bonnes mains, quoique les vrais Finlandais aient la réputation de ne pas vivre vieux... Le mauvais temps persistant ne permettra toutefois de réaliser qu' une faible partie du programme de photos aériennes.

Nos travaux géologiques se poursuivent comme prévu et les caisses d' échantillons commencent à s' entasser dans la cale du Kvitungen, remplaçant les caisses de nourriture et de boisson. Il est vrai que, pour le whisky et le cognac, l' équipage nous donne un sérieux coup de main!

Le camp de base a été transporté successivement au fond du Billefjord, puis dans le Hornsund. Quelques souvenirs marquants méritent d' être relatés:

Sur la rive sud du Van Keulenfjord, un géologue russe a installé son camp, dans les baraquements à demi-ruinés de l' ancienne Calypso Mining Company où nous sommes reçus une fin d' après avec mon pilote d' hélicoptère. Mon hôte parle l' anglais correctement et la conversation peut ainsi se faire sans trop de difficultés. Il n' est pas question de repartir sans avoir soupe avec eux, de bonne heure, car les Russes vivent au Spitzberg à l' heure de Moscou! Repas frugal: le borchtch1 bien connu, arrosé de vodka et surtout de spirt, cet alcool à 95° qui vous transforme instantanément en mangeur de feu.

Une autre fois, conséquence d' une erreur de la carte topographique, un rendez-vous entre mon hélicoptère et le Kvitungen est manqué. Cela se passe dans la partie sud de la côte occidentale. Le mauvais temps se met de la partie et un vent de 100 km/h ou plus interdit tout décollage. En outre, il ne nous reste de l' essence que pour une demi-heure de vol et, comme par hasard, la radio est en panne. Nous passons deux jours et deux nuits interminables, recroquevillés dans la minuscule carlingue de notre Bell, à grignoter des rations de secours de l' armée de l' air norvégienne que mon pilote a toujours la précaution d' emporter avec lui. Nous finissons par décoller au cours d' une accalmie et rallions l' ancienne base polonaise de l' Année géophysique internationale 1957-1958, située sur la rive nord du Hornsund. Nous savons que des physiciens norvégiens y séjournent, et nous sommes persuadés qu' ils nous recevront à bras ouverts. Ils nous dépannent, en of et, en nous cédant un peu d' essence ordinaire, ce qui nous permet d' atteindre un de nos dépôts.

Un autre souvenir, mais plus agréable, est une journée exceptionnellement calme et ensoleillée passée dans la région du Sörkapp. Nous survolons une mer absolument limpide et bleue où sont parsemés de petits îlots avec criques et plages sableuses. Quel dommage que l' eau soit si froide! Sur la plus grande île, nous découvrons une ancienne hutte où se sont succédé, au cours des hivernages, les plus fameux trappeurs norvégiens. De vieux filets à flotteurs de verre pendent encore aux murs et de vieux fusils achèvent de rouiller; l' un d' eux, moins abîmé semble remonter à l' époque de Napoléon Ier. Mais sur le rivage, deux énormes mines flottantes échouées témoignent d' événements moins lointains. Elles nous rappellent que le « Tirpitz » apporta la guerre dans cette région désolée. Depuis cette époque on ne boit plus son verre « cul-sec » à Longyearbyen, mais on dit: Tirpitz!

Un autre site splendide est la Baie du Roi, où débouche le glacier de même nom. La mine d' Etat de Ny Alesund, exploitée en coopérative, est située sur la rive sud du fjord. Elle a été abandonnée définitivement il y a deux ou trois ans, à la suite d' un grave accident qui fut à l' origine du renversement du gouvernement travailliste alors au pouvoir. Une équipe d' ouvriers entretient encore les installations de surface, qui abriteront bientôt une station de repérage de satellites. La radio fonctionne encore une heure par jour et les maisons petites, sont plus coquettes qu' à Longyearbyen. C' est de Ny Alesund que Nobile s' envola, en 1928, à bord de son dirigeable, et qu' Amundsen décolla à sa recherche, pour n' en pas revenir. Un mat métallique et un monument commémoratif témoignent encore de cette épopée. Non loin du glacier, une équipe de géographes français nous accueille dans son camp semi-permanent où ils voisinent cette année avec une équipe de l' Alle 1 Potage aux betteraves ( réd. ) magne de l' Est. Malgré le temps gris, le survol du front glaciaire est impressionnant. Au nord de la baie d' autres exploitations minières sont abandonnées depuis longtemps: matériel divers non utilisé, wagonnets et locomotives neufs témoignent d' un départ précipité.

L' accès à la côte orientale étant difficile en 1964 à cause du mauvais temps et des glaces dérivantes, ce n' est que pendant la deuxième quinzaine d' août que nous pouvons enfin y travailler. La première fois que l' hélicoptère se pose sur la côte est, le pilote se laisse surprendre par un vent violent et inattendu qui crée remous et turbulences. Pendant de longues minutes, l' appareil est entraîné, presque entièrement hors de contrôle, à une vitesse bien supérieure à la normale. Nous montons verticalement le long d' une falaise pour être plaques sur un glacier sitôt passé la crête, alors que les repères rouges figurant sur les compteurs du tableau de bord sont bien dépassés! Le vent sera notre principale difficulté pendant tout notre séjour sur la côte est.

Si la côte ouest du Spitzberg est relativement civilisée, particulièrement autour de l' Isfjord, où l'on remarque de nombreuses huttes et des équipes scientifiques, la côte est, elle, est extrêmement sauvage et solitaire. Son aspect est rendu plus austère encore par les falaises qui se succèdent et ne ménagent que quelques rares points de débarquement. En certains endroits, des talus argileux, mais extrêmement raides et de plus de 600 mètres de hauteur, plongent des sommets dans l' Océan. De nombreux glaciers débouchent dans la mer, dont un des plus important du Spitzberg, le Negribreen. Tous sont en recul par rapport aux photos aériennes de 1938, à l' exception d' un seul.

Deux camps légers sont installés autour de huttes pas trop délabrées, l' un à Kvalvagen, ( Baie des Baleines ), l' autre à Agardbukta. A Kvalvagen, entre deux anciens fûts d' essence, je découvre une bouteille de whisky, datant de plusieurs années, soigneusement emballée. Sur une carte de visite, un géologue, J. P.C, nous souhaite ironiquement un bon succès dans nos opérations « subtropicales ». Si ces lignes tombent sous ses yeux, qu' il sache que son whisky vieilli était excellent!

Comme pour nous narguer, le temps se met au beau à la fin du mois d' août, alors qu' il est déjà trop tard pour prendre des photos aériennes, le soleil étant trop bas. J' en profite cependant pour exécuter quelques missions lointaines et de rapides reconnaissances. Ainsi, par un après-midi ensoleillé, nous survolons toute la partie nord de la côte orientale et une partie de la Terre du Nord-Est. Ce sont des régions extrêmement englacées où ne pointent que des alignements de crêtes et de sommets. La Terre du Nord-Est est recouverte d' un vaste inlandsis, excepté les rivages nord et ouest. Un large glacier s' en détache au sud et vient flotter sur la mer, telle une monstrueuse excroissance. En cette fin d' été, le Hinlopen Stredet est encore envahi aux 8/10 par le pack, et, au nord, on aperçoit distinctement la banquise solide. A l' est, au-delà d' une mer complètement blanche de glace se devinent les nuances plus foncées de la Terre du Roi Charles, réserve d' ours polaires. C' est un spectacle unique qui ne supporte vraiment aucun qualificatif. Pour la première fois, nous sommes vraiment en contact avec l' immensité glacée de l' arctique.

Au début de septembre, nous appareillons pour la dernière fois du débarcadère de Longyearbyen. L' été est bien terminé: il gèle pendant les nuits maintenant assombries et les sols marécageux, où notre pied enfonçait encore il y a quelques jours, se sont durcis. Les mouettes et hirondelles de mer qui, voici deux mois couvaient et nous attaquaient lorsque nous approchions de leurs œufs, accompagnent maintenant leur progéniture dans un vol chaque jour moins incertain. Une dernière fois, nous passons au large d' Isfjord et nous mettons le cap sur file de l' Ours, située à mi-chemin de la Norvège, et où nous comptons travailler quelques jours.

Sur cette île minuscule, perdue au milieu de l' immense mer arctique, nous sommes maintenant livrés à nos propres moyens: les hélicoptères ont été laissés derrière nous et nous n' osons pas débarquer les véhicules de peur de ne pouvoir les rembarquer, à cause de la houle du large. Nous traver- sons donc l' île à pied à plusieurs reprises. Ici aussi des exploitations de charbon sont abandonnées, pour lesquelles prospecteurs norvégiens, hollandais et russes se sont battus jadis à coups de fusils. Près de Russenhamne ( port des Russes ) où est ancré le Kvitungen, je découvre, dans les soubassements d' une hutte ruinée, un crâne humain, reste d' un mineur ou trappeur malchanceux. Dans cette île où le brouillard règne 360 jours sur 365, nous avons pris l' hiver de vitesse et retrouvé miraculeusement le soleil. Du haut du Miseryfjellet, la vue embrasse toute l' île, des mâts de Björnöya- Radio au nord, aux falaises déchiquetées de la pointe sud.

Au soir de notre dernière journée de travail, le Kvitungen lève l' ancre et prend la direction de Tromsö. En vue des côtes norvégiennes, la nuit enfin retrouvée nous offre une aurore boréale comme souvenir de notre été arctique.

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