Une première ascension hivernale à l'Obergabelhorn (4062 m) | Club Alpin Suisse CAS
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Une première ascension hivernale à l'Obergabelhorn (4062 m)

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Ainsi, par la création de cette belle et féconde réserve des Diablerets—Muveran, l' article 15 de la loi fédérale sur la chasse et la protection des oiseaux se trouve appliqué de façon heureuse. Cet article dit ceci: Des districts francs suffisamment étendus, où la chasse sera prohibée, seront réserves pour la protection du gibier, dans les cantons délivrant des permis. Ces districts sont places sous la haute surveillance de la Confédération. Un règlement du Conseil fédéral en fixera les limites, prescrira une surveillance sévère et ordonnera,pour la protection et la conservation de la faune, les mesures commandées par les circonstances et la situation des lieux.

N' est point là une bonne arme pour les défenseurs de notre faune alpestre?

Une première ascension hivernale à l' Obergabelhorn ( 4062,9 m )

PAR PIERRE SALA, DELÉMONT

Jeudi 27 févrierAvec 1 illustration ( 97Alors, caporal, prenez-vous cette permission de congé ou non? La météo n' est pas brillante du tout, vous savez!

Il y a six semaines que cette permission est en veilleuse et que nous attendons un temps favorable. Ici, à Monthey, le soleil brille; dans le Jura, il neige. D' un bras ferme, il me tend ce petit papier bleu que je prends avec un peu d' hésitation.

- Bon... mais sachez que si vous êtes bloqués à Mountet, il n' y aura plus de congé de cinq jours durant votre payement de galons. Bon week-end et à lundi soir!

Les heures passent; Bernard n' est toujours pas là; la nervosité me gagne; quelques nuages s' a encore aux Dents de Morcles. Mais soudain un ronflement de moteur me sort de ma rêverie. C' est lui! Le voilà! Enfin, nous partons pour Mountet.

Le soir, la tente est dressée au pied de l' arête nord. Le froid nous mord; tout colle aux mains. Un coup d' oeil et on se comprend sans trop de discours. Nous replions la tente et partons coucher à la cabane Mountet. L' heure perdue sur le glacier sera largement compensée par une bonne nuit sous un toit. Quelques coups de pelle pour dégager la porte, et la cabane est à nous.

En rangeant nos effets, nous apercevons soudain des casiers pleins de vivres et de matériel d' escalade. Le livre de cabane nous apprend que deux cordées, et non des moindres, se sont déjà attaquées à cette paroi, mais sans succès.

Vendredi 28 février Ce matin, le temps est splendide. Malgré tout, nous décidons de ne pas partir encore et, afin de nous acclimater, nous allons faire la trace et étudier la face. Ce sera tout cela de gagné pour le grand jour. Vers 10 heures, chaussés de nos skis, nous partons en direction de l' arête nord. Au pied du couloir, nous échangeons nos skis contre les crampons et, tout en admirant le magnifique paysage, nous nous élevons peu à peu. Dans le courant de l' après, nous sommes de retour à la cabane, et nous préparons nos sacs pour le lendemain. Un coucher de soleil magnifique vient encore confirmer que le temps est sûr. Il nous semble que toutes les montagnes prennent feu. Le spectacle est féerique. Mais nous allons bientôt nous allonger, car demain il faudra partir très tôt.

Samedi 1 er mars Il est 1 heure lorsque nous fermons la porte du refuge. La lune nous éclaire par une nuit glaciale. En moins d' une heure, le glacier est traverse. Soigneusement, nous nous préparons et attaquons. Les traces faites la veille ont complètement disparu. La neige a tout recouvert. Nous progressons lentement, mais régulièrement. Dans la vallée, les lumières s' éteignent une à une, ainsi que les étoiles dans le ciel. A 8 heures, la première difficulté est derrière nous: la rimaye est franchie. Mais ce sont les cinq cents derniers mètres qui nous donnent a réfléchir. La pente s' élance d' un coup vers le ciel presque noir.

Les longueurs de corde de cinquante mètres se succèdent régulièrement. Vraiment, les conditions sont idéales et c' est sans taille que nous atteignons le premier tiers de la face.Vers midi, Bernard se bat toujours avec la face, et il taille dans une glace aussi transparente que du verre et aussi dure que l' acier. Il nous reste encore trois ou quatre longueurs de corde à faire, et nous serons au soleil! Plus question de bivouaquer!

Cette dernière partie nous prend un temps fou. Les heures passent comme des minutes, et la pente se redresse toujours plus. Le cap des 70 degrés est atteint. La glace claire ne se laisse entamer que très difficilement. La pointe du piolet résonne et les vis à glace ne mordent plus. La clef de l' ascension est là, devant nous. Durant quatre heures, nous avançons lentement, évitant tout geste brusque, car l' assurage est aléatoire. Le vide s' est encore creusé sous nos pieds. Quel « gaz »! Mais tout a une fin, même la corniche du sommet, qui nous demande une heure et vingt minutes d' efforts. Peu avant 16 heures, heureux, nous pouvons enfin nous asseoir au sommet de l' Obergabelhorn. La face nord-est est derrière nous! Elle est vaincue!

Oubliés le froid, le vide, la fatigue, les morceaux de glace ronflant et sifflant autour de nous, voire sur nos têtes! Finis les longs arrêts de relais avec pour seule vue la pente vertigineuse et fuyante. Maintenant, le soleil couchant nous réchauffe de ses derniers rayons. La vue aussi a changé. Quel beau spectacle que tous ces sommets autour de nous! Tous les 4000 du Valais sont présents. Aussi loin que le regard porte, ce ne sont que sommets se découpant sur un ciel d' un bleu intense. Pas un nuage, pas un bruit. Pendant que nous nous reposons, cette vue grandiose fait déjà germer en nous de nouveaux plans. Tout à coup, un sifflement: un DC-9 passe juste au-dessus de nous, puis le calme et la paix reviennent.

Trêve de flâneries! Nous devons penser au retour. La descente par l' Arbengrat nous semble trop périlleuse, à cause de ses immenses corniches. Nous optons pour l' arête nord, qui nous semble en excellente condition. Nous aurons encore l' avantage de retrouver directement nos skis.

Après une heure d' arrêt, la longue descente commence. En effet, les conditions sont bonnes. La neige est dure. Tout en descendant, nous avons la joie d' assister au feu d' artifice du soleil couchant. Rapidement, le froid devient piquant, mais il ne nous importune plus; nous savons que dans quelques heures nous serons au chaud à la cabane.

Arrivés au haut du Cœur, nous nous laissons glisser dans un couloir qui nous conduit directement sur nos traces de montée. La lune a refait son apparition et nous offre à nouveau sa lumière. L' ombre du Rothorn de Zinal s' allonge sur tout le Glacier de Mountet. La glace vive des séracs brille comme un miroir. Nous évitons la barre de séracs; sans hésiter, nous nous décordons et hop, sur le derrière! Une belle glissade, un saut par-dessus la rimaye, et nous voilà à nos skis. Une heure de ski, et il est 21 heures lorsque nous passons de nouveau le seuil de la cabane Mountet. Il y a vingt heures que nous en sommes partis! Enfin, nous allons pouvoir nous restaurer, car, de toute la journée, nous n' avons « mangé » qu' une vingtaine de « sucres » de raisin.

Dimanche 2 mars C' est le retour. Le ciel se couvre et déjà quelques nuages s' accrochent à la Dent Blanche. Les conditions de neige sont excellentes. Dommage que nos sacs soient si lourds! Une heure et demie après notre départ, nous arrivons à Zinal. Pour ne pas changer, le soleil est de la fête. Il est 11 heures, et la foule bigarrée des skieurs fourmille autour de nous. Nous nous faisons très petits et essayons de passer inaperçus. Mais nous avons plutôt l' air de Martiens débarqués au milieu des élégantes. Tout à coup un « Hep! les gars d' où venez-vous? » nous cloue sur place. C' est le guide Louis Epiney et son compagnon Vianin, gardien de Tracuit, qui nous dévisagent d' un œil critique.

- Alors, on vient d' où?

- De Mountet.

- Mais encore, avec cet attirail...?

- De l' Obergabelhorn.

- Par où?

- La face... nord-est.

- La face nord-est? Mais c' est une première hivernale! Bravo!

Nos sourires s' élargissent. La fatigue est oubliée. Les sacs... on ne les sent plus. Devant un petit verre de nectar valaisan, nous contons notre course à nos deux nouveaux camarades, qui n' en croient pas leurs oreilles.

Là-haut, que la montagne est belle! Et ici, que les gars sont sympathiques!

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