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La Nature Alpine

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Par Henri Onde

Si l' alpinisme se suffit à lui-même, s' il est source de joie en permettant le plein épanouissement de l' être, on ne contestera pas cependant qu' il ne prend toute sa valeur qu' avec une connaissance préalable, intime et approfondie de la montagne.

C' est à une préoccupation de cet ordre qu' a justement obéi René Godefroy en publiant, en 1940, sa Nature Alpine, avec l' ambition d' enrichir l' alpinisme de l' immense apport de la géographie moderne, d' exposer plus particulièrement « les enseignements de la géographie physique qui concernent le relief du sol, l' air qui l' enveloppe, la vie établie à son contact,... dans le cadre des Alpes et des montagnes qui leur ressemblent ». L' ouvrage paru en pleine guerre, inaccessible à la zone occupée de France et à l' étranger, vient d' être réédité avec la collaboration de l' alpiniste bien connu Emile Gaillard. Celui-ci a pu corriger et compléter le texte primitif à l' aide des notes marginales et des additions laissées par l' auteur avant sa disparition 1. Il n' est pas trop tard pour présenter ce livre, fruit des méditations d' un homme remarquablement informé. Nul, en effet, n' était mieux qualifié que René Godefroy pour parler de la nature alpine. Septuagénaire, il hantait encore le difficile massif des Aiguilles d' Arves, dans cette Maurienne qu' il aimait tant et qui nous avait rapprochés; il avait gravi maintes cimes, en France, en Suisse, en Italie, et, comme officier du génie, il avait été appelé à faire de longs séjours en montagne. René Godefroy a été ainsi à même d' illustrer son ouvrage d' observations extrêmement variées et personnelles, rédigées dans un style volontairement dépouillé, d' une rigueur toute scientifique, appuyées sur de nombreuses figures, souvent fort suggestives: ainsi la figure 63 expliquant les « captures politiques » réalisées le long de la frontière italo-suisse entre Splügen et Stelvio, ou la figure 72 traduisant l' influence de la forme du sol sur les écarts de température à diverses altitudes.

Des trois éléments qui contribuent à modeler un paysage de montagne, le sol, l' air et la vie, c' est le premier qui a le plus retenu l' attention de René Godefroy, et il lui a consacré, à juste titre d' ailleurs, les deux tiers de son livre. Sans s' attarder plus que de raison aux théories orogéniques, l' auteur a voulu expliquer le modelé du sol et a été amené ainsi à analyser l' action puissante et multiforme des agents de l' érosion. Parmi ces derniers, la désagrégation, chimique et mécanique, la mise en mouvement des débris, par glissement lent, par solifluction des sols dégelés, par éboulements ( Bergstürze ) ou glissement, par la neige, le gel, les torrents, les glaciers, sont des phénomènes universels, prépondérants et encore mal connus. Aussi lira-t-on avec intérêt les paragraphes relatifs à la canonnade, à la formation des gendarmes, ou des champignons, des champs de débris, des glaciers de pierres, des sols polygonaux ou réticulés.

1 René Godefroy. La Nature Alpine. Exposé de Géographie physique. Paris, Presses Universitaires de France, 1948. 1 vol. in-8, VIII + 483 p., 80 fig., 14 pi. phot.

II ne saurait être question d' énumérer toutes les formes de modelé dessinées par René Godefroy d' une main toujours très sûre. Notons qu' il cite, chemin faisant, les appellations locales des ces formes, souvent leur nom allemand, anglais ou italien: or, quand il s' agit d' une science comme la géographie dont le vocabulaire ne cesse de se développer, la précaution se révèle infiniment utile et recommandable. Nous avouons enfin notre préférence pour les pages de l' auteur sur la neige et les glaciers qu' il connaissait à merveille, jusque dans leur traîtrise, pour avoir fait un séjour forcé dans une crevasse mauriennaise ou tarine. « Le vent amoncelle la neige en congières, en édifie des sortes de dunes. Il y pratique des sillons ou des creux arrondis, les Schneegangeln des Alpes orientales. La neige surmonte les arêtes d' un toit aigu, dont le vent effile la crête. Sous sa poussée, les couches de neige qu' il apporte se superposent en se dépassant et s' établissant en surplomb: ainsi se forme une corniche, qui tourne le dos au vent dominant... C' est surtout sur ces arêtes que la neige, fine et sèche, se laisse facilement soulever et disséminer par le vent. Le ciel bleu apparaît alors légèrement troublé par un voile blanchâtre enveloppant les sommets, qui ,fument leur pipe Les eaux de fonte exercent de puissantes actions érosives. Dès que la chaleur du soleil se fait sentir à la surface du glacier, les eaux délivrées se mettent en mouvement, ici s' étalant en marécages, là s' assemblant en ruisseaux, comme les bédières du massif du Mont Blanc. Elles tracent des sillons, creusent des marmites, qui rappellent les lapiaz et les puits du calcaire. » Ces citations suffisent à montrer avec quel soin, quel bonheur d' expression parfois, René Godefroy a su pénétrer les mystères de la vie bouillonnante et sourde de la nature alpine, en perpétuelle transformation sous son masque de hautaine immobilité.

Cette vie de la matière inerte ne doit pas faire perdre de vue celle des êtres animés, du tapis végétal, des animaux et des hommes. L' adaptation de la plante alpine aux dures conditions qui lui sont faites se traduit, par exemple, par la réduction des tiges aériennes, le rapprochement des feuilles et la formation de coussinets, par le développement de l' appareil souterrain, l' exiguïté et l' épaisseur des feuilles, la grandeur des fleurs par rapport à la taille de la plante, la coloration, l' exaltation des propriétés aromatiques, etc. « La fourrure blanche de l' edelweiss ne lui assure pas seulement un vêtement préservatif des rigueurs de la température, mais aussi une cuirasse contre 1' evaporation, qu' il redoute, aux expositions ensoleillées où il se plaît. » L' homme enfin n' est pas absent de la Nature Alpine de René Godefroy, en dépit d' un sous-titre annonçant un « Exposé de Géographie physique », et c' est très bien ainsi. Cela nous vaut une trentaine de pages sur la localisation de l' habitat de l' homme dans les Alpes, sur l' habitat permanent et sa limite altitudinale, sur l' habitat estival et sa distribution étagée, sur les migrations montagnardes, etc. Les Alpes, les Alpes suisses en particulier, sont le plus souvent citées, mais les autres grandes montagnes du globe ne sont pourtant pas ignorées. « En Amérique, la ville péruvienne de Cerro de Pasco dépasse, à 4350 m ., la limite de la végétation arborescente; en Bolivie, la capitale, La Paz, s' est fixée à 3700 m., Potosi à 4000 m .; le village de San Vicente a été bâti à 4580 m ., à l' altitude du sommet du Cervin... Le maïs et le riz se voient encore à 2300 m. dans le Baltistan. La vigne monte à 3000 m. Le froment, le chou et l' oignon se cultivent jusqu' à 3600 m. De maigres cultures accompagnent, jusqu' à l' altitude approximative de 4000 m ., les villages et les couvents bouddhiques du Tibet. » La Nature Alpine était un livre difficile à écrire puisqu' il devait mettre à la portée des profanes toute une vaste culture géographique, faire à la fois œuvre de vulgarisation et œuvre de science. Il constitue ainsi un véritable traité de géographie des montagnes, sans équivalent, croyons-nous dans la littérature de la langue française. Il répond comme le pensait son auteur, en 1940, « aux désirs de cette élite pour laquelle l' alpinisme est autre chose et mieux qu' un vulgaire exercice du corps. » Il est enfin, sans aucun doute, « une initiation à l' intelligence des formes et des phénomènes de la montagne et des caractères originaux de la vie qui l' anime. »

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