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Graine de guides

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Les années ont passé; longtemps le gamin est demeuré d' aspect chétif, rabougri comme si le fardeau de la vie pesait trop lourdement sur ses jeunes épaules, puis, soudain, le corps s' élargit sous une violente poussée de sève; brusquement, le gringalet est devenu le jeune homme aux membres souples et vigoureux, solidement bâti. Sous son gros habit de milaine, il paraît lourd et gauche, mais sur les roches ou les pentes d' éboulis, il se meut à l' aise, on le devine leste à la manière des chamois; sous l' effort, ses muscles se tendent comme des cordes d' acier. Il est malaisé de mettre un âge sur ce visage, qui garde encore la fraîcheur de l' adolescence; a-t-il dix-huit ans, vingt-cinq ans, ou plus encore, qui saurait le dire? Mais tout, dans sa démarche, manifeste clairement qu' en tout cas l' âge de l' enfance est bien passé; c' est un homme. A la montagne, il faut se hâter d' être un homme; il semble que la vie humaine, là-haut, participe des lois qui règlent la vie végétale, alors que végétation, floraison et fructification se suivent de fort près, dans l' été bref des monts. Le vœu maternel à l' enfant au berceau: « Ne grandis pas trop vite », n' est pas de mise là-haut. Aux cadets, maintenant, de prendre le soin des bêtes, au cours des saisons prochaines; pour le jeune homme, il a mieux à faire; l' heure a sonné pour lui d' entrer dans la carrière. Assez longtemps, il a salué de loin les cimes dont il parcourut les escarpements inférieurs; son tour est venu de les escalader; il va faire ses premières armes comme porteur, étape obscure que doit franchir le guide de demain.

Car les temps héroïques sont bien passés, et le cancer de la réglementation a étendu ses tentacules jusqu' à la profession de guide. Jadis, la chose était toute simple; le jeune homme allait offrir ses services aux touristes de passage; s' il était agréé, il partait tout aussitôt à l' escalade des sommets inconnus, s' en remettant, pour combler les lacunes professionnelles, à la pratique du vieil adage: c' est en guidant que l'on devient bon guide. C' est ainsi, qu' à l' âge de quinze ans, Joseph Imboden entra dans la carrière; à 16 ans, Augustin Gentinetta traversait le Cervin en qualité de troisième guide; à 19 ans, il passait guide en second et, quelques années plus tard, il se classait sans peine au premier rang. Carrières brillantes et rapides, où les montagnards hardis grimpaient quatre à quatre les échelons de la renommée, comme ces mousses de rien du tout, que leur famille voit revenir, un beau jour, portant, sur les manches, les galons de capitaine au long cours. Aujourd'hui, il faut se résigner à marcher dans l' ornière et prévoir, pour le tard seulement, son bâton de maréchal. La loi est rigide et ne souffre point d' exceptions, dans les cantons montagnards tout au moins: nul n' est admis à guider, s' il n' est au bénéfice d' un diplôme, en bonne et due forme, délivré par les autorités cantonales; or, pour obtenir ce parchemin précieux, le candidat doit avoir, au préalable, servi plusieurs " années en qualité de porteur. Mais cette dernière condition, elle-même, est moins simple à réaliser qu' il ne semble; le montagnard n' est pas même libre d' offrir ses services comme porteur; pour être autorisé à accompagner une caravane dans la région des glaciers, encore faut-il qu' il se trouve en compagnie d' un guide. Et croyez bien que ce n' est pas là une simple formalité, négligeable à volonté; si le porteur cherchait à l' esquiver, les guides des villages voisins se chargeraient vite de le mettre à l' ordre. Lorsqu' un guide du dehors requiert les services d' un porteur local, ce dernier est l' objet d' investigations minutieuses; les guides qu' il rencontre, en cours de route ou à la cabane, s' informeront: où est-il, ton guide; et les plus méfiants n' hésiteront pas à s' approcher de l' étranger afin de vérifier, de leurs propres yeux, s' il porte bien l' insigne professionnel; au besoin, ils l' interrogeront par propos détournés. C' est qu' à la montagne la loi de la concurrence est presque aussi âpre qu' aux agglomérations humaines de la plaine, du moins dans les régions alpestres en mal de pléthore de guides.

C' est ainsi que le jeune homme bouillant est contraint de tempérer son ardeur et de se mettre en quête d' un guide qui veuille bien, l' occasion venue, requérir ses services. Tout naturellement, il recherchera de préférence le conseil et l' appui d' un maître en la matière; ceux que l'on a appelés les rois des guides ont, pour la plupart, fait école, et leurs disciples ont mis en relief, par la suite, l' excellence de la technique enseignée. Déjà le seul fait d' avoir accompagné un guide en renom vaudra au porteur novice une petite notoriété qu' il ne tiendra qu' à lui d' élargir.

La première grande ascension du porteur est grosse de conséquences; elle peut marquer pour lui l' aube d' une carrière brillante ou le reléguer d' emblée à Farrière-plan, pour peu qu' il se soit révélé inférieur à ce qu' on était en droit d' attendre de lui. Car, dans les expéditions alpestres de grande envergure, le porteur est tout autre chose que ces bêtes de somme à deux pattes qui, en longues théories, franchissent les passes enneigées du Thibet; il porte son fardeau, sans doute, mais là ne saurait se borner son activité. Tandis que le chef de cordée fraye sa voie, le porteur surveille les alentours; se passe-t-il quelque chose de suspect sur les hauteurs, séracs ou rochers prêts à s' ébouler, c' est à lui d' avertir le guide, absorbé par son travail. Aux passages difficiles, le porteur, homme d' arrière, devient le pivot de la cordée; son chef doit pouvoir avancer sans inquiétude, sentant qu' une main ferme tient la corde tendue. A la descente, le porteur marche en tête de la caravane, l' œil aux aguets, épiant son chemin, s' efforçant de discerner, dans le dédale des roches ou sur le névé durci, les traces de passage presque invisibles. C' est là que son chef l' attend; d' en haut, tout en tenant ses gens bien en mains, il surveille son disciple. Certains montagnards sont absolument dénués de flair; le sens de la route à suivre leur échappe, ils ne savent autre chose que d' aller droit devant eux et suivre la piste, tant qu' elle est visible; tels ces grands lévriers qui forcent le lièvre à la course, mais sont incapables de le retrouver si, d' aven, il s' est dissimulé à leur vue derrière quelque buisson. Ces montagnards sont peut-être taillés en hercules, leurs épaules sont solides et ne plient point sous les plus lourds fardeaux, ils sont fermes de pied et ne s' effrayent point sur les arêtes; il n' importe, ils sont condamnés à ne dépasser jamais le stade des porteurs; si braves soient-ils ils devront renoncer aux ambitions caressées au jeune temps. Toute leur vie, ils demeureront en sous-ordre, comme ces vieux soldats chevronnés qui firent une carrière honorable, sans avoir pu décrocher seulement les galons de laine. Ainsi en va-t-il encore des indécis, de ceux qui flanchent devant un passage périlleux ou s' énervent lorsque gronde l' orage sur les hauteurs; ils ont beau fanfaronner sur la place du village, conter leurs hauts faits à qui les veut entendre, les porteurs timorés sont tôt démasqués et leur réputation s' établit, douteuse. Inscrits sur le rôle, ils ont peu- l' occasion de sortir, car quel guide souhaiterait lier partie avec un homme dont la veulerie le mettra dans l' embarras au moment critique. Si jamais ces porteurs décrochent leur titre de guide par quelque coup de fortune, la malice villageoise ne désarme point et les flétrit justement: guides de plaine, dira-t-on, bons pour les demoiselles!

A grimper, le porteur s' aguerrit; s' il est capable, il devient bien vite le compagnon sûr dont on recherche la collaboration. En cours de route, l' aîné dévoile à son cadet les secrets de cette montagne immense, labyrinthe où, si facilement, l'on s' égare; il lui révèle l' art de discerner les vires praticables dans les parois abruptes, de distinguer les ponts de neige solides, d' assurer sa corde au rocher ou même à la neige; bref, il verse au néophyte attentif toute la science que des générations de montagnards ont lentement constituée. Science du savoir-faire, mais du savoir-vivre aussi, car sur ce point délicat, les guides scrupuleux ne transigent pas plus que sur les devoirs professionnels. L' ancien berger va donc se former aux bonnes manières, s' exercer aux formules de politesse, aux prévenances que requiert l' usage. Au contact des gens de la ville, son esprit comme sa langue vont se délier; c' est un monde tout nouveau qui s' ouvre devant lui et dans lequel il ne lui sera pas toujours facile de se reconnaître; pour apprendre à jauger à leur valeur réelle ces touristes si différents de ses combourgeois, ce ne sera pas trop de son sens affiné de montagnard, matois et naïf en même temps. Timide encore, il se tient sur la réserve, mais sous cette réserve la malice couve; n' ayez crainte, si les propos joyeux des voyageurs l' assaillent aujourd'hui, sans qu' il réponde aux quolibets, il saura bien prendre sa revanche.

Le temps d' apprentissage du porteur varie de durée, mais il paraît toujours trop long au gré de l' impatience juvénile. L' attrait du début s' est vite émoussé à pratiquer plusieurs fois de suite les mêmes passages; le jeune homme se sent à l' étroit dans ce rayon d' activité restreint; déjà il redoute de subir le sort des porteurs perpétuels, ou, tout au moins, de ceux que l'on appelle guides locaux, et qui ne connaissent que le petit massif dominant leur village. Supplice de Tantale, en vérité: contempler à maintes reprises les cimes resplendissantes, les frôler presque et cependant devoir, sa vie durant, retourner sans cesser aux pointes déjà gravies, comme le chameau, attelé à sa noria, passe et repasse sur son étroit sentier, rêvant au désert sans fin. S' il se laisse engluer, faute d' énergie, le jeune montagnard est perdu pour les grandes ascensions, celles où les voyageurs réclament des hommes qui aient fait leurs preuves. Avant même qu' il soit formé, il importe de rompre le cercle magique de l' oubli.

Le porteur ambitieux met de côté tout amour-propre, il quête des occasions, s' offre au besoin comme volontaire, pour participer à quelque expédition de grand style, où il y aura de l' honneur à gagner. Mais, hélas! bien souvent, pour ces expéditions hasardeuses, on refuse le volontaire pour n' ac les services, payés du reste, que du seul porteur, mais vraie bête de somme, cette fois, puisqu' il n' est appelé à faire autre chose que de transporter le matériel de campement: couvertures, provisions, bois et marmite. Aux premières heures du jour, les grimpeurs engagent la partie, mais, sur le lieu du bivouac, le porteur demeure seul, voué à la tâche ingrate de reporter à la vallée couvertures et marmite; le cœur chagrin, il suit du regard les lumières menues qui sautent sur la pente invisible, et sa pensée monte avec ses heureux compagnons de la veille qui se sont fait des ailes. Mais il est jeune et la vie sourd en lui; toute sa foi en l' avenir passe dans la huchée sonore qu' il lance vers les monts encore endormis; répercuté de roche en roche, l' appel juvénile semble crier aux hommes, accrochés au flanc de la muraille géante comme des insectes infimes: « Bon voyage, vous autresI Aujourd'hui vous courez votre chance, demain ce sera à mon tour de risquer librement l' aventure, car demain je serai guide. » En attendant, le brave garçon travaille à élargir ses connaissances. Il sait que les bons guides ont tout avantage à posséder plusieurs langues, sous peine de se voir prétérités auprès d' excellents grimpeurs de nationalité étrangère. Devouassoud, le premier guide qui s' aventura à quitter les Alpes, pour conduire une caravane au Caucase, savait le français, l' anglais, l' allemand et l' italien, sans compter le patois de sa vallée de Chamonix, dont il usait avec délices au retour de ses lointaines expéditions. Résolument, le jeune montagnard quitte son hameau, il passera l' hiver en quelque localité de la plaine, prêt à toute besogne pourvu qu' il s' instruise; en vue du but qu' il poursuit, les sacrifices lui paraissent insignifiants, il en sera payé au décuple, plus tard. Mais n' est pas polyglotte qui veut, pas davantage à la montagne qu' à la plaine, et les éléments rebelles de la langue étrangère sont parfois bien lents à s' assi; mieux vaudrait, assurément, une honnête pente de glace à tailler.

L' exil est court, d' ailleurs; l' été venu, la montagne réclame ses enfants. Rentré dans ses pénates, le futur guide disparaît soudain; il s' en va rôder à la découverte de voies encore ignorées. Une miche de pain dans son sac, il court à l' aventure, grimpe, explore, dormant sur la roche au lieu même où la nuit l' a surpris; puis, sa fièvre d' ascension passée, il rentre au chalet paternel prendre sagement sa part du travail commun. Et le père gronde pour la forme, mais cette ardeur le flatte, il y retrouve l' esprit de sa race; il en parlera avec orgueil à ses voisins; ce garçon-là donnera un jour un tout bon guide... s' il ne se casse pas la tête auparavant, ajoute-t-il d' un ton soucieux.

Dans sa hâte, le porteur est tenté, parfois, d' anticiper sur l' avenir, et de jouer au guide en contrebande. Alors que les guides officiels sont tous en course, il se peut faire que des touristes désirent tout soudain profiter d' une belle journée pour risquer une ascension; faute de guide patenté, ils réclament un porteur; d' ailleurs, ils ne tiennent guère au titre; à leurs yeux, tout montagnard est une manière de guide, opinion que la loi ne partage point. L' oc est là, séduisante, et cependant le jeune homme hésite; le danger, cette fois, n' est pas sur les arêtes, il gîte au village même; la première contravention vaut, au délinquant, une amende de 80 francs et, dame, la somme vaut qu' on y réfléchisse. Le porteur connaît ses risques; peut-être pourrait-il partir à la dérobée, dans l' obscurité propice, et rejoindre ses touristes en quelque lieu convenu; mais réussirait-il à dépister le garde-chasse? Ce diable d' homme, on ne sait jamais où il rôde, pas du bon côté, pour sûr; il semble posséder un flair spécial pour repérer les caravanes en rupture de ban. Com-modément installé sur la moraine, il étudie, au moyen de sa lunette, la position respective des membres de la cordée engagée sur le glacier, et, sans peine, il établit le délit: lié à la caravane sans guide, le porteur a marché en tête à la montée, à l' arrière à la descente, cela suffit, il a fait acte de guide et, sans miséricorde, le représentant de l' autorité dresse sur le champ un procès-verbal qualifié. Tout penaud, notre porteur ambitieux voit s' effondrer ses beaux rêves et s' enfuir ses chers écus.

Et qu' il prenne garde de ne pas récidiver, il pourrait lui en cuire, au jour où il solliciterait son inscription au cours de guides de son canton. N' entre pas qui veut dans la corporation des guides de montagne. On laisse à la porte déjà les amateurs, ceux qui souhaiteraient le diplôme par vanité pure; jadis, certaines associations montagnardes, fort ingénieuses dans l' art de battre monnaie, décernaient des diplômes de guides honoraires aux alpinistes munificents, tout comme à Chamonix on remettait un certificat, duement légalisé, aux touristes descendus du Mont Blanc et sensibles à l' honneur qu' on leur faisait. L' usage, paraît-il, s' est conservé en Chine où, volontiers, on gratifie les nobles étrangers d' un titre sonore de mandarin, contre beaux deniers comptants, cela va de soi; mais la mode est passée chez nous; les règlements en la matière sont sévères et nul ne s' en plaint. On réclame des candidats une connaissance approfondie de la montagne, mais on insiste tout autant sur les qualités d' ordre moral; le certificat de bonnes mœurs joue un grand rôle lors de l' inscription. Tout candidat pourvu d' un casier judiciaire est impitoyablement éliminé. Or, à la montagne, on a le sang chaud et le geste prompt au temps de la jeunesse, après boire surtout. En temps d' élections, les discussions dégénèrent facilement en bataille; les choses vont si loin, parfois, que le gendarme du lieu, majestueux représentant de l' autorité, se voit contraint d' intervenir; mauvaise affaire, en vérité; pour un instant d' exaltation politique, plus d' un montagnard s' est vu fermer l' entrée de la profession si longtemps rêvée.

Echappé au piège de la politique, notre porteur frôle l' embûche du braconnage; quand on sort d' une famille où tous les hommes furent chasseurs de père en fils, on a ça dans le sang, et, si près des chamois, la tentation est presque irrésistible. Certes, le montagnard a des ruses sans nombre; la montagne propice lui ouvre ses recels mystérieux pour dissimuler le gibier ou l' arme prohibée; mais voilà, les préposés à la garde du gibier alpin ont leurs ruses, eux aussi, et il est malaisé de les dépister longtemps, en dépit de l' adresse déployée. Or, un délit de chasse, tout comme un acte de contrebande, est tenu pour prohibitif; les gouvernants actuels ont perdu ces trésors d' indulgence dont bénéficiaient jadis des guides renommés, mais braconniers incorrigibles. Quoi qu' on en puisse dire, nous vivons sous le règne de l' autorité.

Pour sage et docile qu' il ait été, veillant à demeurer en bons termes avec la loi, le montagnard n' en voit pas moins un dernier obstacle se dresser devant lui; effort suprême, espéré et redouté à la fois; avec l' élite de ses compagnons d' âge, il va affronter son cours de guides, cette institution vieille déjà d' un bon demi-siècle et due à l' initiative du gouvernement bernois.

Dans une salle basse, encaqués en des bancs trop étroits pour leurs car-rures vigoureuses, les élèves-guides du canton sont réunis pour l' étape dernière, la plus brève mais non la moins pénible, car il est dur, à des hommes habitués au grand air, avides de mouvement, de demeurer des heures entières à écouter bénévolement les doctes instructions qu' on leur prodigue; tandis que les visages demeurent impassibles sous l' effort de concentration, la pensée capricieuse s' envole parfois vers le haut village et les glaciers lointains. Venus une trentaine, des diverses vallées de leur petite patrie, ils se considèrent les uns les autres avec cette cordialité retenue propre à ceux que rapproche la communauté des intentions, mais séparés par l' ignorance où ils sont de leurs caractères respectifs. Bien que tous montagnards de race, ils diffèrent étrangement de tempérament; le gars joyeux, à la nature exubérante mal contenue, voisine avec un condisciple flegmatique, aux regards perdus dans la perpétuelle contemplation d' un horizon lointain. Et déjà l'on pressent combien ces carrières, issues de la même source, vont différer entre elles dans leur cours; ce garçon râblé, à la parole brève, au geste énergique, ce sera le guide connu de demain, celui qu' on requerra de préférence, qui se révélera supérieur dans n' importe quel massif des Alpes; l' autre, abandonné à ses rêves, une fois la flambée d' ambition éteinte, demeurera attaché strictement aux montagnes natales.

La partie théorique du cours comprend un assez grand nombre de matières: étude des règlements, géographie alpine générale et lecture de cartes, notions de médecine, technique alpine, jusqu' à des leçons d' histoire naturelle et de glaciologie, science diffuse, dont tout alpiniste ferait son profit; mais voici qui touche le guide tout spécialement: l' art de constituer et de conduire une cordée, égards envers le touriste, pauvre être fragile, qu' il faudra conduire au but et ramener sain et sauf; et, surtout, vision très haute du devoir professionnel, qui comporte l' oubli absolu de soi partout où il y a une détresse à secourir. Une expédition de grand style clôt le cours, course de guides, où l'on viole délibérément quelques-uns des préceptes fondamentaux, si docte-ment enseignés. Que voulez-vous, on est entre montagnards, on peut donc s' accorder quelques privautés, s' offrir, par exemple, le luxe d' une allure confortable; à l' occasion, on fera son kilomètre d' altitude à l' heure, vitesse qui laisse bien loin derrière elle les 350 mètres de différence de niveau à l' heure, qu' en bon terrain, la sagesse des nations attribue au grimpeur moyen. Puis, entre montagnards encore, on ne dédaigne point d' aborder l' obstacle de face, au lieu de biaiser sournoisement; s' il s' agit d' une paroi où cessent les prises, l' échelle humaine se dresse tout aussitôt; si quelque compagnon vient à glisser, nul ne s' en émeut, on sait bien qu' un guide doit être à même de se retenir, fût-ce en pleine chute, s' il n' a à compter qu' avec lui-même; la bande lance quelques plaisanteries au maladroit et poursuit son ascension en toute sérénité. On n' a cure du danger, et l'on en joue avec une insouciance qui frise la témérité; il nous souvient, à notre cours de guides, avoir vu une douzaine de camarades déjeuner gaiement sur un pont de neige des moins rassurants, jeté sur une énorme crevasse; aux observations, les imprudents répondaient en riant: « Bah! ça veut assez tenir, on est entre guides! » Course joyeuse, où tous se sentent à leur aise et s' ébrouent librement; une inquiétude, pourtant, sourd en eux, celle de l' examen final, crevasse béante, aux ponts fragiles, la dernière à séparer le montagnard de son but entrevu depuis si longtemps.Spiro.

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