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Conseils hygiéniques aux touristes

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Par J. Charles Coindet, M. D.

Est-il pour la jeunesse studieuse un plus aimable délassement de ses travaux, et dont elle puisse attendre de meilleurs effets, qu' un tour au Salève, à la Dole ou aux Voirons, par un beau jour d' été? Mais pourquoi est-elle si souvent frustrée dans son espoir? Peut-être trouvera-t-elle opportun de s' en instruire au commencement de la saison qui rend aux montagnes leurs beautés et leur attrait.

On se rassemble de grand matin on prend à la hâte une tasse de thé ou de café au lait; on part. Après une marche de deux ou trois heures, terminée par l' ascension, en plein soleil, d' une côte assez roide, on arrive haletant et tout en nage à la petite auberge marquée pour l' étape. On commande le déjeuner.

Les uns, ce sont les prudents, assis à l' ombre, à l' abri des courants d' air, la lunette en main, trompent l' impatience de leur estomac par une causerie à laquelle le riant paysage qui les entoure offre un thème varié.

Les autres, pour lesquels nous écrivons ces lignes, se font apporter de la bière et de la limonade. Boire froid est, à cette heure, une jouissance délicieuse, mais qui ne désaltère pas sur le champ; un premier coup ne fait qu' irriter la soif; on recommence de plus belle; un verre n' attend pas l' autre.

Yoici les suites. Lorsqu' on annonce que le déjeuner est servi, l' appétit est perdu, le bel entrain qu' on avait au départ a fait place à la somnolence, à la pesanteur des membres et de la tête, à une sorte de détraque-ment général; on accuse à tort la chaleur, la fatigue; c' est une légère indigestion de liquide qui demandera, pour se dissiper, une ou deux heures de repos ou de sommeil.

Montrer la cause prochaine de cette incommodité, c' est enseigner à l' éviter. Une sueur abondante enlève au sang une partie de l' eau qui entre dans sa composition, le rend épais, acre et de moins en moins propre pour ses importantes fonctions. La soif dénonce cette déperdition; c' est comme une plainte du système qui éveille l' instinct du remède. Mais pour rendre au sang sa fluidité naturelle, il ne suffit pas qu' un liquide soit actuellement introduit dans l' estomac; il faut encore que les vaisseaux veineux et absorbants l' en extraient et le portent au cœur; de là il se répandra, mêlé avec le sang, dans toute l' économie qu' il humectera et rafraîchira. On attendra donc avant de boire un nouveau verre, que le précédent ait laissé la place libre, sinon l'on fatiguera un viscère délicat et l'on provoquera les malaises que nous avons décrits. Ce que nous venons de dire de la soif et d' un usage inconsidéré des boissons, est également vrai de la faim et de la précipitation avec laquelle on prend de la nourriture;

ce besoin n' est pas satisfait dès que nous sommes suffisamment repus; il ne commence à l' être que lorsque les sucs alimentaires arrivent partout où il y a une perte à réparer; les personnes qui se conforment aux règles de l' hygiène le savent bien; elles quittent la table en demeurant sur leur appétit qui, au bout de moins d' une demi-heure, loin de devenir exigeant, ne leur demande plus rien.

Enfin l'on se frustre souvent du bien que l'on pouvait attendre d' une journée passée aux champs ou à la montagne, en négligeant de se restaurer par des vivres sains. On se bourre de mauvaises salaisons, de fromage, de salade, de pommes de terre frites et autres choses semblables; dans les chalets, on ne résiste pas à la tentation de manger des myrtilles, des fraises, de la crème, qu' on arrose de bière ou de petit vin du pays. Sans doute, les personnes douées d' une forte constitution et d' une santé robuste peuvent user de ces choses, pourvu que ce soit successivement, de façon qu' elles ne se mélangent point dans leur estomac; mais les jeunes personnes, celles surtout qui sont sujettes aus pâles couleurs, doivent s' en abstenir entièrement et renoncer au plaisir de cueillir le long du chemin des noisettes et des mûres sauvages. Nous ne saurions trop recommander d' emporter avec soi une bonne pièce de viande rôtie et un excellent saucisson cuit, qui formeront le fond d' un repas substantiel et sain, dont les accessoires se trouvent dans tous les villages;

une tasse de chocolat et une tranche de pain grillé composent un goûter parfaitement hygiénique.

Un estomac bourrelé de remords et une franche indigestion, tel est fréquemment le fruit des écarts de régime signalés ci-dessus. Cette désagréable secousse est un bénéfice de nature, peu mérité, il est vrai, mais réel et suivi d' un prompt rétablissement, l' estomac se débarrassant ainsi de substances nuisibles par leur abondance et leur mauvaise qualité. Lorsqu' elles sont gardées, la digestion en est laborieuse et s' accompagne pendant plusieurs jours de malaises qui rendent incapable de toute occupation active ou attachante; les études souffrent alors sérieusement. Chez quelques-uns, cet état donne naissance à une attaque de la fièvre communément nommée inflammatoire et bilieuse; maladie toujours assez grave en soi, et qui le devient au plus haut degré lorsqu' elle se complique de désordres cérébraux causés par l' insolation.

On n' apprécierait pas à sa valeur le prix de la tempérance si l'on n' avait égard qu' aux avantages actuels et positifs qu' elle nous procure: vigueur de santé, lucidité d' esprit, ténacité de mémoire, sérénité d' âme, force de volonté, et le reste. Pour s' en faire une juste idée, on doit encore porter en ligne de compte les avantages éventuels et négatifs, en d' autres termes, les maux du' elle nous fait éviter. Ainsi la sobriété et la tempérance réglées, non pas systématique- ment, mais judicieusement, constituent presque à elles seules la médecine préventive; ceux qui les pratiquent supportent avec une singulière facilité les longues marches par le chaud du jour, les pluies d' orage, les brusques Variations de l' atmosphère, et ce n' est pas dans leurs rangs que ces intempéries font, chaque été, un certain nombre de victimes.

Voyons ce qu' amènent d' autres habitudes. Il n' est personne, croyons-nous, qui, au moins une fois en sa vie, n' ait eu occasion de ressentir dans une course champêtre les effets d' un copieux déjeuner. Loin de restaurer les forces, ce repas les a ôtées; on se sentait auparavant leste et allègre; maintenant tout l' être est alourdi; la marche est pénible, le soleil porte à la tête.

Il est bon de se rendre raison de ce fait. L' orga dispose d' une somme limitée de force vitale qu' il distribue, selon le besoin, tantôt ici et tantôt là; après que l' appareil locomoteur a eu fait une grande consommation de cette force, est-ce agir sensément que d' en imposer encore une pareille au vaste ensemble des organes digestifs?

Ne doit-on pas, au contraire, prendre souci de lui alléger sa tâche, en le faisant travailler sur une quantité restreinte d' aliments d' une assimilation naturellement facile, et qui le deviendra encore plus par une exacte mastication? Car il est manifeste qu' en surmenant le système, en troublant l' harmonie de ses fonctions, on ne peut que diminuer sa résistance à l' invasion de la maladie. En veut-on la preuve? Que l'on remonte aux antécédents, et l'on reconnaîtra qu' un coup de soleil, une fluxion de poitrine, une dyssenterie, une attaque de rhumatisme ou de fièvre inflammatoire, se produisent rarement dans les organismes sains et actuellement bien équilibrés, mais presque toujours dans ceux où existe une prédisposition, consécutive d' erreurs. hygiéniques, qu' on a méconnue et dont on ne s' est point gardé.

L' objet que nous avions en vue dans l' article signé « Un vieux médecin, » auquel le journal La Patrie a ouvert ses colonnes en Mai dernier, et que nous venons de reproduire en partie, ébauchait quelques conseils pratiques à l' intention des amateurs de promenades aux montagnes les plus voisines; mais la rédaction de Y Echo des Alpes nous ayant témoigné le désir de l' offrir à ses abonnés, sous une forme plus développée, nous avons repris la plume pour répondre à son invitation et user de la liberté qu' elle nous donne de dire comment nous comprenons la mission que la nature des choses semble assigner au Club Alpin.

Cette mission est triple: concourir à établir des constitutions et des santés robustes; communiquer de l' expansion à certaines facultés de l' esprit et du cœur; enfin, poursuivre certains résultats d' un intérêt général.

Reprenons le premier point, effleuré dans les pages précédentes, et traitons-le, non en son entier, l' espace Mont nous disposons serait insuffisant, de façon toutefois à n' y pas laisser de trop grandes lacunes. Mais avant d' aborder les détails, sollicitons l' attention du lecteur aux faits généraux que nous allons exposer dans une langue simple et purgée de termes techniques; il reconnaîtra, à mesure que nous y rapporterons l' hygiène du touriste, qu' ils dominent et éclairent tout ce sujet.

Chacun sait que notre corps, par là comparable à un fleuve, est dans un écoulement continuel, n' est

jamais identique à lui-même. D' une part, les sécrétions

30 lui enlèvent sans cesse de la substance;

de l' autre, les sucs alimentaires lui apportent incessamment les matériaux propres à réparer ses pertes. Il est évident que le juste équilibre de ces deux ordres de fonctions est une des conditions nécessaires de la santé.

Pour peu que l'on y réfléchisse, on ne saurait qu' être émerveillé de voir l' organisme transformer avec tant de célérité des aliments, matières de natures si diverses, en un fluide relativement homogène, le sang, et celui-ci en principes organiques qui ne tardent pas à devenir os, muscles, œil, oreille, cerveau, appareils enfin par l' intermédiaire desquels l' âme, substance spirituelle, verra, entendra, pensera, se mettra en rapport avec le monde extérieur. Cet étonnant phénomène est le résultat d' une suite d' opérations qui s' accom dans l' intérieur du corps, selon un ordre admirable et des conditions qui en régissent l' activité.

Prenons un exemple qui serve à l' objet que nous-poursuivons.

Il n' est personne qui n' ait éprouvé que l' exercice accélère la circulation et la respiration; seulement peu de gens connaissent le mécanisme qui imprime ce mouvement. Nous en donnerons une idée. Les veines recueillent le sang qui, après avoir distribué la nourriture à tout le corps et épuisé la faculté d' y entretenir la vie, se rend au poumon pour se régénérer avant de recommencer le même circuit. Ces veines rampent pour la plupart dans l' épaisseur des membresr entre des muscles puissants qui se gonflent et les compriment lorsqu' ils se contractent; or, comme elles sont munies intérieurement d' un système de valvules qui ne livrent passage que dans la direction du cœur, le sang s' y précipite avec une énergie et une abondance proportionnée à l' impulsion qu' il reçoit du travail musculaire.

Il franchit ce viscère et gagne le poumon où il se pulvérise, si l'on peut ainsi dire, afin de multiplier son contact avec Pair atmosphérique, et d' assurer les importantes réactions qu' ils doivent exercer l' un sur l' autre. En effet, en même temps que les déblais qu' il charrie, et qu' une partie des sucs alimentaires, convertis en vapeur d' eau et en acide carbonique, sont rejetés par l' expiration, le reste de ces sucs est élaboré et rendu assimilable. Alors le sang purifié et remis en possession de ses propriétés vitales, s' en va déposer, chacune en son lieu, les molécules similaires aptes ~ combler les vides; chemin faisant, l' oxygène, dont il s' est saturé dans le poumon, entre au fur et à mesure dans de nouvelles combinaisons, desquelles se dégage la chaleur animale.

Le sang fait ce trajet avec une rapidité presque incroyable; d' après des expériences conduites avec un soin sérieux par des physiologistes éminents, sa révolution entière serait, chez le cheval, de 25 secondes, chez le chien, de 15, chez le lapin, de 7, et chez l' homme, de 23; calculée sur cette dernière donnée, la distance parcourue en une minute est de 468 mètres, soit 28 kilomètres par heure. C' est un train que les meilleurs chevaux de race ne pourraient soutenir long- temps. Ces savants ont encore tâché de déterminer la masse de sang qui, dans l' espace de 24 heures, traverse le cœur et le poumon; leurs calculs, qui ne pouvaient être qu' approximatifs, ont donné des résultats compris entre 13,000 et 19,000 litres, soit un volume de 13 à 19 mètres cubes;

c' est énorme. On est frappé d' éton.

Telle est la vitesse normale du sang chez l' adulte. Des efforts musculaires violents et soutenus, comme on en fait dans une course désordonnée, peuvent l' accroître encore; les battements du cœur augmentent alors de fréquence et de force, la respiration devient haletante jusqu' à perte d' haleine et s' accompagne d' une angoisse des plus pénibles; ce commencement d' asphyxie, dû à l' extrême distention de l' appareil circulatoire, peut occasionner un accident mortel: la rupture du cœur ou d' un gros vaisseau; c' est ainsi que périssent les lièvres, chassés à courre, qui tombent comme foudroyés avant d' être atteints par les chiens.

Se mettre dans cet état est donc une imprudence à éviter, non pas tant par crainte de cette mort subite, éventualité rare chez l' homme, que pour ne pas provoquer des désordres organiques dont les adultes mêmes ne sont point exempts, bien qu' ils y soient moins prédisposés que les jeunes gens des deux sexes et que les vieillards. Chez ceux-ci, les détériorations que l' âge amène, en enlevant aux ligaments et aux cartilages qui entrent dans la structure de la cage thoracique, une grande partie de leur élasticité, réduisent au prorata le jeu de soufflet de cet appareil; il en résulte que le sang noir, arrivant dans un poumon insuffisamment dilaté et mal pourvu d' air, s' y oxygène imparfaitement, ralentit son cours, engorge le cœur et les gros vaisseaux, en détend le ressort, parfois même rompt quelqu'une des valvules ou des brides intérieures, et prépare l' invasion de ces terribles maladies connues sous le nom d' anévrismes passifs.

Des affections assez semblables surviennent dans l' adolescence, à la suite d' exercices mitres, mais les causes prochaines en sont fort différentes. Pendant cette période, il arrive fréquemment que le cœur, hors de proportion avec le système général, pèche par excès de volume et d' irritabilité; cela se remarque surtout chez les sujets dont la croissance est rapide et le système nerveux facile à surexciter. Nous avons, plus d' une fois, rapporté le début d' une maladie de cet organe à la date d' une partie de plaisir où des jeunes gens, ainsi constitués, s' étaient livrés avec une émulation passionnée, au jeu des bari es, aux défis à la course; ces imprudences appellent la vigilante sollicitude des parents et des instituteurs.

Entre ces extrêmes se trouvent les âges des. touristes. C' est l' époque de l' existence où l'on se figure volontiers que les suites d' un écart de régime, s' il doit en avoir, seront facilement conjurées, grâce aux ressources d' une jeune et robuste constitution; mais il convient de mettre quelque restriction à cet optimisme. Qu' il nous suffise pour le moment d' énoncer cette proposition: « Que tout homme qui s' essouffle « par un travail d' une certaine durée, fait plus que ce « que sa force lui permet, et, dans une certaine mesure, « détériore sa santé. » Telles sont les données que l' expérience fournit pour régler le pas dans une longue marche.

Reprenons le thème de notre étude. Si l'on a présents à l' esprit les rapports qui relient les unes aux autres les importantes fonctions que nous' avons décrites, on n' aura pas de peine à comprendre leurs effets.

Représentons-nous un homme dont les habitudes sont sédentaires et régulières, en sorte que l' équilibre entre le départ et l' apport est. depuis longtemps établi dans un organisme d' une activité modérée et même un peu languissante. Nous sommes au commencement de la belle saison, les vacances arrivent, dureront trois ou quatre semaines, il se résout à en profiter pour faire une course aux montagnes.

La marche lui fouette le sang, rend sa respiration plus ample et plus fréquente; toutes les sécrétions, particulièrement celles de la peau qui souvent en est inondée, contiennent en plus grande abondance leurs produits spécifiques, un vide se fait dans l' économie, et bientôt la faim, ce cri du besoin, proclame la nécessité d' une alimentation réparatrice.

Alors un surcroît de vitalité se manifeste par les effets les plus heureux et grandit de jour en jour: la capacité digestive augmente; le corps, dont la température s' élève, défie le froid des hautes cimes; les amas graisseux souscutanés, ceux des grandes cavités, s' absorbent et disparaissent; on se sent plus léger, plus fort, et le pas accéléré est désormais soutenu, même à la montée, sans essoufflement, ni fatigue, ni soif, ni sueurs excessives; la peau, resserrée sur des chairs pleines et fermes, a perdu sa flacidité et ne se laisse plus soulever lorsqu' on la pince avec le pouce et l' index; le visage se colore et s' anime. Ce renouvellement de la santé, du bail de vie, si l'on peut s' exprimer ainsi, s' accomplit à des conditions qui constituent le régime du touriste et dont les indications se puisent dans les signes mêmes de ce renouvellement.

Remarquons d' abord que le fait générateur de ces phénomènes, est l' augmentation des globules rouges dans lesquels résident la richesse et la plasticité du sang, c'est-à-dire la propriété de fournir à la nutrition, au développement et à la reproduction des tissus, et que cette richesse résulte de ce que les sucs nourriciers arrivent en plus grande abondance, et sont plus complètement assimilés, dès que la marche vient activer le jeu du poumon. Par où l'on, peut se convaincre qu' il « serait non-seulement superflu, mais nuisible, de « forcer le travail de réfection par une sustentation « succulente, et que Von doit s' abstenir des comestibles « qui communiqueraient au sang de l' âcreté ou des « qualités surexcitantes. »

C' est à la clarté de ce double principe, tiré de l' observation, que nous allons passer en revue le régime du touriste.

A dîner, l' ordinaire se composera dé mets pris dans la carte suivante: soupe aux légumes, au riz, au ma-caroni, au vermicelle, à la semoule; viandes grillées €ii rôties plutôt que bouillies ou en ragoût, œufs frais, volaille, poisson, gibier; légumes nourrissants et simplement apprêtés parmi lesquels la pomme de terre cuite à l' eau ou à la' cendre tient le premier rang; fruits d' un bon choix, juteux ou rafraîchissants * ), crus ou en compote.

Si l'on doit s' arrêter quelques jours dans des localités que l'on sait dépourvues, et qu' on n' y puisse porter suffisamment de viande, on fera provision de l' extrait de Liebig ou de tablettes de véritable bouillon 2 ) qui ne remplacent pas la viande, il est vrai, mais qui aident à en supporter la privation, surtout si on leur adjoint du pain de froment.

On n' oubliera pas non plus, et à plus forte raison lorsque la compagnie compte des dames parmi ses. membres, de se munir d' essence de café, de thé et de chocolat, ressources opportunes à l' heure des repas secondaires, car il est partout facile, dans les Alpes,, de se procurer du lait.

Beaucoup de personnes donnent la préférence à ce précieux aliment lorsqu' il est pur, et le boivent le matin de bonne heure, ou dans l' après chaud-trait, ou bouilli et légèrement sucré. Il conviendrait presque universellement si l'on évitait avec plus de soin ce qui peut en troubler la digestion; attendu que s' il rencontre dans l' estomac des reliquats d' aliments, notamment de crudités, de salaisons, imprégnés .des

. ' ) On doit toujours rejeter la gousse du raisin, des groseilles à maquereau, et en général la peau des fruits, s' ils l' ont épaisse, car elle est une cause fréquente de dys-senterie.

2 ) On en vend qui ne contiennent guère que de la gélatine et qui, par conséquent, ne sont pas nourrissantes. Nous pouvons recommander celles de M"erRytz, à Berne, 36 rue des Fontaines. Conseils hygiéniques aux touristes.47S

sécrétions acides de ce viscère, il se prend en une masse indigeste qui cause de sérieuses indispositions.

La crème et les fromages blancs ont les mauvaises qualités corrélatives de celles qui recommandent le lait; il sera prudent de s' en priver.

Le lait de beurre ( battue ) est une boisson légère, agréable et saine, ce qui n' autorise pourtant pas à en user sans égard aux avis qui précèdent.

On donnera courageusement la chasse aux aliments gras ou épicés: pommes de terre, haricots frits ou sautés avec poivre et force oignons; aux pâtisseries feuilletées; aux conserves à l' huile ou marinées de. thon, d' anchois ou de sardines; aux mortadelles de Lyon, de Bologne et autres articles semblables; aux crudités indigestes: pickles, barbe de capucin, de bouc, prunes, abricots, noix, noisettes, amandes fraîches; aux fromages vieux et sales, en un mot à presque tout le dessert, y compris la liqueur.

Aux repas, la meilleure boisson, selon nous, c' est de l' eau coupée avec un quart, ou un tiers au plus de bon vin rouge ordinaire de Beaujolais ou du pays. Ce mélange est en même temps rafraîchissant et tonique; il étanche la soif mieux qu' aucun autre et modère la transpiration.

En marche, l' eau de source est salubre. On peut en boire de temps à autre, sans excès, à condition de continuer de marcher si elle est très-froide, ou, si l'on veut se reposer, de se couvrir et d' éviter les courants d' air. Une sieste délicieuse sur un gazon frais et touffu, à l' ombre d' un noyer ou d' un grand chêne, après que l'on s' est désaltéré, peut être suivie d' une attaque de pleurésie ou de rhumatisme, et l'on risque une esquinancie lorsque, étant échauffé, on se régale de neige en traversant un glacier où les jambes s' en par le froid.

Quelques personnes se munissent de limonade effervescente concrète, de pastilles, de fondants à la menthe, à l' orange, au citron, à l' épine; ces bonbons n' ont rien de malsain, mais, comme toutes les sucreries, après un rafraîchissement * de courte durée, ils rendent la bouche pâteuse et augmentent l' altération.

La bière de bonne qualité, mousseuse sans excès, est légèrement nutritive; on peut en boire aux repas, mais il est des espèces fortes auxquelles on fera bien de renoncer. Quoique la consommation en soit jourd' hui générale, on en trouve rarement dans les stations très-élevées, et les touristes n' y portant pas un article si encombrant, il n' y a pas lieu de leur adresser des recommandations à ce sujet. Il n' en est pas de même aux montagnes de notre voisinage: le Salève^ les Voirons, la Dole; il s' en débite dans tous les cabarets; aussi croyons-nous devoir rappeler à ceux qui seraient tentés d' en boire entre les repas, qu' elle s' accorde mal avec le lait et qu' il est prudent de faire son choix entre ces deux liquides.

Quant aux spiritueux, leur emploi, même modéré, doit être réservé pour quelques circonstances exceptionnelles; par exemple lorsque, après une longue et rude ascension, on atteint enfin la haute cime, but proposé de la journée, une ou deux cuillerées de cognac ou de kirsch versées sur du sucre trempé d' eau, composent un cordial merveilleusement bienfaisant; c' en est un aussi, et nous en faisons l' éloge, qu' un verre d' eau sucrée très-chaude additionnée de liqueur, quand on a pu, transi et morfondu, gagner un abri;

mais recourir à sa gourde pour relever des forces qui fléchissent sous les coups de la tourmente, loin de tout refuge, est une imprudence que trop de voyageurs ont payée de leur vie. L' excitation momentanée que l'on obtient est bientôt suivie d' accablement, de trouble nerveux, de pesanteur des jambes; la présence du péril, le sentiment de l' impuissance où l'on est de le sur-'monter, abattent le courage; on succombe à l' excès de la fatigue, et un froid glacial vient clore la scène en causant un sommeil léthargique dont on ne se réveille pas.

Nous ne pouvons résister à l' envie de raconter un événement de ce genre dont nous avons presque été témoin. J' étais parti de Nantbourant pour me rendre à Cormayeur par l' Allée, en compagnie d' un jeune montagnard avec lequel je m' étais lié d' amitié. C' était en 1815, à la mi-Septembre. Arrivés au chalet de la Balme, le temps, menaçant depuis le matin, était devenu fort mauvais. Nous hésitions à continuer notre route, lorsqu' un habitant de Sallanches entra et s' in forma si Pon avait vu descendre du col du Bonhomme un vieillard et son petit-fils. « Je viens, disait-il, à « leur rencontre, et voudrais bien ne pas les manquer. » Sur la réponse négative qui lui fut faite et l' obser ti ation que le chalet étant la seule habitation de l' en, ces personnes s' y arrêteraient forcément pour - se remettre, il s' assit près du feu, visiblement inquiet.

Mon compagnon et moi, lui surtout, nous connais- sions le passage et avions plus d' une fois essuyé de pareilles bourrasques;

l' espoir de prêter assistance à ces voyageurs nous décida, et nous partîmes. A mesure que nous nous élevions, la tourmente devenait de plus en plus violente, à ce point que, près de la croix, nous craignîmes plus d' une fois d' être renversés ou même enlevés; le brouillard bornait la vue à dix pas; une neige fine et meuble nous fouettait au visage et aux mains comme des paquets d' aiguilles, et nous causait une vive souffrance; tassée le long du sentier dont elle masquait les inégalités, elle rendait la marche pénible et peu sûre. Entre les terribles rugissements de la rafale qui s' éloignait et de celle qui s' approchait, il y avait un intervalle de calme relatif dont nous profitions pour accélérer notre marche vers quelque saillie, quelque rocher, où nous attendions le prochain moment de relâche. De temps à autre, nous poussions le cri perçant des montagnards qui se hèlent et nous prêtions l' oreille, mais aucune voix, aucun signal ne nous répondit.

Enfin nous arrivâmes exténués au premier chalet, sur le versant du Chapiu; le vent avait enlevé un coin du toit et y mettait tout en confusion; nous nous y accommodâmes du mieux que nous pûmes sur un peu de foin mouillé.

Les voyageurs en quête desquels nous étions venus s' y étaient reposés; sourds aux avis, ils avaient voulu poursuivre leur route, et, comme nous ne les avions pas rencontrés, un malheur n' était que trop à craindre.

La journée du lendemain fut chaude et splendide; deux bergers du chalet partirent à leur recherche; nous, nous descendîmes au Chapiu, les pieds dans l' eau de la neige qui fondait et s' écoulait de toutes parts en ruisseaux et en cascades.

Nous nous restaurâmes dans cette misérable bourgade en mangeant une marmotte que Von avait prise quatre jours auparavant, et déjà si familière, qu' elle venait grignoter dans la main. Huit jours plus tard, lorsque nous repassâmes par là, nous apprîmes que les corps de ces infortunés avaient été retrouvés à soixante pas du sentier, non loin de la croix, dans l' attitude d' un sommeil paisible. Leur gourde était vide.

Autrefois ces accidents étaient fréquents dans les Alpes, non parmi les touristes qu' on ne voyait guère alors, mais parmi ces bandes nombreuses d' ouvriers de la campagne qui, au commencement de chaque printemps, passent les monts en cherche de travail et retournent au pays vers la fin de l' automne. Sans guides pour se diriger à travers ces solitudes, par des passages mal tracés que' la neige et le brouillard dé- robent souvent à vue, mal nourris, mal vêtus, ces pauvres gens devaient souvent succomber à une pareille détresse, surtout quand l' eau lui venait en aide.Vers le haut des cols, le sentier était tout bordé de croix de bois, peintes en noir, sur lesquelles on lisait: « Ici, deux ( quelquefois quatre, cinq, sept ), sont morts de froid; priez Dieu pour leur âme. » Vue peu propre à ragaillardir les voyageurs qui se trouvaient en la même situation que nous au Bonhomme. Aujourd'hui, les voies de communication sont fort améliorées, et ces malheurs sont rares; toutefois que l'on ne tienne pas pour superflus nos avis touchant l' usage et le danger des liqueurs alcooliques.

Ajoutons qu' elles sont échauf-fantes, et que, ne fût-ce que pour cette raison, elles ne sauraient entrer dans le régime ordinaire des touristes.

On commence à leur substituer des infusions très-concentrées de thé ou de feuilles de coca qui ne sont point enivrantes, mais remarquablement toniques; le mode d' emploi en est des plus simples; enfermées dans une gourde, elle se prennent, de temps en temps; selon le besoin, par gorgées, coupées avec une quantité convenable d' eau sucrée froide J ).

Quelques mots sur la distribution des repas. De très-grand matin, avant le départ: une tasse de chocolat ou de lait chaud, pur ou sucré, coupé avec du café ou du thé, et une ou deux tranches de pain rassis ou grillé, sans ou avec très-peu de beurre.Vers onze heures, un déjeuner-dînant, point copieux, et seulement suffisant pour se sustenter jusqu' au soir avec l' aide du goûter. Halte de trois heures.

Nous avons déjà fait allusion au fait physiologique d' où nous dérivons ce conseil; nous croyons utile d' y revenir et d' en rendre plus amplement raison.

L' économie ne disposant que d' une somme limitée de forces, tout ce qu' une fonction en absorbe de plus que sa juste part, elle le fait au détriment des autres. Ainsi une digestion laborieuse abat l' énergie de l' ap locomoteur, et l'on s' acquitte mal du travail

. ' ) Consulter sur ces propriétés de l' érythroxylon coca un mémoire fort intéressant de M. le Dr Gosse père. Bruxelles, 1861. Les droguistes procurent facilement aujourd'hui cette espèce végétale qui était encore rare il y a peu d' années. d' esprit auquel on se livre après avoir beaucoup mangé;

dans ce cas, l' estomac ou le cerveau, souvent même tous les deux, doivent en pâtir; c' est une des causes les plus ordinaires de la mauvaise santé des hommes de cabinet. Le célèbre John Hunter a mis ce fait dans toute son évidence par une expérience fort simple. Il reput à satiété deux chiens semblables par la race, Page et la taille, mena l' un à la chasse et laissa l' autre à la maison. Après quelques heures, il les fit abattre, les ouvrit, et trouva l' estomac vide chez celui qui avait dormi son dîner, tandis que le chasseur l' avait encore plein d' aliments. L' aversion pour la con-tention d' esprit ou l' exercice qui succède à une bonne lippée, montre que les forces vitales se rassemblent de toutes parts pour aller renforcer le système digestif, auquel est survenu un surcroît de travail. Voilà pourquoi il est de précepte de prendre quelques heures de repos après un déjeuner-dînant, dont l' abondance ne sera pas telle que la digestion n' en puisse être assez avancée lorsqu' on se remettra en route.

A cette heure, la chaleur est encore grande et provoque chez quelques-uns une soif démesurée qu' au boisson n' étanche; nous leur donnons l' assurance que ce besoin s' apaisera peu à peu s' ils prennent l' habitude d' y résister, et que rien ne leur viendra plus efficacement en aide que le régime restaurant, mais simple, doux et d' une abondance mesurée que nous avons préconisé, tandis qu' une surcharge des premières voies amènera toujours à sa suite l' ap du corps, la somnolence et la soif.

Le meilleur repas, le plus abondant, sera donc le -dîner;

on le fera le soir. Pendant qu' il se prépare, on met sous presse les plantes qu' on a récoltées, on enveloppe les minéraux, on écrit quelques lignes aux amis, puis on fait une ablution générale, et si l'on a les pieds tendres, on les arrose, après les avoir lavés, et on les frictionne avec abondance d' eau de Cologne.

Puisque ce thème vient au bout de notre plume, donnons-lui quelques développements d' une utilité pratique.

La peati est un appareil composé de fibres d' une nature particulière qui s' entrecroisent en tous sens, et avec lesquelles des vaisseaux et des nerfs se mêlent en si grand nombre, qu' il n' est pas un point de la surface du corps où la piqûre d' une aiguille ne réveille de la douleur et ne tire quelques gouttelettes de sang. Cet appareil fournit deux sécrétions: la sueur et l' épiderme.

On a cru longtemps que la sueur n' était qu' une transsudation passive à travers les pores; mais on a constaté qu' elle est sécrétée par de très-petites glandes dont nulle région n' est dépourvue. Si l'on en croit des anatomistes qui ont eu la patience de les compter, « Iles se montent à plus de trois millions. L' humidité qui s' en exhale continuellement, tantôt sous la forme d' une vapeur: la transpiration insensible, tantôt en plus grande abondance: la sueur, s' élève pour l' or, chez un adulte bien portant, à environ quarante onces par jour; mais un exercice violent, dans une atmosphère très-chaude, peut, durant un certain temps, porter cette quantité à cinq livres, deux fois dans les vingt-quatre heures. La sueur n' est pas de l' eau pure;

personne n' ignore qu' elle est salée, qu' il s' y trouve un acide qui altère la couleur des vêtements et une graisse qui les salit; c' est qu' en effet elle tient en solution une aliquote considérable de ces rebuts que l' organisme doit incessamment éliminer sous peine de perturbation dans la santé. Aussi lorsque la transpiration est arrêtée, même partiellement, par exemple aux pieds, doit-elle chercher une autre issue; alors elle se fait jour par le poumon, les intestins ou les reins, sous la forme d' un catarrhe, d' une diarrhée ou d' un flux rénal, qui se complique souvent de lésions graves, par suite de la suractivité imposée au viscère; une brûlure superficielle, dont l' étendue n' excédait pas la huitième partie de la surface du corps, a, dans quelques cas, entraîné la mort.

L' épiderme est une autre sécrétion qui recouvre toute la peau comme un vernis sec; il se produit sans interruption, par couches successives, en sorte que la plus nouvelle est en même temps la plus profonde, et l' extérieure la plus ancienne. C' est par une exfoliation spontanée de celle-ci, qu' accélère l' attrition des vêtements, qu' il conserve son épaisseur normale; diverses circonstances peuvent la ralentir, par exemple les froids secs de l' hiver, le défaut d' exercice et de propreté personnelle; alors il obstrue les pores et gêne les fonctions du derme.

Si l'on considère la grande étendue de l' organe sécréteur, son impressionnabilité et l' abondance de ses produits, on concevra, ce que bien des personnes soupçonnent à peine, l' importance des fonctions cutanées

31 et des soins qui ont pour objet d' en assurer la régularité.

Un simple lavage à l' éponge enlève la poussière et la sueur, mais non l' épidémie, qui ne cède qu' aux frictions pratiquées avec la serviette turque ou la brosse, après qu' il s' est amolli dans un bain tempéré auquel on se trouvera bien de recourir tous les quatre ou cinq jours.

On comprend qu' un tissu très sensitif, surexcité par l' exercice et gorgé de sang, soit exposé à diverses maladies; dans le nombre, il en est d' aiguës, qui veulent un repos absolu et un traitement méthodique; nous n' avons pas à nous en occuper; mais d' autres, moins sérieuses, et qui n' arrêtent pas le touriste, s' accom d' une incommodité fort pénible, pour laquelle nos avis ne seront pas dédaignés. Nous voulons parler de ces éruptions formées entre cuir et chair, par des myriades de petites élevures sèches, d' un rouge plus ou moins vif, et qui sont le siège d' un prurit tellement acre que les nuits se passent dans une insomnie cruelle. Elles reconnaissent ordinairement pour cause générale un régime échauffant, et, pour cause locale, de la négligence dans les soins de propreté; la première chose à faire est donc de revenir, sur ces points, aux règles que nous avons prescrites; en outre, on obtiendra du soulagement en étendant sur toute la région irritée, après les ablutions ou le bain du soir, de la glycérine coupée avec deux ou trois parties d' eau pure, de lait ou de petit-lait très-frais, ou bien encore mélangée avec son poids de saindoux et une très-petite quantité d' extrait de Saturne. Le lendemain matin, on enlèvera ces substances par un lavage à l' éponge, ou, lorsque c' est possible, en se plongeant dans la belle eau bleue de nos lacs ou des fleuves qu' ils alimentent.

Leur température, très-douce en été, procure une sensation délicieuse et un bien-être de quelque durée; tandis que l' immersion dans l' eau glaciale des torrents alpins est immédiatement suivie de réaction et d' un redoublement du prurit.

Nous ne nous occuperons du vêtement que par rapport à la flanelle.

Le frottement développe dans la plupart des corps une électricité qui se partage en deux courants, dont l' un s' accumule dans le corps frotté, pendant que l' autre s' en échappe et se perd. On a donné à ces courants les noms d' électricité vitreuse ou positive, et d' électrité résineuse ou négative. Quoiqu' ils reconnaissent la même origine et paraissent identiques à beaucoup d' égards, ces fluides impondérables sont cependant de natures différentes, car chacun d' eux se repousse lui-même, tandis qu' ils s' attirent l' un l' autre et s' entredétruisent dès qu' il viennent en contact. Nous ne parlerons pas de leurs rôles respectifs dans l' éco, on les connaît trop peu, mais d' un fait digne d' arrêter notre attention.

C' est que les téguments naturels destinés à protéger les êtres organisés contre les intempéries atmosphériques: la peau des mammifères, leurs feutres, leurs laines; les plumes et le duvet des oiseaux; les écailles des reptiles et des poissons; les soies dont les insectes vêtent leurs cocons; enfin les tuniques enduites de résine dont s' enveloppent les bourgeons de la plupart 484:Coindet.

des végétaux, possèdent à la fois la propriété de produire et d' amasser de l' électricité résineuseet celle d' écarter toute une classe de maladies inflammatoires, telles que le rhumatisme et les affections catarrhales. Tandis que les tissus de lin, de chanvre ou autres semblables que l'on fabrique avec des fibres tirées de l' intérieur des végétaux, se chargent d' électricité vitrée et ne possèdent nullement les mêmes vertus médicales. Lorsque nous dirons que nous ne connaissons pas d' exception à cette répartition du fluide électrique entre ces deux classes de tissus, on comprendra que ce fait relève d' une loi naturelle que l'on ne saurait enfreindre sans encourir la sanction pénale qui s' y trouve attachée. Mais on pourrait croire que du moins il y aurait peu d' inconvénients à se le permettre dans les grandes chaleurs. L' expérience a fourni du contraire la preuve suivante que la spéculation n' aurait pas anticipée. La grande mortalité des troupes anglaises dans leurs garnisons aux Indes était jadis considérée comme l' effet inévitable d' un climat tropical; il y a environ cinquante ans que des médecins militaires remarquèrent que les maladies inflammatoires du poumon, fréquentes dans les pays du nord, et qu' on y regarde généralement comme causées par le froid

) Ceci devient sensible à l' oeil lorsqu' on se dépouille vivement dans l' obscurité d' un vêtement de flanelle ou de soie porté sur la peau; l' électricité s' échappe du tissu sous la forme d' une nuée d' étincelles qui font entendre un pétillement. La transpiration s' opposant à la production du phénomène, l' expérience ne réussit complètement que par un temps sec et froid. et l' humidité, entraient pour une aliquote considérable dans ce résultat général.

En conséquence, ils conseillèrent l' usage réglementaire de la flanelle, et, dès les premières années, la proportion des décès diminua de douze pour cent. Dans ces contrées, la brusque impression d' un froid, même modéré, provoque assez fréquemment quelque maladie grave, telle qu' une attaque de tétanos ou de choléra. Il serait hors de propos de donner ici la raison de cette susceptibilité maladive; disons seulement qu' elle est si bien connue des indigènes, que c' est sous un épais manteau de laine blanche que l' habitant du Sahara, le pâtre de la campagne romaine, bravent les ardeurs d' un soleil d' aplomb; et que les laines, les cachemires, les fourrures de la Sibérie et du Canada ne sont nulle part d' un emploi si général, ni payées si cher que sous le soleil brillant des tropiques. Quoique dans nos climats les influences atmosphériques aient des effets moins redoutables, cependant nos soins ont été mainte fois réclamés pour des cas sérieux qui ne reconnaissaient pas d' autre cause.

Nous sommes grand partisan de la méthode d' en, et ne pouvons qu' encourager à y persévérer ceux qui la pratiquent et s' en trouvent bien; toutefois nous pensons que les personnes délicates courent des risques lorsqu' elles négligent certaines précautions, parmi lesquelles nous rangeons l' usage de la flanelle, portée en contact immédiat avec le corps; c' est la condition nécessaire pour qu' elle développe ses effets électriques, autrement l'on n' en obtient qu' un supplément de chaleur; ajoutons qu' elle absorbe la sueur, et que, lorsqu' elle se colle à la peau, l' impres qu' on en reçoit n' est pas comme celle du linge mouillé, désagréable et, pour ainsi dire, pleine de menaces et d' insécurité.

Nous ne saurions trop insister auprès des touristes pour qu' ils se munissent, en vue d' éventualités de cette nature, d' une ou deux chemises de flanelle, ou, à défaut de flanelle, de bonne toile de coton un peu épaisse.

Ce serait ici la place des conseils relatifs à la chaussure; pour des marcheurs le sujet ne manque pas d' importance. Les cors, les oignons, l' œil de perdrix, l' ongle rentré dans la chair, les varices, sont des incommodités qui, sans s' attaquer à la vie, causent une assez grande gêne, parfois d' assez vives douleurs, pour entraver des projets longtemps choyés, ou dé-senchanter bien des jouissances. En indiquer les causes, les moyens préventifs ou curatifs, équivaudrait à composer sur la matière un traité qui ne saurait entrer dans le cadre de cette esquisse, mais nous toucherons quelques détails.

Le gros orteil est le siège ordinaire de l' ongle rentré dans la chair; la compression latérale exercée par une chaussure trop étroite est l' une des deux causes les plus fréquentes de cette maladie; la signaler, c' est en indiquer le remède. L' autre cause est l' habitude qu' ont beaucoup de personnes de couper l' ongle en l' ar, d' où il résulte que, dans la marche, la chair refoulée par le poids du corps contre ses bords durs et tranchants, s' enflamme et s' ulcère. On doit couper l' ongle court et carrément, en amincir avec une lime la partie moyenne dans toute sa longueur, le séparer de la chair vive et en relever les angles avec un peu de charpie ou d' agaric qu' on assujettit au moyen d' une petite bande de taffetas d' Angleterre.

Ce pansement se renouvelle chaque jour jusqu' à ce que l' ongle ait repris une direction normale.

L' œil de perdrix est un cor situé entre les orteils; il consiste en un épaississement de l' épiderme, produit par l' âcreté de la sueur; il est souvent le siège de douleurs intolérables. Le traitement en est fort simple; tous les trois ou quatre jours, après un pédiluve de vingt-cinq minutes, on enlève avec des ciseaux-pinces toute la partie ramollie; on sèche les orteils avec soin et l'on place entre eux, pour en empêcher le contact, un morceau de charpie anglaise qu' on change, chaque soir, à la suite d' une lotion d' eau de Goulard.

Les cors ne reconnaissent d' autre cause que l' at de la peau par une chaussure défectueuse. Les marchands exposent dans leurs vitrines des souliers dits de touristes, dont les semelles à très-hauts talons, larges, fortes, pesantes, débordent d' un centimètre ( c' est trop de moitié ), une empeigne en cuir de Russie, épaisse et dépourvue de souplesse; ce sont là de graves défauts. On doit faire l' empeigne d' une peau ferme, mais flexible et douce, qui se moule Sur le pied, le comprime sans le gêner, le protège, et lui procure un point d' appui au lieu d' une fatigue. La semelle terminée carrément et suffisamment large à son extrémité antérieure, épaisse, d' un cuir dense et résistant, aura un talon qui ne fera pas saillie et dont la hauteur moins de difformité ( le pied plat ), ne dépas- sera pas 15 à 20 millimètres;

entre autres raisonsT p' our qu' à la descente les orteils se pressent moins contre l' empeigne. C' est ainsi que Ton atténuera la cause principale des durillons, et que même on la supprimera, si l'on porte des chaussettes, non de filr mais de l' aine ou de coton, d' un tissu serré et moelleux, qui amortissent le frottement.

Les varices ne sont autre chose qu' une dilatation des veines qui ramènent au cœur le sang des membres inférieurs; lorsque ce liquide, déjà en lutte contre la pesanteur, est encore arrêté par une jarretièreT cause presque unique de cette maladie chez le sexe mâle, il injecte de proche en proche toute la jambe, engorge les vaisseaux, s' y coagule, agit comme un corps étranger et provoque l' inflammation, l' endurcissement du derme et du tissu cellulaire sous-jacent, et la formation d' ulcères fétides et sanieux. Aggravées à ce point, les varices sont à peu près incurables et deviennent une des infirmités les plus gênantes et les plus douloureuses de l' âge avancé.

Ce nous a toujours été un sujet d' étonnement que l' omission, de la part de beaucoup de gens, ou l' inin de soins faciles qu' on peut prendre sans recourir au pédicure dont les procédés empiriques entretiennent sQuvent, s' ils ne les aggravent, les maux qu' il prétend guérir. Cette lacune dans la pratique de la petite chirurgie domestique est peut-être assignable à ce qu' il n' existe, sur ce sujet, aucun manuel rédigé dans une forme populaire, c'est-à-dire dans un style simple, concis, et illustré de quelques dessins. Ouvrir un concours à cet effet et décerner un prix au meil- leur mémoire, serait, croyons-nous, une œuvre qui vaudrait au Club Alpin une reconnaissance générale.

Comment, en effet, douter de l' utilité de ce petit volume de bons conseils, lorsqu' on voit tant de gens actuellement atteints de varices,* continuer à porter des jarretières, sans prendre garde que, après les avoir occasionnées, ces ligatures les entretiennent et les empirent; et que les chaussures les plus défectueuses, pourvu que la mode en soit nouvelle, se font adopter avec une telle facilité qu' il semblerait que les pieds soient les antipodes du bon sens.

Depuis un tiers de siècle, les états-majors ont fait de la chaussure du soldat le thème d' études sérieuses; ils comprenaient l' importance, pour la réussite des grands mouvements stratégiques, de perfectionner cet article de l' équipement, dont la mauvaise qualité a si souvent réduit l' effectif et amené de grands revers. Nours aimerions voir le Club Alpin se mettre au courant de ces travaux, en tirer profit et faire choix d' un modèle de souliers dont il motiverait la *on et recommanderait l' usage. En retour, il offrirait son manuel pédicure à l' état fédéral, suggérant I' idée qu' il pourrait être avantageux de l' adopter comme texte d' un enseignement obligatoire que les officiers de santé donneraient aux infirmiers sous leurs ordres, et ceux-ci aux hommes qu' ils sont chargés de panser. La connaissance des méthodes préventives et curatives de ces maux, si communs et si gênants, finirait, en se vulgarisant, par diminuer le nombre des éclopés qui encombrent les bagages ou restent en arrière; vraie peste d' un corps en marche, et triste école, dans les cantonnements, de fainéantise, d' intempérance et d' indiscipline.

Maintenant reprenons un point que nous avons dû laisser en arrière.

La fonction respiratoire se compose de deux éléments; le jeu du poumon et la qualité de l' air sur lequel ce viscère travaille; nous n:avons encore traité que du premier; parlons du second.

Un fait nous avait frappé dès le commencement de notre pratique médicale, c' est combien les convalescences sont plus rapides et plus franches sur les hauteurs, même voisines, que dans Genève. Nous en avions découvert une des raisons en observant du château de Monetier que la ville est toujours plus ou moins enveloppée de fumées et de vapeurs, qui se portent dans la direction de Lancy lorsque le vent souffle du nord, ou de Sécheron, s' il vient du sud. Or, comme ces deux vents dominent chez nous et se partagent l' empire de l' air, on comprend que les collines situées de chaque côté du courant ( Champel, les Contamines, Malagnou, les Saconnex, etc. ), jouissent, bien qu' elles soient très-rapprochées, d' une atmosphère remarquablement pure et salubre.

Cela était vrai, mais peu précis. Depuis lors on a pénétré plus avant dans la connaissance de la constitution de l' atmosphère des villes, et constaté que l' air y est chargé de poussières dont l' influence sur la santé, quoique lente à se produire, ce qui la dérobe à l' attention générale, n' en est pas moins réelle et même très-puissante.

On savait bien que les artisans renfermés dans des ateliers où ils respirent continuellement des matières pulvérulentes sont exposés à des maladies d' une extrême gravité, et que c' est par là que périssent un nombre assez notable de boulangers-pétrisseurs, de tailleurs de pierre, de pileurs de drogues, de charbonniers, d' aiguiseurs, etc. etc., mais on ne se doutait pas que l' atmosphère tint en suspension une abondance de corpuscules, capable de constituer une source féconde en insalubrités.

Or, il est facile de s' assurer de la réalité du fait par l' expérience que voici: Faites choix d' un jour de soleil; fermez vos contrevents de manière à ne laisser entrer dans la chambre qu' un mince faisceau lumineux; vous y verrez tourbillonner des myriades d' atomes de natures et de formes diverses dont vous ne soupçonniez pas la présence; ce sont des débris microscopiques détachés de notre corps, de nos vêtements; des matières minérales ou organiques créées par nos industries; des spores, des rotifères; des in-fusoires en quantités prodigieuses, etc. etc. Le docteur Angus, qui en a fait l' objet de ses recherches, a évalué à 18,000 le nombre qu' en contenait un litre d' air pris à Manchester; en le multipliant par 6,000, montant des litres d' air qu' un adulte consomme dans une journée, on obtient le chiffre de cent huit millions.

De pareilles assertions peuvent paraître hasardées, fantastiques même; il est certain néanmoins que ces -corpuscules, généralement invisibles à l' œil nu et même à l' œil armé d' une loupe, abondent à ce point qu' ils troublent la transparence de l' atmosphère et la limpidité de nos lacs où ils se précipitent incessamment. Des physiciens distingués ont constaté la réalité de ce phénomène, auquel ils ont rattaché la solution de problèmes importants, tels, par exemple, que celui des générations spontanées qui deviennent, dans la même proportion que ces atomes, de plus en plus rares, à mesure qu' on s' élève au-dessus de la plaine.

M. Pasteur, qui s' était proposé de déterminer s' il en existe encore tout au haut du Montblanc, paraît, pour des motifs que nous ignorons, avoir abandonné son projet. Espérons que des touristes, cédant aux attraits réunis de la science et du pittoresque, le reprendront pour leur propre compte, et, mettant à profit les facilités que l'on a maintenant, mèneront cette recherche à bonne fin.

Mais il est un autre côté par où ce phénomène nous intéresse. Quelle part faut-il lui faire dans les effets physiologiques que l'on attribue à l' air des montagnes? Nous croyons qu' elle doit être grande. Mo-tivons notre opinion.

Le tube qui, du fond de la bouche, conduit au poumon l' air aspiré par le jeu de soufflet de la poitrine, se partage, à l' instar d' un arbre, en branches, puis en rameaux de plus en plus déliés qui se terminent par un nombre infini de vésicules microscopiques. L' intérieur de cet appareil est tapissé, dans toute son étendue, par une membrane d' une extrême minceur, sous laquelle circule le sang veineux qui vient se revivifier. L' air aspiré y dépose, comme sur un filtre, les corps atomiques dont il est chargé: ceux-ci, en s' incorporant avec l' humidité qu' ils y rencontrent, forment une couche qui, grâce à leur extrême ténuité, pénètre jusque dans les derniers et plus étroits replis du viscère; comment se refuser à admettre qu' ils ra- lentissent et entravent, dans une certaine mesure, l' opération capitale de la sanguification?

Le mécanisme fonctionnel que nous décrivons n' est pas, il est vrai, sensible à l' œil, mais il se manifeste par des effets de la plus saisissante évidence. Pour que l'on ne nous soupçonne pas d' abonder dans notre sens, ou même de nous laisser entraîner à une exagération inconsciente, rappelons dans quels termes St-Preux peignait à Julie les émotions dont les Alpes du Valais avaient rempli son âme: « Ce fut là que je « démêlai sensiblement, dans la pureté de Fair où je « me trouvais, la véritable cause du changement de « mon humeur et du retour de cette paix intérieure « que j' avais perdue depuis si longtempsEn effet, « c' est une impression générale qu' éprouvent tous les « hommes, quoiqu' ils ne l' observent pas tous, que sur « les hautes montagnes, où l' air est pur et subtil, on « se sent plus de facilité dans la respiration, plus de « légèreté dans le corps, plus de sérénité dans l' esprit; « les plaisirs y sont moins ardents, les passions plus « modérées. On est grave sans mélancolie, paisible « sans indolence, content d' être et de penser; tous les « désirs trop vifs s' émoussent; ils perdent cette pointe « aiguë qui les rend douloureux; ils ne laissent au « fond du cœur qu' une émotion légère et douce, et « c' est ainsi qu' un heureux climat fait servir à la fé-« licite de l' homme des passions qui font ailleurs son « tourment. Je doute qu' aucune agitation violente, « aucune maladie de vapeurs pût tenir contre un pa-« reil séjour prolongé, et je suis surpris que des bains « de l' air salutaire et bienfaisant des montagnes ne « soient pas un des grands remèdes de la médecine « et de la morale.

»

Est-ce là ce que l'on ressent lorsqu' on fait, le sac au dos, une promenade à travers les pays de plaine les plus riants et les plus salubres? Non, assurément. Le médecin qui s' est livré à l' étude des maladies nerveuses, n' hésite pas à reconnaître, pour cause de ce changement, la suppression d' une gêne respiratoire, Arague et indolore, qui se traduisait en un mal-être indéfinissable, accompagné d' idées mélancoliques.

Cette heureuse influence du climat alpin ne se fait pleinement sentir qu' au bout de quelques jours, pendant lesquels le poumon se défait des dépôts étrangers qui l' ont pénétré. Ce qui est fort remarquable, c' est qu' elle exerce surtout sa puissance entre 1,800 et 2,500 mètres d' élévation, c'est-à-dire dans une atmosphère raréfiée qui contient, à égalité de mesure, sensiblement moins d' oxygène que celle de la plaine. Or, si une moindre quantité de ce gaz fait, dans ces hautes régions, le sang plus riche et plus beau, comme le dénotent les traits caractéristiques du montagnard: muscles énergiques, teint fleuri, esprit vif et serein, etc., on est en droit d' en conclure que le poumon a éliminé les embarras qui contrariaient son jeu dans le bas pays. Il existe un nombre considérable de modi-ficateurs de la santé, insaisissables à nos moyens d' analyse les plus délicats et sans action sur les balances les plus sensibles, dont on ne saurait cependant mettre en doute la réalité, puisqu' ils se produisent dans des conditions déterminées et ont des effets constants, ni la pesanteur, puisque le vent les trans- porte d' un lieu dans un autre.

Les corpuscules dont nous venons d' entretenir le lecteur, appartiennent à cette classe d' impondérables, très-divers de nature et encore mal connus, dont les savants s' ingénient au- jourd' hui à débrouiller l' écheveau.

Si nous nous sommes un peu étendu sur ce sujet, c' est que, dans son application, on se heurte au tabac à fumer dont il est difficile de triompher. Ce n' est point que nous prétendions le proscrire; mais l' usage, même restreint, en devient abus dès qu' il a des effets nuisibles, et nous avons voulu montrer que tel est réellement le cas si l'on fume, durant la marche, le cigare ou la pipe. L' effort de serrer les lèvres et d' aspirer pour entretenir le feu et faire venir la fumée, ne saurait s' accorder avec le soin de maintenir ample et régulier le rhythme de la respiration; en outre, la fumée chargée de nicotine et d' empyreume pénètre dans les tubes et les ampoules pulmonaires et contrarie la revification du sang et la restauration de l' organisme. Fumer est une jouissance dont un touriste judicieux et maître de lui-même n' usera que le soir, avec beaucoup de modération.

Les touristes ne sont pas toujours touristes; aussi nous sauront-ils gré de reproduire, sous une forme succincte et plus impressive, des préceptes dont la pratique devrait être journalière et non pas occasionnelle.

Nous avons établi:

Que notre corps perd sans cesse de sa substance, et que les organes digestifs ont pour fonction d' éla les matériaux qui doivent le refaire, après que, mêlés avec le sang, ils auront acquis, par l' action de l' oxygène, des qualités nourricières et réparatrices;

Que la sanguification des sucs alimentaires s' ef proportionnément à l' activité du cœur et du poumon, elle-même étroitement liée à celle de l' ap locomoteur.

Que les qualités particulières du sang de chaque individu, d' où procèdent le tempérament, la constitution forte ou faible, la santé bonne ou mauvaise, robuste ou délicate, dépendent principalement de la manière dont cette opération s' accomplit;

Que ces deux facteurs, l' alimentation et la respiration, sont reliés l' un à l' autre par une longue suite de transformations non perçues, sur lesquelles nous n' avons aucune prise; mais que ces facteurs eux-mêmes, termes extrêmes de la série, tombent sous nos sens et sont soumis, dans une certaine mesure, à l' empire de notre volonté;

Qu' ainsi il est en notre pouvoir de faire, à l' un et à l' autre, la part qui assure le jeu régulier de la fonction vitale à laquelle ils concourent, et que nous sommes, plus qu' on ne le croit généralement, intéressés à la préciser; car bien que l'on ne méconnaisse pas le danger de toute circonstance capable d' apporter à cette fonction un trouble immédiat et sérieux, on fait peu d' attention aux suites de ses écarts lorsqu' elles sont éloignées et se produisent par degrés insensibles;

Qu' on est fondé à déduire de ce qui préeèdejia règle suivante: « que chacun doit s' appliquer à déterminer « par une observation attentive la juste quantité de « nourriture et de travail musculaire dont il a besoin « pour maintenir l' économie à un degré convenable « d' énergie et d' activité;

» car c' est seulement ainsi que l'on évite la surcharge des premières voies et la surabondance du sang et des humeurs, causes principales des maladies qui affligent et abrègent notre existence, particulièrement dans la seconde moitié de son cours.

En effet, supposons, c' est de beaucoup le cas le plus commun, que l'on se restaure plus qu' il ne faut; il arrivera de deux choses l' une: ou qu' une partie des aliments traversera les voies digestives mal digérée, en n' y causant que de la fatigue, sans profit pour la nutrition; ou bien qu' elle fournira une surabondance de chyle que l' économie s' assimilera in- complètement et n' éliminera que difficilemeÄt. Rendons ceci clair par quelques exemples.

Lorsque, sur la fin d' une journée sédentaire, on voit avec indifférence s' approcher l' heure du dîner, c' est un signe certain que le sang ne s' est point encore dépouillé des matières hétérogènes que la lymphe et le chyle lui ont apportées; nombre d' hommes demandent alors un appétit factice à l' absinthe ou au vermouth; les femmes ne touchent qu' aux mets qui sourient aux caprices de leur estomac; on se nourrit quand il faudrait faire diète, et, forcé de se débarrasser d' un surcroît de résidus malsains, le système s' ouvre des voies excrétoires supplémentaires.

Ainsi, sur la fin d' un hiver passé dans les conditions susmentionnées ( alimentation surabondante, vie molle et sédentaire ), quelques personnes voient ap- paraître, sur leur corps, de grandes plaques rouges,

32 parsemées d' une multitude de petits boutons qui laissent suinter une humeur fétide et sont le siège d' un prurit incessant.

Les toniques, les dépuratifs ne procurant pas de soulagement, on cesse tout remède; mais le-printemps est de retour, on reprend à la campagne des habitudes actives, un régime simple, rafraîchissant,, et, grâce à ce radical changement, la maladie de la peau s' en va, sans laisser de trace; seulement elle reviendra tous les ans si l'on rentre dans les mêmes erres.

Autre cas. Qui ne sait que financiers et diplomates sont aussi sujets à la goutte que les laboureurs le= sont peu? et qu' on en a vu qui, forcés de renoncer aux dîners somptueux, à la vie de salon et du grand monde, pour mener une existence laborieuse et sobre, ont dû le « retour de leur santé au même coup qui avait anéanti leur fortune? Aux initiés de la grande confrérie des podagres, « qui voudraient bien savoir leur recette », nous les entendons répondre d' un ton quelque peu narquois: Eh! mais, volontiers; la voici r « Yivez d' un écu par jour, gagné à la sueur du corps. » Nous en dirons autant de beaucoup de maladies où des sables, des graviers et d' autres produits morbides se font jour par les reins, parce qu' ils n' ont pu s' éli par la peau ou le poumon.

Il en est de plus fâcheuses encore, qu' engendrent des causes non pas identiques, mais analogues; ce sont les affections tuberculeuses, dénomination qu' elles doivent au fait pathologique qui les caractérise: à la formation dans tous nos organes, mais plus fréquemment dans le poumon, de dépôts d' abord microscopiques, d' un blanc grisâtre, qui acquièrent successive- ment, au bout d' un temps variable, quelquefois très-long, le volume d' un grain de millet, d' un pois, d' une aveline, d' une noix, d' une pomme, qui s' aglomèrent alors, se fondent, puis se vident dans les bronches, laissant à leur place des ulcères d' où s' écoule un pus de mauvaise qualité.

Telle est la maladie connue sous le nom de plithisie ou de consomption pulmonaire.

Ces tubercules semblent de même nature que la substance albumineuse qui abonde dans la sérosité du sang ( la protéine ), et qui fournit, en se transformant, la trame des tissus organiques. Si l'on recherche les obstacles qui s' opposent à ce qu' elle s' emploie tout entière à cette fin, comme chez les personnes dont la constitution est bien équilibrée, et la déterminent former ces dépôts, on rencontre la plupart, quelquefois même tout l' ensemble des circonstances suivantes l' assimilation incomplète d' une nourriture soit sur- abondante, soit d' un mauvais acabit; la langueur de la circulation et de la respiration, conséquence d' une vie passée dans la mollesse et le désœuvrement, ou d' un travail sédentaire assidu nécessitant l' inactivité de l' appareil locomoteur, la privation de la lumière du soleil, le froid et l' humidité de l' habitation, le manque de vêtements chauds, et enfin l' infiltration des germes d' hérédité dans le passage successif de plusieurs générations, au travers de ce formidable ensemble de circonstances productrices de graves détériorations constitutionnelles. Comparativement rares dans les classes aisées, ces maladies sont un terrible fléau pour les pays industriels; il résulte d' un recense- ment fait il y a quelques années, que, pour une population d' environ quinze millions d' habitants, et sur un total annuel de cinq cent mille décès, l' Angleterre comptait soixante et dix mille cas de plitliisie.

La statistique éclaire d' un jour très-vif l' étiologie de ces affections délétères. En nous les montrant comme des effets proportionnés aux causes que nous leur avons assignées, elle fait ressortir l' étroite dépendance où sont l' une de l' autre: l' alimentation, la digestion, l' activité locomotrice, la respiration, la sanguification et l' assimilation moléculaire, d' où résulte, en fin de compte, la nutrition, la force et la santé du corps.

Terminons ces considérations par quelques conseils puisés à la même source.

Une excursion doit-elle être d' une certaine durée, par exemple de deux à trois ou quatre semaines? Qu' on la commence à petites journées et par la section la moins ardue; car, à l' instar de toutes les autres, la machine humaine veut, sous peine de dommage, qu' on la mette en mouvement par une impulsion graduelle et modérée.

L' exercice dont on est en droit d' attendre de bons effets, procure de l' appétit, du sommeil et une lassitude qu' une seule nuit dissipe. Il est excessif et nuisible si une fatigue profonde lui succède, en s' accom de soif, d' inappétence et de nuits agitées où le lit n' a pas une place de bonne; c' est alors le cas de prendre quelques jours de repos.

Dix heures de marche d' un pas réglé, équivalant à un trajet de trente à trente-cinq kilomètres, divisées en deux temps avec repos, de cinq à onze heures du matin et de deux à six heures de l' après midi, nous paraissent une étape quotidienne convenable pour des hommes jeunes et bien portants, et que l'on doit rarement outrepasser dans une course de deux à quatre semaines.

De retour chez lui, que le touriste se garde de reprendre sans transition le cours d' une vie chargée d' études et d' occupations sédentaires; qu' il se garde surtout de chercher ses délassements dans un local encombré de monde où l'on respire un air vicié par des émanations malsaines et la fumée du tabac; qu' il demande plutôt de l' appétit, des digestions faciles, un sommeil calme et réparateur à la promenade, au jeu de boules, à un assaut d' armes; qu' il mette à profit les jours fériés pour organiser une partie de ballon, de criquet ou de barres; et surtout qu' il réduise son alimentation au strict nécessaire, car il sait que la balance entre le départ et rapport est une des conditions essentielles de la santé, et que, pour la maintenir égale, celui-ci doit se régler sur celui-là.

C' est là le difficile; aussi le bénéfice réalisé n' est souvent qu' éphémère et d' autant plus regrettable qu' avec un peu d' énergie on refit pu consolider; il l' est surtout quand il s' agit d' adolescents, parce qu' à leur âge une partie notable de ce bénéfice est susceptible de se convertir en une acquisition définitive, les organes recevant alors leur développement et leur vigueur; plus tard, ils pourront bien rencontrer, dans des circonstances favorables, les moyens de conserver ou de rétablir leur santé, mais non plus de fortifier leur constitution.

D' autres points ont été annoncés; abordons-les.

Nous voici donc échappé de la grand' ville et du tourbillon des affaires, pour nous retremper dans l' air des montagnes où nous comptons laisser un alanguisse-ment qui abat nos forces et notre activité, qui ternit nos joies, rend notre intelligence moins prompte, moins ferme, notre mémoire moins fidèle; car nous savons que ce malaise vient d' un ébranlement du physique qui a gagné le moral, et que les heures matinales, la promenade journalière, le repos d' esprit, les habitudes tempérantes, enfin qu' un mode de vivre salubre de tous points, en dissipant les suites des écarts hygiéniques de l' hiver, raffermira le système et renouvellera l' homme intérieur.

Mais ne voudrons-nous employer à cette restauration que les facultés croissantes de l' estomac et du jarret? l' esprit n' y aura-t-il point de part? n' éprou pas le besoin, pour l' enlever à ses préoccupations habituelles, de lui donner à déchiffrer les brillantes pages du livre de la nature si libéralement ouvert à nos regards? Quel admirable spectacle cependant que celui de ces assises rocheuses, superposées par gradins réguliers, qui retracent en caractères aussi clairs que gigantesques l' histoire des âges primitifs de notre planète? que celui de ces innombrables débris organiques qui racontent, dans un texte authentique, l' apparition simultanée de la vie sur tout le globe, et les époques successives de l' évolution des espèces végétales et animales? Quel curieux problème ne soulève pas la découverte qu' on a faite au Spitzberg et dans plusieurs autres contrées polaires, de forêts fossiles dont les analogues habitent aujourd'hui des régions intertropicales, tandis que le sol où elles sont enfouies se pare d' une flore identique à celle des Alpes et des Pyrénées, que l'on ne rencontre nulle part dans les plaines intermédiaires?

Et quel esprit avide de s' ins ne se plairait à interroger nos glaciers sur les phénomènes de cette époque étrange — dont ils ne sont plus aujourd'hui, nonobstant leur étendue, que de bien faibles restes — durant laquelle des forces incalculables ont transporté à des distances immenses, et accumulé en quantités prodigieuses, ces blocs erratiques dont nous admirons les représentants dans les vallées du Rhône et de l' Arve?

Les Alpes offrent en abondance au touriste des sujets d' études qui ajoutent à l' attrait de ses ascensions; ainsi, quoi de plus gracieux, de plus varié, de plus nouveau pour l' habitant des villes que leur Faune et leur Flore? Quels transports à la vue des soldanelles, de la gentiane et du silène acaule; de la violette à éperon, des renoncules, des anémones, des rhododendrons? Mêlés au sentiment de bien-être que l'on respire sur ces hautes cimes, à la joie d' avoir posé sa chaîne pour un peu de temps, ils nous font aimer les lieux où naissent ces charmantes fleurs.

C' est alors que s' éveille chez plusieurs un goût très-vif pour la botanique que l'on souhaiterait voir se généraliser et s' étendre à la physique terrestre et aux autres branches de l' histoire naturelle, plus particulièrement à la géologie et la minéralogie; res- sources précieuses dans les jours de repos forcé — car on ne peut s' appliquer à ces sciences sans collectionner — où l'on examine, où l'on étiquete sa récolte, en attendant qu' elle devienne une source de jouissances et d' instruction, lorsque, de retour à la ville, on s' oc à la classer.

Mais n' insistons pas sur le profit que retirent individuellement ceux qui se livrent à ces-études; faisons plutôt ressortir les avantages dont il est en leur pouvoir de doter le pays.

Le sol très-accidenté de la Suisse est riche en produits naturels qui s' emploient dans l' agriculture et l' industrie; la découverte d' un dépôt de pétrification » abondantes en phosphate et en carbonate calcaires,, d' une couche d' anthracite ou de lignite, de gypse, de pierre à chaux hydraulique, de terre réfractaire, substances minérales dont les qualités supérieures sont très-rares chez nous, ou d' autres matières de ce genre, deviendrait plus fréquente à mesure que se multiplierait le nombre des explorateurs instruits, et ne saurait manquer d' accroître la prospérité des districts où elles gisent.

Ce n' est pas tout. Nous avons des Musées de divers ordres. Les uns, appartenances des établissements de l' Instruction publique supérieure, académique ou universitaire, doivent offrir le compendium des trois règnes le moins incomplet possible; d' autres, annexés à des institutions moins considérables, se bornent à' choisir avec discernement, et à arranger avec méthode, un nombre restreint d' individus, portant, autant que possible, les caractères distinctifs de l' espèce, du genre, de la famille et de l' ordre auquel ils ap- partiennent;

enfin l' impulsion que l' enseignement secondaire a déjà reçu d' une loi récente, fait sentir, surtout dans les campagnes, la nécessité de collections, principalement ouvertes aux produits usuels de notre propre sol: substances minérales; arbres et arbrisseaux à fruits; plantes céréales, fourragères, textiles, olé-agineuses, etc.; animaux utiles: mammifères, oiseaux, reptiles, insectes qu' il faut protéger; nuisibles qu' il faut détruire, etc. Or, si l'on suppute le nombre des musées à pourvoir: un de la première catégorie pour chaque chef-lieu de Canton; un de la seconde classe par chef-lieu de district, et un de la troisième par école secondaire, on arrive à un chiffre qui fait sentir le prix du concours que l'on obtiendrait de chercheurs actifs et intelligents.

L' intérêt qui s' attache à la poursuite d' un objet utile, n' est pas le seul attrait que cette nature grandiose offre au touriste; elle lui réserve encore de sublimes émotions. Quel spectacle de voir cet entassement de monts altiers, de pics aigus qui percent les nuages, des champs de neige sans fin, des frimas perpétuels au milieu des ardeurs de l' été! Quels contrastes à chaque pas! Ici des fleurs et des fruits que l'on cueille d' une main, tandis que de l' autre on touche le glacier; là de bizarres oppositions de lumière et d' ombres portées, ou de teintes étranges! Quelquefois on y voit un orage, tel que la plaine n' en connaît pas, se former dans l' après d' un beau jour. En quelques instants, d' épais nuages enveloppent les touristes, alarmés et sans abri, de ténèbres que de continuels éclairs déchirent sans les dissiper; la foudre éclate autour d' eux de toutes parts, et mêle son tonnerre à la grande voix de la forêt qui mugit et se courbe sous la rafale et l' averse torrentielle.

Ce bouleversement des éléments est d' ordinaire passager; bientôt le calme renaît, et de nouveau le ciel sourit à la terre. Nos touristes chassent avec une gorgée de cordial le froid qui les transit, et gagnent au pas accéléré le chalet le plus voisin où ils sèchent leurs habits tempes par la pluie; puis ils descendent à l' étape par une soirée radieuse qui promet un ciel d' azur pour l' ascension du lendemain; ils se couchent enfin, après s' être restaurés, et non sans avoir repassé plus d' une fois, dans leurs entretiens, sur la scène dont les beautés sublimes et terribles leur a laissé un impérissable souvenir.

Le jour n' est pas seul en possession de pareilles magnificences; rien ne surpasse la splendeur des nuits de ces hautes régions: l' éclat, la transparence de leurs firmaments, la mystérieuse solennité de leur silence qu' interrompent seuls, à de rares intervalles, le bruissement d' une cascade lointaine, apporté par le vent, ou les majestueux roulements de l' avalanche, ne peuvent se figurer.

Que l' amateur des grandes scènes de la nature ne craigne pas d' affronter quelques difficultés, et s' en aille passer une ou deux nuits de la. seconde quinzaine de Juillet à l' une des dernières stations de la chaîne du Mont-Blanc, du Mont-Rose, du Finsteraar ou de l' En, et se tienne pour assuré qu' il ne regrettera ni sa fatigue, ni ses frais.

Le touriste ne s' absorbera pas tout entier dans la contemplation de ces beautés;

il voudra connaître l' action que les conditions physiques, propres à la région des Alpes, exercent sur la constitution de l' homme.

Nous avons vu que Rousseau les avait démêlées avec une rare sagacité: De Saussure, à qui elles n' ont point échappé, les touche aussi dans la partie pittoresque de ses voyages; nous y revenons dans une intention que nous dirons tout à l' heure.

C' est une chose très-remarquable que les différences qu' il y a entre les habitants des grandes vallées d' Aoste, de Maurienne, de Tarentaise et du Valais, là surtout où le fond en est très-resserré, et les habitants des chaînes de montagnes latérales. Chez les premiers, on est frappé par l' aspect de détériorations, dont voici les traits les plus saillants: Un visage have et ridé, un air de vieillesse prématurée et souf: freteuse; des chairs flasques, un corps émacié, un gros ventre; des jambes engorgées; enfin le goitre et le crétinisme à tous les degrés. La dégénérescence du physique s' accompagne de celle du moral; à l' apathie d' un caractère égoïste et lâche s' ajoutent la plus crasse ignorance, une malpropreté repoussante et la misère, conséquence inévitable d' un travail inintelligent.

Sans doute, ils ne sont pas tous atteints; quel-ques-uns meurent jeunes, d' autres continuent à traîner une existence misérable; mais, dans le reste, on en voit encore beaucoup que l' endémie a marqué de quel7. qu' un de ses stigmates.

Chez les montagnards, les traits sont tout l' opposé; en particulier le crétinisme endémique leur est étranger, et l' influence préservatrice du milieu où ils vivent est si bien reconnue que les familles riches de la plaine leur envoient ceux de leurs enfants qui paraissent menacés, et les laissent jusqu' à ce que la constitution se soit raffermie.

MM. les ecclésiastiques de la Savoie, les sœurs de la Charité et de St.Joseph, avec lesquels nous entretenions, il y a trente et quelques années, de nombreux rapports professionnels, nous ont à l' envi confirmé ces faits dont nous avions puisé la connaissance dans l' observation directe. Placés à la tête, tantôt des paroisses et des écoles de la plaine, tantôt de celle du haut pays, ils étaient parfaitement à même d' apprécier les aptitudes respectives des populations, et ne tarissaient pas en éloges à l' endroit de la vive intelligence de ces dernières.

Quittons maintenant les détails et jetons un coup d' œil d' ensemble sur le champ qu' assigne à l' activité du Club la nature même des objets qu' on y rencontre.

En premier lieu, c' est une hygiène qui, bien conduite, concourt, avec la gymnastique, à fonder des constitutions et des santés robustes, à développer la force, l' adresse et la beauté corporelles. Le sentiment d' avoir apporté tous nos soins à l' exposition des connaissances et des préceptes qui assurent ces avantages, nous donne une très-douce satisfaction; toutefois il nous reste à former un vœu; c' est que nos lecteurs, non contents de parcourir ces pages, s' y arrêtent et en fassent le thème de studieuses méditations. Les vulgarisations de la science ont cet inconvénient qu' elles nous disposent à croire que nous devenons maître des sujets dont elles ne donnent, et ne peuvent donner, qu' un très-sommaire aperçu; semblables aux averses d' été, elles inondent tout en un clin d' œil;

mais à peine celles-ci sont-elles passées, que, si l'on gratte le sol, on le trouve sec, tandis que les pluies fines, mais continues, d' Avril, le pénètrent et le fécondent.

En second lieu, c' est le développement que les facultés intellectuelles acquièrent par l' observation des phénomènes et des produits de la nature dont la beauté et l' infinie variété convient à des études pleines de charme et prodigues de fruits excellents; telle que la coopération de chercheurs instruits et rivalisant de zèle pour compléter les nombreuses collections qui font besoin dans tous les degrés de l' enseignement; telles encore que la connaissance topographique du sol natal, si avantageuse pour l' intelligence de son passé, et, plus encore, de ses ressources et de ses intérêts actuels.

En troisième lieu, ce sont les effets moraux. Là, en effet, on apprend que, pour se procurer une jouissance de l' ordre le plus élevé, la contemplation de scènes sublimes de la nature, l'on doit s' endurcir à surmonter de grandes fatigues, des souffrances, des périls même, et dompter la crainte et le vertige qui vous saisissent dans les passages suspendus aux flancs des rochers. Par ces exercices, le courage se fortifie, se double de sang-froid et de prudence; fame se rend familière cette précieuse promptitude de coup d' œil et de résolution qui dégage d' une situation critique, qui enlève à un danger. Dans leurs efforts pour atteindre ce noble but, nos jeunes gens sentiront le prix de la tempérance et de la sobriété; ils feront l' apprentissage de ces mâles et républicaines vertus; de retour à la maison, ils reconnaîtront que ce sont elles encore qui rendent les études fécondes, en donnant aux conceptions la vivacité, la force et la clarté dont elles sont susceptibles, la ténacité à la mémoire, à l' imagina la fraîcheur et la richesse, et ils restitueront à leur instruction et à la vie de famille les heures si tristement perdues dans la fréquentation de la brasserie ou de l' estaminet.

Enfin, un phénomène psychologique très-remar-quable, et si naturel que son absence est l' indice le plus certain d' une âme vulgaire, c' est le réveil du sentiment religieux. A mesure que l'on monte vers les hautes régions, que l' air devient plus pur et plus vivifiant, que l'on se sent plus léger, l'on oublie les affaires, les soucis, les passions de la cité; l' âme, tout à la fois exaltée et sereine, s' abandonne de plus en plus à des ravissements qui la purifient et la font se complaire dans l' illusion qu' elle est sur ces sommets plus près de son origine; il lui semble voir, sous la voûte resplendissante de ce temple immense, la famille du Père céleste, unie dans un commun sentiment de reconnaissance et d' adoration, fondement de l' infinie variété des cultes entre lesquels elle se partage, et cet élan religieux, en l' arrachant aux conceptions étroites, lui ouvre de vastes et radieux horizons.

Prsesentiorem conspiciens Deum Per invias rupes, fera per juga, Clivosque prœruptos, semantes Inter aquas nemorumque noctern.

Et que l'on ne se figure point que ces mouvements de l' âme sont éphémères et passent sans laisser de trace dans le souvenir;

les vieillards qui les ont connus dans leur jeunesse vous diront qu' ils ont pour eux des retours où les ans ne leur enlèvent rien de leur vivacité et de leur fraîcheur.

Il est à remarquer que ces trois catégories d' effets correspondent aux trois classes entre lesquelles se par-: tagent nos facultés physiques, intellectuelles et morales, c' est un fait exceptionnellement heureux; arrêtons-y notre attention, il en vaut la peine.

Si nous jetons un coup d' œil sur la scène du monde, nous ne tardons pas à nous convaincre que l' importance du rôle qu' on y remplit est moins en proportion du seul talent, quelque brillant qu' il soit, que du développement harmonique et simultané de nos facultés, de leur pondération, de leur accord. Peu de sujets nous paraissent plus dignes d' occuper l' activité des hommes d' un âge mur que la recherche des moyens propres à assurer cet important résultat, et à développer les aptitudes et les vertus civiques de la génération qui s' avance, car c' est dans ses rangs que se recruteront prochainement les Représentants du pays et les Chefs de l' Etat, les grandes Administrations, les Cours de justice, le Corps d' officiers de notre armée; c' est cette jeunesse enfin qui constituera classe sociale dirigeante, et de qui dépendra, dans une grande mesure, la prospérité publique.

Nous estimons avoir démontré qu' elle trouverait dans le Club Alpin une école d' application des principes d' hygiène, de gymnastique et de tempérance qui lui ont été enseignés ;. qu' elle y contracterait des habitudes viriles, des goûts relevés et l' amour d' études attrayantes autant que sérieuses, capables de contrebalancer les influences énervantes de la vie de ville durant la saison d' hiver.

Aucune association libre ne possède plus de ressources pour façonner les mœurs, à cette condition toutefois qu' elle aura de nombreuses ramifications parmi les âges encore susceptibles de recevoir une empreinte. Or le Club Alpin ne compte, dans une population de 2,700,000 âmes, que 1,700 sociétaires, dont beaucoup ont cessé d' appartenir à cette catégorie. Evidemment, c' est trop peu, et il y aurait avantage à en augmenter le nombre. Mais par quels moyens? Nous soulevons cette question qu' as nous n' avons pas la prétention de résoudre, dans l' espoir qu' on ne la jugera pas indigne de discussion, et, à cette fin, nous jetterons quelques idées sur le papier.

La pensée créatrice dont s' inspirèrent le docteur Simler et les trente-cinq amis de la nature alpestre réunis à Olten, en 1863, fut d' abord conçue avec largeur et formulée en des termes qui laissaient une grande marge à la pratique: « Le Club Alpin se donne pour tâche d' apprendre à connaître les Alpes sous tous les rapports, notamment en ce qui touche à la topographie, aux sciences naturelles et aux beaux arts. » Mais en 1866, l' assemblée générale tenue à Saint- Gall réduisit ce champ d' activité qu' elle trouvait trop étendu.

VEcho des Alpes, journal des Sections romandes du Club, offre la substance des travaux individuels et collectifs, accomplis conformément à ce dernier programme. La lecture en est généralement intéressante et récréative, surtout pour les associés que leur âge, une indisposition ou quelque autre cause a retenus à la maison;

toutefois on ne peut se dissimuler que l' agrément en est d' une nature précaire et menace de s' éteindre dans la monotonie qu' engendrent les descriptions forcément uniformes de régions chaque année plus explorées et plus circonscrites.

Les fêtes annuelles du Club, organisées à l' instar de celles que les Sociétés fédérales de Zofingue, Physique et d' Histoire naturelle, d' Utilité publique, d' Agriculture, etc., etc;, célèbrent successivement dans les chefs-lieux des Cantons, sont racontées avec verve et brio. On y assiste en pensée, on croit saisir l' écho des discours et des sentiments de dévouement mutuel, de patriotique solidarité, qui relient en un faisceau compacte les éléments hétérogènes de notre Etat fédératif. Ces fêtes sont vraiment belles et dignes de la faveur qu' elles se sont acquise.

Mais les travaux sérieux et utiles ne s' effectuent que par de petits groupes de trois sept collaborateurs au plus, en vue d' un but, dans un ordre et par des moyens arrêtés d' avance. Nous avons montré qu' ils sont demeurés jusqu' ici dans des limites assez étroites; c' était naturel. On peut comparer les auteurs d' une institution à des voyageurs qui commencent l' ascension d' une montagne; la vue, d' abord limitée par les objets les plus rapprochés, s' étend à mesure qu' ils s' élèvent, et embrasse enfin, lorsqu' ils atteignent le sommet, toute une contrée dont ils saisissent alors les détails et le relief. Aujourd'hui que l' Association a grandi et voit les choses de plus haut, elle reconnaîtra que son do-

33 maine est plus considérable qu' il ne lui avait paru à première vue, et renferme des parties qui, mises en valeur, seraient d' un grand rapport;

mais, pour cela, il faudrait aiguillonner les ouvriers et en multiplier le nombre. Comment faire?

Il y a plusieurs moyens; notre intention, nous l' avons dit, n' étant pas de traiter cette question, nous n' en indiquerons qu' un seul, que nous croyons particulièrement efficace. C' est de décerner des distinctions-honorables à ceux des sociétaires qui, soit par groupes, soit isolément, auraient entrepris des travaux proposés par le Club et les auraient menés à bonne fin aux conditions spécifiées par un Comité consommé dans la pratique des montagnes. Les prix ne seraient pas des coupes à boire, mais des atlas de cartes de divers genres, de plans topographiques, de vues-paysages; des tableaux représentant les pics escaladés et conquis; des livres richement reliés; de belles lunettes d' approche, des boîtes portatives renfermant une planchette avec ses accessoires; des piques, des piolets d' honneur, etc., etc.; et tous ces articles, du premier choix, produits des arts et des industries suisses, porteraient une inscription commémorative du fait glorifié.

Sans doute ce système entraînerait une dépense qui peut sembler lourde; car, inspiré par la pensée de s' ouvrir à toutes les bourses, le Club Alpin ne s' est que médiocrement enrichi par les cotisations de ses membres; toutefois nous ne mettons pas en doute que, si l'on en démontrait l' utilité, il ne se trouvât parmi eux de généreux donateurs qui se chargeraient de la couvrir.

Essayons-le.

Or, quel esprit attentif aux signes du temps ne voit, comme à l' œil, l' altière rivalité qui pousse une race puissante à s' emparer par les armes de la prépondérance politique en Europe, et à combattre avec le dernier acharnement pour des prétentions d' une tout autre nature que celles que des partis adverses consentent à régler par arbitrage? et que notre Suisse se prépare avec une calme résolution à parer aux éventualités qui pourraient surgir de ce terrible choc et mettre en péril sa neutralité et son indépendance?

D' autre part, nous traitera-t-on d' esprit chagrin, pessimiste, si nous faisons remarquer que les industries délicates de luxe et de précision si nombreuses chez nous, que les sciences, les lettres, les beaux-arts, le commerce, sont presque exclusivement cultivés par les classes aisées, et qu' ils imposent une vie sédentaire dont les effets s' ajoutent aux molles habitudes qui suivent le progrès de la richesse, de telle sorte que ces classes sont physiquement mal préparées pour la vie des camps?

La première idée qui vient à l' esprit, c' est de les éclairer sur les maux qu' elles affrontent, d' y répandre à foison de saines notions d' hygiène. L' expérience que nous en avons faite nous permet d' affirmer que ce serait une illusion. A l' exception d' un petit nombre de jeunes hommes auxquels des parents judicieux ont fait contracter de bonne heure les goûts d' une vie active et tempérante, la plupart de ceux qui sont dans la force de l' âge rient des conseils qu' on leur offre à cet endroit et trouveraient ridicule de quitter leur ornière;

lorsque quelque infirmité les forcera de se défaire de leurs pernicieuses pratiques, ils pourront au plus prétendre à réparer les dommages de leur constitution; rage où elle s' affermit sera passé.

Mais si le raisonnement est impuissant, des moyens moins directs ont souvent opéré d' heureuses diversions; par exemple, quand on a remplacé l' attrait des choses malsaines par l' attrait de leurs contraires. Qui ne connaît les prodiges de courage, d' abnégation, de persévérance, de mâles vertus qu' enfantent, dans toutes les carrières, l' ambition des distinctions honorifiques? qui ne sait combien l' émulation est communicative parmi la jeunesse. lorsqu' on lui propose un but généreux?

Il est temps de nous arrêter; trop de zèle expose à manquer de discrétion; peut-être même en avons-nous déjà un peu mérité le reproche; peut-être aussi le Club Alpin acceptera-t-il pour excuse notre sincère désir de le voir organiser ses ressources et concourir à former ces types de complète personnalité chez lesquels une intelligence sûre et prompte et une santé de fer sont aux ordres d' un moral énergique, car alors il prendra rang avec celles de nos institutions nationales qui s' acquièrent, par leurs services, le plus de considération et d' honneur. N -,.

III.

Kleinere Mittheilungen.

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