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De Klosters à Iselle

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Paul Steiner, St-Gall

Le 22 juillet 1968, dans la matinée, le train nous dépose à Klosters; nous, c'est-à-dire le père qui compte entre 60 et 70 ans et ses deux fils, dont Paine, Paul, vient de finir son premier cours de répétition et le cadet, Peter, son école de recrue.

Quel joyeux départ vers les sommets! Près de nous la bouillante Landquart, au-dessus de nos têtes le ciel bleu, et en nous une joie sans borne, car nous avons devant nous trois pleines et longues semaines de marche. Dans l' après, nous arrivons à la cabane Vereina. Un vent frais souffle dans la vallée et, de tous côtés, les montagnes et les ruisseaux nous font signe et nous enchantent.

Le lendemain, nous nous mettons en route pour les lacs du Jori et le Col du Jörifless. Le ciel se couvrant, nous ne voyons que partiellement le Weisshorn de la Flüela, mais il est bien beau tout de même. A l' extrémité du Jörifless, sur la route du Col de la Flüela, nous attendons l' auto postale qui doit nous conduire plus haut pour nous permettre de gagner la Cabane Grialetsch par le chemin le plus direct. Il est vrai que le chauffeur ne sait pas nous dire où ce chemin prend son départ. Je m' assieds donc à côté de lui et guette le chemin qui doit bifurquer à gauche vers le Val Grialetsch. En effet, un poteau indicateur jaune apparaît bientôt sur le côté gauche de la route: il ne peut désigner que ce chemin-là. Et nous voilà repartis sur nos jambes, hélas! sous une pluie toujours plus violente. A notre arrivée à la cabane Grialetsch, tout est bouché autour de nous. Mais dans la maison bien remplie règne une joyeuse animation. Des jeunes gens nous font aimablement un peu de place, et nous trouvons ainsi, malgré tout, les couchettes qu' il nous faut.

A notre réveil, le paysage est couvert de neige - et il neige toujours! Durant notre marche dans le Dischmatal supérieur, la neige se transforme en pluie battante, et le déjeuner, dans le vieil hôtel sympathique de Dürrboden, nous en paraît d' autant meilleur. Pendant toute notre montée au Col de la Scaletta, la pluie n' arrête pas de tomber. Je songe, tout en grimpant, à la première fois où j' ai parcouru ce chemin, lorsque, il y a 43 ans, l' été précédant mon examen de maturité, j' ai fait ma première longue randonnée à pied — qui devait être la dernière pour longtemps. Certes, les Alpes rayonnaient alors dans toute leur splendeur, mais les autres conditions de mon excursion étaient moins brillantes: mes pieds me faisaient de plus en plus mal dans des souliers qui formaient des plis sur les orteils. A cette époque, je n' avais jamais vu de souliers de montagne. Dans la vallée de la Sulsanna, j' avais rafraîchi mes pieds meurtris dans le ruisseau et mangé des cornettes à moitié cuites j' avais dû économiser le combustible du réchaud à méta pour subsister quinze jours avec mon maigre argent de voyage. On souligne aujourd'hui les côtés négatifs de notre société riche et prospère. Je pense, quanta moi, qu' il est heureux que tant de gens puissent aujourd'hui s' o ffrir des vacances et acquérir un équipement convenable.

A côté de ces souvenirs et méditations, je racontais à mes deux compagnons, en face de la vue bouchée, comme ce serait beau par temps clair. Nous arrivâmes ainsi, sans nous en apercevoir, au Col de la Scaletta. Mes fils firent un toit de nos pèlerines de nylon posées sur un ancien abri militaire en ruine et nous pûmes dîner là-dessous plus ou moins au sec.

Entre-temps, il avait recommencé à neiger. A partir de la bifurcation des chemins ( P. 2536 ), un sentier gagne directement la cabane Kesch par les hauteurs. La question se posa donc de savoir si nous le prendrions ou si - pour des raisons de sécurité et d' enneigement - nous allions suivre le chemin du col qui descend dans le Val Fun-tanna, puis remonter le long de la vallée jusqu' à la cabane du CAS. Les jeunes étaient pour le chemin plus court par les hauteurs; après une discussion amicale, ce sont eux qui l' emportèrent. Ils avaient raison, car ce fut, plusieurs heures durant, une joyeuse équipée, en plein été et en pleine neige, à l' altitude du Säntis. La trace du sentier demeura toujours bien visible et il y eut même quelques éclaircies. Le gardien de la cabane Kesch, à qui nous nous étions annoncés par téléphone pour le prier de nous guider le lendemain sur le Piz Kesch, nous assura qu' il ne pouvait en être question à cause de la neige fraîche. De plus, il devait accompagner le jour suivant une autre famille de touristes jusqu' au versant engadinois du massif du Kesch par la Porta d' Es. Il ne nous restait plus qu' à renoncer au Piz Kesch; en même temps, nous renoncions aussi - mais sans peine - à passer la nuit sur un plancher dur, la cabane Kesch étant en transformation, et nous descendîmes dormir plus confortablement à Chants, petit village d' alpage et de vacances du Val Tuors.

Le lendemain nous redescendîmes la vallée vers Bergün, en faisant un crochet par Latsch. Au-dessous de ce village, nous pûmes admirer pendant la pause de midi le Piz Ela qui se dressait en face de nous. Dans l' après, Paul junior poussa une pointe vers l' arête nord de l' Ela, tandis que Peter et moi visitions Bergün. A l' heure de l' œcuménisme, j' admirai également la belle et ancienne église protestante et la jolie église catholique toute neuve.

Le jour suivant était réservé au repos. Selon notre programme, nous voulions le passer à la piscine de Bergün. Ce bassin en plein air nous avait toujours fait envie lorsque nous passions en train. Mais il nous fallut renoncer également à ce projet-là; le temps s' était bien remis, mais il restait pourtant très frais et ne permettait guère la baignade.

Nous pûmes donc ajouter à notre programme une excursion à Schmitten, village où nous avions passé, à trois reprises et bien des années plus tôt, des vacances heureuses et insouciantes. Le voyage se fit en train jusqu' à Filisur, puis à pied jusqu' à Schmitten. Cette grimpée a une signification toute spéciale dans notre chronique familiale: au début des premières vacances à Schmitten, j' avais dû rester encore un peu de temps à St-Gall pour mon travail. La chaise longue que j' avais envoyée pour compléter l' équipement de vacances n' était pas arrivée par la poste à Schmitten - pour je ne sais quelle raison - mais bien par le train à Filisur. Plein de courage, le petit Paul - qui était alors en deuxième année d' école - la traîna jusqu' en haut. Il répétait à sa maman pour la convaincre que, s' il transportait cette chaise, papa serait sûrement d' accord d' emporter à la maison deux des chatons qui étaient nés dans la ferme voisine et qui étaient destinés à mourir parce qu' on en avait déjà suffisamment. Et en effet, papa se déclara d' accord: les deux chats grisons - le joyeux « tigerus alpinus » et son frère jumeau plus prudent, « murrulus rhaeticus » - devinrent pour bien des années les petits amis de la famille.

Mais, en 1968, c' est sans effort que nous montons à Schmitten et, de là, à Wiesen par un merveilleux chemin forestier. Puis nous traversons le viaduc du chemin de fer pour revenir par l' autre versant de la vallée à Filisur, où nous reprenons le train pour Bergûn.

Nous avons vécu ensuite une journée de marche intensive, également unique en son genre. Nous sommes montés tout d' abord par le nouveau chemin pour piétons de l' Albula au petit village de Naz, un peu au-dessous de Preda, et nous avons gagné, sur la droite, la Fuorcla da Tschitta; puis nous sommes descendus qu' aux lacs situés au pied du Piz Ela et, continuant vers l' ouest sur la hauteur, nous sommes arrivés au-dessus de Savognin et avons gagné ce village. La journée était chaude et le trajet fort long; les jeunes avaient dû partir en avant pour s' assurer que la chambre réservée pour la nuit n' avait pas été louée à d' autres personnes.

Quelle différence entre Bergün et Savognin! Le premier reste fidèle à lui-même et les nouvelles maisons de vacances y sont intégrées au paysage, tandis que l' autre est déjà gâté par le tourisme.

Etape suivante: Innerferrera dans l' Avers, par le Col du Starlera. Au col, le Weissberg d' Avers nous salua dans sa majesté tranquille; le sentier alpestre qui descend vers Innerferrera fut un bienfait pour le corps et l' esprit. Nous n' a rencontré personne, sinon le berger de l' al de Starlera et ses enfants. Nous avons bu, chez lui, du lait délicieusement frais. Il nous raconta combien sont rares les promeneurs qui passent le col dans la saison. Les hommes sont vraiment curieux! Ils s' entassent dans une station comme Savognin pour se reposer, dans le bruit et l' agitation, du bruit et de l' agitation du travail et de la ville! Mais des beautés qu' of les environs, ils ne voient que bien peu de chose. Ils sont bizarres aussi pour d' autres raisons; nous nous en sommes rendu compte lorsque nous avons demandé aux gens d' Innerfer si le rifugio Bertacchi était toujours en service et s' il était ouvert. Lors de la préparation de notre voyage, nous l' avions découvert sur la carte au-delà du Col de Niemet tout proche, en Italie. Personne à l' hôtel ne put nous renseigner. Finalement, on nous dit de nous adresser à la vieille dame du magasin d' en face. L' infor qu' elle nous fournit se résuma à ceci: elle y était allée une fois dans sa jeunesse. Il se trouvait là-bas en effet un refuge où elle avait consommé quelque chose, mais elle ne savait pas ce qu' il en était advenu depuis. Les hommes parcourent en quelques heures la moitié de la terre et font des expéditions vers la lune, mais ce qui se trouve à quelques kilomètres au-delà d' une frontière facile à franchir, personne ne le sait. C' est un pays totalement inconnu!

Eh bien, cet inconnu, nous l' avons exploré nous-mêmes. Du Col de Niemet, nous avons vu le lac du même nom - c'est-à-dire un peu abrégé: Lago di Emet - et la jumelle nous avons aperçu deux vieilles maisons de pierre qui auraient pu dater du Moyen Age. Par les bergers du bord du lac, nous avons appris laquelle des deux était le refuge, mais il était fermé les jours de semaine. Quant à l' autre maison, elle était privée, donc également inaccessible pour nous. En revanche, les bergers nous ont offert le plancher du premier étage de leur chalet pour y passer la nuit. Comme c' était un peu dur et qu' on ne pouvait y mettre du foin ou une autre paillasse, nous avons continue le soir même qu' à Monte Spluga, à l' extrémité du lac artificiel du même nom. Monte Spluga est un charmant village sur la route du Splügen, un authentique coin d' Italie entouré de trois côtés des montagnes frontalières de la Suisse.

La suite de notre randonnée fut également magnifique: marche le long de la rive ouest du lac puis, sur le versant ouest, à travers des pâturages présentant une flore splendide, de jolis ruisseaux, et des échappées vers le sud. Nous avions choisi comme étape suivante l' Alpe Chiodia sur le versant gauche du Val Febbraio. Il est vrai que cette dénomination ne se trouve que sur notre carte nationale et qu' elle était inconnue des indigènes. Néanmoins, cela nous a beaucoup plu. Après quelques recherches, nous avons trouvé une dame qui a bien voulu mettre à notre disposition la moitié de son fenil pour y dormir. Tandis que mon fils Paul passait la fin de l' après à reconnaître les lieux, Peter et moi installions notre échiquier de voyage. En plein air, sur une terrasse qui domine la vallée, ce fut un plaisir tout particulier.

La marche du lendemain nous mena par le Col de Balniscio à Pian San Giacomo dans le Val Mesolcina. Dans la seconde partie du parcours, ce fut à nouveau une promenade extraordinaire. Pendant la montée, une trace de sentier, le long d' une série de jolies cascades, indiquait encore la direction de la vallée, mais l' Alpe di Balniscio et le chemin qui en descend res-: tèrent invisibles, car tout le versant était couvert d' une végétation exubérante et presque tropi-ale, dans laquelle le chef de famille, qui n' est pas spécialement grand, disparaissait complètement.

Heureusement pour lui, il n' était pas seul et ses deux fils, le dépassant d' une bonne tête, émergeaient tout juste de la brousse et pouvaient trouver ainsi le passage le plus indiqué pour descendre.

Le lendemain, nous avons parcouru en car postal le val Mesolcina supérieur jusqu' au St-Bernardin. Quel voyage amusant! D' abord parce que le paysage était charmant, et surtout parce que le chauffeur du car était en même temps facteur; il s' acquittait de cette fonction en jetant à ses clients, en pleine course, des journaux qui décrivaient un grand arc avant de tomber au bord de la route.

Du St-Bernardin, nous avons gagné le Val Calanca par le Passo Passetti. Les deux petits lacs pleins de charme qui ornent le sommet du col nous invitèrent, Paul et moi, à nous baigner. La descente sur le Val Calanca fut à nouveau romantique à souhait, d' autant plus que le sentier était barré en partie par de grands sapins que l' orage ou la neige avaient renversés. Le Val Calanca, ainsi d' ailleurs que le Val Mesolcina et la vallée du Monte Spluga, était pour nous trois un pays inconnu. Dans sa partie supérieure, il présente tout à fait l' aspect des paysages et gravures de montagne romantiques du siècle passé. A Rossa, le premier village rencontré, nous nous sommes dirigés tout droit sur la poste pour y retirer nos deux valises contenant une tente et ses accessoires. Nous voulions rester deux nuits ici pour visiter la vallée le jour sui- vant. Après quelques recherches nous avons trouvé pour planter notre tente un endroit qui répondait aux exigences minimales: sol pas trop dur, eau fraîche, bois mort pour la cuisine, environs agréables, enfin un endroit à l' écart des chemins et des habitations humaines. Paul s' annonça pour planter la tente, Peter pour faire la cuisine Mais au milieu de cette euphorie, voilà qu' il se mit à pleuvoir - et la pluie dura toute la nuit et encore le lendemain. C' est pourquoi nous nous sommes rendus au village vers midi pour chercher un logis plus sûr. Nous voulions éviter de plier et de envoyer une tente trempée par une seconde nuit de pluie.

Mais dans ce grand village, il n' y avait pas un seul lit de libre, ni à l' auberge ni dans les maisons privées. On nous dit que le pasteur du village voisin pourrait peut-être nous trouver quelque chose. Mais ça reste très incertain. Nous nous préparons donc à coucher une fois de plus dans le foin. Mais où trouver une grange et du foin? En fin de compte, nous dénichons quand même le propriétaire d' un tel objet; mais voilà qu' il ne trouve plus la clé de la grange. Avec cette maudite clé, toute une série d' ennuis commence pour nous. La clé a tout bonnement disparu; le dernier car postal grâce auquel nous pensions fuir plus bas dans la vallée est déjà loin quand nous avons enfin emballé tant bien que mal notre tente mouillée et nos effets, et le frère dû propriétaire de la grange qui aurait pu nous conduire éventuellement à Grono avec sa VW est parti pour Bellinzone et n' est pas encore de retour...

Nous entassons donc notre matériel sous un avant-toit et attendons le retour de l' homme à la VW. Et effet, il arrive bientôt et se déclare prêt à repartir avec nous vers la vallée. Nous pouvons tout juste caser nos valises, nos sacs de montagne et nous-même dans le véhicule. Bien que la route soit très endommagée par les violentes averses, notre fuite se passe très bien. Notre chauffeur nous dépose sains et saufs devant l' hôtel de Grono que nous avons, par téléphone, averti de notre arrivée.

Ainsi nous sommes descendus de façon bien inattendue des montagnes dans la vallée - à 300 mètres au-dessus du niveau de la mer. Pourquoi ne pas faire alors de nécessité vertu? Le lendemain, nous visitons Grono, nous expédions nos valises par la poste et nous nous embarquons dans le petit train du val Mesolcina. A Castione, nous changeons de train pour prendre la ligne du Gothard et au lieu de faire à pied — comme projeté - le trajet Rossa—Biasca par le Passo di Giumella, nous descendons du train à Lavorgo et, marchant dans les hauteurs au-dessus de Chironico et Gribbio sur le versant droit de la Léventine, nous rejoignons à Dalpe l' itinéraire prévu. Cette promenade méridionale hors programme nous plaît beaucoup. Le temps s' est remis au beau, nous faisons la pause de midi dans un charmant bois de châtaigniers au-dessus de Lavorgo et, pour le dessert, nous trouvons des baies le long de la vieille route empierrée qui monte à Chironico. Le hameau de Gribbio, au fond d' un creux tout vert, nous cause une joyeuse surprise, de même que les hauteurs voisines très riches en petits fruits.

Pendant la marche de Dalpe à Fusio par le Col Campolungo, le père se permet un crochet par le Lac de Tremorgio, d' un bleu profond, et jouit tout particulièrement de la beauté des fleurs rares qui poussent le long du sentier. Pendant ce temps, la jeune génération profite exceptionnellement d' un moment de repos au bord du chemin du col.

A Fusio, le car du matin apporte nos valises à temps. Nous trouvons un endroit vraiment idéal pour la tente, à un quart d' heure environ du village, sur une terrasse plantée d' une forêt clairsemée et de milliers de myrtilles. Avant de nous asseoir ou de nous coucher, il nous faut manger toutes les baies de l' endroit. Je croyais l' avoir fait à fond, maismon anorak prend une teinte si bariolée à mon premier contact avec le sol que le nettoyage chimique sera bien nécessaire au retour. Les fraises poussent aussi en abondance autour de notre place de camping.

Ce même soir, nous constatons avec quelle facilité nous autres Suisses nous nous croyons - à tort - supérieurs. En effet, je me suis étonné de voir, quelques jours plus tôt, sur l' alpage italien de Ghiodia, les paysans courir avec leur bidon, matin et soir, vers chacune des vaches au lieu de les faire traire rationnellement par une seule personne. « Quel mode d' élevage antédiluvien que celui de nos voisins! » ai-je déclaré narquoisement. Et voilà qu' à Fusio nous assistons au même spectacle! Lorsque nous allons, plus tard dans la soirée, chercher du lait au village, les paysans arrivent l' un après l' autre à la laiterie, chacun avec ses quelques litres de lait.

Après une nuit reposante pour le corps et l' es, nous confions nos valises une fois de plus à la poste fédérale, et nous montons en car par la route qui dessert le barrage jusqu' aux lacs de Naret, à 2250 mètres. Le but du jour est d' abord le Pizzo Cristallina, puis le Val Bavona. Vingt-trois ans plus tôt, j' ai parcouru tout le trajet à pied, de Fusio à ce sommet, avec ma femme, à la fin de notre voyage de noces. Le lac artificiel de Sambucco et la route des lacs Naret n' existaient pas encore. La région était solitaire et d' une tranquille beauté. J' avais alors conduit ma femme au Pizzo Cristallina grâce à une tactique toute personnelle, dépourvue d' ailleurs de mauvaise intention: je lui disais régulièrement que nous allions juste escalader encore quelques rochers pour voir quelle allure le monde avait de là-haut. Tout à coup nous étions arrivés au sommet. Une vue magnifique, s' étendant à l' infini, fut notre récompense.

Mais cette fois, avec mes fils, ce fut tout différent. Un brouillard humide enveloppait les baraques des lacs Naret, au terminus du car; le Pizzo Cristallina demeurait invisible, mais on apercevait la partie inférieure de l' arête qui conduit à l' ouest du Col Naret, vers le sommet.

- Nous devons nous diriger sur cette arête, dis-je à l' intention de mes fils, puis nous devons la suivre, et c' est alors que commence cette grimpée vers le sommet si célèbre dans la famille.

Peter trouvait bien qu' il serait plus commode d' attaquer la montagne directement par le cirque fermant la vallée Mais selon son père, c' était beaucoup trop dangereux. Qui sait, peut-être y avait-il de la glace lisse sous la neige.

Nous nous dirigeons donc vers ladite arête, puis vers l' ouest. Ce chemin se révèle plus difficile que prévu. Nous ne sommes sûrement pas passés là, ma femme et moi! Enfin, dans le brouillard et la grêle, nous atteignons un sommet. Mais ce n' est certainement pas le Pizzo Cristallina! Comme le brouillard se lève, nous apercevons non loin de nous le vrai sommet Il est facile à atteindre de là. Nous y trouvons un endroit adéquat pour le repos de midi d' où nous jouissons d' une vue limitée.

Le brouillard et la pluie nous accompagnent tout au long de notre descente vers le chemin du Col Cristallina, en direction de l' ouest. Pourtant le soleil perce parfois les nuages et éclaire la vallée de façon presque surnaturelle: le Lac Sfundau couvert de débris de glace, tout proche de nous, et le massif du Bosodino plus loin. Plus haut, de l' au côté de la vallée, on voit un barrage en construction. En bas, sur l' alpage de Robiei, un paysage autrefois idyllique, nous tombons sur un important groupe de baraques à l' extrémité duquel nous trouvons, après quelques recherches, la cabane du Basodino. De là, nous pouvons nous enquérir par téléphone d' un logement dans le Val Bavona. Mais il n' y a nulle part quelque chose de libre.

C' est ainsi que nous avons passé la nuit à la cabane et que nous avons modifié le programme du lendemain. Au lieu de gagner Bosco par les hauteurs de Foroglio, dans le coude du Val Bavona, nous avons suivi le cours de la vallée jusqu' à Bignasco et Cevio, en empruntant la nouvelle route à partir du village de San Carlo. Du joli chemin pittoresque du Val Bavona, il ne reste plus qu' un petit bout avant Foroglio. Mais la grande cascade de Foroglio et l' eau limpide de la Bavona nous ont réjouis comme autrefois. A Cevio, la vieille capitale du Val Maggia, la grande place nous a fait la même bonne impression que jadis, avec ses maison anciennes et majestueuses.

i Tinzenhorn et Piz Son Mitgel, vus de Wiesen Photo Lisa Gensetter, Davos-Dorf 2Le Basodino, vu du Kühbodenhorn Photo Rudolf Heiniger, Zurich Vers le soir, le car postal nous a transportés à travers virages et forêts à Bosco-Gurin, l' enclave germanophone du canton du Tessin. Quel beau voyage! Le chemin par lequel nous sommes montés, le lendemain, à travers le cirque derrière Bosco et jusqu' au Passo Quadrella était, lui aussi, plein de charme. A midi, alors que nous nous reposions à quelques pas du col, apparurent deux jeunes promeneurs. Ils venaient de Binn et avaient traversé le Val Formazza. Le nom de Binn nous fit dresser l' oreille car nous y avions passé deux fois des vacances reposantes à tous points de vue, et nous y avions fait un grand nombre de belles excursions. Tandis que nous parlions de Binn avec ces jeunes touristes, deux promeneuses apparurent tout à coup et nous écoutèrent avec attention, car le nom de Binn éveillait en elles aussi de joyeux souvenirs.

Cette rencontre au Passo Quadrella décida de la suite de notre voyage. J' avais prévu de terminer notre randonnée de trois semaines par le Val Formazza, les cols de Gries et de Corno et le Val Bedretto. Mais mes fils rêvaient depuis longtemps d' un sursis dans la vallée de Binn, et c' est au Col de Quadrella que je me laissai convaincre.

Mais auparavant nous attendait un paysage digne d' intérêt Cimalmotto, à l' extrémité sud du col, cette merveilleuse région de la haute vallée de Campo, aux montagnes d' aspect méridional et aux claires nuits étoilées. Nous voulions y passer deux nuits sous tente. Mais nous les passâmes plutôt à l' auberge du village, car, à partir du Col de Quadrella, la pluie tomba sans arrêt jusqu' au lendemain. Puis le temps s' éclair assez pour nous permettre d' aller cueillir des petits fruits pendant quelques heures. J' avais une bonne raison d' agir ainsi, car j' avais une vieille faute à me faire pardonner. Lors de mon voyage de noces, j' avais passé dix jours avec ma femme à Cimalmotto. Au cours d' une de nos promenades, nous étions tombés sur un endroit particulièrement riche en myrtilles. En pensant au but que nous nous étions fixés pour ce jour- là, j' avais insisté pour délaisser bientôt le festin. Je me mis donc avec mes fils à la recherche de ce coin et nous envoyâmes à notre épouse et mère, par exprès, une bonne partie de notre récolte de fraises et de myrtilles en dédommagement de l' in subie vingt-trois ans plus tôt!

Le soir venu, nous demandâmes à l' hôtel quel était le chemin le plus judicieux pour l' Italie et le Val Formazza. On nous indiqua un passage peu difficile et agréable, bien qu' il n' ait ni nom ni sentier, au-dessus de l' Alpe di Matignello, entre Sonnenhorn et Sonnenberg.

Prêts à de nouveaux efforts, nous quittâmes Cimalmotto par ciel clair, mais, au col, nous fûmes enveloppés par un épais brouillard. Il bruinait fortement et continuellement. La descente sur les lacs de Cramec et le pâturage du même nom était absolument invisible; d' après la carte, elle devait être assez rocheuse. Que faire? Partir dans l' inconnu au risque de remonter trop haut dans les rochers ou de glisser sur une pierre mouillée et de faire une chute? Non merci. Alors retourner à Cimalmotto? Pas davantage. Saint Pierre se rendit à la raison et nous délivra de l' embarras du choix. Il chassa la bruine et releva un coin de la couverture de brouillard. La descente sur le Val Formazza que nous entreprîmes alors fut, comme du reste la montée de Cimalmotto, un vrai délice pour le promeneur, une véritable entrée dans un monde nouveau. A une demi-heure environ du fond de la vallée, tombant sur deux jeunes gens, nous leur demandâmes à quelle heure le dernier autobus remontait la vallée.

- A 7 heures, nous répondit-on.

Comme il était 5 heures, nous avions encore tout le temps. Nous hésitâmes à rester un moment sur les hauteurs, puis nous descendîmes quand même tranquillement vers la route. Près d' un groupe de maisons, désigné sur la carte par le nom de Foppiano, se trouvait un tableau indiquant l' arrêt du car sans mentionner pourtant un horaire. Un vieux monsieur de la région nous avertit que l' autobus arrivait dans un e du col Starlera sur le Äusserer Weissberg ibbio et vue sur la basse Léventine e Sfundau col Campolungo, vu du sud >tos P. Steiner-Rost, St- Gali quart d' heure. Comment donc? C' est qu' en Italie les montres avancent d' une heure sur les suisses!

L' homme parlait l' authentique vieux dialecte des Walser; il nous aida à passer ce quart d' heure d' attente en racontant de façon très expressive ses exploits de contrebandier pendant la dernière guerre. Il avait eu bien souvent de la chance. Mais une fois on tira sur lui et il fut fait prisonnier. A entendre ce récit, je repensais aux tirs nocturnes que nous avions entendus quelquefois au cours de notre séjour à Cimalmotto, en 1945. Le lendemain, des soldats suisses emmenaient parfois un groupe de contrebandiers italiens vers la vallée, des hommes et même des femmes, créatures bien pitoyables. On les enfermait à Bellinzone et, une fois la peine purgée, on les relâchait - et la contrebande recommençait!

L' autobus arriva à l' heure et nous transporta au centre touristique de la vallée. Celui-ci représente, en ce qui concerne le dialecte des habitants et le style des maisons, un mélange de vieux fond germanique et d' influences italiennes. Ce mélange apparaît clairement dans le nom de l' hôtel de Valdo ( autrefois Wald ) où nous étions descendus: Da Lisi.

Le matin suivant, le ciel était merveilleusement bleu. Nous cherchâmes à Ponte, le village voisin ( autrefois Zumsteg ), le chemin, pourtant bien indiqué sur la carte, qui conduit à l' ouest du Lac Vannino; il avait presque disparu, ce qui nous égara complètement. Comme on parcourt aujourd'hui une bonne partie de ce trajet en télésiège, on peut donc penser que la plupart des gens préfèrent s' épargner les efforts de la grimpée.

Dominant le versant et le télésiège, un sommet tout blanc apparut tout à coup au fond de la vallée: l' Ofenhorn, notre Ofenhorn! J' y étais allé quatre fois, en partant de Binn, dont deux fois avec mes enfants. La dernière course avait été la mieux réussie. Nous étions partis de Binn à la tombée de la nuit, et avions remonté la longue vallée. C' est à la lumière des étoiles que nous avions grimpé vers l' arête que suit la frontière, puis nous avions passé en Italie et, à quatre heures, nous étions au sommet, en même temps que le premier rayon de soleil.

Mais aujourd'hui l' Ofenhorn restait inaccessible. Du Lac Vannino, il aurait fallu un piolet et une corde pour le gravir, et nous ne possédions ni l' équipement matériel, ni l' équipement touristique nécessaire. C' est ainsi que nous montâmes du Lac à Scatta Minoia, un passage d' où l'on jouit d' une vue splendide, puis nous gagnâmes l' Albrunpass. Nous arrivâmes à Binn peu avant la nuit, et je dus chercher un logis pour mes fils et moi-même une heure durant. Combien de fois avais-je déjà fait cette recherche en pensant à saint Joseph qui, il y a 2000 ans, eut lui aussi toutes les peines du monde à trouver un toit pour lui et les siens! Finalement, je trouvai aussi quelque chose - et ce n' était pas une étable!

Après cette longue journée de marche, le père de famille avait bien besoin d' un jour de repos et ses fils voulurent en profiter pour faire un tour à l' Ofenhorn. Mais le temps ne s' y prêta pas. Paul se contenta donc d' une excursion au Bettlihorn, sur le sommet duquel nous avions vécu tous trois des heures joyeuses. Peter devint le client des divers restaurants de Binn, tandis que je me reposai, conformément à mon programme Je me rendis pour cela sur un banc, puis près de la jolie église rénovée de Binn, où l'on peut, à l' écart du village, goûter le calme et l' atmosphère de cette contrée magnifique.

A cette journée succéda le passage du Ritterpass et la descente vers l' Italie. Ce devait être la glorieuse et dernière étape de nos vacances, et elle commença, en effet, par un temps splendide. Nous ne fûmes dérangés que par les travaux de préparation d' un futur barrage. Dans la vallée qui relie Binn à Heiligkreuz, on construisait une route à travers un paysage de forêts et de torrents plein de charme; notre joli Kummenbach et sa grande cascade au-delà de Heiligkreuz allaient disparaître dans des tuyaux. Et pourtant nous avions lu que la commune de Binn avait conclu un arrangement avec la Ligue suisse pour la protection de la nature et le CAS en vue de préserver ce site. Hélas! le village de Binn et la région située à l' ouest de cette localité ne sont pas compris dans la zone protégée.

Dans le cirque qui domine la cascade, nous fûmes particulièrement séduits par la beauté du paysage. La vue sur les Alpes bernoises était exceptionnelle. Le petit sentier qui conduit au col avait été consciensieusement entretenu depuis notre dernière visite. Nous eûmes droit aussi à une joli surprise sur le versant sud, très raide, du Ritterpass. Les deux fois où nous y étions allés, nous avions du descendre prudemment de pierre en pierre, et ma femme et moi avions employé notre arrière-train comme appui supplémentaire. Mais cette fois-ci, nous tombâmes un peu à gauche, en contrebas du col, sur une trace de sentier qui nous permit de descendre sans peine. Puis le temps nous joua un mauvais tour. Dès notre passage du col, des nuages bas et mouillés s' étaient amoncelés. En haut du vaste pâturage de Veglia, nous pûmes encore admirer une touffe de rhododendrons étonnamment grosse. Dès ce moment, il plut sans arrêt. Au lieu de descendre la vallée, selon notre programme, et de gagner Trasquera par les hauteurs, nous passâmes la nuit dans un hôtel de montagne.

Le lendemain - on était arrivé au 14 août - il pleuvait toujours, mais nous conservions le souvenir de la beauté de ce pays méridional sur le long chemin de Trasquera. Nous arrivâmes trempés à Iselle, à la sortie du tunnel du Simplon - et ce fut le retour en train vers notre épouse et mère qui nous avait fidèlement, et pendant toute la randonnée, envoyé du linge de rechange, en y ajoutant toutes sortes de friandises.

Les lecteurs qui nous auront suivis jusqu' ici se demanderont peut-être comment, malgré les problèmes de génération, cette équipe, jeunes et vieux, a pu marcher ensemble pendant trois semaines et demie. En préparant notre voyage, j' avais cru trouver une solution satisfaisante. C' était en 1968, c'est-à-dire l' année où une com- mission présidée par l' ancien conseiller fédéral Wahlen avait exhorté le peuple suisse à exprimer ses idées et propositions sur une révision totale de notre constitution fédérale.

Outre les cantons, les universités, les partir et les sociétés, les simples citoyens étaient invités à donner leur avis. Ce pouvait être un bon ciment pour notre équipe que d' échanger des idées sur le renouvellement de notre loi fondamentale pendant la marche et les moments de repos, et nous pouvions rédiger ces idées à notre retour.

Les prémices d' une telle expérience me semblaient favorables: la beauté de notre pays devait nous inviter réfléchir à l' amélioration de la loi fondamentale qui régit la vie commune des habitants de cet Etat et nous exprimer là-dessus. La randonnée en montagne par-delà les frontières linguistiques et nationales allait élargir notre horizon. La composition de l' équipe n' était certes pas mauvaise: le père a fonctionné quelques décennies comme juriste et, à côté de cela, il a fait de la politique; des deux représentants de la jeunesse, l' un possède déjà quelques connaissances techniques en tant qu' étudiant en droit et ami du droit public; et l' autre, futur physicien, peut représenter l' homme du peuple, large d' idées. Il semblait donc que cela devait réussir.

Mais cela ne réussit pas. Pour avoir trois semaines ou même trois semaines et demie de vacances, j' avais du travailler intensément. La marche nous fatiguait aussi, non seulement physiquement mais aussi par les innombrables impressions que nous recevions en cours de route. Les moments de repos furent employés en grande partie à résoudre des problèmes purement techniques: nourriture, logement, itinéraire, etc. Si bien qu' on était déjà au milieu du voyage quand je révélai à mes compagnons mon projet de discussion sur la révision de la constitution, que j' avais tenu secret jusque-là. Le projet fut rejeté à la majorité des deux tiers! Paul et Peter étaient visiblement assez occupés sans cela. Ainsi donc, notre propre contribution fera défaut lorsque la commission Wahlen publiera les résultats de son enquête.

Mais le problème des générations subsistait. Pratiquement, il se manifesta avant tout par la différence importante entre les possibilités physiques des jeunes et de leur aîné. Pourtant il y eut un moyen de remédier à ce déséquilibre. Tout d' abord par l' application du principe selon lequel un ballon monte lorsqu' on lâche du lest - bien que ceci n' ait pas toujours joué pour moi. Ainsi un objet ou un autre emigra en cours de route du sac du père dans ceux de ses fils plus charges d' ailleurs dès le départ. De plus, Paul junior acquit rapidement la louable habitude de gagner du terrain et de déposer son sac aux cols, puis de revenir avec une gourde vers son père qui marchait toujours plus lentement et de lui porter son sac pour la dernière étape.

Mais, même ainsi, il était inévitable que l' am s' assombrisse quelquefois. Le plus grave accroc eut lieu pendant la descente de la cabane Bosodino à San Carlo, au Val Bavona. J' avais propose à mes fils de ne pas déjeuner avant le sympathique restaurant de San Carlo, où nous prendrions un bon café complet. En chemin, je m' attardai plusieurs fois pour regarder et photographier le ruisseau qui coulait et cascadait si joliment. Avant mon mariage, je prenais plaisir pendant mes promenades à défier les mœurs établies et à ne prendre le petit déjeuner que tard dans la matinée et le dîner dans le courant de l' après. Ma famille n' a jamais pu se faire à ces principes de célibataire. Et voilà que je l' avais oublié entre la cabane Basodino " et San Carlo!

Du reste l' atmosphère était déjà tendue parce que, la veille, j' avais insisté pour faire le détour sans danger autour du cirque enneigé, plutôt que de descendre dans la pluie et le brouillard directement sur le névé dont la pente nous était inconnue et qui cachait peut-être une plaque de glace. A San Carlo, l' ambiance menaça de se gâter sérieusement. Mais, en fin de compte, ce qui nous unissait fut plus fort que ce qui nous séparait, et ce qui nous aida fut probablement en grande partie le souvenir inconscient des innombrables et joyeuses courses en commun, à commencer par le temps où nous poussions les charrettes des enfants, jusqu' à l' époque où les fils vinrent porter main forte aux parents dans les passages difficiles.

Nous sommes donc arrivés à la maison en pleine forme, non seulement physiquement mais aussi moralement, et nous terminerons notre récit par un joyeux Vivant sequentes ( Heureux ceux qui nous suivront )!

( Traduit de l' allemand par Annelise Brocard )

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