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Montagnes merveilleuses au coeur de l'Australie

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

PAR GEORGE J. BERGMAN

Avec 5 illustrations ( 66-70 ) Jusqu' au milieu du siècle dernier, le centre de l' Australie était resté totalement inexploré, et même après l' établissement de la liaison télégraphique transcontinentale Adélaïde—Darwin en 1872, la structure du pays à l' ouest de cette ligne n' était guère connue. En cette même année 1872, le célèbre savant germano-australien baron Ferdinand von Müller chargea son ami, le journaliste anglais P. Giles \ de pousser des reconnaissances à l' ouest de Alice Springs, qui n' était alors qu' un simple relais de la ligne télégraphique. S' avançant au SW de Alice Springs, Giles découvrit une vaste nappe d' eau salée, à laquelle il donna le nom de Lac Amadeus 2. Au sud de ce lac, il aperçut un massif rocheux d' aspect fantastique, qu' il baptisa Mt Olga 2. Mais n' ayant pas réussi à traverser le lac, il ne put s' en approcher. Il revint l' année suivante et, le 14 septembre 1873, il parvenait au pied du Mt Olga. Quel ne fut pas son dépit de trouver des traces de chevaux et de chameaux, preuve qu' un autre explorateur l' avait devancé! En effet, après le retour de Giles, le gouvernement de l' Australie du Sud, ne voulant pas rester la remorque des « Victoriens », avait organisé sa propre expédition, sous la direction du géomètre W. C. Gosse ( 1842-1881 ). Celui-ci, topographe très capable et savant extrêmement consciencieux, prit avec lui trois conducteurs de caravanes afghans et un jeune indigène, qui lui furent d' un précieux service. Il ne faut pas oublier que jusqu' à l' avènement de l' automobile, tous les transports en Australie centrale et occidentale se faisaient à dos de chameaux. Aujourd'hui encore, dans certaines régions écartées, on rencontre parfois des caravanes de ces animaux.

Plus heureux que Giles, Gosse réussit à traverser le Lac Amadeus à son extrémité orientale, puis il poursuivit sa route vers le sud à travers un pays de dunes sablonneuses, parsemé de maigres buissons de « mulga » ( Acacia ancura ). Les collines se succédaient, toutes semblables. Pourtant, le 18 juillet 1873, il découvrit une montagne massive, dont l' aspect extraordinaire était tout différent de ce qu' il avait rencontré jusque-là. Le 19 juillet, il note dans son journal de route: « Lorsque j' approchai cette falaise, un spectacle des plus curieux s' offrit à mes yeux. La partie supérieure était toute perforée de trous et de grottes. Mon étonnement s' accrût lorsque, émergeant des dunes, j' eus pour la première fois une vue distincte de la montagne qui se dressait à quelque quatre kilomètres. C' est un puissant bastion rocheux qui s' élève abruptement au-dessus de la plaine; les trous que j' avais aperçus sont des cavernes gigantesques. Je lui donnai le nom de Ayres Rock, en l' hon de Sir Henry Ayres 3. Cette forteresse rocheuse est certes la plus extraordinaire curiosité naturelle que j' aie jamais rencontrée 4. » Gosse avait découvert Ayres Rock, le plus grand monolithe du globe, la merveille du cinquième continent. C' est le plus formidable des massifs rocheux isolés au cœur de l' Australie, qui se dressent en ligne au sud du Lac Amadeus, totalement différents dans leur forme. Mt Conner est une montagne tabulaire, Ayres Rock un dôme arrondi. Mt Olga un groupe fantastique de 28 monolithes: « Ayres Rock, Mt Olga et Mt Conner, écrit Finlaison, sont les choses les plus extraordinaires de 1 P. Giles, né à Bristol en 1836, mort à Coolgardie ( Australie ) en 1897.

2 En l' honneur du roi et de la reine d' Espagne, éminents protecteurs des sciences.

3 Sir Henry Ayres, 1821-1897, était alors Premier Ministre de l' Australie du Sud.

1 Gosse' s Explorations 1873, South Australia Parliamentary Papers, N°48; Adelaide 1874.

ce continent; Ayres Rock surtout, dont on peut affirmer en toute conscience que c' est le monument naturel le plus grandiose du globe 1. » Il mesure 2,5 km de long sur 1,5 km de large et domine la plaine environnante de 335 m. Comme les deux autres massifs, il est formé de roches cambriennes primaires émergées. Ce conglomérat rougeâtre est formé de matériaux si fins qu' on pourrait le prendre pour du granit. Ses parois sont presque verticales, même surplombantes en plusieurs endroits, et l' impression de hauteur qu' il produit est renforcée par l' absence totale de collines ou d' avant dans son voisinage immédiat. Les immenses grottes qui trouent ses parois jusque près du sommet ont été creusées par les tempêtes de sable ou de poussière 2.

Gosse et ses chameliers afghans restaient ébahis devant cette montagne singulière. Toutefois Gosse qui, dans sa profession de topographe, avait certainement gravi des montagnes, devait être bon grimpeur bien que, comme beaucoup d' autres de sa profession, il ne s' en prévalût guère, et c' était un homme d' action. Arrivé le 19 juillet 1873 au pied du Rock, le lendemain déjà il en faisait l' ascension, accompagné de Kamram, un de ses chameliers. Ils suivirent un éperon du versant nord-ouest, où la pente est le moins abrupte, et qui est aujourd'hui encore la voie habituelle d' ascension. « Après avoir escaladé, nu-pieds, plus de 3 km de rochers coupants, écrit-il dans son journal, nous avons atteint le sommet, d' où la vue nous a amplement récompensés de nos peines. » A l' est était le Mt Conner, et 45 km à l' ouest se dressait le Mt Olga, dont l' expédition de Giles, l' année précédente, avait révélé l' existence.

Quelques jours plus tard, la caravane se remettait en route et le 8 août 1873 elle parvenait au pied du Mt Olga. C' est un monde rocheux d' une tout autre nature. Contrairement au journaliste Giles, Gosse n' emploie pas de grands mots; il note simplement que le 12 août il a essayé de gravir « un des plus hauts campaniles du massif, mais qu' après avoir grimpé 300 mètres, il vit qu' il n' était pas sûr de pouvoir redescendre, et fit demi-tour ». En quoi il fut sage, car ce rocher colossal a près de 450 mètres de haut.

Giles fut très déçu d' avoir été devancé par Gosse. Le Mt Olga lui avait fait une très forte impression « L' aspect de cette montagne, écrivait-il plus tard, est des plus fantastiques, et défie toute description. Elle est composée d' énormes masses rocheuses au profil arrondi, taillées dans un poudingue rougeâtre formé d' innombrables galets roulés de toutes espèces et de toutes dimensions, noyés comme des prunes dans un cake. Il y a des minarets arrondis, des coupoles colossales, des dômes informes, monuments d' époques géologiques très anciennes. Je suis convaincu que c' est là l' une des plus invraisemblables formations tectoniques de toute notre planète. On dirait les troupes difformes d' un troupeau d' éléphants roses agenouillés 3. » Il fit le tour du massif. A chaque instant des images nouvelles et insolites s' offrent à lui. Une fois, il lui semblait voir « une demi-douzaine de meules de foin qui se penchaient l' une vers l' autre comme pour chercher un appui ».

Le géologue australien Laseron a écrit du Mt Olga: « C' est certainement une des montagnes les plus remarquables du monde. Une suite de monolithes gigantesques, rangés comme en un cercle, les quatre principaux au SW. Ils s' élèvent directement au-dessus de la plaine; le plus haut de 450 mètres. Tous ont leur sommet arrondi; les parois sont lisses, presque verticales, inabordables; ils sont séparés par des gorges étroites. Les blocs de conglomérat proviennent vraisemblablement des chaînes primitives du Musgrave ou peut-être d' autres formations montagneuses plus au sud.

1 H. H. Finlaison, conservateur du Musée de l' Australie du Sud, The Red Centre.

2 Ch. F. Laseron, The Face of Australia.

3 E. Giles, Australia twice Traversed, London 1889. Voir aussi Geoffrey Rawson, Desert Journeys, London 1948. Cet ouvrage contient des cartes avec les itinéraires de Gosse et de Giles.

Roulés sur le fond marin, les graviers furent cimentés par du sable fin et durcis en poudingue. Bien des époques géologiques s' écoulèrent avant qu' ils n' émergent des flots 1. » Ayres Rock et Mt Olga étaient donc découverts; mais l' Australie de ce temps n' était pas un pays de tourisme, et bien que Giles ait parlé dans son livre en termes enthousiastes de ces montagnes qu' il visita lors de son prochain voyage en Australie centrale ( 1874 ), lui et ses montagnes, de même que Gosse décédé prématurément, furent bientôt oubliés.

Pour les autochtones, Ayres Rock demeurait la montagne sacrée où les tribus se réunissaient pour les cérémonies d' initiation des jeunes gens aux secrets de la race. Ils ont laissé sur les parois de ses grottes de mystérieuses peintures. Les Blancs étaient à des centaines de mines et ne montraient aucun intérêt pour ces monts merveilleux. Des décennies s' écoulèrent; de loin en loin, il arrivait qu' un pasteur de la Mission allemande de Hermannsburg sur la Fink River, accompagné d' un assistant noir, fissent le long voyage à dos de chameau jusqu' au Rock pour y prêcher la parole de Dieu. Je ne sache pas qu' aucun d' eux ait jamais escaladé le rocher. La deuxième ascension connue -par un Blanc - n' eut lieu que près de soixante ans après celle de Gosse. W. McKinnon, inspecteur de police à Alice Springs, à la recherche d' un criminel indigène, gravit le Rock le 7 mars 1931 par une chaleur torride; il répéta l'ascension l'année suivante, le 19 février 1932. On m' a dit que McKinnon avait aussi escaladé, il y a quelques années, la plus haute pointe du Mt Olga.

Peu à peu, cependant, vinrent les savants, hommes de sciences, anthropologues, géologues, botanistes, et finalement aussi les touristes. En 1948, Arthur Groom, globe-trotter solitaire et écrivain, visita la région qu' il décrivit dans son livre « J' ai vu un étrange pays 2 », lequel contribua beaucoup à faire connaître ces montagnes. Il voyageait avec un vieux guide indigène surnommé le Tigre que j' ai retrouvé, avec son sourire accueillant, à Palm Valley, dans la chaîne des Mts Kri-schauff, non loin de la Mission Hermannsburg. Jusqu' en 1949, le nombre des ascensions de Ayres Rock ne dépassait pas la trentaine.

Le merveilleux livre de Groom avait éveillé en moi le désir de visiter ces étranges montagnes. Mais des milliers de kilomètres m' en séparaient, et, d' autre part, l' organisation d' une expédition était au-dessus de mes moyens. Mais voilà qu' en juillet 1956, deux faits heureux vinrent favoriser mon projet. Participant à un concours de photographies, un ami australien avait gagné deux billets d' avion, et il m' en offrit un. Presque en même temps, j' apprenais que l' agence de tourisme Tuit à Alice Springs avait installé depuis une année un camp permanent dans le voisinage de Ayres Rock et organisait des visites de cinq jours. Notre décision fut vite prise: nous irions à Ayres Rock.

De Sydney à Alice Springs, le voyage se fit en avion, via Adélaïde. Le 22 juillet, nos deux autocars s' enfonçaient dans le désert. La route carrossable cesse peu après Alice Springs, et l'on roule désormais sur une piste désertique qui, de « station » ( ferme ) en « station » franchit les 445 km séparant Alice Springs du Rock. Au bout d' une couple d' heures, une plaque d' indicateur annonce 1000 milles ( 1609 km ) vers le sud jusqu' à Adélaïde, et une distance égale vers le nord jusqu' à Darwin. Nous sommes vraiment au cœur de l' Australie. Toutefois, et contrairement à ce qu' on lit très souvent, ce centre du continent austral n' est nullement « mort ». Alice Springs, aujourd'hui petite ville florissante, est entourée d' une chaîne de « stations » ( domaines ) sur lesquelles se pratique en grand l' élevage du bétail et des chevaux. Cette région achemine annuellement environ 40 000 têtes de bétail vers Adélaïde.

1 Ch. F. Laseron, op. cit.

2 Arthur Groom, « I saw a strange Land », Sydney-London 1950. Une nouvelle route par une gorge raide dans le flanc nord-ouest a été trouvée au mois d' août 1956 par Donald Merchant d' Adélaïde.

Par contre, le cœur de l' Australie est rouge. Le sol et les régions montagneuses déchiquetées que nous traversons, les chaînes McDonnel, Waterhouse et James, rutilent sous le soleil avec toutes la gamme de nuances allant du lilas et de l' ocre jusqu' au rouge, ainsi que les ont peints les artistes indigènes de la Mission Hermannsburg, Albert Namatjira et ses compagnons de la tribu Arunta.

Il avait plu peu de temps avant notre arrivée, si bien que le « désert » était en pleine floraison. De vastes étendues étaient jaunes d' une espèce de Cassias; d' innombrables variétés de « fleurs de paille », des Parrakilias violettes tapissaient le sol entre les massifs vert-clair des Spinnifex. Des kangourous de toutes tailles et de toutes teintes, allant du noir au rouge vif, bondissaient à travers la brousse, ou restaient à nous observer curieusement. Les frondaisons blanc de neige des Ghost-gums1 dominaient les Mulgas1 nains. Au passage du lit de basses eaux des rivières Fink et Palmer, les cars restaient souvent ensablés entre les hautes futaies des Rivergums1. A plusieurs reprises, un véhicule dut s' atteler à l' autre pour l' arracher du sol ramolli par la pluie.

Il est déjà nuit lorsque nous passons les lacs salés, émissaires du lac Amadeus, qui brillent d' un éclat féerique sous la lune.Vers 10 heures du soir, nous arrivons à Curtin Springs, ferme solitaire qui est la dernière « station ». On a peine à se faire une idée de l' étendue de ces domaines: Curtin Springs, qui passe pour être une petite « station », compte 1204 mines carrés ( 3118 km2 ). Nous y faisons provision de viande fraîche, et peu après les cars s' arrêtent. Un immense feu est allumé sur lequel d' énormes « beefsteaks » sont grillés à la flamme vive sur le treillis d' un vieux sommier métallique.

On repart dans la nuit. Vers 2 heures du matin surgit tout à coup à notre droite une masse imposante, le Rock. La lune éclaire jusqu' au fond des gorges de la face nord et souligne les arêtes vives du colosse. Nous gagnons le versant ouest et débarquons enfin au camp, où nous attendent un bon repas et du thé chaud. Etant donné les conditions, le camp est vraiment confortable, toutefois, la plupart des participants n' ayant jamais couché sous une tente, bien des messieurs et dames de l' équipe s' en étaient fait une idée très différente. Le bon repas et les soins attentifs ramènent bientôt le calme dans les esprits, et ils font maintenant bonne mine à mauvais jeu.

Au matin - les nuits sont ici très froides en hiver, et les matinées très humides de rosée - le Rock se dresse devant nous, à moins de trois kilomètres. Vision prodigieuse et stupéfiante. Après le déjeuner, en petits groupes, nous nous dirigeons vers sa base. La dimension des cavernes qui trouent la face de la montagne s' accroît à mesure que nous en approchons. Plusieurs sont comme d' im volières où tourbillonnent des myriades d' oiseaux; quelques-unes sont hérissées de stalactites; d' autres enfin sont des tunnels gigantesques. Il y a des formes qui rappellent celles du cerveau humain; d' autres, une tête de mort. Toute la face ouest est perforée de grottes. La première que nous visitons contient déjà des peintures rupestres autochtones, exécutées en noir, en Blanc jaunâtre, ou en ocre; œuvres, pour la plupart, de la tribu des Pidjendadjaras. Un grand nombre de ces peintures se trouvent dans les excavations des nombreux et énormes blocs qui gisent autour du Rock, et qui ont servi d' abris. Il est très difficile de dater ces dessins. Il y en a de très anciens et de plus récents, exécutés par des mains très différentes, et beaucoup d' anciennes peintures ont été « rafraî-chies », ou refaites. Elles sont d' un style extrêmement primitif. Elles représentent surtout les animaux qui figurent dans les innombrables légendes inspirées par la montagne, les serpents, le rat musqué, les gros lézards; ou ceux qui fournissent la principale nourriture des indigènes, tels que l' émus et le kangourou. Alors qu' à l' origine la représentation de la figure humaine était interdite, on remarque que des artistes autochtones « modernes », probablement christianisés, ont peint des formes humaines primitives. Aujourd'hui encore, Ayres Rock et Mt Olga sont compris dans une réserve indigène d' environ 6500 milles carrés ( 16 800 km2 ), où l'on ne peut pénétrer qu' avec une 1 Variétés d' eucalyptus.

autorisation de l' Office « Aborigine Welfare Board ». Toutefois, ils sont situés en bordure de cette Réserve, et lorsque les touristes viennent en hiver visiter le Rock - Ooolra dans la langue indigène - les autochtones ont disparu de la région et se sont retirés vers les chaînes lointaines de Petermann et de Musgrave, ou bien dans les stations missionnaires d' Hermannsburg et d' Ernabella.

Nous allons d' une grotte à l' autre; nous grimpons pour pénétrer dans la grande « Mala Hollow », qui fut jadis un important lieu de cérémonies. A quelque 50 km devant nous surgit le Mt Olga qui, vu d' ici, ressemble à un château du moyen âge. Là se trouve aussi la « Queue du Kangouru », un énorme feuillet de roc séparé de la montagne à laquelle il est encore rattaché par la base et le sommet, et dont la tranche dessine des échelons. Il y a de nombreuses sources au pied de la montagne. La présence de l' eau et d' une riche faune avicole ont fait d' Ayres Rock un vrai paradis pour les botanistes. Près de 600 espèces de fleurs, d' arbres et d' arbustes ont été cataloguées entre cette montagne et le Mt Olga.

Le jour suivant est consacré à l' ascension du sommet Nos deux chauffeurs, jeunes gens aimables et dévoués, servent de guides, c'est-à-dire qu' ils vont devant et aident surtout le sexe faible, qui est en majorité. Nous montons, il va sans dire, par la voie normale découverte par Gosse. Elle était certainement déjà connue des indigènes qui lui avaient donné le nom caractéristique de « Tjin-terintjinteringura », le chemin des hoche-queues. Sans doute des grimpeurs expérimentés munis de cordes et armés de pitons trouveraient d' autres voies d' ascension dans les parois sud et sud-est de la montagne, tandis que la face nord presque verticale défie tout assaut. La montée par l' éperon NW est moins une escalade qu' une reptation sur plaques. Car tout ce versant, en fait, n' est qu' une colossale et unique dalle de rocher, haute de 300 mètres, que l'on gravit pieds nus ou en semelles de caoutchouc. La pente, faible au début, devient très raide dans la partie moyenne; l' adhérence ne suffit plus et il faut s' aider des mains. Elle se radoucit bientôt, et en 35 minutes on est en haut. La grimpée n' est pas difficile, et pourtant indubitablement dangereuse, car elle est exposée sur tout le parcours et n' offre aucun relais. En cas de glissade d' un touriste, toute la caravane pourrait être « fauchée ». Traîner là-haut, comme c' est le cas aujourd'hui pour nous, une bande de gens qui n' ont aucune pratique de la montagne et, ce qui est plus dangereux encore, les dévaler en chaîne se tenant par la main, est certainement une grosse imprudence.

Je m' arrête souvent, au cours de la montée, pour observer le paysage. La vue sur toutes ces masses est impressionnante. Le vaste désert rouge, taché de vert par les acacias mulga, s' étend à l' infini jusqu' aux chaînes lointaines des Monts Petermann et Musgrave. Le Mt Olga se dresse comme la ruine géante d' un château-fort. A 150 km de distance, le Mt Conner se voit très distinctement. Les lacs salés resplendissent comme des miroirs d' argent. Trois grands vautours tournoient sans répit au-dessus de nous. L' un d' eux - il doit mesurer plus de six pieds d' envergure -descend si bas qu' à chaque instant je m' attends à le voir foncer sur notre groupe. Il finit cependant par s' éloigner avec les autres vers leurs aires de la paroi nord.

L' arête s' incline graduellement vers le plateau sommital, labouré de profondes fissures, qui obligent continuellement à grimper et descendre pour franchir les nervures qui les séparent. Au bout de 45 minutes, tout notre groupe de 22 personnes est réuni au sommet. Dans le cairn érigé par Gosse se trouvent encore la bouteille et les boîtes à sardines contenant les noms des premiers ascensionnistes. Tout le plateau est criblé de trous profonds pleins d' eau de pluie limpide. Près du sommet, quelques buissons de mulga et un vieux chêne-liège qui a défié les tempêtes. Sur la partie nord du plateau, on voit même un petit boqueteau d' arbres. Notre sieste au sommet se prolonge jusqu' au moment où un vent brusque et violent vient soudain nous en chasser. D' après les observations des météorologues, Ayres Rock emmagasine pendant le jour une énorme quantité de cha- leur et « fait son propre temps » 1. La descente, particulièrement dans la partie rapide, exige de grandes précautions à cause des feuillets de roche délités par les intempéries. C' est un soulagement lorsque finalement tout le monde se retrouve sain et sauf au bas de la montagne.

L' après fut consacrée à la visite du versant nord. Il y a là, issue d' une longue et profonde gorge, dite la Grotte de la Vieille Femme, une source permanente remarquable avec un petit étang, que les indigènes appellent « Kapi Multiguluna », et que Gosse, qui l' a découverte, a baptisée « Maggie Springs ». Ce fut une heure inoubliable celle où, un groupe de jeunes et de « moins jeunes », nous allâmes au Rock chercher de l' eau pour le camp, et nous attardâmes longtemps, assis sur les rochers, à chanter au clair de lune.

Le quatrième jour, c' est le départ dans la grisaille de l' aube pour le Mt Olga. La forteresse se rapproche. Des boqueteaux de chênes du désert, qui ressemblent à des saules pleureurs, donnent au paysage un caractère insolite. Les plus grands dômes du groupe sont masqués par ceux de l' est, qui ne dépassent pas 120 ou 150 mètres. Mais plus on s' approche, plus imposantes sont les tours de rocher rouge. Nous obliquons dans une large vallée rocheuse entre deux dômes. Un petit ruisseau sourd d' une fissure et irrigue si généreusement le sol qu' on se croirait dans une oasis. Des foules d' oiseaux de toutes espèces, essaims de verts « Budgerigars » et de perroquets cendrés, vrombissent à travers la gorge; le chant merveilleux d' une grive retient nos pas. Nous faisons halte pour un rapide pique-nique dans un champ de jacinthes sauvages au parfum pénétrant, à l' ombre des eucalyptus, après quoi nous remontons le ruisseau jusqu' au cirque dantesque de la gorge Wulpa. On se croirait ici dans un lieu enchanté. Le Mt Olga, que les indigènes appellent « Kuttatuta », célèbre par ses eaux, est bien la plus extraordinaire formation montagneuse du monde. Le paysage varie à chaque pas. Tandis que nous nous enfonçons plus avant dans le défilé, devant et derrière nous se dressent jusqu' à 400 et 500 mètres des murailles incroyablement abruptes. L' écho répercute les cris d' oiseaux d' une paroi à l' autre. On éprouve presque de l' angoisse; tout semble irréel dans cette rouge solitude rocheuse. C' est déjà l' après, et tandis que d' un côté les parois rutilent sous le soleil, celles de l' autre rive sont déjà plongées dans une ombre pourpre profonde. La composition de la roche est telle qu' on croirait avoir devant soi des murs de béton faits par l' homme Toutefois, le conglomérat du Mt Olga n' a pas la solidité ni la consistance de celui d' Ayres Rock. D' innombrables blocs et de vastes cônes d' éboulis se sont détachés de la masse.

Quittant la gorge de Wulpa, nous montons à un col entre deux dômes, où nous attend un nouveau spectacle. Nous avons devant nous un large cirque entouré de six dômes mineurs. On dirait d' énormes miches de pain posées l' une à côté de l' autre sur un plat de verdure. Tous ont le faîte arrondi; le vent y a se des graines d' herbe Spinnifex, les couronnant ainsi d' une toison verte. Nous redescendons la vallée et tournons un des dômes pour gagner la sortie. Nous aurions aimé dresser ici notre tente, pour explorer chaque dôme en particulier, et peut-être en gravir quelques-uns; mais il faut retourner au camp, où nous arrivons dans la nuit.

Il faut maintenant prendre congé d' Ayres Rock. Avant le jour, les cars quittent le camp pour aller attendre le lever du soleil sur une hauteur distante de 8 km du Rock. C' est un spectacle prodigieux. Le rocher, qui sommeillait dans le désert comme un monstre antédiluvien, s' enflamme et devient rouge-sang sous les premiers rayons, et je comprends mieux que jamais la parole d' un voyageur-écrivain australien: « Ayres Rock est un joyau géant au cœur de l' Australie, le rocher mystérieux qu' on ne peut oublier une fois qu' on la vu 2.»Trad, par L.S. ) 1 Wildlife and Outdoors, February 1953, Melbourne.

2 Frank Clune, Land of my Birth, Sydney 1949.

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