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Au Dreieckhorn.

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Un air de fœhn entraîne de légers brouillards qui remontent paresseusement le cours majestueux du glacier d' Aletsch. La nuit est belle. Les étoiles brillent d' un éclat inaccoutumé après une bourrasque de neige qui nous a retenus la journée précédente à la cabane Concordia. Là-haut, à 3800 mètres, la longue arête sud du Dreieckhorn et les glaciers accrochés à sa face est s' estompent dans la nuit. Nous avons tôt fait de nous encorder et d' allumer les deux lanternes. A 3 h. 35 nous arrivons sur le glacier. Le dédale de crevasses au-dessous de la cabane est aisément traversé, car nous commençons à le connaître: nous sommes pensionnaires de la Section Grindelwald depuis presque une semaine. Et nous voici, cinglant vers la base de notre montagne. Partout, l' étendue immense des glaciers qui confluent à Concordia. Nous cheminons machinalement sur le glacier presque entièrement découvert. Cependant, à mi-chemin des deux rives, nous ne tardons pas à nous apercevoir de la présence de quelques crevasses cachées. Mon compagnon, Henri Wuescher ( j' aime mieux Riquet, tout court ), essaie d' en sonder une à l' aide de ses longues jambes, tandis que la corde se tend brusquement et me rappelle à la réalité. Tout finit par s' arranger et, bien réveillés cette fois, nous abordons la moraine droite du glacier d' Aletsch que nous suivons quelques instants vers le sud. Le jour se fait, mais les brouillards courent toujours aux flancs des Walliser Fiescherhœrner; ce n' est guère bon signe. Nous mettons les crampons avant d' attaquer le glacier incliné qui se trouve sous le sommet central du Dreieckhorn. Sa surface dure offre une prise excellente, si bien qu' en trois quarts d' heure, sans tailler une marche, nous arrivons à un minuscule ressaut, d' où le glacier se redresse vivement. Maintenant, il faut tailler. Riquet se met à l' œuvre avec ardeur; il en faut d' ailleurs, car nous avons à faire avec un « mur » d' environ 60 mètres de haut, qui va nous coûter près d' une heure de labeur. Heureusement, de petites crevasses horizontales, qui marqueront les étapes de notre progrès, coupent ce mur à intervalles réguliers. Leur lèvre inférieure fait office de promenoir, de balcon, si vous voulez. Quinze à vingt marches, taillées d' une main, nous amènent chaque fois à un étage supérieur. Notre route forme ainsi une série de zigzags. C' est amusant, j' en conviens, mais il fait froid. Aussi le soleil que nous rencontrons au haut du mur est-il le bienvenu. Il est 6 h. 45 et nous dominons le glacier d' Aletsch d' environ 400 mètres. Nous reprenons haleine avant de continuer à remonter la pente, moins forte maintenant, en louvoyant considérablement pour éviter des crevasses de dimensions respectables. La vue s' élargit. La vallée de Conches, au sud, est noyée sous une mer de nuages qui essaie d' envahir le bassin d' Aletsch. Le soleil est bon, mais un souffle glacial qui vient du nord-ouest commence à nous faire appréhender le passage de l' arête est de notre sommité. Toutefois, à chaque heure suffit sa peine: nous sommes tout à notre affaire de trouver le meilleur chemin sur le glacier. Nous faisons notre première halte vers 8 heures, dans une crevasse à moitié 33 comblée, qui nous protège un peu contre les bouffées d' air froid. Le spectacle est magnifique et, en savourant un ou deux raisins et quelques gorgées de thé, nous contemplons l' alignement imposant des cimes qui nous font face à l' est, depuis le Trugberç; et le Moine au nord, jusqu' à l' Eggishorn et le Bettmerhorn au sud, avec le Finsteraarhorn au centre du tableau. Nous repartons bientôt. Le glacier devie.it moins incliné et, à notre droite, nous découvrons une grande terrasse glacaire, au pied de la face est du Dreieckhorn. Nous devons la suivre sur une bngueur de 400 à 500 mètres pour atteindre l' épaule qui forme la base de l' arête est, peu marquée d' ailleurs, de cette sommité. Nous sommes abrités et la chaleur devient insupportable. La neige fraîche rend la marche pénible. L' endroit ne manque pas de charme: une impression de grande solitude s' en dégage. A gauche, une large rimaye, puis une muraille de glace et de rochers délités, dominés par l' arête tourmentée qui relie le sommet nord du Dreieckhorn au sommet central; devant et derrière nous, la terrasse, unie et d' une t lancheur éclatante; à droite, les séracs qui la bordent, puis le vide et le ciel, avic les cimes de quelques quatre mille, Grindelwalder Fiescherhœrner, Gross Grünhorn, Finsteraarhorn, qui apparaissent au ras de notre horizon. A 9 heures, nous atteignons l' extrémité de la terrasse. L' arête est, qui doit nous donner accès au sommet, se profile maintenant devant nous. Elle est raide, et les rochers qui la surmontent sont au moins à 250 mètres au-dessus de nous. Le vent du nord-ouest doit souffler en rafales, car nous la voyon :; « fumer » à chaque instant.

Une pente de neige molle et coupée d' une rimaye minuscule nous amène sans peine sur le dos arrondi de l' arête. Là, nous lions connaissance avec un vent violent et froid, dont nous ne tardons pas à apprécier comme il se doit les excellentes qualités de pénétration et de réfrigération. Mais nous regardons vers le sommet pour le :noment. L' arête a l' air bonne; peut-être n' aurons pas à tailler. Sor premier ressaut confirme nos suppositions; nous avançons rapidement sur une neige plus ferme et, à 10 heures, nous ne sommes séparés des rochers du soumet que par les 100 à 125 mètres du second ressaut de l' arête. Nous l' attaqions, Riquet en tête. Surprise! Sans aucune transition, nous nous trouvons en présence d' une couche de neige poudreuse recouvrant une fort belle glace. Notre progrès se ralentit de plus en plus, car l' inclinaison ne cesse d' iugmenter. La neige, balayée des flancs nord du Dreieckhorn par le vent violent, nous cingle le visage de ses mille cristaux glacés. Nous suivons l' arête sur son versant nord et voyons à nos pieds la longue pente coupée de séracs et de crevasses qui va rejoindre l' Aletschfirn à 600 mètres plus bas. Riquet taille depuis longtemps; non sans peine, car la neige obstrue continuellement les marches qu' il faut confectionner. Les rochers du sommet nous semblent toujours bien éloignés. La pente s' accentue encore et nous n' avance ns qu' avec une lenteur extrême. A 11 h. 40, Riquet atteint un petit îlot de rochers, vraiment bien petit, au plus 4 ou 5 pierres qui émergent de la pente. L' aide qu' il nous apporte est plus morale qu' effective, car il y a de la neige fraîche partout, et cinq cailloux, enchâssés dans la glace, ne sauraient nous être d' un grand secours. Nous sommes maintenant à une dizaine de mètres de la partie rocheuse de l' arête. Ces derniers mètres sont AU DREIECKHORN.

suffisamment rapides pour forcer Riquet à aménager dans la glace des prises pour les mains. A midi nous avons pris contact avec les rochers pourris. Un ou deux passages sur leur flanc sud demandent de l' attention ensuite du mauvais état de la pierre, mais nous les enlevons avec brio, heureux de toucher la terre ferme ( relativement ), la première depuis le départ de la cabane. Nous atteignons rapidement le point où l' arête sud se soude à la nôtre. De là, en quelques bonds sur des blocs de rocher branlants, nous arrivons au sommet, marqué d' un signal trigonométrique. Il est midi et quart. Les rites habituels à l' arrivée à un tel sommet sont vite accomplis, bien que nous ne négligions pas de hisser deux drapeaux, celui qu' orne la croix fédérale et celui d' un pays ami... entouré des mers. Nous avons tôt fait de trouver une place confortable et abritée à côté du steinmann et de retirer des profondeurs des sacs de quoi composer un menu digne de l' occasion.

Mais le temps fait mine de se gâter, bien que le vent soit un peu tombé. Vers l' ouest et le nord, une barrière de nuages noirs cache l' horizon. Notre grand voisin occidental, l' Aletschhorn, disparaît déjà dans les nuées. La visibilité est faible; seules, les sommités les plus proches au sud et à l' est n' ont pas encore été englouties par le flot montant des nuages. A nos pieds, le glacier d' Aletsch se confond peu à peu avec le grisaille des brouillards. Un seul objet attire particulièrement notre attention: c' est l' arête sud, de belle prestance, du Dreieckhorn. Son faîte, hardi et dentelé, se relève par deux fois pour former le sommet central et le Petit Dreieckhorn. Une demi-heure après l' arrivée au sommet, nous sommes enveloppés par des nuages qui « sentent » la neige. Nous nous préparons à la descente. A midi 50, nous nous mettons en route. Jusqu' au bout de l' arête rocheuse, ce n' est qu' un jeu, mais cela ne dure pas, hélas! Le passage du rocher à la pente de glace n' est pas aisé et je n' envie pas Riquet qui est au poste d' honneur. Je suis ses mouvements d' un œil anxieux, tout en m' ancrant aussi solidement que possible sur la pente. Enfin, le passage est effectué, mais nous ne sommes qu' au début de nos peines. La neige s' est mise de la partie et, le vent aidant, s' applique à effacer les marches qui nous ont coûté tant d' efforts à la montée. Nous atteignons l' îlot rocheux. Devant nous, la pente blanche plonge dans la profondeur ouatée des nuées qui filent sous la rafale. Plus de marches; quelques pierres, tombées de l' are :e et enchâssées dans la neige, nous servent de repères. Riquet passe en avant. Nous descendons face à la montagne. Aussi bien des tâtonnements et autant de patience sont-ils nécessaires pour retrouver les traces. La neige nous soufflette le visage avec violence et nous aveugle presque. Nous employons de longues minutes pour descendre quelques longueurs de corde. Nous essayons alors de prendre la pente en ligne droite. Un essai concluant nous y encourage, mais il nous faut redoubler d' attention. A chaque instant, la neige, qui paraît s' être un peu affermie depuis le matin, glisse sous nos pieds. Malgré le temps que nous mettons à assurer, l' ava: ice est devenue plus rapide. Nous atteignons ainsi la base du grand ressaut de l' arête. Le second ressaut n' est qu' un rien et bientôt, à notre droite, nous apercevons vaguement nos traces du matin qui nous ont amenés sur l' arête. Nous les suivons sans nous faire prier. Nous sommes enfin abrités de la bourrasque glacée; il fait presque chaud et le calme subit qui njus enveloppe nous paraît bien étrange. Un bond par dessus la petite rimaye et une courte glissade nous amènent commodément sur la terrasse glaciaire. Il est grand temps, car nous sommes fatigués de l' attention soutenue ies trois dernières heures. Nous faisons une longue halte, plus d' une heure, je crois, et nous nous étendons luxueusement dans la neige. Rafraîchis extérieurement et intérieurement, nous reprenons la descente bien après 17 heures. Il fait un peu moins vilain temps. La traversée du plateau suspendu à mi-flanc du Dreieckhorn nous semble plus longue qu' à la montée, car la couche de neige fraîche s' est épaissie depuis notre premier passage et la lassitude se fait aussi sentir; l' intérêt que nous portons à ce qui nous entoure diminue avec l' altitude. Notre avance est toute machinale. Nous nous guidons sans trop de peine d' après les marques à moitié effacées de nos pas du matin. La conversation entre les deux « bouts » de la corde est tombée. De temps en temps, une courte glissade involontaire sur la pente raide du gk.cier nous tire un peu de notre torpeur: évidemment, nous ne nous appliquons pas comme il le faudrait. A 18 heures, nous arrivons au haut du petit mur de glace qui nous a fait perdre du temps à la montée. Un instant, nous hésitons à prendre la même route à la descente en examinant une crête rocheuse qui emerge du glacier à notre droite et semble descendre jusqu' au glacier d' Aletsch. L' attrait du connu nous fait vite éliminer cette seconde alternative, biei que nous appréhendions un peu le passage de l' es de glace. Nous ne tardons pas à être agréablement surpris, car nous n' éprouvons aucune difficulté; les marches se sont bien conservées ici et sont de nouveau utilisables sans qu' il soit nécessaire de les retoucher. En une demi-heure, le tour est oué et l' obstacle est derrière, ou plutôt, au-dessus de nous. Nous nous payons alors le luxe d' un pas de course jusqu' à la moraine latérale du glacier d' Aletsch. Nous y arrivons avant 19 heures, au moment où le temps se fâche de nouveau sérieusement. Nous enlevons les crampons dans une bourrasque de neige, qui ne nous empêche toutefois pas de prendre quelques minutes de repos. Peu après, nous nous lançons à travers le glacier, dans la demi-obscurité de l' air chargé de neige. Nous nous orientons assez aisément sur le dos presque plat du colosse de glace, mais les deux ou trois kilomètres qui nous séparent de la cabane sont bien longs; nous apercevons vaguement le bord opposé au bout d' une demi-heure; nous ralentissons le pas de plus en plus et ce n' est qu' à la nuit que nous abordons l' échelle au-dessous de la cabane. A 20 heures et quart, nous regagnons notre gîte, après une absence de plus de seize heures. Le gardien Rubi nous avait vus sur le glacier et un bon thé chaud nous attendait à l' arrivée. Ce soir-là, le Dreieckhorn n' occupa pas nos pensées ni notre conversation bien longtemps, car avant 21 heures, nous étions enfouis sous un amas de couvertures, tandis qu' au dehors la tempête hurlait et enveloppait la cabane d' une étreinte rageuse. Il faisait bon être sous toit, alors que notre abri tremblait sous l' effort du vent.

Le Dreieckhorn est certainement facile dans de bonnes conditions, mais il offre aussi de quoi satisfaire bien des amateurs de glacier. C' est ce que pourront vous dire, et cet excellent Riquet, et 24 juillet 1924.William Sowden.

Note de la Rédaction: C' est par erreur que les illustrations se rapportant à l' article ci-dessus portent la date t1925 ». C' est « 1924a qu' il faut lire.

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