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Du Grimsel à Grindelwald, en passant par la face nord du Schreckhorn

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Pierre Sala, Delémont

Depuis longtemps, Bernard, Gilbert et moi-même avions en tête de vaincre le Schreckhorn par la face nord. Mais, chaque fin de semaine, d' autres courses occupaient nos dimanches. Pourtant, cette fois, nous y allons, et nous rallions le Grimsel.

La météo n' est pas très favorable, et déjà de gros nuages, poussés par le vent d' ouest, assombrissent le ciel. Sur le bateau Grimsel, nous apprécions encore les derniers rayons de soleil. Le bruit monotone du moteur nous entraîne dans des rêveries lointaines... Soudain, la voix caverneuse du pilote nous réveille: sans que nous nous en soyons aperçus, le bateau a accosté une berge rocailleuse. Nonchalamment, nous endossons nos sacs et débarquons.

Le del devient de plus en plus gris, et déjà toutes les arêtes ont disparu dans les nuages. A pas lents, nous nous élevons sur le glacier, en espérant que le temps s' améliorera. Chacun pour soi, nous remontons la moraine. Les sacs deviennent lourds et les traces toujours plus rares. De temps en temps, nos chemins se croisent, nous permettant d' échanger quelques plaisanteries, avant que nous nous séparions de nouveau.

Au - dessous de la cabane Lauteraar, nous faisons une petite halte et, tout en nous épongeant, nous y jetons un coup d' œil envieux. Nous aimerions bien y passer la nuit; mais, cette fois, il n' y a pas de cabane qui fasse! Bernard, voyant le temps passer, repart de plus belle, dans l' espoir de nous entraîner à sa suite. Tout en marchant, Gilbert m' avoue qu' il n' a plus envie de bivouaquer. Anxieusement, il observe les quelques flocons de neige qui tourbillonnent autour de nous... et, plus nous montons, plus son moral descend. Tout à coup, sa voix rompt le silence:

- Eha va pas? Bivouaquer par ce temps? On serait bien mieux à la cabane! Ecoutez: pile, je continue; face, je fais demi-tour.

Il sort une pièce de monnaie de sa poche et, d' une main hésitante, la lance en l' air. Elle rebondit sur la glace... Face! Gilbert relève la tête, contemple la grisaille des sommets, quand soudain, par une déchirure de nuages, le Schreckhorn apparaît, dans toute sa splendeur sauvage. Après un soupir profond, il déclare:

— Il doit quand même faire bon, là-haut! Alors, ragaillardi, il saisit son sac, le balance énergiquement sur son dos et s' élance à la poursuite de Bernard qui continuait d' avancer, comme si de rien n' était.

Tout essoufflés, nous finissons par nous arrêter près de quelques blocs de granit, afin d' y installer notre bivouac. Assis autour du réchaud, nous regardons courir les nuages. Au loin, deux ombres humaines se faufilent entre les crevasses et disparaissent dans les contreforts du Lauteraarhorn.

Minutieusement, nous égalisons la glace afin de rendre nos « litières » plus confortables. Avec précaution, nous nous allongeons dans nos sacs de couchage, à la recherche de la position ideale... et nous voilà au seuil de la longue attente. De temps en temps, un souffle glacial passe sur nos visages, qu' on se hâte de couvrir... Il ne reste plus qu' à espérer que 2 heures du matin arriveront vite!

C' est Bernard qui nous sort brusquement de notre engourdissement en s' exclamant:

- Eh! vous avez vu cette étoile filante?

A quoi Gilbert, d'un calme olympien, répond:

- Si tu vois des étoiles, c' est que le ciel s' est découvert!

Et, d' un bond, le moral remonte. Puis chacun se retourne et cherche de nouveau le sommeil.

Tout repose, lorsque, brusquement, je suis secoué comme un prunier. C' est Gilbert, tout excité:

- Pierre! C' est l' heure!

Péniblement, en marmonnant, je m' étire. Oh! mon dos! Je suis complètement courbatu. Machinalement, je jette un coup d' œil à ma montre: o rage! o désespoir! il n' est que 23 heures! Pris d' une colère terrible, je lui tourne le dos et essaie de me rendormir. A tout instant, je consulte ma montre, dans l' espoir que ce sera l' heure, mais le temps me paraît s' être arrêté...

C' est finalement avec une bonne heure de retard que nous quittons le bivouac. Il est 3 heures. Le vent est chaud et le ciel tout étoile. A tâtons, dans l' obscurité, nous cherchons notre chemin dans un labyrinthe de crevasses.

Lentement, le jour se lève, et enfin nous jouissons des premiers feux du soleil. A 8 heures, nous sommes au pied de ce géant de glace et de roc. Le temps de nous mettre quelque chose sous la dent, et nous voilà repartis. Prudemment, Bernard s' engage sur un pont de neige squelettique et attaque directement un promontoire rocheux qui ne présente pas de grandes difficultés. Cet éperon franchi, nous chaussons nos crampons, admirons l' immense sérac suspendu caractérisant la face nord du Schreckhorn, et nous continuons notre route.

Les longueurs de corde se succèdent, et I' abî se creuse sous nos pieds. Nous nous en rendons compte en regardant la pointe de nos souliers qui entame à peine la glace vive. Bientôt, voyant que le temps se gâte à nouveau sérieusement, Bernard accélère encore l' allure. La glace bleue ne l' intimide plus: il a confiance en ses crampons et ses mollets. Parvenu au bout de ses quarante mètres de corde, il taille une plateforme à grands coups de piolet. Les morceaux de glace crépitent autour de nous... et nous remercions notre casque de nous en protéger.

Bientôt, Gilbert prend la tête, parce qu' il trouve le travail du dernier de cordée trop monotone. Lui aussi décide de ne pas tailler de marches. Motif: il faut gagner du temps! quelques minutes après son départ, le voilà déjà quarante mètres plus haut, en train d' aménager un relais. Nouvelle pluie de morceaux de glace! Une fois le calme revenu, Bernard, assoiffé, sort son thermos, avec l' intention généreuse de m' of également une rasade de the... Hélas! le récipient a été brisé, et il est lamentablement vide! Furieux, Bernard balance le thermos dans le vide. Tant pis, nos gosiers déshydratés attendront.

Gilbert est de plus en plus impatient d' attein le sommet, et, pour gagner encore du temps, il nous propose d' employer des longueurs de corde de quatre-vingts mètres. Comme le physique et le moral sont excellents, nous acceptons. Avec Bernard, je m' encorde dans les cinq derniers mètres. Comme une araignée tissant sa toile, Gilbert s' élance dans les rochers. Enfin, après des heures d' efforts, un jodel éclate, joyeux: le sommet est vaincu! Un nouveau rêve s' est réalisé.

Gilbert nous hisse avec tant d' énergie que nous avons bien de la peine à prendre notre souffle. Après la poignée de main traditionnelle, nous entamons la descente, sans perdre de temps. Cette fois, les éléments se déchaînent. Prudemment, nous nous faufilons le long de Parke est. Le rocher devient humide et glissant. Impatients d' être à l' abri du vent, nous quittons la crête trop tôt, et nous nous égarons sur des dalles abruptes. Errant de droite et de gauche, nous trouvons finalement une issue. Puis nous découvrons quelques vieux pitons qui nous encouragent, car ils nous indiquent que nous ne 1Schreckhorn ( Nordwand ) Photo P. Sala, Delémont

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