L'ours dans la toponymie de la Suisse romande | Club Alpino Svizzero CAS
Sostieni il CAS Dona ora

L'ours dans la toponymie de la Suisse romande

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Avec 2 illustrations ( 109, 110Par Henri Delacrétaz

Parmi la faune indigène suisse du moyen âge, l' ours occupe une place prépondérante. La preuve la plus marquante de ce fait est le rôle important que joue cet animal dans l' héraldique de notre pays. Sa réputation de force, unie à une adresse remarquable ainsi qu' à une intelligence peu commune, l' a fait choisir, en particulier, par des cantons dont le territoire s' étend sur des régions alpestres.

Voici tout d' abord le puissant Etat de Berne avec ses imposantes armoiries qui ont flotté sur plus d' un champ de bataille: « de gueules à la bande d' or, chargée d' un ours passant, de sable lampassé et armé de gueules ».

Il en est de même pour le canton A' Appenzell, Rhodes intérieures: « d' ar à l' ours levé de sable, lampassé et armé de gueules ». L' autre demi-canton: Appenzell, Rhodes extérieures, possède des armoiries quasi identiques sauf que l' ours est flanqué des lettres V et R de sable.

En plus des trois Etats précités, les habitants de la commune d' Orsières et du pays d' Urseren portent ce fauve sur leurs bannières. Il en est de même de nombreuses communes:

a ) en terre vaudoise: L' Abbaye, Bassins, Morrens, Orzens, Ursins et Sergey; b ) en pays fribourgeois: Orsonnens et Ursy; c ) dans le Jura bernois: Orvin et St-Ursanne.

D' autre part, nombre de familles ont un ours dans leurs armoiries.

Enfin, innombrables sont les aubergistes de la Suisse dans son ensemble qui ont jeté leur dévolu sur ce plantigrade sympathique et gourmet. De ce fait, il illustre l' enseigne de moult entreprises gastronomiques ou hospitalières. On le retrouve partout; de la plus modeste pinte de campagne à l' au bien achalandée d' une petite ville jusque sur l' hôtel renommé et confortable, l' ours bonasse et malin sert d' égide et semble faire signe à la clientèle.

Il s' agit sans contredit de l' ours commun ( ursus ursus ), répandu autrefois en Europe dans presque toutes les parties montagneuses du continent. Actuellement, il est en voie de disparition et l'on a pris des mesures, notamment dans le Trentin, non loin de la frontière suisse, pour sa protection. La presse a cependant relaté qu' au mois de juin 1950, un de ces plantigrades adultes, du poids respectable de 187 kg., a été abattu dans les Alpes autrichiennes.

Chacun sait qu' à l' époque quaternaire, l' ours des cavernes était l' animal le plus recherché par les chasseurs. Animés d' un courage indomptable, dont il est difficile de se faire une idée, ils le combattaient avec des armes primitives en combat rapproché.

A une époque moins reculée, et jusqu' au 18e siècle notamment, l' ours ordinaire n' était pas rare du tout. L' auteur de ces lignes possède les comptes originaux de la paroisse d' Aigle, du temps où les Bernois contrôlaient l' ad régionale de cette contrée; nombreuses sont, dans ces comptes, les indications d' indemnité versées à des chasseurs du Bas-Valais ou des Alpes vaudoises pour avoir abattu des ours ou des loups. Ces animaux étaient exhibés d' une localité à l' autre de l' actuel « Grand District »; les chasseurs y recevaient des contributions volontaires de la part de généreux particuliers, en plus de l' indemnité d' usage versée par l' autorité. Celle-là manifestait en outre sa gratitude par l' octroi d' une collation copieusement arrosée!

En Suisse, comme ailleurs, l' ours habitait de préférence les régions solitaires et accidentées, des lieux sauvages, difficilement accessibles, à respectable distance de toute agglomération humaine. Tout comme les Indiens de l' Amérique du Nord, ils ont été traqués, décimés, et ont disparu complètement de notre pays. Seules les Pyrénées, les Alpes autrichiennes et du Trentin en possèdent encore quelques exemplaires, en ce qui concerne l' Europe occidentale. La partie orientale du continent, notamment dans les Carpathes et les Balkans, est mieux pourvue.

En attendant le jour où l' ours déambulera à nouveau dans la partie des Grisons réservée au part national ( le dernier ours a été tué à Zernez en 1910 ), tentons de sauver de l' oubli le rôle qu' il a joué dans la toponymie nationale et plus spécialement dans celle des régions montagneuses où l'on parle les langues dérivées du latin.

Jetons auparavant un coup d' œil rapide sur l' ensemble du territoire romand en particulier.

A part les localités déjà signalées plus haut, la toponymie du plateau suisse ne fait, il est vrai, que de rares allusions à ce mammifère. Toutefois, Genève même ne possède-t-elle pas son Pré à l' Ours, sis près de Champel, entre la route de Florissant et le chemin des Cottages, tout comme Lausanne possède sa Place de l' Ours1?

Relevons, pour mémoire, que dans les environs immédiats de Genève se trouve, entre autres, la Tana à Bera 2, à proximité du Petit Salève, au-dessus d' Aiguebelle. Non loin de Lausanne, se trouvait au 13e siècle une forêt d' Or mentionnée au cartulaire de la ville: « Orseres apud Lausannem ».

Comparativement aux Alpes, le Jura nous paraît moins bien partagé quant à la richesse des toponymes dérivant de l' ours. Ils y sont presque aussi rares que sur le Plateau.

Il y a notamment le Mont d' Orzeivas entre le lac Brenet et Vallorbe et sans doute bien d' autres termes similaires tout le long de la chaîne jurassique. Typique est toutefois, en plus d' Orsin et St-Ursanne déjà cités, le nom de Patalours ( pat vient de past = pâture ), désignant un groupe de fermes dominant les gorges du Doubs, sur le territoire de la commune des Enfers, dans les Franches-Montagnes.

1 Le nom de la Place de l' Ours est moderne; il ne figure pas sur un plan de Lausanne de 1824. ( R. ) 2 Bera dérive de Bero signifie l' ours.

Alpes vaudoises Si nous gravissons le sentier qui, des environs de Roche, conduit à Corbeyrier, nous avons l' occasion de visiter la Tanne à l' Ours, dénommée aussi Bouan-ne à l' Ours. Ces deux expressions patoises correspondent, aux termes français Tanière à l' Ours, tels qu' ils figurent au cadastre de la commune d' Ysorne pour désigner la grotte elle-même et ses environs immédiats, voisins du lieu dit « Les grandes Tanières ». On n' y découvre pas de vestiges préhistoriques ni de traces d' ours qui est disparu depuis plus d' un siècle '. Cette grotte s' ouvre, béante, dans la paroi rocheuse dominant de quelque cent mètres le sentier. Elle est parfaitement visible de la route et de la voie ferrée du Simplon, à mi-chemin entre Roche et Yvorne, pour qui est averti de son existence et saisit le moment propice où elle se présente de face. Lors de notre visite de la grotte une surprise nous y attendait: un trichodrome échelette, cet oiseau erratique au si beau plumage bigarré, y était installé. Son vol rapide y traçait un éclair rouge carmin du plus bel effet.

Corbeyrier possède aussi son Pré à l' Ours, sis non loin de Luan, au pied de la Riondaz.

Véritable oursière, le massif du Chamossaire possédait jusqu' à la fin du moyen âge plusieurs lieux dont les ours faisaient leurs refuges de prédilection. Le doyen Bridel assure que l' ancien sceau de la vallée des Ormonts portait un ours ( Conservateur suisse, VI, 278 ).

Non loin de la station de Bretaye ( qui doit se prononcer Bretaye et non Bre-tée ), voici Orsay, dominé par le Roc à l' Ours. Ce dernier forme un promontoire rocheux, sorte de bastion occidental de Chaux Ronde; haut perché au nord-est de la halte des Bouquetins. Ce Roc à l' Ours nous laisse le souvenir d' une sieste dominicale délicieuse en plein soleil, alors que les vagues d' une splendide mer de brouillard venaient battre les rochers à quelques mètres en aval.

En suivant les pâturages mamelonnés dont l' ensemble forme la région de Chaux Ronde, on aboutit en direction de l' est à l' arête rocheuse d' Ensex.

Au delà de cette arête, avant de remonter les troupes herbeuses du Meilleret, nous trouvons le Pas de l' Ours. Ce passage relie l' alpage d' Ensex au sud à celui de Perche au nord. Il fut naguère, avant la construction de routes dans la vallée, un lieu de passage très fréquenté par les habitants de la région de Bex désireux de gagner rapidement la partie centrale des Ormonts, pour atteindre ensuite le Col des Mosses avec un minimum de dénivellation. Ce cheminement est tombé en désuétude à un point tel que la plupart des indigènes des vallées des Ormonts ou de la Gryonne ignorent, de nos jours, cette appellation ancestrale de « Pas de l' Ours ». Il était autrefois franchi journellement dans les deux sens par des passants lourdement chargés.

1 C' est le 30 novembre 1827 que le dernier ours fut abattu dans le canton de Vaud, à proximité de Baulmes.

Parmi les nombreux Trou à l' Ours de nos Alpes, signalons-en trois:

Un premier à proximité du Col de la Croix, sur les contreforts occidentaux du massif des Diablerets. Il s' agit, en réalité, non pas d' un trou, mais d' une cavité sous un rocher en surplomb, près de la Frète d' Arpille, faisant face au Plan de Châtillon dominé par le Culand.

Si, de la vallée de la Gryonne, nous passons dans celle de l' Avançon d' Anzeinde, nous en verrons un second, formé de façon à peu près identique, à l' endroit où le rocher de la Tour d' Anzeinde vient mourir dans l' Avançon, au lieu dit « Vers les Souras », en amont de Solalex. Ce passage, peu fréquenté, était bien connu autrefois des chasseurs et braconniers de la région et souvent... ignoré des gendarmes!

Le troisième se trouve en face des Muverans. Il est situé sur le sentier qui va de Senglioz à la Chaux de Nant.

Là, il s' agit effectivement d' un trou, le sentier se faufilant entre de gros blocs adossés les uns aux autres. La légende affirme qu' un ours aurait, dans sa fuite, utilisé ce passage qui, dès lors, porte le nom de « Trou à l' Ours des Plans ». Des esprits un peu pervers laissent entendre qu' il s' agirait plutôt d' un trop gros gendarme, surnommé « l' ours » qui, lancé à la poursuite d' un braconnier, agile parce que famélique, aurait été coincé au passage et se serait trouve dans l' impossibilité d' achever sa mission policière!

Dans le Pays d' Enhaut, le vallon de Hausseresse. Il s' agit d' une déformation de la Vausseresse, mauvaise interprétation du Valorseressy, déjà cité en 1276; la vallée des ours.

Au-dessus de l' Etivaz, les chasseurs connaissent bien les Rayes à l' Ours, bandes de rochers coupés de couloirs vertigineux en face du Thoumaley.

En Valais Dans la région du Bas-Valais, nombreuses sont les appellations dérivant du latin ursatia, devenu en vieux français orsière: tanière à l' ours. On en a fait oursière, mot peu usité de nos jours pour le simple motif qu' il n' existe guère en Europe occidentale et pas du tout en Suisse, de « lieu hanté par un ours », comme le précise le Larousse pour expliquer la signification de ce substantif féminin.

Au-dessus de Vionnaz voilà tout d' abord l' alpe d' Orsin, pâturage désigné autrefois par les termes montem ursinem: mont de l' ours. Près de Vérossaz, nous trouvons la locution Es Orseys, orthographiée parfois Es Orsays. Il y a lieu de noter la similitude de ce nom avec celui déjà cité En Orsey dans la région du Chamossaire.

Le toponyme classique, prototype du genre, est fourni par la commune d' Orsières, dans l' Entremont, qui s' est écrit successivement au 10e siècle Ursaris, pour devenir Urseri et Orseres au 12e et, enfin, Orsière dès 1224. Studer, plus précis encore, fait dériver ce nom d' Ursariis, stations de chasseurs d' ours. Près de cette localité, on relève la Porte à l' Ors et le Grépillon de l' Ors.

Parmi les pâturages dont le nom dérive d' une même origine, citons l' Oursine, au territoire de Fully ( orthographié aussi Lousine ), sis dans une gorge entre le Grand Chavalard et la Grand' Garde.

C' est le seul toponyme débutant par ours, contenu dans le Dictionnaire géographique de la Suisse. H. Jaccard, dans son « Essai de toponymie », le mentionne en précisant qu' il s' agit d' une comba ursina, combe des ours.

Avant de quitter cette contrée du Bas-Valais, qu' il nous soit permis de signaler dans sa région frontière l' existence de Valloreine, première station française sur les voies de communications entre Martigny et Chamonix. Ce nom qui, non sans raison, s' orthographiait antérieurement Valorsine, s' applique non seulement au village proprement dit, mais aussi à la vallée arrosée par le Bérard ou Eau Noire.

Si nous abordons le Valais central, nous découvrons à Grimisuat Orseres que cite déjà un document de 1267. Puis, dans le district d' Hérens, commune d' Hérémence, nous trouvons dans un vallon compris entre les contreforts du Métailler et ceux du Bec de la Montan l' alpe d' Orsera.

Dans la vallée d' Anniviers, chacun connaît le joli nom d' Orzival, pour qualifier son roc, son glacier et son alpage.

Après avoir relevé le Mayen de l' Ours au-dessus des Mayens de Sion, citons une curieuse déformation du nom d' un des mayens de la rive gauche de la Dixence. C' est celle qui a abouti à l' actuel Pra du Sex, après avoir été Pra au Sex, fausse transcription de Pra Odin. Or, ce pré s' appelait à l' origine Prato Ursin, c'est-à-dire Pré à l' Ours.

Feedback