Variabilité de la couverture neigeuse. Hasard ou modèle mathématique? | Club Alpin Suisse CAS
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Variabilité de la couverture neigeuse. Hasard ou modèle mathématique?

Variabilité de la couverture neigeuse

La couverture neigeuse est un mélange d' éléments causaux et d' élé fortuits qui varie selon la situation. En fonction du niveau à définir selon lequel on considère la couverture neigeuse, sa variabilité permet de déceler certains modèles mathématiques. Cette variabilité aura ensuite des conséquences favorables ou défavorables sur les risques d' avalanches.

Deux skieurs empruntent successivement une pente de neige profonde vierge. Le second, qui suit un parcours parallèle à cinq mètres à gauche de la première trace fraîche, déclenche au troisième virage une avalanche de plaque de neige. Bien que ce scénario soit rare, nous le connaissons tous. Le « responsable » de ce déclenchement est, selon l' avis général, la variabilité de la couverture neigeuse. La comparaison aujourd'hui très répandue de la stabilité du manteau neigeux avec un champ de mines se fonde sur le fait que cette stabilité change totalement en l' espace d' un mètre, que la stabilité est répartie de manière chaotique et qu' en conséquence il n' existe pas de modèle reproductible. Le déclenchement d' une avalanche serait ainsi un pur hasard. Plusieurs études effectuées au cours des dix dernières années avaient pour but d' étayer cette vision de la couverture neigeuse, sans véritable succès toutefois. Il est encore trop tôt pour tirer des conséquences claires des résultats des travaux de recherches pour ce qui concerne l' évaluation des dangers d' ava. En se basant sur diverses tendances, la question s' est posée de l' am de la variabilité et de ses effets sur la formation d' avalanches: la variabilité est-elle bonne ou mauvaise? Quelle variabilité joue un rôle déterminant dans la formation des avalanches? La variabilité se situe-t-elle sur une distance d' un mètre? Au niveau d' une pente? Ou à l' échelle d' une région?

Similitudes régionales Au cours de l' hiver 1994/95, des skieurs ont déclenché d' innombrables avalanches en l' espace de trois jours, au début du mois de janvier, en particulier depuis les Alpes vaudoises jusqu' à la Silvretta et la région de l' Arlberg. Dix skieurs ont perdu la vie dans des accidents d' avalan. Visiblement la situation était critique dans une grande partie de l' espace alpin. Que s' est passé exactement? Après un début d' hiver avec peu de neige, il a neigé sans interruption pendant quatre jours en particulier dans les parties nord des Alpes suisses. La plupart des avalanches provoquées par des skieurs n' eurent cependant pas lieu dans les régions avec beaucoup de neige fraîche, mais plus au sud où les hauteurs de neige fraîche n' étaient « que » d' envi 30 à 50 cm. Le fondement fragile n' y était recouvert que par une couche modérément épaisse de sorte que les conditions de déclenchement par les skieurs étaient « idéales ». Par conséquent, c' était moins la variabilité de la couche fragile que l' épaisseur de neige fraîche, c'est-à-dire la variabilité de la « plaque de neige », qui a joué un rôle déterminant. Si nous examinons la stabilité du manteau neigeux ou plus précisément sa variabilité par rapport à ce critère régional, nous trouvons fréquemment des situations comparables, c'est-à-dire des modèles, car les conditions météorologiques à l' origine de la situation critique sont similaires pour de grandes parties des Alpes suisses. C' est d' ailleurs sur la base de ces modèles qu' il est possible de prévoir des niveaux régionaux de danger d' avalanches.

Variabilité en fonction de diverses échelles de grandeur Il est bien possible que des conditions similaires règnent donc au niveau régional et aussi local. Dans le cas décrit ci-dessus de déclenchement par un second skieur, la question porte cependant sur les différences qui caractérisent des pentes similaires ou qui apparaissent au niveau

Le vent a causé une haute variabilité. Peu de parties du versant semblent, compte tenu des prochaines chutes de neige, être encore suffisamment homogènes pour qu' une rupture d' avalanche se produise Pho to s:

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d' une même pente et dans la zone de la trace. Il s' agit finalement de tenir compte également de la variabilité sur des espaces parfois aussi petits qu' un mètre et – si on se concentre sur la structure des couches fragiles – il faut également tenir compte de l' échelle des cristaux de neige ( voir tableau ). Pour toutes ces échelles de grandeur, les paramètres les plus divers de la couverture neigeuse peuvent varier, qu' il s' agisse de la hauteur de neige, de la constitution superficielle du manteau neigeux ou encore de la nature et de l' étendue des couches fragiles. La valeur la plus importante et quasi immuable est

Les différentes couches semblent être largement homogènes Sur l' échelle au niveau local ( compartiment de terrain, vallée ), ce sont surtout les effets du vent

naturellement la configuration du terrain: déclivité, exposition, configuration, situation de la pente. Pour ce qui concerne le terrain, nous avons déjà l' habitude de penser en termes de modèles. Plus une

La variabilité peut différer ou être similaire sur des surfaces d' étendue variable. Entre une région couvrant plusieurs kilomètres et l' espace d' un cristal de neige de quelques millimètres, on compte six échelles de grandeur différentes

Tableau de variabilité selon différentes échelles de grandeur

Echelle Portée Région 10 – 100 km Local, compartiment de terrain 1 km Pente unique 10 – 100 m Trace 1 – 10 m Pelle 0,1 – 1 m Cristal de neige 0,1 mm – 1 cm sur des grands espaces qui sont facilement reconnaissables comme modèles mathématiques

pente est raide, plus elle est critique; plus elle est exposée à l' ombre, plus l' évalua est délicate.

Formation de fissures... Comment la variabilité apparaît-elle sur ces différentes échelles et quelle est celle qui intervient dans la formation d' ava

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lanches? Commençons par la seconde question. L' élément déterminant dans le déclenchement d' une avalanche est la formation et la propagation de fissures dont l' apparition nécessite la conjonction de plusieurs conditions. C' est ainsi qu' il faut, par exemple, que la rupture initiale ait une taille déterminée pour qu' elle puisse se propager et donner lieu à un décrochement d' avalanches. On estime aujourd'hui que cette taille se situe entre 10 cm et 10 m. Il semble que la variabilité au sein même d' une distance d' un mètre joue un rôle déterminant pour l' apparition d' une rupture initiale. Si la surface neigeuse varie fortement sur une petite distance ( 0,. " " .1–1 m ) avant de nouvelles chutes de neige, les surfaces de rupture initiale ne seront pas suffisamment grandes pour que la rupture puisse se propager sur toute la pente. Une grande variabilité sur une distance d' un mètre est par conséquent un facteur positif de stabilisation. Cela signifie que, sur une petite distance, il peut y avoir un très grand nombre de points fragiles, mais qu' en raison de la forte variabilité ceux-ci ne peuvent pas fusionner.

... et propagation de la rupture Imaginons maintenant que les propriétés de la couverture neigeuse d' une pente varient tous les quelques mètres, c'est-à-dire qu' elles restent identiques sur plusieurs mètres. Il est possible dans ce cas qu' une surface de rupture initiale suffisamment grande se forme à l' intérieur

Très faible variabilité en surface: « favorable » à la formation d' avalanche Pendant que l' arête dorsale est, au premier plan, balayée par les vents ou du moins très irrégulière et variable, la plupart des versants semblent très homogènes. C' est entre autres pour cette raison que la montée par la croupe est plus sûre que par la combe

d' une couche fragile cohérente ou à la limite d' une couche, de sorte que les conditions de propagation de la rupture soient réunies et que celle-ci puisse donc s' étendre. Il faut donc une zone relativement grande – de plusieurs mètres – présentant des caractéristiques similaires. Si la variabilité à l' échelle d' une pente unique est très grande, on observe, indépendamment de la stabilité moyenne, la présence de nombreux points ou surfaces où la formation d' une rupture initiale peut commencer. Mais à côté de ces points ou surfaces, il y a également sur la pente des zones fermes pouvant interrompre la propagation de la rupture et empêcher le décrochement de la plaque de neige.

Couches fragiles ou limites de couches Les échelles plus grandes encore au niveau local ou régional ne jouent pas un rôle déterminant dans le processus individuel de formation d' avalanches. Ce qui est important à cet égard est la présence ou non de couches fragiles ou de limites de couches. Dans l' affirmative, les facteurs déterminants sont la résistance et le type de recouvrement. La dureté et l' épaisseur de la plaque de neige qui recouvre ces couches sont donc tout aussi importantes que les propriétés de la couche fragile. La question des modèles qui se pose alors concerne l' exposition et l' altitude. Ainsi, par exemple, il est important de savoir si le givre de surface n' était présent qu' à une altitude déterminée, car ce n' est qu' au niveau de la limite supérieure du brouillard que les conditions étaient favorables à sa formation. Ou bien sa présence se limite-elle aux pentes à l' abri du vent, par exemple aux pentes orientées au sud-est, parce qu' aux autres orientations il a été éliminé. Il est fort possible que le givre de surface constitue la couche fragile présentant le plus de variabilité, car les cristaux fragiles sont facilement détruits – par exemple par le vent. Les formes de grains les plus fréquemment trouvées dans les couches de rupture d' avalanches provoquées par des skieurs sont cependant des formes angulaires. Celles-ci apparaissent principalement à la surface neigeuse pendant les périodes sèches et froides, et donc généralement très répandues.

Comment apparaît la variabilité? Qu' est qui est à l' origine de la variabilité? Une fois de plus, il s' agit de tenir compte de la couche fragile ainsi que de la neige qui la recouvre, c'est-à-dire la plaque de neige. La formation de couches fragiles apparaît principalement à la surface de la couverture neigeuse dans des conditions météorologiques données – une croûte, par exemple, ne se forme que sur les pentes ensoleillées et le givre de surface n' apparaît qu' à une altitude déterminée. Par conséquent, l' ampleur de la variabilité au niveau régional ou local est largement déterminée – provoquée – par le terrain. Après ou parfois aussi pendant la formation des couches fragiles, c' est surtout le vent qui entraîne des différences sur de petits espaces, c'est-à-dire sur une échelle de quelques mètres voire de quelques centimètres. Lorsque le vent est très tourbillonnant, il peut donner lieu à des modèles très chaotiques. La variabilité sur cette échelle est donc surtout aléatoire – stochastique – en raison de l' influence du vent. Il n' est pas rare alors que les différences soient si

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grandes ou concernent des espaces si petits qu' elles ont également un effet stabilisateur.

Variabilité de la plaque de neige Il n' y a pas que les couches de neige fragiles qui varient. Le vent a également pour effet de recouvrir les points faibles de la couverture neigeuse d' une couche de neige d' épaisseur variable. Il arrive ainsi que les déclenchements d' avalan se produisent à des endroits relativement peu enneigés où l' épaisseur qui recouvre la zone fragile est plutôt faible, par exemple dans la zone de passage d' un creux vers une bosse. Cette situation se rencontre surtout au début de la saison hivernale ou de la période de plein hiver. Ce recouvrement ou ces propriétés de la plaque – qui peuvent quelquefois être mis en évidence en sondant avec un bâton de ski – sont généralement plus faciles à évaluer que les propriétés ou la formation d' une couche fragile.

Composante causale et composante fortuite Il s' agit de mettre en évidence le fait que la variabilité contient à la fois une composante causale et une composante fortuite. Selon l' approche, l' interaction des deux composantes sera différente. De plus, chaque couverture neigeuse ayant une tendance à l' instabilité n' est pas composée d' une même proportion d' éléments causaux et d' éléments fortuits. Selon la nature de la couche fragile, il est possible que cette interaction varie dans son mode d' apparition.

Modélisation Ces exemples montrent qu' il est essentiel de bien comprendre les critères de la variabilité, d' identifier des modèles éventuels et de tenir compte également des effets stabilisateurs de la variabilité. Il s' agit en fait d' affiner son sens de la modélisation, c'est-à-dire d' identifier la variabilité et d' évaluer si sa nature joue un rôle déterminant dans la formation d' avalanches. La probabilité de décrochement – et donc aussi le risque d' ava – sera différent en fonction du type de couche fragile et du modèle qui y est associé. Il s' agit de vivre avec la variabilité, non pas de manière fataliste, mais d' être activement à l' affût de toute instabilité et de se comporter en conséquence.

Les limites des possibilités d' identification Avant des chutes de neige annoncées, il est surtout utile d' avoir à l' esprit les principaux modèles relatifs à la surface du manteau neigeux intervenant dans la formation d' avalanches, car ceux-ci jouent souvent un rôle déterminant par

La variabilité est rarement aussi visible dans l' échelle « trace ». De faibles chutes de neige combinées au vent ont conduit à ce que la surface comporte des irrégularités Tourbillon de vent: la variabilité de la couche neigeuse à cette échelle est donc surtout stochas-tique, c'est-à-dire aléatoire Des modèles qui se distinguent nettement les uns des autres au-dessus et en dessous de la limite de la forêt, où le vent a fortement œuvré. Dans une telle situation, le niveau de danger peut changer d' une seconde à l' autre avec l' altitude, c'est-à-dire augmenter d' un degré de danger Pho to s: Jür g Sc hw ei ze r

la suite. Les difficultés d' identification de la variabilité de la couverture neigeuse peuvent toutefois aussi, dans certaines circonstances, imposer des limites évidentes à ce processus. Plus les modèles seront petits, plus la variabilité sera incalculable – parce qu' elle est à peine identifiable –, plus il sera indiqué de prendre des mesures de précautions complémentaires. Naturellement, le comportement en fonction des nouveaux modèles actuels identifiés doit toujours être comparé aux modèles statistiques généraux sur lesquels se fonde en quelque sorte la méthode de réduction. Même lorsque les causes et les conséquences de la variabilité seront mieux connues, on ne pourra jamais oublier que le lieu et le moment précis d' un départ d' avalanche sont imprévisibles. La couverture neigeuse est en effet un mélange d' éléments causaux et d' élé fortuits, qui varie d' une situation à une autre et qui n' est pas totalement identifiable dans son ensemble. a

Jürg Schweizer, ENA Davos ( trad. )

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