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A la découverte de la montagne

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Avec Y illustration. ParPar Maurice Zermatfen.

Le monde se fait chaque jour plus petit. Chaque jour, la guerre ferme aux hommes un nouveau coin d' horizon. Nous imaginions volontiers qu' au moyen âge il n' y avait autour de l' homme que de l' ombre et des empêchements. Comme il ne pouvait forcer le trot de son cheval, ni prolonger indéfiniment son propre effort, il nous paraît que le voyageur d' autrefois était privé d' espace, n' ayant à sa disposition que la province qui l' entourait. Et pourtant, le pèlerin allait en Espagne, à St-Jacques de Compostele; il passait les mers, n' avait de cesse qu' il n' eût baisé la Terre Sainte. Marco Polo découvrait la Chine. Parfois, des peuples entiers se mettaient en marche. On traversait le continent. On abordait sur des terres nouvelles. Le monde était grand.

On avait tant à découvrir en surface que l'on oubliait la hauteur et la profondeur. Puis l' homme a commencé d' aller vite. Alors le monde s' est rétréci. Aujourd'hui, notre monde à chacun est un canton si infime de l' uni que la nostalgie nous saisit des grands espaces fermés. Nous ne pouvons plus partir. Partir, c' est aller au-devant de grandes découvertes personnelles. Nous ne pouvons plus que nous absenter. Mais pour si peu de temps! En surface, l' évasion n' est plus permise. Il faut trouver autre chose. Il faut trouver mieux. Il faut chercher dans la verticale.

Ainsi, les expériences de l' humanité sont toujours les mêmes. La technique ne change pas le cœur de l' homme, cet insatisfait qui demande toujours autre chose. Par bonheur, cet appétit de changement est parfois la source de joies merveilleuses. Suivons un instant, de découverte en découverte, le voyageur novice qui découvre les Alpes valaisannes. A partager sa joie, nous nous évaderons nous-mêmes. Mais il faut toujours reprendre les choses par le commencement.

Passé St-Maurice, le voilà d' abord un peu perdu. Il regarde à droite, il regarde à gauche mais à quoi son regard pourrait-il s' accrocher? Il n' y a rien d' humain dans ces pierres, lui semble-t-il, et, au-dessus des forêts, déjà portée dans l' espace comme une apparition monstrueuse, la draperie souveraine des Dents du Midi lui paraît fermer la scène immense d' un théâtre interdit.

Il faut s' introduire ensuite à petits coups dans la vallée. Dans la vallée centrale d' abord, cette plaine du Rhône transformée en verger mais brûlante dans le brasillement du soleil. Nous avons quitté le train car déjà, dans ce royaume, nous éprouvons le sentiment que le temps ne compte plus. Royaume limité si parfaitement dans sa base, circonscrit comme une image de géomètre mais dès que le regard s' élève il bondit sur les crêtes, les collines, les arêtes et le voilà qui s' en va jusqu' à l' infini, porté en avant par d' immenses perspectives.

Pour certains c' est déjà presque une ascension. On monte au château qui domine la plaine, on redescend. On visite l' église et le cimetière, avec ses Die Alpen — 1941 — Les Alpes.22 petites croix de bois. On entre dans l' auberge encore fraîche. Devant le demi de blanc, le contact est pris. Le Grand Combin peut bien flotter, là-haut, comme un nuage, un beau nuage de neige en plein soleil: il ne nous impressionne plus. Ce vin qui sent la pierre chaude nous donne les audaces nécessaires. Demain, nous gravirons le deuxième échelon.

Tout ceci, certes, paraîtra bien enfantin à ceux qui partent de chez eux bardés de crampons, de pitons, ceints de cordes et déjà sûrs de leur chemin. Mais ce n' est pas à ceux-là qu' il convient de s' adresser. Ceux-là, comment admettraient-ils qu' on leur parle de la montagne? Ils savent que la montagne, comme la mer, ne se met pas en recette de littérature. Et qu' il vaut mieux se taire devant l' inexprimable. En revanche, l' ambition de conduire quelqu'un jusqu' au seuil du mystère est peut-être légitime.

La deuxième étape nous conduit dans un village de la montagne. Il faut d' abord faire la connaissance de ce nouveau pays. A droite, à gauche de la vallée centrale, des vallées se sont ouvertes, se sont enfoncées dans l' appa obscurité de la montagne. La même image se répète de toutes ces pentes tendues vers en haut, âprement, de ces collines, de ces crêtes, entrevues hier de loin, maintenant nous barrant le passage. Toute cette succession de plans semble avoir été réglée par un peintre tant les couleurs en sont variées, les lignes complémentaires, et, dans leurs replis, les villages mûrissent au soleil leur vie pauvre et sans cesse menacée.

Ces coteaux, remarquons-le en passant, ne connaissent pas d' achèvement plus parfait que les maisons de bois confiantes et humbles sous les mains jointes de leurs toits aigus.

Le calme et le silence de ces vallées, leur douceur prenante, souvent, au centre d' un rude paysage font qu' on les choisit de préférence à tout autre refuge quand on désire retrouver le goût originel de la vie. Tout y est simple et grand dans le dépouillement de la pauvreté. On conçoit ici le parfait accord de la vie de l' homme avec la terre. N' est pas ce secret que Dalcroze exprimait parfaitement dans une chanson populaire:

« Quand on est de la montagne On ne peut jamais l' oublier. » C' est là que l' âme de ce peuple s' épanouit dans sa réalité quotidienne. C' est dans ce petit hameau qui se serre autour de la chapelle, dans ce mince chef-lieu dont les maisons de mélèze reçoivent de l' église leur sérénité qu' il faut s' arrêter longtemps et chercher sa joie. C' est là que nous aurons la révélation des secrets de la montagne.

Au-dessus des villages, les pentes recommencent de monter. Toutes les lignes se tendent de nouveau irrévocablement vers le ciel. Cependant, il n' est rien en elles qui nous blesse ou nous écrase. Car, si l'on y regarde de près, cette même ardeur qu' elles mettaient d' abord à s' élever, ces montagnes, elles l' emploient soudain à s' apaiser. Brusquement, l' arête casse, à mi-chemin du ciel, là où notre regard peut encore la suivre sans effort, elle commence à se tendre avec régularité autour du monde, marquant les limites de l' univers, les dernières possibilités de la terre et de la pierre et de la glace.

Entre les limites ainsi marquées durement par les cimes et doucement par sa plaine, le Valais répond fidèlement aux vers de Rilke: Pays arrêté à mi-chemin entre la terre et les cieux...

à mi-chemin entre les basses terres qui, du lac, descendent vers la mer, se répandent en vastes plaines aux horizons indéfinis, et ces régions non moins indéfinies que peuplent les nuages et quelques grands oiseaux solitaires.

Devant cette image d' un pays qui s' élève sans cesse vers la pureté des neiges, on ne peut point écarter de soi le souvenir des cathédrales. En elles aussi, tout converge vers la blancheur des nappes devant l' autel, et vers les voûtes qui ont la forme des cieux entre les deux pans de la vallée.

Mais, on le répète, c' est à mi-hauteur qu' il faut se placer pour prendre pleinement conscience du caractère aérien de ce pays. Trop haut, le monde cesse de nous appartenir. Trop bas, le poids des masses qui tombent nous oppresse quelque peu. Mais, dans cette zone où les mélèzes lancent la finesse de leurs flèches, l' homme se sent merveilleusement libre, merveilleusement apte à jouir de la grandeur.

Alors, ce pays, vous commencerez de l' aimer. L' amour vous entraînera plus loin, plus haut. Obéissant aux lois de l' instinct, vous voudrez en prendre totalement possession. Il ne sera pas dit que cette cime éblouissante, chaque matin plus belle, plus tentante, et chaque matin plus éloignée, il ne sera pas dit que vous repartirez avant de l' avoir vaincue. Ce désir vous vient malgré vous, malgré votre apparente sagesse. Il s' insinue tandis qu' autour de vous on raconte des histoires... Il vous tient, il vous hante dès que vous levez la tête. Puis, vous vous mettez en route. Après, c' est à vous de prendre la parole. Car vous ne supportez plus, sur votre divinité, des mots qui n' ont pas un certain accent.

Ce que vous inscrirez sur votre carnet de routes, ce sont les plus belles étapes que l' homme puisse accomplir. De la cabane au sommet, vous comp-terez les heures. Mais ce que vous ne saurez pas traduire, c' est cette exaltation de l' être, cet épanouissement de votre cœur gonflé jusqu' à ses limites. Et comme mesquine vous paraîtra la vie, ensuite, qui n' est pas enchantée par ces grands souvenirs! Observez un fervent de la haute montagne: II y a dans son regard un infini que seuls possèdent aussi les yeux des marins.

Pour beaucoup qui la regardent de loin la montagne est monotone comme la mer. L' une et l' autre ne sont en fait que variété et changement. Des formes nouvelles sont sans cesse inventées qui se découvrent à chaque pas. Des jeux de couleurs et de lignes s' harmonisent au fur et à mesure que vous avancez. Et demain ne ressemble pas à aujourd'hui. C' est un visage d' une mobilité prodigieuse, qui ne vieillit pas, ne se ride pas, mais se modifie à chaque heure tout en restant le même...

Est-ce que tout cela est valable pour toutes les montagnes? Je n' en sais rien. Ce qui est sûr, en revanche, c' est que l' homme suspendu à la roche, que cette roche soit valaisanne ou savoyarde, sait que la vie est belle parce que fragile, et que le monde, en hauteur, demeure grand et beau. C' est une leçon précieuse en ces temps de tristesse.

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