Aconcagua, 1<sup>re ascension par le versant ouest et l'arête sud | Club Alpino Svizzero CAS
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Aconcagua, 1<sup>re ascension par le versant ouest et l'arête sud

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Première ascension par le versant ouest et I' arête sud

Première ascension par le versant ouest et I' arête sud Frédéric et Dorly Marmillod, lieutenant F. Ibanez t, F. Grajales, 18-24 janvier 1953 Avec 3 illustrations ( 6-8Rar p> Marmî||od La grande « paroi sud » de FAconcagua ( en réalité sud-est ) est séparée du flanc occidental par une longue arête qui plonge du sommet sud dans les profondeurs de la vallée des Horcones, en direction générale sud-sud-ouest. C' est par cette arête que s' est terminée notre ascension, à partir de 6600 m. environ, l' itinéraire se déroulant jusque là dans le versant ouest. Entre 6000 et 6600 m ., l' arête forme de grandes tours de conglomérats qui la rendent impraticable. Plus bas, elle se divise et se perd dans une muraille ( sillonnée de couloirs ) qui peut être aisément contournée par des pierriers.

Les observations réalisées de différents sommets du « Cordon de los Dedos », en février 1952, nous avaient permis d' étudier avec soin notre itinéraire et de repérer en particulier un grand couloir, proche de l' arête sud, qui semblait offrir une voie propice pour gagner sa partie supérieure. Une dernière reconnaissance par le vallon « Sargento Mas », situé du côté sud, nous permit de vérifier que l' accès y était moins favorable et que le point de départ le plus indiqué était bien Plaza de Mulas. Cette reconnaissance nous donna l' occasion de visiter le chaînon secondaire qui divise les deux vallées des Horcones. Son point culminant est un double sommet de rocs empilés, d' environ 5500 m. d' altitude, d' où la vue sur la paroi sud-est de 1' Aconcagua est vraiment saisissante. C' est pourquoi nous avons proposé de l' appeler « Cerro Mirador » ( lre ascension F. et D. Marmillod, 11 janvier 1953 ). La carte argentine au 1: 50 000 fait dériver ce chaînon du point 6707 de l' arête sud de 1' Aconcagua et y indique un sommet de 6089 m.; en réalité il dérive du point 6009, et le sommet 6089 m. n' existe pas.

Le 18 janvier 1953 nous quittons Plaza de Mulas ( 4250 m .) avec trois mules légèrement chargées pour aller camper à mi-hauteur dans le versant ouest, au pied des premières parois rocheuses qui ceinturent tout ce flanc de la montagne. Après un premier trajet horizontal en direction sud il faut traverser une gorge et gravir une longue rampe de pierriers raides ( bien visibles sur la photo page 269 de Berge der Welt, VII ). Certaines parties sont difficiles pour les mules, qui s' aventurent pour la première fois dans ces parages. Bien que nous ayons passé une journée entière à préparer le chemin avec nos piolets, une bête fait une dégringolade spectaculaire d' une cinquantaine de mètres - heureusement sans suites graves ni pour elle ni pour notre équipement. Nous avions déjà reconnu ce parcours et repéré l' emplacement du camp ( 5500 m. environ ) une année auparavant, en compagnie des membres de l' expédition française au Fitz Roy.

Le rôle ingrat de ramener les mules dans la vallée échoit à notre compagnon J. Guajardo. C' est également lui qui se chargera de récupérer plus tard nos tentes - car pour la suite nous n' emporterons que du matériel de bivouac léger: matelas pneumatique court, sac de couchage, un Zdarsky pour les quatre.Le 19 nous allons en reconnaissance et le 20 nous nous mettons en route de bon matin, chacun avec un sac d' une quinzaine de kilos. Le temps est beau, mais une bise glaciale souffle du nord-ouest; entre les rafales on entend son vacarme dans les hautes parois qui nous dominent. Nous devons suivre plus ou moins horizontalement le pied des parois en 1 Le lieutenant F. Ibanez est décédé le 30 juin 1954 à l' hôpital de Khatmandu, où il avait été transporté à la suite des gelures subies au Dhaulagiri.

direction de l' arête sud, distante de deux à trois kilomètres. La base du grand couloir que nous voulons remonter se trouve vers le milieu de cette distance, au-dessus d' un premier mur d' une centaine de mètres de hauteur. A des vires couvertes de cailloux succèdent plusieurs cônes d' éboulis, sans qu' il se présente de passage commode pour gagner le faîte du mur. Son escalade semble possible à l' aplomb du grand couloir et nous l' avons même réussie partiellement lors de notre exploration de la veille, mais le désir de ménager nos forces nous incite à chercher plus loin. Passant au-dessous de fantastiques orgues creusées par le vent dans les friables conglomérats, nous découvrons finalement, à brève distance de l' arête sud, un profond couloir encombré de neige et de glace, dans lequel nous nous engageons. Il mène à la brèche qui est au nord du point 6009, et nous devons monter presque jusqu' à cette brèche avant de pouvoir sortir sur la gauche. Tournant alors le dos à l' arête, nous redescendons obliquement de 200 m. par une pente d' éboulis et rallions le pied de notre grand couloir ( 5700 m. ). Ce que nous en voyons a l' air assez encourageant, mais l' après est déjà avancée et nous hésitons à nous engager à une heure aussi tardive dans cette immense glissoire. Un abri naturel qui s' offre pour notre bivouac achève de nous décider à remettre la suite au lendemain.

Le 21 nous attaquons de bonne heure le couloir; d' abord par des dalles où nos vibrams font merveille, puis sur une excellente neige. Le temps reste beau, mais le vent souffle de plus belle et ses rafales menacent souvent de nous faire perdre l' équilibre. Après nous être élevés de quelques centaines de mètres nous arrivons à une gorge où le couloir s' étrangle entre deux parois rocheuses. La chance est avec nous: au lieu du mur que nous redoutions c' est un chenal de neige bien propre qui apparaît. Nous nous encordons deux à deux et chaussons les crampons. Plus haut le couloir s' évase de nouveau. Un vaste plan incliné lui succède qui s' appuie à droite sur l' arête et va buter contre une paroi verticale ( qui forme un ressaut de l' arête ) dont la hauteur diminue progressivement vers la gauche. C' est à cette extrémité gauche que nous installons notre deuxième bivouac, dans une sorte de chenal creusé entre le sommet d' un névé et le pied de la paroi ( 6400 m. environ ).

La nuit est pénible. Sans que le temps se soit franchement gâté, notre montagne doit être coiffée de nuages qui déversent des douches continuelles de fin grésil. Je rêve d' un génie malfaisant, embusqué au haut de notre chenal, qui actionnerait en ricanant un gigantesque vaporisateur. Nous nous recroquevillons dans les sacs de duvet et sous le Zdarsky, mais la semoule glacée trouve quand même des interstices par où pénétrer. Lorsque, le lendemain, une éclaircie nous décide à sortir de nos carapaces, notre énergie est au point bas et nous ne savons trop que faire. Finalement nous devons nous résigner à rester sur place pour nous rétablir. Si le temps le permet nous tenterons la traversée. Sinon, il faudra redescendre... Vers le soir le ciel se purifie, le couchant prend des teintes de bon augure. La courbe de notre optimisme remonte.

23 janvier. Dès 2 heures du matin la flamme du réchaud à alcool fait entendre son sympathique ronron. Au petit jour nous bouclons nos sacs et partons pour l' étape décisive. Les deux premières heures sont les plus dures. A peine sommes-nous montés un peu que le vent nous assaille avec violence, nous transperçant de froid malgré l' épaisseur de nos vêtements superposés. En suivant le bord supérieur de la paroi - une sorte de crête secondaire dans le versant ouest - nous arrivons à son point de jonction avec l' arête faîtière sud, peut-être au point 6707 de la carte au 1: 50 000. Le soleil s' élève dans un ciel sans nuages. La vue s' étend immense de tous côtés. Nous nous arrêtons pour masser les pieds de nos camarades et poursuivons par l' arête que nous ne quitterons plus jusqu' au sommet. Alors que nous pensions avoir à faire à une fine crête de neige ou de glace, nous avons devant nous une côte débonnaire où la neige alterne avec des rocs brisés et de la pierraille. En fait nous n' y trouverons qu' un seul pas délicat, un petit ressaut de rochers délités. Peu à peu le vent faiblit, si bien que cette journée sera la plus belle de nos trois semaines dans la Cordillère. Nous montons d' une allure tranquille, en jouissant intensément de notre promenade en plein ciel. Du Mercedario au Pupungato, le glorieux cortège des pics et glaciers de la Cordillère centrale étire sur 200 km. son relief encore rehaussé par des bandes de nuages floconneux qui paraissent au creux des vallées. Mais nos regards scrutent surtout l' immense face sud-est, fascinés par sa fuyante perspective, coupée de balcons de glace étages. Les pierres que nous détachons volontairement filent à une vitesse vertigineuse et disparaissent dans le vide, vers le glacier inférieur des Horcones dont la carapace noirâtre s' étale au fond de la vallée, 3000 m. plus bas. Déjà nous imaginons des itinéraires d' ascen dans cette paroi sud-est et grimpons mentalement de terrasse en terrasse...

A 5 heures de l' après nous nous donnons l'«abrazo » traditionnel au sommet sud de l' Aconcagua ( 6930 m. ). Nous y trouvons, planté bien droit dans un petit steinmann, le piolet laissé il y a six ans par T. Kopp et L. Herold, les premiers qui atteignirent cette cime par la voie septentrionale. Je l' échange contre le mien, sans me douter que quelques jours plus tard celui-ci sera à son tour emporté par une expédition japonaise venue du nord et offert en toute solennité au président Peron... ce sont les petits jeux du hasard au sommet de l' Aconcagua! Nous signons encore le livre sommital qui ne porte pas d' autre inscription que celle des deux Allemands, et le remettons dans sa boîte en y ajoutant les habituels petits fanions suisse et argentin.

L' arête au long de laquelle nous poursuivons notre traversée est tout d' abord étroite et exige de l' attention, d' autant plus qu' elle est très enneigée. Au bout de 200 à 300 m. le terrain devient facile et nous enlevons définitivement corde et crampons. Peu avant de nous enfoncer dans la familière Canaleta du sommet nord, nous passons près du squelette de guanaco ( chamois andin ) qui a déjà fait l' étonnement de Kopp - ainsi que des lecteurs de son livre. Ibanez en emporte une patte en guise de souvenir et propose de baptiser l' arête unissant les deux sommets « arête du guanaco »... Vu l' heure tardive nous renonçons à remonter au sommet nord, tout proche, mais que nous connaissons déjà tous les quatre. Peu après la tombée de la nuit nous nous glissons l' un après l' autre dans le petit abri « General Peron », que Grajales a vite débarrassé de la neige infiltrée par la porte mal jointe. Le réchaud à alcool entre en fonction et tempère agréablement le minuscule refuge de planches.

Le 24 janvier c' est le retour à Plaza de Mulas, après une longue halte au refuge Plantamura ( 6000 m. environ ) et une autre au premier filet d' eau découvert au creux du pierrier. Musique délicieuse de l' eau courante, que nos gosiers desséchés avalent à grands traits; caresses du soleil... quelques jours passés dans un monde gelé donnent à ces sensations une singulière intensité. Elle s' émoussera vite, comme les morsures du froid et de la soif. Mais le souvenir de la belle aventure vécue là-haut prendra forme et subsistera en nous, prêt à éclairer les heures les plus grises...

La voie du versant ouest et de l' arête sud n' offre qu' un degré modéré de difficultés techniques. Elle est cependant beaucoup plus intéressante, plus « alpine » que la voie septentrionale habituelle, convertie aujourd'hui en une piste pour mules sur les neuf dizièmes de son parcours. Comme le point de départ ou d' arrivée est le même pour les deux routes, leur combinaison permet de réaliser sans trop de complications une élégante traversée de l' Aconcagua. Dans le sens où nous l' avons faite - sans doute le plus logique - elle nous a demandé sept jours, dont un de reconnaissances et un autre d' attente due au mauvais temps. On devra maintenant compter entre quatre et cinq jours pour boucler la boucle, dans des conditions favorables. Une cordée bien acclimatée à l' altitude pourrait même éventuellement atteindre le bivouac supérieur le deuxième jour déjà et le sommet le troisième, surtout si le détour vers le point 6009 peut être évité sans que l' escalade de la paroi inférieure exige une trop grande dépense de forces. Le grand couloir peut présenter quelque danger de chutes de pierres. Au cours de notre grimpée matinale nous n' en avons observé qu' une seule, un gros bloc qui dégringola des pentes supérieures et se précipita dans i' étranglement du couloir peu après notre passage. Je ne pense pas que le danger varie beaucoup en cours de journée, étant donne l' altitude et la faible irradiation, mais il peut être plus grand en fin de saison. Il va sans dire que cet itinéraire n' est recommandable si que l'on dispose non seulement d' un bon équipement personnel d' altitude mais encore d' un matériel de bivouac moderne, à la fois chaud et léger.

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