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Graine de guides

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Nul ne naît guide. Cet axiome, absolu dans sa simplicité, se dresse contre l' opinion courante; nombre de gens, en effet, partent de l' idée préconçue que l' art de guider n' est affaire que d' instinct et de tempérament, donc à la portée de tous ceux qui, par droit d' habitation ou pratique d' alpinisme, sont quelque peu familiarisés avec les choses de la montagne. L' erreur est manifeste et grosse de conséquences, puisqu' elle conduit des grimpeurs de force moyenne à se persuader qu' ils possèdent l' étoffe de bons guides, cela pour le plus grand dam, parfois, de ceux qu' ils s' avisent de diriger. Non, en vérité, nul ne naît guide, et les meilleurs, tout comme les autres, ont eu à le devenir, au travers d' une préparation dont il serait puéril d' affaiblir l' importance et la durée. Avant d' entrer dans la carrière, le guide futur doit subir le rude apprentissage de la vie alpestre qui, par une initiation progressive, fera de lui, avant toute autre chose, un bon montagnard, simplement; stade préliminaire mais indispensable de la profession.

Pour être à même d' affronter les dures conditions que lui fait la montagne, l' habitant des hautes régions doit, en quelque sorte, s' adapter à la nature même du sol où il est appelé à vivre, se familiariser, donc, avec tout ce qui, aux gens de la plaine, paraîtrait impraticable ou dangereux. Il lui faut, notamment, acquérir une force musculaire particulière, une résistance très grande aux intempéries, et une dose massive de placidité en face d' obstacles imprévus; faute de ces aptitudes, il serait promptement victime des embûches que l' alpe tend, trop souvent, à ceux qui prétendent occuper son domaine. Aux yeux des citadins, la vertu cardinale du montagnard ne peut être que son extraordinaire accoutumance à la pente, voire au vide; de fait, on sourit à la seule pensée d' un montagnard sujet au vertige; il semblerait entendre un vieux matelot se plaindre du mal de mer! Comment un fils de la montagne craindrait-il même les pentes escarpées, alors qu' il n' a jamais rien vu d' autre, alors que son hameau natal est peut-être de ceux qui s' accrochent miraculeusement au flanc des monts, tels ces villages d' Embd ou d' Isérables où, prétend-on, la rampe est si roide que les poules n' y sauraient trouver le plus petit recoin pour déposer leurs œufs.

A l' âge où ses contemporains de la plaine sont strictement cloîtrés dans leurs berceaux ou leurs « tintébins », le bébé montagnard fait ses premières expériences d' équilibre sur la galerie du chalet paternel, cette galerie que l'on construit fort large, pour y sécher des récoltes de toute nature, mais qu' au balustrade n' arrête du côté du vide. Le plus paisiblement du monde, bébé s' est avancé sur les poutres branlantes, vermoulues peut-être, et s' est penché pour faire risette aux passants, sans plus d' émotion que n' en témoigne la jeune hirondelle, perchée sur l' extrême bord du nid. Aux jours d' été, la mère a porté son enfant sur les prés rapides où elle va faner; elle l' a assujetti soigneusement dans sa hotte d' où émerge la petite tête aux jolis yeux étonnés et fureteurs. Tandis que la paysanne, toute à sa besogne, s' éloignait peu à peu, le petit, abandonné à lui-même, s' est longtemps tenu immobile, comme la marmotte à l' orée de son trou; il a, à loisir, inspecté les alentours, puis, bien sagement, il est sorti de sa niche d' osier, a rampé sur l' herbe rase, et est allé dormir à l' ombre de quelque buisson, en bordure du précipice. Une maman du plat pays aurait crié d' effroi, assurément; dans son affolement elle aurait cru voir son bébé rouler sur le roc glissant, et s' abîmer dans la profondeur! Mais, à la montagne, on s' alarme moins vite; les mamans de là-haut n' ont point l' imagination désordonnée, elles voient les choses telles qu' elles sont, et raisonnent avec une indiscutable sagesse. Nos gamins, disent-elles, en verront bien d' autres dans la vie; il leur est donc avantageux de s' habituer de bonne heure aux difficultés qu' ils rencontreront plus tard sur leur chemin; on ne peut pourtant pas les attacher, ces petits, comme on le ferait d' un cabri entêté, et c' est bien à quoi il faudrait se résoudre, si l'on voulait les mettre à l' abri de tout ce qui pourrait leur constituer un danger; les laisser seuls au chalet, serait pire encore, donc le plus simple est de les remettre à la garde du bon Dieu; II saura bien en prendre soin. Ce n' est pas que la tendresse maternelle fasse défaut aux montagnardes; pour ne pas s' exprimer en doux propos et en caresses, l' affection qu' elles portent à leurs enfants est très vive, mais elles mènent, durant les mois chauds, tout au moins, une existence singulièrement mouvementée qui les absorbe entièrement, et ne leur laisse point le temps de muser auprès des berceaux. Tandis que le mari court la montagne, la femme doit faire toute la besogne, aux champs comme à l' étable; elle ne s' en plaint pas, d' ailleurs, et, dans les moments de lassitude, songe qu' elle n' aura que trop l' occasion de demeurer au logis, quand les beaux jours seront révolus, et que la neige lui fera une vie de recluse. Au surplus, s' il fallait dorloter les petits, la tâche serait malaisée, car, à la montagne, on ne s' effraye guère des nombreuses nichées; le souci de la vie chère et le désir des commodités, qui jouent un si grand rôle dans les cités et jusque dans les campagnes, ne retiennent point les parents de là-haut de peupler leur foyer. Si Dieu accorde la douzaine, nul ne s' en plaindra, fût-elle de bonne mesure; les plus favorisés atteignent la seconde douzaine, grave sujet de préoccupation, non tant pour le pain quotidien, car les grandes familles, aux villages alpestres, appartiennent un peu à la communauté, et les plus aisés font la part large aux petiots du voisin; mais la grosse difficulté consiste à conférer à chaque nouveau venu un prénom convenable; les saints du calendrier ont parfois des appellations si bizarres! Pour parer aux défaillances de sa mémoire, un brave homme de ma connaissance, doté de 26 enfants, prenait le soin, à chaque nouvelle naissance, de graver, sur la poutre maîtresse de sa vieille demeure, le nom du bébé avec la date de sa venue au monde; aux visiteurs curieux, il répondait simplement: « Allez regarder la poutre! » Dame! Pour que la marmaille qui grouille au chalet reçoive sa pitance, il faut peiner dur et sans perdre de temps. Force est donc à la mère de famille de laisser ses petits se débrouiller, les aînés veillant sur les derniers venus; pour elle, elle s' affaire à ne laisser son petit monde manquer de rien; aux jours de pluie, son rouet tourne sans arrêt; même en marche, sur les sentiers étroits, elle n' arrête point son activité et tricote bravement.

A cette forte école maternelle, les gamins apprennent de bonne heure à tirer ingénieusement parti des ressources naturelles à leur portée et à mettre leur force à l' épreuve. A peine hauts comme une botte, ils se juchent, la neige tombée, sur des luges deux fois plus grosses qu' eux et se lancent intré-pidement sur les chemins escarpés qui, du hameau natal, s' abaissent vers la vallée; s' ils culbutent, ce qui est rare, tant ils ont l' adresse instinctive, ils se ramassent philosophiquement et remontent la pente pour recommencer. Leurs jeux de l' été les exercent semblablement; comme les cabris au pâturage, ils courent le long des prés rapides, dégringolent jusqu' au torrent qui bouillonne dans la gorge, insoucieux des accidents du sol et des conséquences possibles d' une chute. A dire vrai, on ne saurait discerner s' il s' agit de jeux ou bien d' essais instinctifs d' adaptation, à la façon des chamois dont les cabrioles les plus hardies tendent à un but inconscient. Le petit montagnard ne manifeste guère la pétulance étourdie et bruyante de son camarade des villes; il est plus réfléchi, presque pensif; on dirait vraiment, à certaines heures, que le souci de la vie l' absorbe déjà et que l' ombre des montagnes glace en lui l' exubérance naturelle au jeune âge; la gaieté lui viendra au cours des années.

Sans y prendre garde, simplement par plaisir, les petits montagnards recherchent l' aventure difficile, et reculent souvent très loin, pour eux, les imites de l' impossible ou du dangereux. Un de ces téméraires, gamin d' une dizaine d' années, se balançait, un jour, à l' extrémité d' un sapin à demi déraciné et penché sur le précipice; tandis qu' il se livrait à cette étrange voltige, chantant à tue-tête, l' ecclésiastique du lieu, attiré par ce tapage insolite, accourt et, de la terre ferme, interpelle vigoureusement son ouaille imprudente: « Malheureux! que fais-tu là? ne sais-tu pas que ton ange gardien t' abandonnera si tu t' exposes ainsi au péril? » Et l' autre, de répondre fièrement, sans quitter son perchoir: « C' est bien aussi ce que je pense, monsieur le curé, jamais mon ange gardien n' oserait venir où je suis! » La montagne déjà les fascine et excite leur juvénile ardeur. Lorsque, sur la placette du village, les enfants voient passer les guides aux visages de bronze, tannés, comme les vieux matelots, par les vents du large, d' ambitieuses pensées s' éveillent en eux; ils considèrent avec respect ces hommes, descendus des sommets que leur imagination rend quasiment inaccessibles; ils touchent les piolets brunis avec la vénération qu' ils portent au fusil paternel, les jours d' inspection; ils caressent la corde artistement roulée sur le gros sac, et l' avenir, déjà, se dessine devant eux. Plus tard, oui, plus tard ils seront guides, eux aussi; à leur tour, ils conduiront des touristes sur les sommets qui encerclent le vallon; ils feront parler d' eux et rendront leur nom célèbre. Seuls, les timides, les mal-bâtis parlent de porter un jour la casquette galonnée de portier d' hôtel, mais, ceux-là, on les met de côté, avec quelque dédain. Les guides, voilà les vrais montagnards!

Très tôt aussi, le travail les attend; pour que chacun vive, là-haut où le pain noir ne s' acquiert qu' au prix de gros efforts, il faut que chacun s' aide, les vieux et les petits aussi; si les jambes sont courtes, elles n' en trottent pas moins bien. Sa hotte sur le dos, le petit homme va courir de ci de là, au gré des fonctions qu' on lui confie; il porte le dîner aux hommes occupés aux champs ou aux prés supérieurs; il descend à la vallée chercher quelque denrée indispensable, ou encore s' affaire à ramasser du bois mort dans la forêt clairsemée qui domine le village. Il fera la navette entre le chalet et les mayens où sont les vachers avec le bétail, et la route est longue pour le gamin; sur l' étroit sentier rocailleux, il halète un peu, mais ne se décourage point; sous l' ardeur du soleil ou sous la pluie, il poursuit sa marche sans fléchir. Au retour, pour ne rien laisser perdre et suivre l' exemple maternel, il remplit sa hotte d' herbes folles, cueillies à la poignée sur les rochers où la faux ne saurait passer; appoint modeste mais précieux à la réserve de foin pour l' interminable hiver.

Se plaindrait-il de devoir courir ainsi par monts et par vaux, au lieu de demeurer à jouer près du chalet? L' idée ne lui en viendrait pas; il envie, tout au contraire, ceux de ses camarades qui ont l' occasion d' aller plus loin que lui encore. Les fils de guides ou de gardiens de cabane ont ainsi le privilège très grand de s' aventurer très haut, jusque près des glaciers, pour ravitailler le père. Certes, ce n' est pas toujours une partie de plaisir; sur la moraine ou les hauts névés, il est facile de perdre la trace, et puis c' est terriblement solitaire; mais bon sang ne peut mentir. Sous sa mante trouée, le petit homme se redresse avec fierté et ne sent point sa charge; qui sait, peut-être aura-t-il le rare bonheur, au cours de l' une ou l' autre de ses expéditions, de rencontrer des touristes égarés qu' il remettra sur le bon chemin; et vous verrez comme il conduira crânement ses voyageurs d' occasion, usant d' au en homme qui connaît son affaire, Graine de guide, val Les gamins ont grandi; écoliers à la tête dure, ils ont pris sans empressement le chemin de l' école; il faut bien s' instruire, n' est pas? Mais l' école n' est ouverte qu' en hiver; en été, le régent vaque à d' autres fonctions, tandis que ses élèves se dispersent aux hameaux d' alentour. Or, l' hiver n' est point commode là-haut; la neige remplit les chemins, rendant les communications longues et pénibles. Des chalets disséminés dans les combes ou sur les terrasses gazonnées, les enfants tracent, vers l' école, d' éphémères pistes, qu' un coup de vent recouvrira. Et tout en cheminant avec peine, en quête du fruit de la science, le petit montagnard se familiarise avec cette neige qu' il retrouvera plus tard sur la route des cimes; il s' habitue à discerner les différents états qu' elle peut revêtir; il apprend à la fouler d' un pied assuré, à s' en servir même pour sa commodité, forte préparation aux futures marches harassantes sur les rampes abruptes ou les plateaux glaciaires où le soleil a, longuement, dardé ses rayons.

L' hiver est long, à la montagne, pour les écoliers astreints à une discipline inaccoutumée; vie monotone si différente de l' activité multiple de l' été; aussi saluent-ils le printemps avec une allégresse sans feinte. Lorsque la neige aura fondu sur les pentes, et qu' à la suite des fleurettes, le gazon fin aura poussé dru jusque près des glaciers, les écoliers de tantôt se mueront en bergers. Alors commence pour eux une vie nouvelle, toute parfumée d' imprévu et de liberté; les voilà maîtres de leurs destinées, chefs absolus du troupeau commis à leur garde, perdus dans la solitude et l' immensité de l' alpe. Plus de férule, d' attention fixée sur des livres ou une planche noire étique, mais l' horizon illimité et, toutes proches, les belles cimes blanches, si souvent admirées en secret et de loin. Le temps est à eux et ils en disposent à leur gré. Leurs bêtes, moutons obstinés et chèvres mutines, rôdent parmi les pierrailles; eux, ils s' occupent de leur côté; ils escaladent les couloirs tournés vers l' orient, où fleurissent les plus belles edelweiss; couchés à plat ventre, ils épient les marmottes à l' heure de la broutée, prêts à sauter par dessus les blocs pour couper la retraite aux imprudentes. Aux bons jours, ils se hasardent sur les crêtes, jusqu' aux cairns dressés çà et là par quelque prédécesseur; escalades obscures, confinées dans l' anonymat, mais où le gamin apporte une ardeur d' homme fait. Lorsque, le dimanche, les cadets du village montent jusqu' à lui, il se fait gloire de les conduire sur les sommets, par les voies qu' il a découvertes; vous souriez, grimpeurs armés de pied en cap, à la rencontre des ces bambins aux souliers éculés, sans veste, un gros bâton tortu à la main; troupe minable d' aspect, mais, dans les yeux de ces petits, brille la flamme d' enthousiasme et le sérieux de l' homme qui entrevoit un but, et y tend de toute sa force, parce qu' il le sait beau. Grimpez, petits, le long des roches, vous êtes bien les descendants de ces bergers de jadis qui escaladèrent, les premiers, nombre de sommets des Alpes, pour la seule griserie de grimper; nul n' enregistra leur victoire, seuls quelques cailloux entassés, une perche de rien du tout, ont marqué quelque temps leur passage; puis d' autres ont suivi leurs traces, et leur vanité y a trouvé son compte. Grimpez! sans le savoir, c' est déjà l' œuvre même de votre vie que vous ébauchez là.

Ils courent la montagne, les petits bergers, mais, tout en vagabondant, ils gardent l' œil ouvert sur leurs capricieuses ouailles: n' en sont-ils pas responsables? Ne sont-ils pas déjà les guides de leurs troupeaux? Ils se doivent àia sécurité de leurs bêtes avant que de songer à leurs commodités personnelles.

Elle n' est pas toujours riante et couleur de rose, l' existence de ces bergers de haute montagne, dont les écoliers de la plaine envieraient volontiers l' heu indépendance. Isolés durant trois ou quatre mois, ils sont retranchés de tout ce que l' imagination enfantine conçoit de doux et de maternel. Leur demeure, c' est l' abri en pierres brutes, aux interstices si larges que l' air glacé y pénètre librement; abri si infime, qu' il faut avoir l' œil exercé pour le distinguer des blocs d' alentour, si dénué de tout, que les touristes novices sont cruellement désappointés, atteignant les alpages supérieurs, de se heurter à ce terrier, au lieu du chalet bien clos qu' ils se promettaient sur la foi de leurs cartes. En un coin, un peu de paille ou de litière, tout humide encore de la dernière neige, c' est le lit; une vieille peau de mouton tient lieu de couverture, une casserole à pieds constitue toute la batterie de cuisine; quelques miches d' un pain noir que la hache a peine à briser, un quartier de seré noirci, voilà les provisions de bouche. Sans doute, il est, dans le cours de la saison, quelques jours plus propices, dignes d' être marqués d' une pierre blanche! Lorsque les propriétaires du bétail monteront aux pâturages inférieurs, jusqu' au grand chalet où sont les fromagers, ils n' oublieront point le gardien des chèvres ou des bouvillons; i ) aura sa part de la viande séchée ou de quelque autre friandise villageoise. Ces jours-là, le petit homme n' aspire plus à l' escalade; les marmottes peuvent s' ébattre à leur aise, leur dangereux voisin a l' esprit occupé ailleurs; sans scrupules, il quitte son poste quelques heures, pour courir vite, vite, aux chalets d' en bas, savourer la manne bienheureuse, les yeux pétillants de satisfaction. Jours de grande liesse dont le souvenir est lent à s' effacer.

Mais ces fêtes sont rares dans la longue trame des jours de l' alpée, et le petit solitaire a tout loisir de se réaccoutumer à son frugal menu, à moins que quelque touriste, passant d' aventure, n' ait l' heureuse idée de lui faire part des richesses de son sac. Ses grands yeux fixés sur le voyageur, le bonhomme ne quémande point, mais à la moindre offrande, son visage clos s' illumine; le remerciement que sa sauvagerie ou sa timidité l' empêchent parfois d' arti, son sourire épanoui le prodigue; il est plus sensible à l' attention qu' à l' offrande même; peu de chose suffit à lui constituer une gâterie; un simple morceau de sucre, déjà, lui paraît un régal.

Rude école, en vérité, que ce stage au cœur de la montagne; l' enfant en sort aguerri contre les intempéries et les privations de toute nature. Que lui feront, plus tard, les bivouacs forcés près des sommets, les tourmentes de neige, mortelles aux voyageurs délicats? Son corps est de bronze. Ce que l' enfant endura sans fléchir, comment l' homme fait ne le supporterait-il pas?

Et ne le plaignez pas, cet ascète qui s' ignore, plus qu' il ne se plaint lui-même. Ce qu' il endure, ses aînés l' ont enduré avant lui; il n' y a donc rien que de naturel, à ses yeux, dans ces incommodités qu' il accepte avec toute la philosophie d' un sage, bien averti des nécessités de la vie. A peine songera-t-il à travailler à son propre confort, à boucher, par exemple, les plus grosses fissures de son abri, ou à améliorer sa couche; déjà il est ravi s' il peut reposer sur des planches plutôt que sur le sol nu, où la roche affleure désagréablement. Puis, l' habitude et la jeunesse aidant, il sait découvrir le charme profond de cette vie retirée, si différente de l' existence fiévreuse des écoliers de son âge, aux cités de la plaine. Dans le lent écoulement des jours, il apprend la patience, non point morne et résignée, mais sereine, celle qui s' est persuadée que l' œuvre la plus longue finit par s' achever, pourvu qu' on persévère. Plus tard, encore, sur les pentes de glace où il devra tailler des marches, des heures durant, le guide songera avec reconnaissance, à cette forte préparation de sa jeunesse.

C' est ainsi que, sous le berger, le montagnard se forme, comme le sapelot qui pousse sur les pentes abruptes assure longuement ses racines, avant d' élever vers le ciel sa tête que menacent vent et avalanches. Le gletscherhirt des hautes pâtures, ce gamin déguenillé, aux yeux vifs, est souvent devenu un guide illustre, dont le nom a été accolé à celui des hommes qui firent l' honneur de leur pays.Spiro ( A suivre. )

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