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Un sanctuaire au cœur du Tessin Val Verzasca

Du Madom da Sgióf, dans le Val Verzasca, le regard se perd au loin. Plus bas dans la vallée, moult petits coins magiques s’offrent au visiteur. Notre auteur n’est pas le seul à s’en être senti inspiré. Le calme de l’hiver encore balbutiant dans cette vallée habituellement surpeuplée n’y est pas étranger.

La route longe les eaux vert sombre du Lago di Vogorno. Quelques feuilles mortes tapissent ses rives. L’hiver approche. Soudain, au détour d’un virage, un petit hameau apparaît. Accroché à la pente, il semble inaccessible sur l’autre versant de la vallée. Immédiatement charmé par l’harmonie de ces bâtisses judicieusement adossées les unes aux autres, je fais halte sur le bord de la chaussée. Il est des appels auxquels on ne sait résister et il me faut trouver un moyen de parvenir à ce patelin. Quelque peu déçu – on les aimerait tellement secrets ces paradis –, je découvre qu’une route dessert le village. Quelques minutes plus tard, nous nous trouvons sur la place principale. Les lumières se font de plus en plus douces et je ne saurais manquer ces belles heures pour les photos.

Un magnifique campanile domine les quelques mètres carrés de goudron. Pour l' instant, l' heure est aux travaux qui précèdent l' hiver. Sur la place principale, un habitant de Lavertezzo, village situé deux kilomètres en amont, prépare du bois de chauffage pour sa mère. Elle réside ici à l' année et son petit-fils est venu lui prêter main-forte. On débite le foyard à la tronçonneuse, puis on le transporte jusqu' au bûcher, à dos d' homme à l' aide d' un cacolet. Scènes d' un autre temps, que je photographie en ayant l' impression de témoigner d' un passé révolu. Comme le soleil disparaît derrière les crêtes au sud-ouest, semblant tomber dans la Valle Maggia, nous quittons lentement ce monde envoûtant. Si un paradis attend chacun d' entre nous au détour d' un chemin, je crois avoir trouvé le mien ce jour-là… Et si, vous aussi, vous désirez vous rendre en pèlerinage sur les lieux, cherchez Corippo sur vos cartes…

Voilà deux jours que nous profitons du climat tessinois lorsque nous entrons dans le Val Verzasca. Nous ne savons de lui que ce que nous en avons entendu dire: rivière enchanteresse, vallée qui passe pour être la plus belle de Suisse aux yeux de certains. Nous venons donc curieux, mais redoutons une fréquentation trop grande. Nous découvrirons très vite qu' en empruntant les chemins de traverse, on ne croise pas foule, même en ces lieux très courus. Mais avant de se lancer vers les crêtes et autres belvédères, prenons le temps d' approcher cette vallée, son histoire et ses traditions.

Impossible d' écrire sur le Val Verzasca sans parler de la rivière du même nom. Il faut quitter les zones où conduisent les cartes postales pour découvrir pleinement ses trésors. Les gorges entre Corippo et Lavertezzo témoignent des talents de sculpteur de l' eau, pour peu qu' on lui laisse du temps. Gaudí aurait certainement trouvé l' inspiration ici. Nicolas Bouvier n' y a pas manqué et sa plume s' est laissé emporter par les flots: « Aux pluies de printemps et d' automne, elle est violente, bousculante, assourdissante et dangereuse. L' hiver et l' été, elle se contente de peaufiner amoureusement les modifications de son lit causées par les grandes crues. Depuis des millions d' années qu' elle creuse sa vallée, elle a pris le temps d' écrire son livre dans des pierres aussi dures que le granit, la serpentine, une sorte d' obsidienne presque noire. »

La transparence des vasques sculptées le long du lit participe à la célébrité du cours d' eau. Les nuances de verts et d' émeraude seraient à l' origine du baptême de la rivière ( verde acqua, base latine viridis et suffixe asca ). Certains auteurs de traités de toponymie y voient plutôt un rapprochement entre le nom du village principal, Lavertezzo, et celui de la vallée. Comme c' est souvent le cas au Tessin, la rivière aurait pris le nom de la zone et non l' inverse. Difficile de trancher et chacun pourra privilégier l' une ou l' autre explication. Comment toutefois ne pas écouter son cœur et laisser le soin à « l' eau verte » de nous conter son histoire avec poésie?

Sur les rives de cette perle, la vie n' a pas toujours res-semblé à un conte de fée. A l' instar de nombreuses autres vallées alpines, la grande pauvreté qui caractérisait ses habitants n' a quitté le Val Verzasca que récemment. Témoin parmi les plus marquants des traditions d' autrefois, la récolte du foin sauvage, « el fen da bosch » en patois local, occupe, depuis le Moyen-Age, une place particulière.

Les pentes auxquelles le gros bétail ne pouvait accéder étaient fauchées à la main. On formait des meules, que l'on transportait ensuite en plaine ou aux alpages en faisant la chaîne, puis dès 1920 grâce à des câbles, les bordion. Deux raisons principales motivaient ce dur labeur: les prés manquaient sur le fond de la vallée et il fallait pouvoir nourrir le bétail au risque de devoir le vendre. De plus, ce fourrage de qualité moindre alimentait vaches et chèvres lorsque les bêtes ne produisaient pas de lait. Ainsi, quand les activités ne les retenaient pas en plaine, hommes, femmes et enfants gagnaient les flancs escarpés pour rester en montagne. Ils vivaient alors dans de simples abris de pierres et de rochers appelés sprügh. Une fois par semaine, il fallait revenir au village pour s' approvisionner. Les noms de lieux foisonnaient, ce qui facilitait la localisation et l' accès à ces lopins de terre retirés. Chaque petite parcelle, appelée medée, était bien délimitée et la fauche réglementée. Les montants payés demeuraient modestes, mais qui versait plus bénéficiait des meilleurs emplacements. Tout le monde finissait par y trouver son compte, sauf peut-être les marmottes au nez desquelles disparaissait le précieux fourrage… Cette activité exposée reste dans toutes les mémoires, d' autant que de nombreuses familles furent endeuillées par la disparition d' un proche qui l' exerçait.

Le four banal est un autre témoin des traditions encore bien visible aujourd'hui. La suie noircit la quasi-totalité d' entre eux et prouve leur utilisation actuelle. Le four banal fait son apparition au XVII e siècle, alors que jusque-là on se servait d' une pierre chauffée. En parcourant les ruelles des villages, il s' avère difficile de manquer ces belles pièces que les locaux ont su conserver.

Produit commun de nos jours, le pain était précieux dans ces communautés de montagne, comme en atteste une citation de l' époque: « Mangee fromacc, tosoi, che l' pagn o costa » ( Mangez du fromage les enfants, car le pain coûte ). La céréale de base était le seigle, mais on cultivait aussi de l' orge et du millet. Ces derniers servaient à la polenta qui substituait le pain chez les plus pauvres. Le maïs ne les remplaça qu' à la fin du XVIII e siècle, ramené d' Amérique où de nombreux habitants du Val Verzasca ont émigré. Il est intéressant de noter l' importance de l' exode qu' a connu la vallée en prenant comme exemple le village de Corippo: en 1850 il comptait 300 habitants et il en reste 40 aujourd'hui. La construction des 23 kilomètres de route désenclavant les lieux a duré de 1840 à 1874. Résistant à l' usure du temps, le dialecte est encore vivace en Verzasca. Utilisé comme langue usuelle, il s' écrit moins que l' italien. On note des différences d' un village à l' autre, parfois assez marquées. La richesse de ces dialectes témoigne des déplacements de la population, chaque village se laissant plus ou moins influencer par ses voisins. On note aussi l' apport de certains corps de métier: les ramoneurs de la région avait mis en place un langage ar-gotique connu d' eux seuls et qui leur permettait d' échan des paroles qui prêtent à sourire aujourd'hui. On se mettait d' accord sur le soin porté au ramonage avant de débuter, en fonction de l' accueil et de la générosité des clients.

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