L'apogée de l'art du relief entre 1870 et 1914
Jusque vers 1870, la situation se présentait de la manière suivante. Quelques cantons et le jeune Etat fédératif avaient fait cartographier leurs territoires. Sur la base de ces données, le Club alpin suisse publia des cartes de quelques régions de montagnes. Toutes les feuilles de la Carte Dufour étaient disponibles, et la publication de celles de la Siegfried commençait. Grâce à ces documents fondamentaux, l' établissement de maquettes de montagnes ne pouvait être que fortement encouragée.
Albert Heim ( 1849-1937 ) enseigna de 1873 à 191 I la géologie au Polytechnicum fédéral et à l' Université de Zurich. C' était un observateur passionné de la géologie et du relief. A t 7 ans déjà, il avait modelé un petit relief du Tödi. Pendant 60 ans, comme géologue, il étudia notre monde alpin, dessina des paysages, des panoramas, des coupes géologiques et des cartes. Il ouvrit les yeux et éveilla l' intelligence de ses étudiants pour les structures géologiques du paysage et créa, pour l' enseignement, quelques modèles de reliefs typiques: gorges et torrents, glaciers alpins et autres. Plus tard, il modela peu lui-même, mais encouragea la construction de reliefs alpins, suggérant des travaux, prodiguant des conseils et répartissant des commandes. Nous reviendrons plus loin sur le grand relief du Säntis dressé en 1900.
Il faut placer au premier rang des meilleurs mo-délistes de cette époque, riche en production de reliefs alpins, les trois ingénieurs-topographes Xaver Imfeld, Fridolin Becker et Simon Simon. Pendant leurs études au Polytechnicum fédéral de Zurich, ils furent fortement motivés par leur professeur de géologie, presque du même âge qu' eux.
Xaver Imfeld ( 1853-1909 ) de Sarnen était le plus capable de ces jeunes ingénieurs. Il se révéla comme le plus remarquable topographe de la haute montagne de son temps. Déjà, alors qu' il était écolier à Lucerne, il confectionna une maquette du Pilate, puis comme étudiant, un massif du Gothard, tous les deux au t :50000. Après l' achèvement de ses études, il travailla de 1876 à 1888 pour le Bureau topographique fédéral. Vingt et une des meilleures feuilles de la Carte Siegfried, notamment celles des Alpes uranaises, valaisannes et bernoises, furent levées une nouvelle fois ou révisées par ses soins. A côté de cette activité, il réalisa en 1878 un relief des Alpes de Zermatt au 1 :25000 ( dont un exemplaire a été dépose par la section Uto à l' Ecole d' Itschnach Küsnacht près de Zurich ).
Après douze années passées au service de la Confédération, Imfeld s' établit comme topographe indépendant à Zurich. Il élabora des plans topographiques, des projets pour des chemins de fer de montagne, dessina d' innombrables panoramas, créa des reliefs de montagnes, des dioramas de paysages, des cartes, etc.
C' est durant ces années-là que le chemin de fer du Gothard fut construit. Cette réalisation devait soulever l' enthousiasme de la moitié du monde et de toute la Suisse. Afin de pouvoir présenter au public les régions traversées par la ligne, la direction de la Compagnie chargea notre topographe d' en établir un relief au i: 25000. Celui-ci devait couvrir une zone allant de Zoug—Lucerne à Bellinzone—Locarno. Une telle commande dépassait les possibilités d' Imfeld; aussi y associa-t-il son ami Fridolin Becker, alors chargé de cours au Polytechnicum. Imfeld se chargea de réaliser la région nord jusqu' à la latitude de Göschenen, Becker la partie méridionale jusqu' à Ascona— Monte Ceneri. Les deux parties de la maquette couvrent une surface de 2 sur 4'/2 mètres. Cette œuvre splendide fut présentée à l' Exposition universelle de Paris en 1889. Depuis des années elle fait l' admiration des visiteurs du Jardin des glaciers à Lucerne. De toutes les maquettes des Alpes produites à cette époque, elle était certainement la plus exacte.
Généralement on coulait des moulages en plâtre de tout ou partie de ces modèles. Imfeld offrit à la jeunesse scolaire d' Obwald un secteur du relief ci-dessus, celui de la Suisse centrale. Pendant longtemps il fut exposé à l' Hôtel de Ville de Sarnen, pour être finalement transféré à l' Ecole professionnelle d' Oberwald.
L' ingénieur Eiffel, le constructeur de la célèbre tour qui porte son nom à Paris, envisageait alors d' ériger un observatoire au sommet du Mont Blanc. Il chargea Xaver Imfeld de procéder à des mesures et des sondages à l' emplacement prévu. Pendant trois semaines, entre le 5 août et le 12 septembre 1891, Imfeld et ses collaborateurs, par beau comme par mauvais temps, travaillèrent sur ce haut sommet. On fora des trous profonds dans la calotte glaciaire sans rencontrer le rocher. Imfeld consacrait les heures de bonne visibilité au dessin et aux mesures destinés à la réalisation d' un panorama qu' il projetait. L' observatoire Vallot, situé sur les Rochers des Bosses à quatre cents mètres au-dessous du sommet, fournissait à Imfeld et à son équipe un logement assez primitif pour la nuit et une protection contre la tempête. Pendant ces semaines, Imfeld accomplit trois fois le trajet Mont Blanc—Chamonix. On peut lire le récit qu' il a fait de cette dramatique entreprise dans Y Annuaire du CAS de 1892' et dans la « Neue Zürcher Leitung » ( 1892 ).
L' hiver suivant, à son domicile, Imfeld travailla à son panorama du Mont Blanc et à d' au ouvrages. En été 1892, il était de nouveau sur le terrain, mesurant et dessinant avec ardeur. Fu-rent réalisés, entre autres, les panoramas particulièrement beaux du Niederbauen près de Seelisberg et du Mettelhorn près de Zermatt.
A cette époque, Xaver Imfeld nous est décrit comme un fort et habile alpiniste, comme un homme ouvert, aux pensées claires, sans prétention, mais aussi comme un interlocuteur à la répartie prompte et plein d' humour.
Mais, à la fin de l' été 1892, c' en était fait de sa vigueur. Une grave affection à la moelle épinière le cloua au lit une année entière. A la fin de 1893 seulement, il put effectuer quelques tentatives de marche et, dès 1895, il travailla de nouveau sur le terrain, mais ses forces étaient définitivement brisées. Partiellement invalide, il s' astreignit à travailler à l' atelier, mais aussi dans son lit de malade. Pendant cette période douloureuse, parurent cependant quelques-unes de ses œuvres les plus imposantes, parmi lesquelles le Panorama du Mont Blanc, achevé d' après des dessins et mesures qu' il avait réalisés auparavant et grâce aussi à d' autres documents disponibles. Il reporta lui-même l' épure sur les planches à imprimer. Le CAS publia ce d' œuvre en annexe à l' an de 1895. Sa fidélité topographique et sa perfection artistique n' ont jusqu' à aujourd'hui, pas été surpassées par un au tre panorama de montagnes. Une esquisse se trouve en possession de l' Institut cartographique de l' EPFZ; le dessin original constitue une des pièces de valeur du Musée alpin suisse. Après sa mémorable expédition au Mont Blanc, Imfeld travailla aussi à une nouvelle 1 Pages 374-380.
carte topographique au i 150000 de la Chaîne du Mont Blanc. La manière dont il s' y est pris n' appa pas clairement sur les documents laissés. Sans doute, Imfeld n' a pas levé lui-même à la planchette tout le massif très étendu et difficilement accessible. Le temps lui manqua et bientôt sa santé devint défaillante. Les nouvelles cartes officielles françaises, italiennes et suisses lui servirent certainement de base. Louis Kurz ( 1854-1942 ) de Neuchâtel, musicien de profession, alpiniste par passion, auteur d' un excellent Guide de la Chaîne du Mont Blanc ( paru en 1892 ) a parcouru et exploré le massif en tous sens, échangeant le violon contre le théodolite et relevant l' altitude d' un certain nombre de sommets. On ne peut cependant affirmer qu' il ait topographie la région dans tous ses détails.
En se fondant sur tous les documents à disposition, Imfeld améliora et affina la représentation cartographique de la prestigieuse montagne et composa son œuvre étonnante. Pour le report sur les planches à imprimer, il trouva un lithographe génial en la personne de Rudolf Leuzinger. L' ébauche d' Imfeld contenait certainement les courbes de niveau. Elles furent malheureusement supprimées dans la première édition de 1893, probablement pour des raisons esthétiques. A la suite de cette omission l' Assemblée des délégués du CAS, en 1893, refusa l' achat de la carte. Mais, sur ces entrefaites, un éditeur et alpiniste lausannois, Albert Barbey ( 1852-1926 ), prit le risque de rééditer la carte, mais pourvue des courbes de niveau. Plus tard, sous cette forme, elle trouva grâce devant nos délégués du CAS et parut en 4 feuilles comme annexe aux Annuaires du CAS, de 1906 à 1909.
Cette carte représentait, comme le panorama, une œuvre incomparable. De toutes les cartes de hautes montagnes d' échelle semblable, c' était sans doute la plus belle, la plus fidèle à la nature.
Vers la fin du siècle, Imfeld produisit encore deux œuvres marquantes: le plus beau modèle de la plus belle montagne du monde, le Cervin à l' échelle inhabituellement grande de 1 :5000 ( v. illustrations 97 et 98 ). Il utilisa pour effectuer les levés, la photogrammétrie à la planchette, nouvelle pour l' époque. De plus, parut la grande maquette de l' Eiger, du Mönch et de la Jungfrau au 1:2500. On trouve des copies du relief du Cervin dans les musées et les instituts. Elles sont coloriées selon les teintes du paysage ou selon les couches géologiques.
Quant à la grande maquette d' Imfeld représentant la Jungfrau, elle est perdue à jamais! Un seul exemplaire, destiné à faire de la propagande pour le Chemin de fer de la Jungfrau alors en construction, avait été établi. Pendant des années il constitua l' un des trésors du Musée alpin de Munich; mais il fut détruit au cours d' un bombardement, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Inébranlable, malgré des cures et des séjours à l' hôpital Imfeld continua à travailler, assisté pendant les dernières années de sa vie par son élève et collaborateur Carl Meili. Parmi ses dernières œuvres, relevons un relief des Alpes bernoises et un du Rigi, les deux à l' échelle i: 25000. Il y apporta tous ses soins, tout son cœur et son grand savoir, soit à l' atelier, soit de sa chaise de malade. Ils se distinguent pas une finesse et une précision du modelé, à peine atteintes jusqu' alors dans les maquettes à cette échelle. Carl Meili réalisa, sous la direction de son maître, deux moulages de la maquette des Alpes bernoises, reproduisant le paysage avec des teintes claires. Déposés l' un au Musée alpin de Berne, l' au tre au Musée d' histoire naturelle de Winterthour, ils demeurent pour nous des exemples.
Peu avant sa mort, Imfeld entreprit la construction des reliefs du Pilate et du Mont Blanc, les deux à l' échelle 1:10000.
Le relief du Pilate fut termine par Carl Meili, à la demande de Heim. Bien des années plus tard, je dus m' occuper de la liquidation de l' atelier de modelage d' Imfeld. J' y trouvai l' ébauche de la maquette du Mont Blanc entièrement brisée en morceaux. Son auteur, pressentant qu' il ne pourrait l' achever, l' avait fracassée à coups de piolet.
En 1909, la mort arracha l' infatigable artiste à son œuvre inachevée.
Toute appréciation de l' œuvre d' Imfeld demeurerait incomplète, sans une mention spéciale à ses panoramas. Ils sont au nombre de 39 et tous représentent des œuvres topographiques et artistiques de valeur. Il convient de mentionner tout particulièrement ceux qui furent dessinés à partir des sommets suivants: Mont Rose, Eggishorn, Schilthorn, Mettelhorn, Pilate ( nouvelle édition de 1888 ), Niederbauen, Jungfrau, Weissenstein, ainsi que celui du Mont Blanc, déjà mentionné. Plusieurs panoramas furent publiés par le CAS en annexe aux annuaires. Ils connurent ainsi une large diffusion parmi les alpinistes.
D' un caractère entièrement différent d' Imfeld, mais proche dans ses ambitions professionnelles, était son ami Fridolin Becker ( 1854-1923 ) de Linthal. Après ses études, il a travaillé quelques années, comme Imfeld, au Service topographique fédéral. Ensuite, le Polytechnicum fédéral l' a engagé, d' abord comme assistant ( 1887 ), puis, quelques années après, comme professeur de topographie et de cartographie. C' est dans cette fonction qu' il fut pour moi, trente ans plus tard, un professeur stimulant et bienveillant.
Ce petit homme, fluet et soigné, avait des apparences aristocratiques. « Suivant qu' il fut apprécié ou critiqué, l' image de son caractère varie dans l' histoire. » Quelques admirateurs le considéraient comme un sage philosophe, mais ses détracteurs prétendaient qu' il était bavard et vaniteux. En fait, Becker n' était pas seulement un talentueux topographe, mais aussi un narrateur plein de vie, maniant d' ailleurs la plume avec une grande aisance. Il était épris tout autant de sa femme, une jolie Italienne, que du monde étrange des pierriers et lapiaz qui s' étend entre Glaris et Schwytz. A ses débuts, comme topographe, il avait travaillé dans ces régions. Aussi ses compatriotes glaronnais l' avaient surnommé le Char-rebegger2. Rarement un paysage karstique fut aussi bien décrit que dans l' article Les champs de lapiaz de la région d' excursion du CAS qu' il rédigea pour l' An de 1877/78.
2 De l' allemand: Karren ( ou Charren ): Lapiaz.
C' est dans le domaine cartographique que Becker rendit les plus grands services. Toutefois, au début de sa carrière, il exécuta quelques reliefs de montagnes, vraiment remarquables. Ce sont des maquettes au 1:5000, 1:25 00° et!: 5° 00° des régions suivantes: source de la Linth, canton de Glaris, environs de Montreux, lac de Lugano, Gothard, vallées tessinoises. Ces trois dernières en relation avec l' établissement du relief de la région desservie par la ligne du Gothard, mentionné ci-dessus. Plus tard, Becker ne modela plus lui-même et eut recours à des employés.
Le troisième homme de ce groupe de topographes fut Simon Simon ( 1857-1925 ) d' Allschwil près de Bàie. Mais on ne peut pas dire qu' il faisait partie du trio, carson caractère original semble l' avoir éloigné de ses collègues. Après ses études, il fut engagé comme topographe par le Bureau fédéral du Génie, puis, pour une courte période, par le Bureau topographique fédéral. A l' âge de 28 ans, il quitta le service de la Confédération pour s' éta à son compte, comme Imfeld. Il travailla alors avec beaucoup de succès pour les Clubs alpins allemand et autrichien. C' est ainsi qu' il leva la carte des Alpes de YÖtztal et du Stubai au 1: 50000, qui parut en 4 feuilles de 1893 à 1897. Il topographia aussi ( avec Leo Aegerter ) la région de Schlern-Rosen-garten ( carte au 1: 25000 éditée en 1898 ). Il rentra alors au pays et dressa un relief au 1:25 000 du massif de la Bernina, exposé notamment au Musée alpin de Pontresina. Ensuite, il exécuta un relief de la région Altels-Gemmi au 1:10000 où figurait l' éboulement glaciaire du 11 septembre 1895 ( Musée alpin de Berne ).
La haute réputation que Xaver Imfeld avait acquise ne plaisait manifestement pas à Simon. Il imagina qu' il pouvait se faire mieux connaître en exécutant une gigantesque maquette. C' est ainsi qu' il s' attaqua à la construction du relief de l' en de Y Oberland bernois au 1: 10000. Pendant de nombreuses années il y consacra toute sa force et son talent. Comme bases, il utilisa les feuilles correspondantes de l' Atlas Siegfried, plus des centaines de vues du terrain. L' imposante maquette qui en résulta se compose de 16 blocs et couvre une surface de 4,80 sur 5,25 mètres; c' est le plus grand relief alpin jamais établi en Suisse. Il fut présenté au public pour la première fois à l' Expo Nationale Suisse de Berne, en 1914.
Il constitue depuis de nombreuses années une des pièces les plus remarquables de la collection du Musée alpin de Berne. Des moulages se trouvent aussi dans d' autres musées et instituts.
On ne peut pas mentionner l' œuvre de Simon sans rappeler le souvenir de son collaborateur Joseph Reichlin. Ce « soldat inconnu », fidèle et paisible ( nous l' avons rencontré une fois dans le massif du Mont Blanc ) a modelé près des deux tiers du relief de l' Oberland bernois de Simon. Cette grande maquette au I: to 000 est une des plus imposantes œuvres que l' art suisse du modelage de reliefs ait produites, mais on ne peut cependant pas la classer parmi les meilleures. Sa qualité varie beaucoup selon les régions: à bien des endroits, les arêtes rocheuses sont correctement reproduites, mais dans d' autres secteurs, grossièrement bricolées. Les crevasses des glaciers semblent avoir été taillées comme avec un hachoir. Dans son ensemble, elle fascine par ses dimensions et son étendue. Elle montre d' une manière plus frappante que n' importe quelle carte, la nette et graduelle élévation du relief depuis l' avant alpin jusqu' aux hautes régions glaciaires.
Joseph Reichlin ( 1872-1927 ) fut, nous l' avons vu ci-dessus, pendant des années la main droite de Simon Simon dans le modelage du relief de l' Ober bernois. Mais son œuvre personnelle est très remarquable.
Originaire d' Arth dans le canton de Schwytz, c' est en France ( au collège St-Bernard de Troyes ) qu' il apprit le modelage. De retour en Suisse, il collabora pendant huit ans avec Simon à la réalisation de la maquette de l' Oberland bernois. Après cela, il entreprit pour son propre compte plusieurs modèles plus réduits: Lac d' Aegeri {1 :5000 ), Eiger, Mönch et Jungfrau ( 1:50000 ), Balmhorn et Altels ( i: 30000 ), massif de la Blümlisalp ( 1130000 ), Rigi ( 1 150000 ), Pilate ( 1 125000 ), Ai- guille Verte ( i 130000 ). Il acquit dans ce domaine une telle maîtrise qu' il put se risquer à entreprendre quelques pièces monumentales: Grandet Petit Mythen ( I: i 10000 et 1:5ooo ), Aiguille des Charmoz ( 1:5ooo ), Aiguille Verte ( 1:5ooo ), toutes déposées au Musée alpin de Berne. Avec ses grandes maquettes, Reichlin fut un des premiers à rompre avec la tradition de modeler des régions étendues à petite échelle. Comme pour le Cervin d' Imfeld, nous nous trouvons en présence de représentations d' une seule montagne. En tant que pionnier d' un tel art, Reichlin figure dignement dans la lignée de ses compatriotes de la Suisse centrale, Pfyffer, Müller et Imfeid.
Leo Aegerter ( 1875-1953 ) appartient aussi aux plus célèbres topographes et artistes modeleurs suisses. Né à Paris, élevé à Berne, il acheva dans cette ville des études techniques ( vraisemblablement de dessinateur en génie civil ou d' aide ). En 1897, il quitta la Suisse et entra comme topographe au service de Simon Simon. Ce dernier levait alors, pour les Clubs alpins allemand et autrichien une carte topographique de la région Schiern—Rosengarten au I: 25000.
Sous la direction de Fridolin Becker il entreprit ensuite des levés de la région du massif de Ferwall ( 1:50 000 ), publiés en 1899, et du massif de l' Adamello ( i :5oooo ) édités en 1903. Bien entraîné par une telle activité, Aegerter devint un remarquable topographe de montagnes. Finalement, il entra au service des Clubs alpins allemand et autrichien et s' occupa jusqu' en 1935 du levé topographique des régions suivantes ( entre parenthèses les années de l' édition originale des cartes ): Sella 1:12 500 ( 1903 ), Langkofel et massif de la Sella i :25000 ( 1904 ), massif de la Marmolada 1: 25000 ( 1905 ), Allgäuer et Lechtaleralpen 1: 25000 ( 1906/07 ), massif de la Brenta 1125000 ( 1908 ), massif de l' Ankogel i :50000 ( 1909 ), Lechtaleralpen I: 25000 ( 1911-1913 ), massif du Klostertal 1:25000 ( 1927 ), massif du Dachstein 1:25000 ( 1915 ), Kaisergebirge 1:2500c ( 1917 ), Gesäuseberge 1: 25000 ( 1917 ), Gesäuseberge 1: 25000 ( 1918 ), région du Brenner 1 :50000 avec la carte annexe du massif du Kalkkögel 1:25000 ( 1920 ), massif de la Pala i: 25000 ( 1931 ), Karwendelgebirge, 3 feuilles en collaboration avec Rohn, i: 25000 ( 1933, 1935 et 1936 ). Il joua dans les Alpes orientales, le rôle de pionnier de fart suisse pour la représentation cartographique des surfaces de rochers. Pendant toutes ces années, il modela les reliefs des Alpes orientales suivants: 1905: Fünffingerspitze 1: 5000, Hochvogel, Höfats, Langkofel, Cima Tosa, tous au 1: 25000; 1909: Rosengarten et Tours de Vajolet i :5000; 1921: Dachstein 1: 5000; 1927/1930: massif de la Pala 1 15000. Les maquettes du Dachstein et de Langkofel existent encore aujourd'hui et sont exposées au musée du Club alpin à Innsbruck. Son œuvre est tellement extraordinaire que nous devons l' englober dans cette petite histoire suisse de la topographie et du modelage de reliefs, bien qu' elle concerne, dans sa majeure partie, les Alpes orientales.
Après 1945, Aegerter travailla dans son pays d' origine, injustement presque oublié. Il prépara des plans pour les mensurations cadastrales de la Suisse, dressa un relief du Glärnisch au 1:10000 ( exposé au Musée alpin de Berne ), des maquettes pour des entreprises électriques. Malheureusement, le relief du Glärnisch ne figure pas parmi ses meilleurs travaux. Les cotes sont fortement exagérées et le dénaturent.
Il fut vraisemblablement commandé ( avec des cotes surélevées ) par une personne qui visait haut!
A nos yeux, Leo Aegerter compte parmi les plus doués et les plus consciencieux topographes et constructeurs de reliefs de haute montagne.
Vers la fin du XIXe siècle, Charles Eugène Perron ( 1837-1919 ), dessinateur, graveur et émailleur à Genève, se distingua aussi comme maquettiste de montagnes. A Page de 53 ans, il prit le risque d' en le modelage d' un relief de la Suisse à l' échelle de r :100000. Les cartes officielles de la Suisse et des régions avoisinantes lui servirent de bases. Il se fit construire un pantographe équipé d' un burin ( pantograveur ) par le très habile mécanicien de précision Thury de Genève. Les courbes de niveau des différentes cartes furent rame- nées à l' échelle unique de i: 100000. Lorsque l' opérateur suivait une telle courbe de niveau avec le poinçon de l' instrument, le burin accouplé enlevait la couche correspondant à l' équidistance au bloc de plâtre place en dessous. La maquette en gradins ainsi obtenue subissait alors le modelage proprement dit. Ce travail demandait, surtout pour les surfaces de rocher, la plus scrupuleuse observation de la nature, car les cartes de l' époque ne représentaient pas les courbes de niveau dans ces zones. On obtint d' abord loo blocs-relief mesurant 24 x 35 centimètres chacun ( feuilles de la carte Siegfried ), lesquels furent ensuite assemblés en 20 blocs.
On prit en considération la courbure de la Terre dans l' assemblage du tout. La construction de ce relief, remarquablement précis, dura de 1896 à igoo. Il fut présenté à l' Exposition universelle de Paris en 1900. Des moulages entiers ou partiels se trouvent dans de nombreux musées et instituts, notamment à Genève, Berne et Zurich.
Mais revenons maintenant à l' époque de l' éla du relief de la Suisse. En 1895, alors que seules des épreuves et des parties inachevées existaient, Perron demanda au Gouvernement fédéral un subside complémentaire. Berne réserva d' abord un accueil favorable: le ¢ décembre 1896, le Conseil fédéral adressa au Parlement un message recommandant son acceptation. Mais, sur les rives de la Limmat, la requête de Perron souleva une grande colère: on craignait que l' aigle genevois ne volât la proie de la gueule du lion zuricois. Car la section Uto du CAS, encouragée par le trio de géologues-topographes Heim/Becker/Imfeld, avait précisément demandé ( en 1888 déjà ) au Gouvernement fédéral une aide financière pour l' établissement d' un relief de la Suisse à l' échelle de 1 :25000 ( ou même au 1: 10000 !). Il semble que ce projet adressé aux « pères de la patrie » ne soit pas tombé dans l' oreille d' un sourd. Mais, par la suite, l' affaire des Zuricois fut oubliée dans un tiroir du Palais fédéral. Nous en rendons grâce à Dieu! Ce que nos braves « hommes d' Uto » ambi-tionnaient n' étaient qu' une... Utopie! On au- rait, en effet, pu difficilement assembler et utiliser ces gros morceaux, innombrables et encombrants.
L' exactitude et le contenu des données topographiques et les cartes de l' époque étaient encore extrêmement variables et la technique de construction de maquettes, insuffisamment développée.
Ainsi l'on fit du tapage au bord de la Limmat et on déclara la guerre aux Genevois. Le 30 janvier 1897, la section Uto du CAS adressa une lettre de protestation à la « Haute Assemblée fédérale » contre la requête de Perron, appuyée par une expertise du professeur Albert Heim. Du fait de sa petite échelle, on décrivait le relief de Perron comme un vulgaire joujou, comme un objet sans valeur scientifique, et on estimait exagéré le subside demandé. Le professeur Heim critiquait particulièrement l' absence de nombreux détails: il manquait au « fabricant » les connaissances nécessaires. Heim considérait l' œuvre de Perron comme le produit d' un dilettante. « Puisse notre chère patrie en rester préservée! » A Zurich, on ne voulait pas comprendre que pour toute représentation du pays, une vue d' en était aussi nécessaire et instructive que des vues de détail. Mais les Genevois ne se laissèrent pas effrayer, ils répondirent aux tirs et visèrent avec précision. Ceux qui, parmi mes chers lecteurs, voudraient en savoir plus sur cette « guerre civile » en trouveront l' essentiel dans les bulletins du CAS Alpina, ( année 1897 ) et L' écho des Alpes, ( 1897 ), en particulier dans le supplément n°i, 1897. Je signale notamment les citations suivantes de notre répertoire bibliographique: Becker 1884-1885, Imfeld et Becker 1896, Becker 1897, Claparède 1897, Golliez 1897, Früh 1897, Heim 1897.
Quelles furent les suites de cette querelle? Quand deux larrons se battent, c' est généralement le troisième qui profite de la situation! La Caisse fédérale joua le rôle du troisième larron. Les autorités fédérales rejetèrent finalement la demande de subside. Mais l' actif Genevois ne déses- péra pas et mena son œuvre à bonne fin sans l' aide fédérale.
Des moulages du relief de la Suisse au 1:100000 de Perron peuvent encore être achetés d' hui auprès de Museum d' histoire naturelle de Genève, case postale 284, CH-1211, Genève 6. Les prix et dimensions sont fournis sur demande.
Le relief de Perron offre une vue d' ensemble grandiose sur les diverses régions: Hautes Alpes, Préalpes, Moyen-Pays, Jura, Suisse méridionale et régions limitrophes. Tout ce qui peut figurer dans le cadre d' une échelle au 1:100000 est correctement représenté.
Les circonstances ont voulu qu' un des étudiants d' Albert Heim ( son successeur à l' université !) le professeur Rudolf Staub, fasse colorier aux teintes géologiques conventionnelles et placer dans l' Ins occupé autrefois par Heim un moulage du relief de Perron! La vue d' ensemble de la géologie du pays ainsi rendue possible est unique. ( Il est vrai que, dans la légende de la maquette, on a omis le nom de l' auteur PerronMais le combatif Albert Heim ne se borna pas à protester. Il voulut démontrer comment une maquette de montagne juste et scientifique devait être établie. En 1898, il projeta la construction d' un modèle du Säntis à la grande échelle de: 5000. Le Säntis! Un motif incomparable. Quatre ou cinq arêtes de rochers escarpés, parallèles, serrées les unes derrière les autres, submergeant, comme de hautes vagues jaillissant du sud-est, les couches de Nagelfluh molassique. Ici, les formes superficielles révèlent, avec une rare coïncidence, la structure géologique interne des roches. Le Säntis! De son sommet on voit loin à l' intérieur des Alpes et, par-dessus le lac de Constance, loin dans les dépressions du Pays de Souabe d' un gris crépusculaire. Le Säntis! Montagne chérie d' innombrables Suisses! Mais comment faire? Depuis des décennies, Albert Heim n' avait plus modelé de montagnes! De plus, ses tâches dans l' enseignement et la recherche l' accaparaient entièrement. Mais il eut la chance de trouver comme collaborateur l' homme qu' il fallait au bon moment.
80 Rectangle total: région du relief des Alpes de J.E. Müller au i :60000. Rectangle oriental: région couverte par le relief des Alpes suisses au I:40000, terminé en 1818. Reconstruction: E. Imhof 81 Fragment du relief de la vallée d' Engelberg au 1:20000, construit par J. E. Müller en 1811 Monastère bénédictin d' Engelberg. Photo lire Huber, Littau 82 Relief des Alpes suisses de J. E. Müller, au r: 40000, termine en 1818. Fragment montrant la Suisse centrale; vue Vers le sud Musée du Jardin des Glaciers, Lucerne. Photo awp, Lucerne Ce fut Carl Meili ( 1871-1919 ). Originaire de Weisslingen ( canton de Zurich ), il avait à l' ori exercé la profession de dessinateur dans la broderie de St-Gall. Son don et son goût lui avaient permis aussi, à l' occasion, de se manifester comme illustrateur de publications alpines, p.ex. des Guides-manuels du CAS. Dans les années nonante, il devint le collaborateur d' Imfeld lorsque celui-ci modela son grand relief de la Jungfrau et d' autres œuvres. Jamais apprenti n' eut meilleur maître; jamais maître n' eut apprenti plus capable. Carl Meili s' imprégna entièrement de l' art d' Imfeld. Albert Heim devait trouver en lui l' homme qui allait le tirer d' af.
Un agrandissement des feuilles de la carte Siegfried au 1: 25000 servit de base geomètrico-topo-graphique. Heim et d' autres géologues complétèrent le matériel nécessaire au levé par des photos, des esquisses géologiques, des coupes et des cartes.
Ensuite, de 1898 à 1903, Carl Meili construisit, modela et coloria la grande œuvre comme employé de son maître.
La maquette fut présentée pour la première fois aux Zuricois jubilants en 1903. Elle couvre une surface de 184 sur 192 cm. D' une exactitude proche de la perfection, ce grand modèle au 1:5000 constitue une des œuvres les plus achevées dans le domaine des reliefs alpins. Des moulages aux teintes géologiques claires remarquablement appliquées se trouvent au Musée alpin à Berne, au Jardin des Glaciers à Lucerne, au Kirchhoferhaus ( Wildkirchli-Museum, à St-Gall ) à l' Exposition géologique et minéralogique du bâtiment des sciences naturelles de l' EPFZ. Un moulage non colorié est dépose depuis 1980 dans le hall d' entrée du téléphérique du Säntis à Schwägalp ( dépôt de l' Institut de géologie de l' EPFZ ).
Malheureusement, nous devons accompagner nos lignes concernant cette maquette d' une note amère: le nom de Carl Meili figure le plus souvent à l' arrière ou il est tout simplement omis. A ce sujet, voici ce qu' écrivait sans complaisance Al- 83Relief des Alpes suisses de J. E. Müller, au r :40000, terminé en 1818. Fragment montrant les Alpes bernoises et les Alpes valaisannes orientales Musée du Jardin des Glaciers, Lucerne. Photo awp, Lucerne 84 Relief des Alpes suisses de J. E. Müller, au 1:40000, terminé en 1818. Fragment montrant le lac de Walenstadt, la plaine de la Linth et la partie supérieure du lac de Zurich. Le lit de la Linth est celui d' avant sa correction Musée du Jardin des Glaciers, Lucerne. Photo awp, Lucerne bert Heim dans l' annuaire de la Skt. Gallische Naturforschende Gesellschaft de l' année 1903.
« Pour ne pas produire quelque chose qui aurait manqué d' unité, je n' ai pas mis la main au modelage et au colo-riage, mais discuté seulement avec M. Meili de la construction, massif par massif, commenté le matériel d' obser, contrôlé et dirigé l' exécution. » On trouve en général sur les exemplaires exposés en public et mentionnés ci-dessus, la légende suivante ou quelque chose de semblable: « Säntis 1:5ooo, 1899-1903, d' après les études et les levés d' Albert Heim ( imprimé en gros ) et exécuté d' après sa commande et sous sa direction par Cari Meili ( imprimé en petit ). Par levés on entend habituellement la mensuration topographique. Mais dans les légendes ci-dessus on passe sous silence le fait qu' ils furent l' œuvre du grison Leonz Held ( 1844-1925 ). Held était un eminent topographe du Service topographique fédéral dont il devint plus tard le directeur. Comme tel, il a aiguillé la mensuration et la cartographie suisses sur de nouvelles voies ( bibliographie Zölly 1925 ). Dans les récentes publications et les catalogues d' exposi, le nom de l' auteur de la célèbre maquette, Cari Meili, n' est en général plus du tout mentionné. Le reliefest presque connu partout sous le seul nom d' Albert Heim. Sans doute, celui-ci n' avait pas seulement « dirigé » la construction, il avait aussi agi comme entrepreneur, contraint d' obtenir un certain succès commercial. Comme produit du célèbre savant, la vente de la maquette était assurée; en revanche, personne n' en aurait voulu payer beaucoup si l' inconnu Meili en avait été déclaré l' auteur.
Quelques années plus tard, Xaver Imfeid modela, également avec l' aide de Meili, un grand relief du Pilate à l' échelle 1: 10 000. La mort arracha la spatule de sa main. Une fois de plus, Heim, comme entrepreneur et Meili, en tant qu' artiste modeleur, consacrèrent leurs efforts à l' achève de l' œuvre.
Pour son propre compte, Cari Meili exécuta ensuite avec grand soin un petit relief de toute la région du Säntis à l' échelle de 1 :25000, puis un du 85 Relief du district d' Aigle au i: 16000, construit par Exchaquet vers 1786 Musée suisse du sel, Aigle. Photo Walter Studer, Berne 86 Premier relief de la région du Mont Blanc d' Exchaquet, terminé en ij88; échelle: 44000 à 1:50000 environ Propriété de la section Genevoise du CAS. Photo Gérard Zimmermann, Genève 87 Relief de la région du Mont Blanc d' après Exchaquet, réalisé peu avant ou après 1800 Propriété de M. de Saussure, Genève sommet du Säntis au i: 2500. Plus tard, ces deux maquettes furent aussi généralement attribuées au « vieux Heim »; car, manifestement, le Säntis était la chasse gardée de Heim! Trad. P.A. Goy