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Quand le grand corbeau rencontre l'aigle royal

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PAR R.P. BILLE

Dans nos montagnes, il arrive parfois au promeneur qui sait observer attentivement la vie des bêtes d' être le témoin de rares spectacles. L' époque la plus favorable à cet égard est sans contredit le printemps et l' été. Les mâles d' un grand nombre d' oiseaux s' affrontent alors pour la possession d' un territoire et s' extériorisent par des cris, des chants et de folles extases. En pleine nuit encore, la chouette Tengmalm fait entendre ses « ouhlouhlouhl... » prolongés, puis, dès que le ciel pâlit à l' Orient, les merles de montagne lancent d' un mélèze à l' autre leurs notes flûtées et leurs cris stridents, les coucous se répondent dans le lointain et les grives, à leur tour, prennent part au matinal concert, tandis que sur les pentes déboisées, couvertes de myrtilles et d' airelles, les tétras-lyres, ailes pendantes et queue largement déployée, chuintent de tous côtés, s' excitent à la lutte et font bientôt suivre leurs danses de roucoulements sonores.

Cependant un peu plus haut, parmi les éboulis et les pâturages rocheux, retentissent les clairs rappels de la bartavelle, si difficiles à traduire, parfois entrecoupés par le guttural avertissement de la perdrix des neiges.

Mais un liseré d' or gagne les crêtes neigeuses, et voici que, très haut dans les airs, un point noir apparaît qui va grandissant: c' est l' aigle royal qui se met en chasse. Il commence à décrire sans un coup d' ailes d' immenses orbes, puis descend soudain à une allure vertigineuse vers la montagne voisine et, rasant la pente, essaie de surprendre la marmotte qui s' est aventurée trop loin de son terrier. Mais au même moment, un cri bizarre résonne au-dessus de la vallée, une sorte de croassement bref et sonore « kroî' kro! kro! » qui fait tourner la tête au promeneur, puis le bruit d' un fort déplacement d' air se fait entendre, au-dessus de lui, régulièrement rythmé, et enfin il aperçoit deux grands oiseaux noirs qui volent rapidement à la rencontre de l' aigle. Celui-ci a manqué sa proie et recommence' à décrire ses cercles majestueux dans le bleu intense du ciel. Que va-t-il se passer? Les oiseaux se rapprochent toujours, et l' aigle semble n' y prêter aucune attention. Mais les croassements redoublent. L' un des grands corbeaux fonce sur l' aigle et le prend délibérément en chasse, aidé de son compagnon. Malgré leur taille imposante, ils semblent maintenant, aux côtés de l' aigle, deux nains harcelant un colosse. Et néanmoins ils continuent de plonger férocement sur lui, d' en haut, d' en bas, de biais, avec une incroyable témérité. On tremble presque pour eux!

A tout moment, on s' attend à voir l' aigle en saisir un dans ses serres puissantes. Eh bien non! il n' en est rien! L' oiseau royal simplement cherche à les éviter sans beaucoup s' émouvoir. Par de brusques volte-face, il tient en respect les deux assaillants dont l' audace augmente. A plusieurs reprises, le même manège se répète; enfin lassé par cette noire engeance, l' aigle quitte les lieux d' un vol lent et calme, toujours poursuivi par les farouches corvidés qui lancent sans cesse leurs cris désagréables. Bientôt les oiseaux ne sont plus que trois petits points dans le lointain et l' obser les perd de vue. Mais quelques instants plus tard, les corbeaux, ayant réussi à éloigner l' intrus de leur territoire de chasse, apparaissent de nouveau à l' horizon et peu après ils passent au-dessus du témoin de la scène en coupant bruyamment l' air de leurs rémiges et regagnent les escarpements rocheux où se trouve leur nid.

On peut se demander pourquoi l' aigle royal ne résiste pas davantage aux attaques de ces oiseaux de taille bien inférieure. Mieux armé qu' eux, beaucoup plus fort, il prend d' ordinaire la fuite après quelques nonchalantes ripostes. Que faut-il en conclure? On sait que le grand rapace n' est nulle part commun chez nous, bien que protégé. Chaque couple dispose, de ce fait, d' un territoire de chasse très étendu ( plusieurs vallées parfois ) ce qui expliquerait peut-être en partie sa non-résistance aux attaques du grand corbeau des Alpes. Ce dernier, qui était devenu une rareté en Suisse, s' est propagé ces dernières années en Valais dans une proportion réjouissante. Et les couples, se sentant à l' étroit, surveillent sans doute leur territoire avec d' autant plus d' ardeur, surtout à l' époque des couvées. D' autre part, le grand corbeau est un bon voilier et son vol est plus rapide que celui de l' aigle dans certaines circonstances. Son bec très fort et bombé est également une arme redoutable et sa témérité est légendaire. Quoi qu' il en soit, on est toujours surpris de voir le roi des airs fuir piteusement devant les attaques répétées d' un oiseau de moindre envergure. Plusieurs auteurs affirment cependant que l' aigle réussit parfois à s' emparer du grand corbeau. Mais tous ceux qui ont été témoins des foudroyantes attaques du grand corvidé montagnard seront, certes, convaincus du contraire.

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