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Horace-Bénédict de Saussure

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Avec 2 illustrations.Par Albert Roussy.

« Cela était devenu pour moi une espèce de maladie: mes yeux ne rencontraient pas le Mont Blanc, que l'on voit de tant d' endroits de nos environs, sans que j' éprouvasse une espèce de sentiment douloureux1 ). » C' est, semble-t-il, la seule phrase de ses œuvres dans laquelle se révèle de façon tangible, pour ainsi dire, l' amour de de Saussure pour ces montagnes que, à son époque, on avait baptisées « les Monts Maudits ».

En 1759, il écrivait: « Je brûle du désir de voir de plus près les hautes Alpes qui, du sommet de nos montagnes, semblent si majestueuses. » Il avait alors 19 ans et sa pensée se dirigeait déjà vers cette blanche sommité que, un peu plus tard, il admirait si souvent de la propriété de Genthod, et dont il devait faire la conquête il y a 153 ans, après une attente de 27 années. C' est, en effet, en 1760 que de Saussure, jeune homme de 20 ans, avait fait publier dans toutes les paroisses de la vallée de Chamonix qu' une belle récompense serait offerte à celui qui, le premier, gravirait le Mont Blanc. Il faisait alors sa première excursion dans cette région, dans le but de récolter des plantes que lui demandait le naturaliste bernois Albrecht de Haller, avec lequel il avait été mis en relation par son oncle Charles Bonnet.

Sans doute ne peut-on voir le Mont Blanc, ou simplement en prononcer le nom, sans que se présente immédiatement à l' esprit le nom de de Saussure, car chacun connaît l' exploit magnifique de ce pionnier, qui fut, en réalité, le fondateur de l' alpinisme. En effet, rares furent avant lui les explorateurs qui se risquèrent à la montagne à l' attaque des hauts sommets et, de plus, aucun d' entre eux ne se livra à des recherches ou à des expériences scientifiques.

Mais il semble que peu d' alpinistes sachent ce que fut l' activité scientifique, pédagogique, politique même du grand savant genevois, d' autant plus que la seule biographie complète de de Saussure n' a été écrite qu' en 1921, en anglais, par D. W. Freshfield, l' un des alpinistes anglais les plus connus, membre d' honneur de la section genevoise du C.A.S. et Dr h.c. de l' Université de Genève, et qu' en 1924 seulement Mlle Louise Plan en a donné une excellente traduction en français 2 ).

Avant Freshfield d' autres avaient écrit de courtes notices biographiques ou des éloges consacrés à de Saussure ( Jean Sénebier, de Candolle, Töpffer, le Dr L. Bouvier, Alphonse Favre, E. Naville, Forbes, Wolf, Sainte-Beuve, Sayous, pour ne citer que les principaux ), mais aucun n' avait présenté une étude aussi complète ni aussi documentée.

Les Alpes se devaient, à l' occasion du deuxième centenaire de la naissance d' H. B. de Saussure, de contribuer à rappeler, ne fût-ce qu' en quelques pages, l' activité et l' œuvre de ce savant qui consacra la plus grande partie de sa vie à la science et à l' étude de la montagne.

Les de Saussure étaient originaires de Lorraine; au temps de la Réforme ils s' étaient réfugiés à Lausanne; un membre de cette famille s' établit à Genève au 18e siècle.

Horace-Bénédict de Saussure naquit à Conches, près Genève. Son père, Nicolas de Saussure, s' occupait principalement d' agriculture; il mourut en 1791, à l' âge de 83 ans. Sa mère, née de la Rive, appartenait à une famille distinguée par ses talents et ses richesses. Ce fut elle qui dirigea l' éducation de son fils; elle s' acquitta de cette tâche avec une grande intelligence.

En 1750, la famille s' installa dans la propriété du grand-père, à Fron-tenex. Après son mariage avec Mlle Albertine-Andrée Boissier, en 1765, de Saussure passa de nombreux étés à Genthod, dans une propriété qui appartenait aux trois sœurs Boissier, comme, d' ailleurs, la superbe maison Lullin au haut de la rue de la Cité, à Genève. Le domaine de Genthod est situé sur la rive droite du lac, à quatre kilomètres de Genève. La vue s' étend, directement en face, de l' autre côté du lac, sur toute la chaîne du Mont Blanc: le Mont Blanc, avec le Mont Maudit et le Tacul, l' Aiguille du Géant, les Grandes Jorasses et l' Aiguille Verte.

A six ans l' enfant entra au collège et à quatorze ans il passa à l' Aca. En 1759, il quittait l' auditoire de philosophie, publia et défendit une dissertation sur « le feu ».

Trois ans plus tard il rentrait à l' Académie: II avait été nommé à la chaire de philosophie et enseignait de deux années l' une, la logique, la morale, la métaphysique et la pneumatologie, tandis que les leçons de physique étaient confiées à un amateur1 ). « Cuvier attribue à de Saussure d' avoir posé les bases de la géologie et créé la météorologie. Père de l' alpi scientifique, tour à tour physicien, mathématicien, botaniste et avant tout, comme il le rappelait volontiers à ses élèves, .écolier de ll' expérience il est le représentant par excellence de cette science genevoise issue des leçons de Chouet qui arrive au premier sommet de son ascension pendant les dernières décades de l' ancien régime2 ). » De Saussure enseigna jusqu' en 1786. Il fut recteur de l' Académie de 1774 à 1776.

De bonne heure de Saussure se met à parcourir les montagnes des environs de Genève, le Salève, les Voirons, la Dôle, le Môle.

« En 1860, dit Sénebier dans sa biographie de de Saussure3 ), on parlait beaucoup, à Genève, d' un voyage fait par des Anglais aux glaciers de Cha- mouny; on y regardait alors ces lieux comme inaccessibles; c' était le pays des Fées...; on les appelait aussi les montagnes maudites. De Saussure forme le projet de les visiter. » Il partit seul et fit à pied les 50 kilomètres qui séparent Genève de Chamonix; tout en herborisant, il admirait les glaciers: « Ces glaciers majestueux, séparés par de grandes forêts, couronnés par des blocs de granit d' une hauteur étonnante, qui sont taillés en forme de grands obélisques et entremêlés de neiges et de glaces, présentent un des plus grands et des plus singuliers spectacles qu' il soit possible d' imaginer. » Telle est la première impression que de Saussure rapporte de cette expédition. Il monta au Montenvers; il gravit le Brévent avec Pierre Simon qui fut son guide pendant de nombreuses années et qu' il estimait fort. Il convient d' ajouter que, dans toutes ses excursions comme dans tous ses voyages, son attention s' étendait aux habitants de la région qu' il visitait; il observait leurs mœurs et leur coutumes, leur situation et leur caractère.

Il retourna à Chamonix en 1761 et fit pour la deuxième fois l' ascen du Brévent, puis en 1764; en 1766, il monta avec Lullin au sommet du Môle et y fit des expériences sur l' électricité des nuages; en 1767, une excursion autour du Mont Blanc par l' Allée Blanche avec J. L. Pictet, célèbre par son voyage en Laponie, et Jallabert, excellent dessinateur; l' année suivante, accompagné de sa femme, il visita la France et l' Angleterre; en 1770, il retourne à Chamonix; en 1771, ce fut une excursion aux îles Borrhomées, à Còme et à Milan, avec retour par le Grand St-Bernard; en 1772/1773, voyage en Italie et ascension de l' Etna; en 1774, à Courmayeur par l' Allée Blanche et ascension du Crammont; en 1776, dans le Dauphiné et ascension du Puy de Dôme, puis de nouveau Chamonix avec ascension du Buet; en 1777, aux îles Borrhomées et au Splügen et, plus tard, excursions dans les montagnes de St-Gingolph et ascension de la Dent d' Oche; en 1778, de nouveau au Buet, au sommet duquel il fit une analyse de l' air, puis au Montenvers; au Bonhomme et au Col de la Seigne, avec Trembley et A. Pictet, avec une deuxième ascension au Crammont; en 1779, au Salève, à la grotte d' Orjobet et dans le Jura; en 1780, à Gênes par le Mont Cenis, retour par la Provence, avec Pictet; en 1781, pour la quatrième fois au Brévent; en 1783, au Lac Majeur; en 1784 il se rend à Lyon pour assister à la troisième ascension aérostatique conduite par Ed. Montgolfier et Pilâtre des Rosiers; en 1785, première tentative d' ascension du Mont Blanc avec Bourrit; en 1786, il fit, avec son fils Théodore, un voyage minéralogique dans la France méridionale; la même année, échec de sa deuxième tentative d' as du Mont Blanc; en 1787, à Nice, avec Mme de Saussure; cette même année, il atteint la cime du Mont Blanc; en 1788, séjour de 17 jours au Col du Géant, avec son fils Théodore; en 1789, excursion autour du Mont Rose; en 1790, aux bains d' Aix; et en 1792, voyage au Cervin avec son fils. Ce fut son dernier voyage. D' une part l' état de sa santé ( il eut une première attaque d' apoplexie et de paralysie en 1794 et une seconde en 1795 ), d' autre part les troubles qu' amena à Genève la Révolution française et HOHORACE-BÉNÉDICT DE SAUSSURE.

le chagrin qu' il eut de la perte de sa fortune, contribuèrent à abréger ses jours. Il mourut à Genève le 22 janvier 1799. Il fut enseveli dans le cimetière de Plainpalais.

Il laissait une fille, Albertine-Adrienne ( 1766—1841 ) qui épousa Jacques Necker ( elle est l' auteur d' un célèbre traité de pédagogie: l' Education progressive ) et deux fils: Nicolas-Théodore et Alphonse. Nicolas-Théodore ( 1767—1845 ) fut professeur de minéralogie et de géologie à l' Académie de Genève de 1802 à 1835.

Disons maintenant quelques mots des deux expéditions les plus remarquables d' H. B. de Saussure: son ascension du Mont Blanc en 1787 et son séjour au Col du Géant en 1788.

Diverses tentatives précédèrent l' ascension de de Saussure. En 1775, 15 ans après la publication de la promesse faite par de Saussure, quatre guides firent un premier essai; ils s' arrêtèrent avant d' avoir atteint les Grands Mulets. En 1783, une seconde caravane arriva jusqu' au Petit Plateau. La même année, Bourrit, chantre de la cathédrale de St-Pierre, accompagné de guides et du Dr Michel-Gabriel Paccard, se mit en route, mais n' alla pas plus loin que le sommet de la montagne de la Côte, le temps s' étant gâté. En 1784, le Dr Paccard fit avec Pierre Balmat deux reconnaissances jusqu' au glacier du Tacul, puis jusqu' aux rochers à la base de l' Aiguille du Goûter. La même année, Bourrit reprit sa tentative, mais dut s' arrêter au pied de l' Aiguille du Goûter; deux de ses guides atteignirent cependant les rochers au-dessous des Bosses. En 1785, de Saussure, qui avait consenti au désir de Bourrit père et fils de se joindre à lui, se détermina à retourner à l' attaque. La première nuit se passa dans une grossière cabane à Pierre Ronde. Malheureusement le départ, le lendemain, fut tardif et, après cinq heures d' esca, cette caravane de douze personnes trouva beaucoup de neige fraîche et fut contrainte de regagner la vallée. En 1786, deux caravanes de guides entreprirent une attaque combinée; elles avancèrent jusqu' au pied de l' arête des Bosses, mais ne continuèrent pas. A l' une de ces caravanes s' était joint Jacques Balmat qui, en redescendant, se sépara de ses compagnons au Grand Plateau, sous prétexte d' aller à la recherche de cristaux. Il passa la nuit dans la neige et le lendemain matin examina comment il pourrait arriver au sommet. Certain qu' il avait repéré une route praticable, il redescendit et alla proposer au Dr Paccard ( qui, lui aussi, avait décidé de tenter l' ascen ) de monter avec lui. Le 8 août, ils arrivèrent au sommet après 14% heures de grimpée. Le 13 août, Balmat se rendit à Genève pour réclamer à de Saussure la récompense promise. De Saussure donna immédiatement à J. P. Tairraz, l' aubergiste de Chamonix, l' ordre de faire construire deux huttes, l' une au sommet de la montagne de la Côte, l' autre sur le plus élevé des rochers des Grands Mulets, et de s' arranger avec Jacques Balmat pour se procurer un groupe de bons guides.

Le 15 août, de Saussure quitta Genève. Le 18, il était à Chamonix. Le 22 août, il dînait chez Paccard père, et là le docteur lui raconta l' ascension. On peut lire dans l' ouvrage de Freshfield le récit du Dr Paccard tel que de Saussure l' écrivit le soir même. Ce document contredit la légende créée par Bourrit, d' après laquelle Paccard fut traîné au sommet par Balmat, légende dont le Dr Dübi a fait justice dans son livre « Paccard wider Balmat ». Le mauvais temps obligea de Saussure à abandonner son projet pour cette année. Le 7 juillet de l' année suivante, 1787, de Saussure quitte Genève avec sa femme, ses deux belles-sœurs et ses deux fils. L' arrivée à Chamonix eut lieu le 9 juillet. On dut attendre le beau temps pendant trois semaines. Enfin, le matin du 1er août, la caravane se met en route avec 18 guides. De Saussure était accompagné de son fidèle domestique Têtu. Le récit qu' a fait de Saussure de cette expédition est captivant. Il se trouve en entier dans les Voyages et a, d' ailleurs, été publié à part. Il suffira donc de donner quelques brèves indications: Le 1er août, on monte coucher sous une tente au sommet de la montagne de la Côte. Le 2 août, on passa la nuit au Grand Plateau. Le 3 août, à 11 heures, le sommet était atteint.

De Saussure passa quatre heures et demie sur la cime à faire des expériences tant physiques ( forme de la cime; épaisseur de la calotte de neige qui recouvre la cime; neige de la cime; nature des rochers; animaux et végétaux; baromètre, thermomètre et hygromètre; ébullition de l' eau; couleur du ciel ) que physiologiques ( goût, odorat, son, respiration ).

Le 4 août, le départ eut lieu à 6 heures du matin et, nous dit de Saussure, « nous abordâmes sur le roc à 9 heures et demie du matin, quittes de toute peine et de tout danger. Nous ne mîmes que deux heures et trois quarts de là au Prieuré de Chamouni, où j' eus la satisfaction de ramener tous mes guides parfaitement bien portants. » Et le récit se termine par cette phrase: « Je passai encore le lendemain à Chamouni pour quelques observations comparatives, après quoi nous revînmes tous heureusement à Genève, d' où je revis le Mont Blanc avec un vrai plaisir et sans éprouver ce sentiment de trouble et de peine qu' il me causait auparavant. » Cinq jours plus tard ( le 8 août ), un jeune Anglais, M. Mark Beaufoy, faisait l' ascension du Mont Blanc.

En juin 1788, de Saussure se rendit à Chamonix en compagnie de son fils Théodore. Il avait décidé de faire un séjour sur les hauteurs pour compléter les observations qu' il n' avait pu faire pendant les quatre heures et demie passées au sommet du Mont Blanc. Il avait obtenu de précieux renseignements sur le « Grand Col », nom donné alors au col qui, au sommet de la Mer de Glace, traverse la chaîne pour descendre à Courmayeur. Ce passage avait été, disait-on, utilisé autrefois. Exchaquet, directeur des mines de Servoz, fut un des premiers explorateurs de la montagne; il avait fait bon nombre d' ex et connaissait la région. En 1787, il avait réussi la traversée du Grand Col1 ). Parti de Chamonix à 2 h. 15 du matin, il atteignit Courmayeur le même jour à 8 heures du soir. C' est à lui que l'on doit un certain nombre de reliefs des hautes régions des Alpes. Muni des informations que lui avait fournies Exchaquet, de Saussure résolut de s' installer au sommet de ce col, à plus de 3300 mètres, et de s' y livrer aux expériences projetées. Il lui parut intéressant de faire sur une cime élevée un séjour assez long « pour déterminer la marche journalière des différents instruments de la météorologie et épier les occasions d' observer l' origine des différents météores, tels que les pluies, les vents, les orages ». La caravane se mit en route le 2 juillet. La première nuit, les tentes furent dressées à côté du petit lac du Tacul. De Saussure avait fait construire au col une cabane de pierres qu' il apprécia sans doute fort la seconde nuit, car il y fut assailli par « le plus terrible orage dont j' aie jamais été témoin », écrit-il à sa femme.

Il resta 17 jours sur ce col qu' il avait rebaptisé en « Col du Géant », en lui ôtant le nom de Tacul, qui est à sept lieues de là, « tandis qu' il y a tout auprès la magnifique Aiguille du Géant que l'on voit depuis Genthod. Tous les guides ont approuvé ce changement. » Le 19 juillet, la caravane descendit à Courmayeur.

De Saussure avait adopté une sévère méthode de travail. Pour chacun de ses voyages il préparait un agenda systématique et détaillé des recherches auxquelles il voulait se livrer et il s' était imposé la loi de prendre toutes ses notes sur les lieux de ses observations et de les mettre au net dans les 24 heures autant que cela était possible. Il ne négligeait aucun détail, mais voulait en même temps qu' on ne perdît jamais de vue les grandes masses ni les ensembles, estimant que la connaissance des grands objets était toujours le but qu' on devait se proposer en étudiant les petites parties.

On peut dire que c' est par sa méthode d' observation qu' il parvint à faire de la géologie une science réelle, tandis qu' avant lui, dit Cuvier, on n' avait presque que les idées les plus vagues et les systèmes les plus hardis.

Si l'on veut juger de la valeur de de Saussure comme alpiniste, il faut, se reporter, d' une part, à 150 ans en arrière et, d' autre part, aux conditions rudimentaires dans lesquelles se trouvait la pratique des glaciers à Chamonix. On n' y connaissait guère l' usage de la corde, par exemple, tandis qu' en d' autres lieux, en Suisse, on le connaissait depuis Simler. De Saussure était fort marcheur et bon grimpeur, semble-t-il, et il faut aussi tenir compte des ressources dont il disposait et qui lui facilitaient bien les choses.

Il est vrai que l'on commençait aussi à connaître les Alpes; de nombreux botanistes, de simples chercheurs de plantes, des géologues parcouraient les hautes vallées, et il existait bien des sentiers.

Toutefois, tout était à faire à peu près dès que l'on arrivait aux glaciers et aux neiges éternelles, et il convient de reconnaître que l'on trouve dans les ouvrages de de Saussure un excellent exposé bien vivant de la manière dont l' exploration des Alpes a été faite, qu' il s' agît de transport, d' appro, de courriers même, ainsi que de la manière de se comporter sur les glaciers.

Et, comme de Saussure considérait les acensions non comme un but en soi, mais comme un moyen de faire des recherches scientifiques, on peut dire qu' il fut le créateur de l' alpinisme scientifique.

De plus compétents parleront en détail des questions scientifiques traitées par de Saussure, de ses expériences et de leurs résultats, de ses découvertes aussi; il suffit de donner ici quelques indications générales.

Il fit des observations dans le domaine de la zoologie, de la botanique, de la météorologie et surtout dans celui de la géologie.

Au sujet de cette dernière science, la valeur de l' œuvre du savant genevois a été clairement définie par le professeur L. W. Collet.

En effet, dans la préface qu' il a écrite pour présenter au public l' édi française de l' ouvrage de Freshfield, le professeur L. W. Collet, de l' Uni de Genève, rappelle tout d' abord que la science géologique a fait de grands progrès durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, grâce aux travaux de trois grands géologues: l' Allemand A. G. Werner ( 1749—1817 ), l' Ecossais J. Hutton ( 1726—1797 ) et H. B. de Saussure ( 1740—1799 ). Puis il dit, en parlant de ce dernier: « Pour de Saussure la géologie était un centre auquel se rattachent la minéralogie, la physique et la chimie, dans toutes les questions relatives à la constitution de l' écorce terrestre, la botanique et la zoologie pour l' étude des êtres vivant à la surface de la terre et la météorologie... En vrai naturaliste, de Saussure ne devait pas tarder à remarquer tout ce que la géologie est en droit d' attendre d' une exploration des montagnes, où les vallées permettent de pénétrer profondément dans la structure des chaînes et des massifs... Quand nous considérons que ce n' est que depuis trente ans, et après un siècle d' explorations, que nous commençons à comprendre les Alpes à la suite des travaux des Suess, Marcel Bertrand, Schardt, Lugeon, Termier, Kilian, Argand et Staub, nous réalisons toute l' importance de la Marche aux Montagnes d' H. B. de Saussure, d' où est née la géologie alpine. » « L' œuvre littéraire de Saussure nous apparaît admirablement claire, elle a la netteté d' un glacier aux heures de soleil. » ( Virgile Rössel. ) En lisant ses Voyages1 ) ( qui lui ont valu d' être appelé L' Historien des Alpes ) on remarque combien il est peu personnel et tout objectif; il admire le spectacle de l' univers. Et voici ce que dit Sainte-Beuve, « Saussure est un de ces esprits qui unissent, dans une haute et juste mesure, les éléments les plus différents, l' exactitude du physicien, le jugement froid de l' obser, la sagacité du philosophe, l' amour et le culte de la nature. » De Saussure nous déclare que le style est pour lui chose secondaire. Ce qui n' empêche que son style est précis et sincère. Il ne recherche pas l' effet artistique. Il présente aussi simplement que possible tous les faitsVoyages dans les Alpes, précédés d' un essai sur l' histoire naturelle des environs de Genève. 4 vols. in-4°, Neuchâtel 1779, 1786, 1796, 1796.

Citons encore: Relation abrégée d' un voyage à la cime du Mont Blanc, in-8°, Genève, 1787.

Agenda ou tableau général des observations et des recherches dont les résultats doivent servir de base à la théroie de la terre, 1 vol. in-12°, Genève 1796.

Voir dans l' ouvrage de Freshfield une liste des principaux ouvrages et des articles scientifiques d' H. B. de Saussure, qui ont été publiés.

Die Alpen — 1940 — Les Alpes.9 HORACE-BÉNÉDICT DE SAUSSURE.

qui se rapportent à son sujet. On ne trouve chez lui aucune prétention littéraire.

Les Voyages gagneraient-ils à être présentés en plusieurs parties, tout au moins en deux parties, l' une pour le pittoresque, l' autre pour la science? Cette division a, d' ailleurs, été réalisée en 1834 par la publication de La partie pittoresque des ouvrages de H. B. de Saussure ( avec une introduction d' André Sayous ).

Cette brève notice ne serait pas complète s' il n' y était fait mention du rôle que joua de Saussure dans sa ville natale, tant au point de vue de l' édu qu' au point de vue politique.

Dans sa leçon inaugurale à l' Université de Saussure avait traité de l' éducation. Il s' était élevé contre la grande place donnée au Collège à l' en des langues mortes. Il ne s' en tint pas à cette protestation et, en 1774, il publia un « Projet de réforme pour le Collège de Genève ». Persuadé de l' avantage que procure l' éducation publique dans laquelle « tout parle aux enfants de la Patrie » et par laquelle les enfants « traités avec l' éga la plus parfaite », s' accoutument à se regarder comme frères, comme enfants d' une « mère commune », il propose dans son « Projet » diverses réformes que, faute de place, il n' est pas possible même de résumer ici. Il y demandait, entre autres, moins de leçons de grec et de latin et un enseignement plus étendu des sciences, car, selon lui, le Collège devait être rendu utile à tous les citoyens. Ces propositions donnèrent lieu à de nombreuses discussions. De Saussure revint à la charge en 1795 dans le discours que, en qualité de recteur, il prononça à la fête annuelle des promotions, « sur la négligence des jeux d' exercice et sur la molle éducation de la jeunesse ».

Le projet que, pour répondre à ses contradicteurs, il avait fait suivre d'«Eclaircissements », ne fut cependant pas suivi et ce ne fut que beaucoup plus tard que les idées qui y étaient émises furent appliquées en partie.

D' autre part, afin de rapprocher les différentes classes et les différents métiers, il fonda, en 1776, avec l' horloger Louis Faizan la « Société des Arts ». Cette société subit une éclipse de 1781 à 1786, par suite des circonstances politiques, mais fut reconstituée en 1786 sous la protection du gouvernement.

A peu près à la même époque de Saussure était bibliothécaire de la bibliothèque publique et secrétaire de la Vénérable Compagnie des Pasteurs.

De Saussure se tenait à l' écart de toute activité politique, bien qu' il fît partie du Conseil des Deux Cents. Il fut aussi membre du Conseil militaire en 1782 et, plus tard, du Conseil des Soixante. C' est vers cette époque qu' il prit la décision de s' intéresser de plus près à la vie politique pour défendre sa cité contre les entreprises révolutionnaires. En 1792, il fit partie du Comité civil chargé de régler les articles d' une nouvelle constitution. Il fit toujours son possible pour arriver à la concorde, mais à la suite des troubles et des assassinats de cette triste période de la Terreur en 1794, il cessa définitivement de s' occuper de politique, d' autant que sa santé commençait à décliner. Il n' en reste pas moins que de Saussure fut un citoyen dévoué à la chose publique et que, de toute son énergie, il tenta de sauver sa patrie de la ruine et de la Terreur. Il ne survécut pas longtemps à la chute de la république consommée par l' annexion de Genève à la France en 1798.

Si cette trop brève notice consacrée à un homme qui, par sa science, ses travaux, sa vie de famille et sa vie civique, a grandement honoré sa patrie, a pu intéresser nos collègues du C.A.S. et leur apprendre à mieux connaître le grand savant que fut H. B. de Saussure, j' estimerai avoir atteint mon but.

Ouvrages consultés.

H. B. de Saussure: Voyages dans les Alpes. 4 vols. 1779—1796.

Sénebier, Histoire de la vie de H. B. de Saussure. 1d. Histoire littéraire, III.

Recueil des éloges prononcés à l' Institut, I.

France protestante ( Galerie suisse ).

Wolf: Biographie IV.

R. Töpffer: Des voyages de H. B. de Saussure, 1834.

A. Favre: H. B. de Saussure et les Alpes.

L. Bouvier: De Saussure, sa vie, ses voyages et ses observations, 1877.

Ern. Naville: H. B. de Saussure et sa philosophie, 1883.

Sayous: Le 18e siècle à l' étranger I.

V. Rössel: Histoire littéraire de la Suisse romande.

Cuvier: Biographie universelle.

Ste-Beuve: Causeries du Lundi, XV, 103.

Lettres de H. B. de Saussure à sa femme, commentées par E. Gaillard et H. F. Montagnier. Chambéry 1937, et surtout l' ouvrage capital de D. W. Freshfield, D. C. L., avec la collaboration de Henri-F. Montagnier auquel nous sommes redevables de très nombreux détails.

Note relative aux deux illustrations qui accompagnent le présent article:

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