Dans nos Alpes: la vision des espaces
La vision des espacesPar Albert Picot
A mon cher collègue du CAS Victor Mserky Ceux qui, amoureux de nos montagnes, aiment à suivre les sentiers des vallées, à passer des cols, à gravir petites et hautes cimes, savent la diversité des sites, leurs variations sous des lumières différentes, leur coloration vive ou pâle. Ils accordent aussi leur importance à la mesure des horizons étroits ou larges que ces sites permettent de contempler.
Sur ce dernier point, a-t-on jamais cherché à établir quelque hiérarchie des valeurs? A-t-on fait des comparaisons entre des sites analogues ou des sites dissemblables, mais tous nobles et grands pour l' ami de la nature?
Nous pensons tout d' abord à cette grandeur alpestre marquée par la hauteur et la puissance des verticales qui dominent le spectateur. Qu' on évoque dans l' étroit Lötschental, à la hauteur de Blatten, l' effet de beauté produit par la vision de la haute cime du Bietschhorn dressée presque d' une seule paroi au-dessus des étroits alpages que le promeneur traverse! Qu' on évoque à Randa, en montant à Zermatt, l' effet saisissant des deux murs chargés de glaces et de séracs qui montent, l' un en face de l' autre, à plus de 4000 mètres vers le Weisshorn à l' ouest et vers le Dôme des Mischabel à l' est.
Et l'on pensera aussi à une vue plus modeste, mais non moins prenante, celle de Lauterbrunnen, qui a inspiré à Gœthe la description de la cascade du Staubbach.
C' est le jeu infini des verticales coupées au zénith par le bleu du ciel.
D' autres sites révèlent la grandeur des larges horizons, même lointains et très lointains. Nous pensons au promeneur qui descend de Crans s. Sierre vers Lens ou vers Chermignon et dont le regard va de la masse hiératique du Monte Leone jusqu' aux Aiguilles Rouges de Chamonix en passant par les grandeurs magnifiques du Weisshorn, de l' Obergabelhorn, de la Dent Blanche et du Combin. Ces formidables verticales viennent donner quelques hautes notes dans un ensemble remarquable par l' unité sereine de ses horizons multiples!
Que concevons-nous d' autre entre ces premiers tableaux verticaux et ce tableau exceptionnel des plus grands horizons?
Toute une gamme que le lecteur évoquera lui-même. Gamme quelquefois limitée. Théoriquement Zermatt, avec ses cinq cycles de glaciers et de cimes, Findelen, Gorner, Furg, Zmutt et Trift, devrait nous offrir les plus grands espaces, mais on sait combien des gorges comme celles de Zmutt et du Trift isolent jusqu' à une certaine altitude une partie des ensembles. Que l'on n' oublie pas pourtant l' impression de grandeur des espaces que l'on voit du Lac Noir ou de l' arête de Furg au-dessus de la cabane de la Gandegg.
Si nous faisons appel à nos souvenirs valaisans, nous proposerons comme un des sites les plus complets, au point de vue du jeu harmonieux des horizontales et des verticales, les plateaux supérieurs — atteignables de Bourg-St-Pierre par de petits chemins — de la combe qui sépare le Combin et le Vélan et au fond de laquelle s' étendent les glaciers et les moraines de Valsorey et de Tseudet.
De 2500 mètres, à la hauteur de la cabane du Vélan, le regard, vers le nord, va vers des cimes éloignées qui barrent à peine l' horizon, et dans le grand lointain on devine le Lac de Genève, le Mont Pèlerin, le Jura. C' est une ouverture presque romantique vers la douce Suisse du Plateau. Et pourtant, à peu de distance au nord-ouest, c' est le début de la chaîne du Mont Blanc avec ses aiguilles sévères; au sud, ce sont les 3700 mètres du Vélan; à l' est, c' est la face rocheuse du Combin de Valsorey qui se dresse verticale, comme le Cervin, au-dessus de Breuil ou de Zermatt. L' impression de grandeur des horizons s' ajoute à celle de la hauteur des cimes pour donner un des spectacles les plus saisissants qui se puisse concevoir...
Nous arrêtons là cette méditation qui ne veut être qu' évocatrice de comparaisons peu fréquentes mais peut-être un peu trop schématiques.