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Réflexions sur le concept de protection du patrimoine

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Bernard et Françoise Lieberherr INTRODUCTION La protection du patrimoine - monuments et sites, paysages, nature - s' articule traditionnellement en deux modalités: patrimoine culturel, patrimoine naturel ou biologique.

Or, l' efficacité du résultat, en ce qu' il concerne directement ou indirectement le grand public, les collectivités locales et les autorités politiques, dépend principalement de la méthode d' approche.

C' est pourquoi nous aimerions analyser ici les réactions et motivations des collectivités, et non des groupuscules spécialisés déjà acquis par conviction intellectuelle et intime au concept de protection. En effet, devant l' incompréhension du public, il faut éviter que la protection du patrimoine ne se réfugie dans les prérogatives exclusives de spécialistes fervents, réunis en chapelle, compromettant ainsi non l' action mais son efficacité réelle. La protection du patrimoine concerne vitalement chaque citoyen, avec ou malgré son assentiment. Et puisque la notion de protection en soi provoque immanquablement une attitude réticente, il faut en premier lieu analyser les motivations de refus, tenter un sondage d' opinion sur les problèmes de protection, d' une part auprès de la population indigène directement bénéficiaire de l' action, d' autre part du grand public bénéficiaire à titre secondaire. L' effort doit ensuite être porté sur une information généralisée, qui entraîne la compréhension et la collaboration indispen-salbes de chacun pour la réussite d' une protection dynamique, positive et vivante.

d' exister, corps animé dans l' éclat de sa jeunesse, me remplissait d' allégresse et je chantai les huit notes de la phrase grave et joyeuse que j' avais accoutumé de faire sonner sur les cimes.

ATTITUDE DU PUBLIC ENVERS LACTION PROTECTRICE a ) Dans l' action concrète de protection du patrimoine, la réaction du grand public est diver-gente: elle est généralement favorable à toute conservation culturelle, exprimée par un site historique, un château, des fresques...

Cette attitude positive s' explique entre autres parce que l' œuvre culturelle, conçue comme un héritage précieux et collectif, exige le respect de chacun de nous en satisfaisant sa fierté; par notre comportement profondément conservateur qui assure ainsi la pérennité du groupe, par notre éducation traditionnellement nationaliste, glorifiant son passé et ses créations, et par le prestige dont s' auréole la notion de culture.

b ) La protection du patrimoine naturel ou biologique, au contraire, soulève une réaction plutôt défavorable, l' action protectrice étant toujours associée à la notion d' interdiction ou de restriction dans l' esprit du public. Toute mesure de protection ou de conservation du milieu, qu' il s' agisse des rives d' un lac, d' une forêt ou d' un marais, est par définition une entrave et une limite à la démarche constructive, agricole, industrielle ou récréationelle de l' homme.

Cette attitude comporte cependant deux paradoxes dont l' individu n' a pas conscience. D' une part, le milieu naturel est presque entièrement humanisé, c'est-à-dire façonné par l' homme. Mais pour des motifs psychologiques, il n' est pas considéré comme une création de caractère cultu- rei réalisée par un groupe humain donné. D' autre part, le milieu naturel est vital pour la survie biologique, tant physique que psychique, de l' espèce humaine, alors que le patrimoine culturel, appréhendé strictement en termes de survie, se révèle un « luxe » que peut s' offrir notre société a ) S' il est superflu de justifier la nécessité d' une protection du patrimoine culturel, nous aimerions attirer l' attention sur quelques modalités de cette action. Dans le choix des objets culturels dignes de protection, outre ceux, traditionnels, tels qu' édifices architecturaux historiques ou typiques, ustensiles artisanaux, costumes de cérémonie, coutumes et danses populaires, il faut aussi considérer comme particulièrement représentatives les institutions démocratiques forgées pendant des siècles au travers de luttes incessantes pour l' obtention de droits juridiques et économiques. D' autre part, il est essentiel de s' interroger sur la véritable signification des survivances culturelles. Par exemple, le folklore a généralement perdu son sens de cou' ume originale à participation collective, pour devenir un exercice de traditions consciencieusement étudiées et commercialisées par un groupe particulier, servant davantage les intérêts touristiques que culturels.

Quant à la population indigène concernée par cette protection, elle est à majorité rurale et alpine presque exclusivement. Elle vit par conséquent dans un décalage économique et culturel par rapport au citadin. Mais ce déphasage ne doit être ni recherché, ni entretenu comme dépaysement sentimental pour compenser les excès de notre société urbaine et industrielle. Au contraire, il est fondamental que toute solution et mesure de protection s' inscrive dans le sens de l' évolution irréversible vécue par notre société, et non à contre-courant, pour la perpétua-tion illusoire et sentimentale d' un passé paré de toutes les caractéristiques idéales d' un âge d' or mythique. Le mythe du « bon vieux temps » se vivait réellement avec un tribut régulier de misères. Pour ces populations marginales, il est nécessaire d' envisager un niveau culturel qui s' apparente au modèle urbain, pour que le rural ne soit pas contraint à vivre héréditairement dans des conditions d' aménagement déficient, mais qu' il ait accès autant à la machine à laver, à la télévision, au terrain de sport, qu' à la salle de cinéma. Il ne convient pas qu' il joue le rôle d' un témoin anachronique, et dans cette optique « le paysan qui fauche un talus à la faucille ou porte du fumier dans une hotte est un personnage de film qui devrait être payé au tarif d' un acteur de cinéma ».

b ) Quant à la protection du patrimoine naturel ou biologique, nous aimerions analyser les impératifs vitaux et toutes leurs implications physiques et psychiques qui régissent notre insertion dans un système biologique équilibré et dynamique, et par extension notre survie.

Depuis son apparition sur la terre, l' homme puise dans le milieu naturel ses ressources vitales d' oxygène, d' eau et de nourriture, ainsi que ses ressources énergétiques. Mais l' évolution actuelle, caractérisée par l' expansion démographique, le progrès technologique, une consommation accrue de l' individu, entraîne une pression croissante sur la biosphère, mince pellicule de matière vivante qui entoure la planète. L' inévi corollaire de cette évolution est la pression également croissante des nuisances et agressions dont l' homme se rend responsable par ses pollutions généralisées de l' eau, de l' air et du sol, son exploitation irrationnelle des ressources végétales et animales, son emploi abusif des pesticides. De plus, l' homme omet de gérer les ressources dont il dépend, et s' abandonne plutôt à un pillage inconsidéré qui épuise le capital et diminue considérablement le rendement. Il convient donc d' exploiter rationnellement les ressources en vue de leur renouvellement, et de préserver un équilibre dans tous les systèmes producteurs: composition gazeuse de l' atmosphère, balance hydrique, capital végétal et animal.

Il faut naïvement s' étonner que personne ne semble sensible à la situation actuelle parado- xale: malgré une demande croissante atteignant rapidement un seuil limite irréversible, un gaspillage croissant s' accomplit.

D' autre part, Phomme doit entretenir des relations harmonieuses avec son environnement naturel, indispensables à son équilibre psychique et son épanouissement. Cette fonction psycho-sociale du milieu naturel revêt une importance croissante par le sens de l' évolution de la société, qui tend irréversiblement à l' urba et à l' industrialisation, et, corollaire-ment, à la concentration et à l' uniformisation. L' individu n' a pas conscience de ce besoin fondamental, mais il est aisé de s' en convaincre en observant la fuite hebdomadaire du citadin à la recherche effrénée d' évasion et de loisirs. Son décor quotidien constitué d' un espace limité, d' un temps uniforme, d' un cloisonnement inter-individuel, d' une impersonnalisation généralisée, déclenche le besoin d' horizons ouverts, de rythmes saisonniers, de contacts personnels, de paysages diversifiés.

Cette notion de zones naturelles à fonction psychologique et sociale ne correspond pas à un milieu sauvage et inaccessible, mais humanisé, accueillant, vivifiant, qui implique donc l' inté économique et culturelle d' un groupe humain indigène.

De manière homologue aux mesures concernant les ressources vitales, il faut organiser une exploitation et une consommation rationnelle de l' environnement naturel, sans en entamer le capital. Parallèlement, il faut rendre l' individu conscient de l' importante de ses propres gestes déprédateurs, même minimes, mais qui, multipliés par l' effectif d' une population entière, atteignent des dimensions catastrophiques. Chaque jour, l' homme disperse autour de lui des déchets toujours plus abondants produits par la société de consommation, dissémine n' importe où ses immondices, procède à des déforestations abusives entraînant l' érosion du sol, multiplie des cimetières d' autos, implante anarchique-ment et sauvagement des résidences secondaires.

Ainsi chacun contribue à la pollution et à la défiguration du précieux capital potentiel de santé représenté par l' environnement naturel.

Il est capital, devant l' accélération des processus de dégradation, qu' une prise de ,cons-cience se fasse aux différents niveaux de l' individu d' une part, des pouvoirs politiques et financiers d' autre part, même si les moyens à mettre en œuvre sont très coûteux, pour n' obtenir qu' un rendement faible à courte échéance. L' exploita de ce capital potentiel ne peut pas se mesurer en critère ordinaire de rentabilité, puisque notre propre survie est en jeu, et c' est à long terme qu' il faut prévoir et agir.

Un aménagement efficace du territoire doit procéder à l' organisation spatiale et temporelle de base, pour une exploitation rationnelle du milieu.

Si, pour des raisons historiques et pratiques, nous avons considéré séparément les patrimoi-nes culturel et naturel ou biologique, notre intention fondamentale est de proclamer que pour être valable et efficace, une protection doit être globale, c'est-à-dire qu' elle intègre le fait culturel dans son milieu naturel, à l' exception des réserves naturelles à usage strictement scientifique. La notion essentielle d' équilibre qui caractérise chaque système particulier ne résulte pas simplement de la somme des composantes culturelles et biologiques, mais est composé par les interactions et ajustements subtils entre les différentes données à tous les niveaux. En implication logique à cette exigence de totalité, une protection doit être dynamique, puisqu' elle concerne des faits vivants.

Il faut rejeter définitivement les solutions de musée où « l' objet » culturel, isolé et cristallisé abstraitement, ne participe plus à une pratique vécue, et celles d' espaces naturels strictement réserves aux seuls initiés ou alors hérissés d' écri affichant « interdiction de ».

Car il ne faut pas se méprendre sur la validité réelle d' une protection du patrimoine: c' est la société entière qui doit être bénéficiaire de toute action protectrice. Ainsi, chaque individu doit être assuré de pouvoir jouir du capital physique et psychique procuré par l' environnement, tant pour sa survie que pour son équilibre et son épanouissement harmonieux.

L' efficacité de toute action de protection dépend aujourd'hui de la compréhension et de la collaboration active d' une société, dont les individus à tous les niveaux sont intelligemment informés sur les problèmes de leur environnement et conscients de leurs responsabilités.

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