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Première ascension photographique au sommet du Mont Blanc

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PAR EMILE GOS, LAUSANNE

PAR M. BISSON, SOUS LA DIRECTION D' AUGUSTE BALMAT 24 ET 25 JUILLET 1861 Avec I illustration dans le texte A notre époque où, faire de la photographie en haute montagne est, grâce aux appareils de petits formats, un jeu à la portée de tout alpiniste, on ne peut que s' incliner devant la volonté et la persévérance de MM. Bisson, photographe, et Loppé, peintre de talent, qui, entourés d' une immense caravane de guides et porteurs, menèrent à bien la première expédition photographique au sommet du Mont Blanc '. Car, ne l' oublions pas, jusqu' en 1860, faire l' ascension du Mont Blanc, surtout par l' ancien dangereux passage du « Corridor », était déjà un exploit, mais la réussir en y transportant un énorme appareil à plaques en est un autre et combien plus méritoire.

En dehors des œuvres du peintre Loppé, membre de l' Alpine Club, il n' existait en effet pas de reproductions de la haute montagne. C' est une raison pour laquelle M. Bisson, de la Maison Bisson Frères, photographes à Paris, eut l' idée de tenter cette expédition au Mont Blanc, pour « fixer les tableaux magiques des solitudes de glace et des points culminants, que si peu de crayons et de pinceaux avaient pu reproduire pour donner une idée exacte de ces merveilles ».

Sous la direction d' Auguste Balmat, digne héritier du nom, une importante caravane s' orga. « Vingt-cinq robustes épaules endossèrent des crochets sur lesquels on déposa le volumineux attirail de l' expédition avec la „ lanterne daguerrienne " du format de 30 sur 40 centimètres! » L' ar des fioles de cyanure et de collodion, ainsi que les chevalets, les trépieds, les échelles de corde, la tente et les matelas de voyage sont répartis dans les hottes, ainsi que les victuailles, et cet important cortège arrive à la cabane des Grands Mulets.

« Nous en sommes partis, note M. Bisson, à deux heures du matin. Une marche bien réglée par notre dévoué guide chef, nous permit d' arriver sans trop de fatigue au Grand Plateau. Le redoutable passage du Corridor s' effectua sans accident et midi nous atteignons les Petits Mulets, base de la calotte du sommet, sans avoir pu prévoir l' orage qui s' élevait venant du sud, dont un glacier de 300 pieds de haut, nous dérobait la vue horizontale.

Comme un épais brouillard enveloppait la caravane, que la neige mêlée de grêlons fouettait nos visages, nous nous arrêtons peu rassurés sur l' issue de la situation. Le sommeil, le froid, gagnent quelques porteurs; l' inertie devenant aussi dangereuse qu' une marche indécise, Balmat jugea la descente nécessaire. La neige nouvelle avait déjà recouvert nos traces, des avalanches ton- 1 Stephen D' Arve, Les Fastes du Mont-Blanc, Genève, Libr. A. Vérésoff, 1876. 308 Photo Emile Gos, Lausanne Crossing the Grand Plateau at night naient à nos oreilles, un brouillard intense ne nous permet aucune sécurité de direction. Nous nous dissimulons réciproquement nos craintes personnelles. » Ils arrivent pourtant sains et saufs au Grand Plateau, ce qui est miraculeux quand on sait le nombre d' accidents mortels arrivés en ces lieux. Ici, M. Bisson fait dresser la tente et décide de laisser là les appareils et la partie non indispensable des bagages jusqu' à ce que la caravane puisse reprendre l' ascension. L' obscurité est à peu près complète, plus de traces, la boussole devient inutile. Ils suivent Balmat et se comptent de temps en temps pour s' assurer que personne ne manque à l' appel et ne succombe à la lassitude, et arrivent enfin, Dieu sait comment, à l' asile quitté le matin.

« La chétive cabane est habitée; trois Anglais et leurs cinq guides, arrivés deux heures avant nous, consentent à se serrer un peu pour nous permettre d' allonger nos corps brisés sur les planches pourries qui servent de lit. » Le temps se gâte de plus en plus durant la nuit, ce qui n' empêche pas les Anglais de partir quand même pour tenter l' ascension. La caravane Bisson, elle, passera la journée dans l' inaction en regrettant d' avoir laissé les appareils, peut-être ensevelis sous la neige de cette affreuse nuit. A minuit, le baromètre étant plus encourageant, le départ est décidé, et à 4 heures du matin, ils sont au Grand Plateau et poussent des cris d' enthousiasme à la vue de la tente abandonnée l' avant veille avec le précieux matériel qui n' a point été enseveli sous la forte couche de neige tombée pendant trente-six heures.

On refait les chargements et, quatre heures plus tard, la caravane, reprenant le même itinéraire, abordait heureusement au sommet, « sur la chevelure neigeuse du colosse ». M. Bisson ne voulait pas dire adieu à « ces beaux glaciers, à ces sveltes aiguilles » sans emporter leur image, aussi le volumineux appareil est-il tour à tour braqué sur tous les points de l' horizon. Puis la tente fut à nouveau dressée, tout le matériel déballé pour le développement des clichés, le photographe ne voulant pas repartir sans connaître le résultat de son travail.

« Mais un obstacle imprévu s' annonce, note M. Bisson; il faut de l' eau en abondance pour laver ces mêmes clichés ( 30/40 cm, rappelons-le ) et dissoudre quelques réactifs. L' eau des bidons est gelée et il faut avoir recours à la fonte de la neige sur le feu, mais l' alcool allumé sous la tente dans un récipient, refuse de donner une chaleur suffisante et ne produit qu' une flamme bénigne qui, prolongeant indéfiniment l' effet de dissolution, fait craindre l' impossibilité de réussir.

Les hommes préposés à ce détail matériel, énervés par la chaleur artificielle développée sous la tente, sont pris d' un sommeil de plomb dont il faut les tirer avec violence et menaces, pour empêcher une réaction sanguine pouvant causer la mort immédiate.

Balmat se multiplie, il va de la tente à l' appareil, et de l' appareil au poteau du baromètre placé par ses soins intelligents, depuis quelques années, sur le point culminant de la calotte. » Enfin, M. Bisson proclame un résultat inespéré dans des conditions aussi défavorables et plusieurs beaux clichés sortent tour à tour de la « féerique machine ». Quand on sait ce que représente le développement, dans un laboratoire, de plaques d' aussi grandes dimensions, on se demande comment ce tour de force, là au sommet du Mont Blanc, à 4810 mètres d' altitude, sous une tente obscurcie, a pu être réalisé.

Dans ses notes sur le retour de l' expédition, toujours par le dangereux passage du Corridor déjà parcouru à la montée, M. Bisson est muet, mais on imagine aisément que cela n' a pas dû être facile, chargée comme était la caravane, transportant des choses aussi délicates que des grandes plaques photographiques venant d' être développées.

L' auteur de ce récit se contente de mentionner l' ovation qu' on fit aux membres de l' expédition à son retour à Chamonix, les interrogations multiples qui accablèrent les voyageurs, la curieuse inspection de leurs physionomies, pendant l' étourdissante canonnade des mortiers de l' Hôtel Royal.

Au dire de Stephen D' Arve, les clichés de M. Bisson sont « des merveilles, des impossibilités artistiques: la chaîne des Alpes et celle des Apennins, vues et saisies à vol d' oiseau, le Mont Rose photographié sur les épaules de son frère aîné le Mont-Blanc. Une utopie de la veille, une palpitante réalisation du lendemain ».

Mentionnons encore, pour terminer, qu' un autre célèbre photographe, M. Braun, de Paris également, a fait à la même époque de remarquables photographies dans les « glaciaires de Chamouny », toujours avec le pesant appareil 30/40 cm, sur plaques au collodion.

Ces courageux photographes, écrivait alors Théophile Gautier, ont ainsi fourni à la science et à l' art de nouveaux éléments et de nouvelles images.

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