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La Societe des Nations et la montagne

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Par Charles Gos.

Le sentiment de la montagne, aussi loin que la pensée peut remonter le cours de l' histoire et du temps, est inscrit à l' origine même de l' humanité. La mythologie d' abord et la foi chrétienne ensuite furent les premières à conférer aux hauteurs une valeur de symbole. Obéissant à cette sorte de loi naturelle, l' homme, à travers les siècles, continua et continue à ériger la montagne en image emblématique. Il est vrai que la comparaison est facile et que la montagne, grâce aux éléments même de sa structure, grâce à ses contours polymorphes, aux multiples accents de son relief, à la convergence des lignes vers les suprêmes altitudes en bordure du ciel, se prête admirablement à toutes sortes d' interprétations figuratives.

Aussi bien est-ce un lieu commun de rappeler que la pensée humaine, dans toutes ses attributions, dans toutes ses applications ( la littérature surtout ) emprunta au paysage alpestre son facile mais frappant symbole pour le transposer sur le plan spirituel. Quelques grands exemples: Dante le premier, idéalisme et sentiment; Pétrarque, au Mont Ventoux, compare son escalade « au voyage de l' âme »; Léonard de Vinci s' il orne le fond de ses toiles de silhouettes de montagne, c' est pour établir entre elles et ses personnages une occulte communion; Racine élève « le regard vers les saintes montagnes »; St-François de Sales, évêque de Genève, découvre l' image de Dieu « parmi les effroyables glaces » de Chamonix et il s' empresse de le confier ( avec quelle ferveur !) à Madame de Chantai; Victor Hugo, dans ses retentissantes préfaces de Cromwell et de Ruy Blas demande au relief alpin ( et au Mont Blanc en particulier ) l' échelle gigantesque de sa comparaison pour l' appliquer aux passions humaines; Schumann, dans une ouverture célèbre, exalte le jeu de l' individualisme dans le décor montagneux, thème que reprendra avec bonheur Nietzsche. On pourrait multiplier à l' infini de tels exemples. Démonstration inutile et oiseuse. Mais la montagne dans la politique ou ce qui est mieux et pour être plus précis, la montagne-symbole faisant son entrée dans les débats internationaux de la Société des Nations, voilà l' élément nouveau, l' argument oratoire qu' il est amusant de relever.

Trois délégués de marque et appartenant tous trois à des pays où la montagne est en honneur ont introduit dans des discours récents la grande et solitaire image des hauteurs: un Anglais, un Belge et un Grec! L' Empire britannique ( noblesse oblige! l' Alpine Club, fondé à Londres en 1857, est la plus ancienne société de montagne ) par la voix de son distingué représentant, Sir Hilton Young, a évoqué la montagne à propos de la Conférence économique et des difficultés que rencontre la Commission de la réduction des armements. « Ceux d' entre vous qui ont fait des courses de montagne, dit Sir Hilton, se seront aperçus que dans les Alpes, on ne va pas toujours au sommet de la façon la plus rapide, en y montant directement par la face. Le sommet que nous cherchons à atteindre est celui de la paix et la voie d' accès plus facile n' est pas toujours celle qui monte directement. » Il est vrai que Sir Hilton a de qui tenir. Son père, Sir George, encore vivant, est l' un des derniers pionniers de l' alpinisme anglais et son frère, Geoffrey Winthrop, le plus remarquable grimpeur de notre temps; ses sensationnelles « premières » par la face, tant dans les Alpes suisses que dans la chaîne du Mont Blanc, infligent un démenti formel aux propos de Sir Hilton!

Le sympathique premier délégué de la Belgique, M. Vandervelde, reprenant à son compte les références montagnardes suggérées par Sir Hilton, les appliqua à la réalisation des accords internationaux et, dans une belle envolée oratoire, s' écria: « Les peuples sont aujourd'hui dans l' ombre des vallées, mais ils voient déjà se colorer les sommets des premiers feux de l' aurore. Faut-il que nous attendions que le soleil vienne à nous et dissipe l' ombre des vallées? Je ne le crois pas. Quand on veut atteindre les sommets, on se lève avant l' aube, on allume une lanterne, on gravit les sentiers escarpés de la montagne et c' est au moment où le soleil se lève dans toute sa splendeur que l'on arrive à la cime. » Le Ministre des Affaires étrangères de Belgique est, ne l' oublions pas, sujet d' un roi, grand amateur d' alpinisme et qui, dès qu' il le peut, quitte Bruxelles et la Cour pour les neiges éternelles.

Quant à M. Politis, lorsqu' il cite l' article 13 du Pacte et que, dans une émouvante péroraison, il esquisse, pour le plus grand plaisir intellectuel de son auditoire sous le charme de sa parole démosthénienne, le portrait d' une montagne, nous comprenons son sentiment. Et tout aussitôt apparaît dans le salon vitré F du Palais de la Société des Nations au-dessus des très honorables membres de la 3e Commission, la silhouette sacrée du Pinde ou du Parnasse profilée sur l' horizon attique. Et comment M. Politis ne ferait-il pas lui aussi appel, aux cimes? Minerve, déesse de la Sagesse, n' eut pas son temple sur l' Acropole, au sommet de la colline?

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