L'alpage
Par J. Louis Maysire
Au-dessus des forêts que le chemin gravit Par une pente raide aux flancs du mont sauvage Dans la clarté du jour, à nos regards ravis S' étale mollement le souriant alpage.
L' azur a remplacé la voûte des sapins, Le portail de la nef s' ouvre sur la lumière, Et comme en des beffrois, cloches et « toupins » Sonnent un angélus sur l' Alpe douce et fière.
Le sol est recouvert d' un verdoyant tapis Qui semble être posé pour les noces mystiques De la Terre et du Ciel. Sous les herbes tapis Des chœurs mystérieux répètent leurs cantiques.
Le troupeau, dans ses yeux unissant terre et ciel, Paraît en leur honneur dérouler son cortège, Les vaches avançant à leur pas solennel Et les chèvres suivant dans leurs robes de neige.
Et les bêtes ainsi vont jusqu' au vieux chalet, Rêveur et solitaire au bas du grand alpage, Où prosaïquement elles portent le lait Dont le berger fera le beurre et le fromage.
Sous son immense toit que prolonge l' auvent, Le chalet tout trapu résiste aux coups du vent
Comme au poids de la neige. Fortement charpenté son corps solide est prêt A braver l' ouragan qui meurtrit la forêt
Mais vainement l' assiège.
Sur les murs gris le toit bardé de « tavillons »; La porte à mi-hauteur fermée au « portillon »,
Souvent ouvert lui-même, Et dans la vaste pièce un énorme chaudron Où de leur « seillon » plein les vachers verseront
Le lait riche de crème;
Die Alpen - 1944 - Les Alpes20
Un foyer noircissant les poutres du plafond, Une table massive et prise au cœur profond
De quelque chêne antique; La « barrette » de bois, les moules préparés Pour le fromage gras ou pour les blancs « sérés »;
Et les sièges rustiques;
Dans le dortoir les lits, de linge démunis, Simples cadres en bois, de paille peu garnis,
Où quelque souris rôde; La grande étable enfin dans sa rusticité Où le bétail repu s' abrite dans l' été
A l' heure la plus chaude;
Tout parle ici de vie et de simplicité Dans le travail constant pour une humanité
Inconnue et lointaine,
Et bergers et troupeaux, soumis à leur destin, Laissent couler les jours, les soirs et les matins
Au fil d
C' est la fontaine qui répète Les hauts sommets dans son miroir; L' eau limpide et calme reflète Un coin du ciel dans l' abreuvoir: On y voit fuir les blancs nuages, Le soleil y met son éclat, L' étoile y trace son passage Et la lune y prend ses ébats.
Les gouttes de pluie y grelottent Et sombrent au gouffre béant; Elles font des bulles qui flottent Sur le minuscule océan. L' orage l' agite en tempête, L' éclair y perd son flambeau, L' ombre du soir enfin s' apprête A l' endormir sous son manteau.
Lorsque sur l' Alpe les sonnailles De tout un peuple de troupeaux Tintinnabulent et s' égaillent Dans les senteurs de l' air tout chaud, A leurs allures familières Chevrettes, vaches et « modzons » Viennent dans la fontaine claire Boire le céleste horizon.
En ce décor simple et champêtre Quelles délices, mes amis, De goûter avec tout son être Le bonheur qui nous est permis Et de vivre l' heure qui passe, Vivre avec tant d' intensité Que jamais plus rien n' en efface Le beau souvenir enchanté.
Venez, elle est ici la joie
D' un plein épanouissement;
Le cœur a retrouvé la voie
Du plus magique enchantement.
Amis, tout sur l' Alpe nous donne
Les intimes apaisements,
Lents troupeaux et cloches qui sonnent
Et splendeur des monts sans tourments.
C' est pourquoi, les yeux pleins des flammes
Qui s' allument à ta beauté,
Nous t' apportons toute notre âme,
Pays chantant la liberté,
Pays qui dans l' âme ravie
Nourrit ainsi que d' un blé mûr
La tendresse de cette vie
Qui fleurit là-haut dans l' air pur.