Lettre sur sa tentative de 1863 au Cervin | Club Alpino Svizzero CAS
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Lettre sur sa tentative de 1863 au Cervin

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Le Giornale delle Alpi, degli Apennini e Vulcani ( 1864 ) est une revue alpine qui parut à Turin de 1864 à 1866. Le Tome premier de la collection contient un récit de Giuseppe Heimann intitulé « Escursione al Monte Cervino, Sempione e Zermatt », à la suite duquel est imprimée la lettre peu connue de Whymper qu' on va lire pour la première fois en traduction française 1. Le « Monte Cervino » du titre de G. Heimann est employé dans son ancienne acception et désigne le Col St-Théodule, où l' auteur était arrivé par le Simplon et Zermatt. Le 31 juillet 1863 il se trouvait à Valtournanche:

« A mon retour je trouvai un Anglais qui déchargeait un mulet de tout un attirail de montagnard, entre autres une échelle et un bâton de montagne avec hache. C' était M. Whymper, le propriétaire de la tente que j' avais vue au Breuil peu auparavant, et de qui j' avais lu la relation dans le livre des voyageurs. Je lui demandai quels étaient ses projets; il me dit qu' il voulait tenter pour la septième fois l' ascension du Mont Cervin, qu' il n' avait pu mener à chef jusqu' ici, bien qu' il fût parvenu à une hauteur considérable.

Etant animés de la même passion, il suffit de quelques instants pour établir entre nous une réelle intimité. Nous parlâmes longuement du Cervin, et M. Whymper traça sur mon dessin l' itinéraire qu' il avait parcouru lors de sa dernière tentative.Vers le soir, il quitta Valtournanche, profitant du clair de lune pour monter le même soir au Breuil où l' attendaient ses guides.

Quelques semaines après mon retour à Turin, je reçus de M. Whymper la lettre suivante:

Londres, 22 août 1863 „ Mes brèves vacances sont terminées, et me voici de nouveau à Londres, où je suis arrivé après 10 jours des plus agréables passés dans les Alpes du Piémont. Bien que je n' aie pas eu la chance d' atteindre le but principal de mon voyage, j' ai réussi cependant de belles courses, et je m' autorise de votre gracieuse permission pour vous les décrire, dans l' idée que ces renseignements intéresseront non seulement vous-même, mais nombre de vos compatriotes.

Je suis arrivé le 31 juillet au soir au Breuil.

Le ler août ( samedi ), ascension des Cimes Blanches, entre le Breuil et le Val d' Ayas, pour m' entraîner en vue des ascensions plus difficiles que je me proposais de faire. Du sommet, je me suis rendu compte immédiatement que toute tentative de gravir le Cervin serait vaine tant que la neige fraîche qui y était tombée n' aurait pas disparu. Je décidai en conséquence de consacrer une semaine à faire le tour du Cervin, et de tenter l' ascension vers le 10 ou 11 août, si le temps le permettait.

Je passai le dimanche au Breuil, et le lundi 3 août je suis parti à 3 h. du matin avec mes guides J. A. Carrel et Luc Meynet pour chercher un passage direct et nouveau entre le Breuil et Zermatt. Le Col Théodule est actuellement le chemin battu entre ces deux localités, mais on perd un temps considérable dans cette traversée, car la route fait un détour vers l' est. Celle que nous avons suivie commence par gravir les pentes herbeuses immédiatement au-dessus du Breuil ( Giomein ). Parvenus à la moraine du glacier ( della Forca ), nous l' avons franchie, puis avons remonté le glacier, tenant toujours la ligne la plus directe. A 6 h. nous étions au sommet du passage, d' où nous sommes descendus rapidement sur l' autre versant vers le glacier de Furggen, et de là à la pointe du Hörnli ( petit rocher en forme de cône incliné à la base du Cervin, dont il semble presque une réplique en miniature ), puis par le chemin habituel à Zermatt. Nous avons mis six heures et quart du Breuil à Zer- 1 Nous remercions M. Louis Seylaz de sa traduction et des lignes qui l' introduisent.

matt, et je crois que lorsque ce passage sera mieux connu, on pourra facilement le franchir en un peu plus de cinq heures.

Le 4 août, j' ai traverse de nouveau la grande chaîne entre Zermatt et Prarayé par le Col de Valpelline. Les 5 et 6 août, nous avons exploré le versant sud de la Dent d' Hérens, cime imposante et encore vierge. Ce fut une course magnifique, et bien que nous n' ayons pas atteint le sommet, nous sommes parvenus à l' altitude de 13 000 pieds anglais ( 3975 m ) et avons aperçu un autre itinéraire qui nous a paru plus facile. J' espère compléter l' ascension une autre fois 1 ).

Le 7 août, nous avons passé de Prarayé à Valtournanche par le Val Cornère, et le 8 Carrel et moi avons fait la première ascension d' une haute montagne isolée que nous avions vue le samedi précédent depuis les Cimes Blanches. Ce sommet est le Grand Tournalin, situé entre le Valtournanche et le Val d' Ayas; elle est restée tout à fait inconnue des touristes et même aussi des habitants des vallées voisines, bien qu' elle offre un magnifique panorama sur toute la chaîne des Alpes. Je la recommande aux amateurs de la nature, car l' ascension n' en est ni longue ni difficile; elle peut être faite par les dames jusqu' à 20 pieds du sommet et la récompense est magnifique. Nous sommes montés par le versant sud et descendus par l' arête nord, en huit heures environ aller et retour.

Le soir, de retour au Breuil, je fus heureux de constater qu' une bonne partie de la neige fraîche avait disparu du Cervin; je fis immédiatement mes préparatifs pour notre expédition.

L' aube du 10 août parut dans un ciel splendide. Pleins de joyeuse espérance, nous traversons le petit pont près du Breuil, les regards fixes sur le Cervin. On ne voyait pas le moindre nuage; l' air était calme; tout semblait favoriser notre entreprise. Mes tentatives précédentes m' avaient appris que pour franchir rapidement et sans danger les passages difficiles, les guides ne doivent pas être trop charges. C' est pourquoi j' avais pris soin que mes deux guides n' eussent que des sacs légers, et j' avais pris trois porteurs pour la tente, les vivres et autres choses nécessaires. Une bonne partie du chemin m' était connue; nous avançâmes rapidement et à 9 h. nous passions la pente dangereuse où j' avais risqué de perdre la vie l' année précédente; peu après nous touchions le col qui sépare le grand pic d' un plus petit ( Col du Lion ).

Quelques instants auparavant, nous avions failli avoir un accident, qui ne fut évité que grâce à l' agilité de Carrel. Nous devions traverser une pente rapide où la neige semblait sûre; mais à peine Carrel eut-il pose le pied dessus que toute la masse se mit en mouvement, formant une petite avalanche. Avec une grande présence d' esprit, moitié sautant moitié tombant, Carrel reprit pied sur le rocher d' où il avait fait le pas. En fait la neige reposait sur un fond de glace vive, et n' était pas assez épaisse pour supporter le poids d' un homme Nous eûmes quelque difficulté à franchir ce passage, car les marches taillées par Carrel étaient remplies au fur et à mesure par la neige qui se détachait au-dessus de nous.

Tout alla bien cependant, et nous parvînmes au col où j' avais dormi en 1861; on y voyait encore les restes de notre plateforme. Nous étions très excités; mes guides, indifférents à la fatigue, riaient et poussaient des cris de joie. Au bout d' une demi-heure, nous passâmes la plateforme de la tente construite en 1861. C' est à ce moment que le temps changea avec cette soudaineté qui tient de la magie, si caractéristique dans les hautes Alpes. Un mauvais vent d' est s' était levé, venant du Mont Rose, chassant des nuées qui nous enveloppèrent complètement; le soleil qui avait encourage nos efforts fit place à des rafales âpres et glaciales; enfin, avant une demi-heure, une neige drue se mit à tomber, gênant beaucoup notre avance.

* ) L' ascension de la Dent d' Hérens fut effectuée une semaine après la tentative de Whymper par W. E. Hall, F. Cramford Grove et R. S. Macdonald, accompagnés des guides M. Anderegg, P. Perren et J. P. Cachât ( 12 août 1863 ).

Nous continuâmes cependant à monter, car j' espérais que ce n' était là qu' un orage passager qui ne durerait pas. Mais l' escalade devenait toujours plus difficile; les rochers glissants étaient vraiment dangereux, et nous devions continuellement nous aider l' un l' autre. Il fallait d' abord hisser l' échelle à force de bras, puis la tente, puis les vivres, et enfin les hommes eux-mêmes. Nous arrivâmes enfin au pied de la grande tour que l'on voit du Breuil et du Théodule se dresser à mi-hauteur de l' arête. Là Carrel s' arrêta et me dit:,Monsieur, le temps a changé; le vent est mauvais et nous sommes très chargés. Cet endroit est favorable pour faire halte, à l' abri du vent, tandis que si nous allons sur la crête, nous serons exposés à toute la violence de la tempête, à moitié gelés et incapables de fournir de nouveaux efforts. Telle est mon opinion. ' 11 n' y avait rien à répondre à une telle logique. Mon intention avait été de dresser la tente sur la plus haute pointe atteinte par l' homme ( Pic Tyndallmais force m' était de reconnaître que là-haut les prédictions de Carrel se seraient réalisées. Après dix minutes de réflexion, je décidai de camper là, et ordonnai d' aménager une plateforme. On avait commencé à en construire une à cet endroit l' année précédente, mais elle n' avait pas été utilisée. En deux heures elle fut achevée. Un pan de rocher nous protégeait d' un côté; de l' autre, la masse du Cervin lui-même coupait la force du vent. Le gîte était en somme favorable. Nous y dressâmes la tente, sous la pluie et la neige drue, au milieu des éclairs qui sillonnaient le ciel, et des éclats du tonnerre qui se répercutaient entre les pics. Après avoir élevé un muret tout autour, nous nous mîmes à l' abri pour déjeuner; Il était 2 h. de l' après. A 3 h., Carrel me demanda quelles étaient mes intentions: ,Nous attendrons encore une heure, et si le mauvais temps continue, nous redescendrons. ' A 31/2 h., la neige fit relâche. Comme six hommes ne pouvaient coucher sous ma tente, je décidai de renvoyer en bas un des porteurs accompagné de deux hommes pour l' aider en cas de besoin.

Le temps s' éclaircit quelque peu, et nous résolûmes de passer la nuit ici. Mais avant que le soleil fût touché, il recommença à neiger aussi fort qu' auparavant. De temps en temps nous avions de belles échappées sur les montagnes. Le Mont Viso, distant de 160 km, était découvert, et les cimes de la chaîne du Mont Blanc, derrière laquelle le soleil se couchait, étaient grandioses. La tempête semblait vraiment limitée au Cervin, car les autres sommets, lorsqu' ils étaient visibles pour nous, étaient éclairés et dégagés.

Bien que notre bivouac se trouvât à près de 4000 m d' altitude, nous y passâmes une nuit relativement confortable, car chacun de nous avait une couverture de laine cousue en sac, et le fond de la tente était imperméable, en sorte que nous ne souffrions pas d' humidité. Une couche de foin ajoutait à notre confort. Après avoir pris le café et le vin chaud, les pipes s' allumèrent et nous nous couchâmes.

A 4 h., déjeuner; il neigeait toujours. A 9 h., nous fiant à une accalmie, nous reprîmes l' escalade, dans des conditions très difficiles et dangereuses, car les rochers étaient verglacés. En deux heures nous ne gravîmes que 120 mètres, et il devint évident que nous ne pourrions atteindre le sommet ce même jour. A notre grand regret, nous revînmes à la tente. La neige continuait à s' accumuler sur les rochers; il était donc inutile d' attendre le beau temps, car deux jours chauds au moins seraient nécessaires pour rendre la montagne praticable.

Nous pliâmes donc la tente et prîmes le chemin de la descente; mais ce n' était qu' au du Col du Lion que nous sortîmes enfin des nuées qui enveloppaient la partie supérieure du mont. Nous descendîmes très rapidement au Breuil et, mes guides payés, j' arrivai encore le même soir à Châtillon, d' où je rentrai directement à Londres par le Mont Cenis. " »Trad, par L. S.

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