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Tourtemagne, un nouveau centre d'alpinisme hivernal

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Un nouveau centre d' alpinisme hivernal. Par Marcel Kurz.

Sur la longue route qui file droite entre les peupliers de la vallée du Rhône, Tourtemagne passe facilement inaperçu. Ce n' est qu' un modeste village. Les trains express brûlent dédaigneusement sa petite station et ses maisons blotties dans l' ombre n' ont rien d' attrayant. De la fenêtre du vagon, le voyageur devine l' ouverture d' une vallée étroite qui s' élève perpendiculairement au Rhône et s' enfonce dans les entrailles de la montagne. Rien n' attire le touriste vers ces gorges boisées. Mais en consultant votre carte, vous constatez que, plus haut, la vallée s' élargit, que les forêts s' éclaircissent et qu' un hôtel se dresse à Gruben, au seuil d' un vaste amphithéâtre de montagnes.

Plus haut encore, au fond de la vallée et dominant son glacier, une jolie cabane vient d' être édifiée par la section Prévôtoise du C.A.S. Elle semble destinée à devenir un centre important d' alpinisme hivernal. Village, vallée, glacier, cabane portent le même nom: Tourtemagne. Il m' a paru suffire comme titre à ces lignes, destinées à faire mieux connaître aux skieurs ce nouveau domaine.

Bien avant la construction du refuge, quelques rares skieurs avaient remonté cette vallée, tentés par le grand glacier qui en occupe le fond et que couronnent les cimes neigeuses. En avril 1913, Guido Miescher et Jean Munck, membres de l' A, ouvraient la ligne d' approche la plus simple, celle qui part du village, suit le talweg et aboutit au sommet du Brunnegghorn, ligne presque rectiligne, mais combien longue, coupée par un bivouac inconfortable à l' alpe de Senntum 1 ).

En mars 1917, je voulus suivre leurs traces, mais fus arrêté par la tempête sur le glacier. En 1921, deux autres collègues de l' A explorèrent rapidement la région en vue du Walliserskifiihrer. D' après les notes manuscrites du regretté Boissevain, ils ouvrirent une voie nouvelle au Bieshorn directement par la côte rocheuse aboutissant au sud-est du P. 3596, voie qui deviendra probablement la route habituelle d' été, au départ de la cabane de Tourtemagne. Ils couchèrent, eux aussi, dans une alpe inconfortable et c' est sans doute ce qui explique la brièveté de leur visite.

En mai 1920, Arnold Lunn et Joseph Knubel, venant de la cabane du Weisshorn par le Biesjoch, gravirent le Brunnegghorn et arrivèrent le même soir à Tourtemagne, après une longue randonnée de plus de quinze heures. Quand on parle de Lunn, inutile de dire qu' il était en ski2 ).

Je n' ai pas connaissance d' autres explorations hivernales dans ce massif. Celle des guides Knubel et Biner, mentionnée par moi dans le Ski ( vol. XVII, p. 64 ) reposait sur des informations fantaisistes. Cette mention doit donc être supprimée. En septembre 1928 enfin, la section Prévôtoise inaugurait son « palace », au lieu dit In den Wannen, sur la rive droite du glacier de Tourtemagne. Le moment était venu d' en profiter et de pousser plus à fond l' ex de ces montagnes, dont seuls les deux principaux sommets avaient été visités en hiver 1 ).

Depuis notre séjour à Britannia, en mars 1915 2 ), notre trio habituel ( Chouchou-Mitten-Matthieu ) n' avait pas réussi à se remettre en campagne au complet. Cette année enfin, deux circonstances favorisèrent nos plans: l' hiver exceptionnel et l' existence de cette nouvelle cabane dans un massif encore peu connu et fort tentant.

Pour ceux qui n' habitent pas la vallée du Rhône valaisan, il n' est guère possible de gagner le refuge en un jour, et comme les trains directs ne s' arrêtent pas à la gare de Tourtemagne, cette station ne leur sert pas à grand' chose. On pourrait évidemment descendre du train à Louèche ou à Viège et, de là, gagner Tourtemagne en auto. Mais le talweg nous semblait une voie trop banale et trop longue, et pour bien des raisons cet itinéraire ne nous tentait pas: nous avons toujours préféré les chemins inédits et les innovations.

Chouchou avait conçu le plus simple des projets: on irait coucher chez Théophile Theytaz à Ayer et le lendemain, accompagnés de porteurs, on franchirait la Forcletta. Mais Matthieu souleva quantité d' objections. Il avait pris des informations qui donnaient à réfléchir: la Forcletta ne valait rien pour le ski: elle ramenait beaucoup trop bas dans la vallée; voulait-on spéculer plus au sud par le Fruitäli, les pentes inférieures devenaient dangereuses aux heures où l'on devait y parvenir. Il était donc infiniment préférable de partir de St-Nicolas et de passer par Jungen et le Pipigletscher, dont le terrain se prête beaucoup mieux au ski. Théophile fut donc informé, sans autre forme de procès, que le trio abandonnait son premier projet. Furieux, il se retira dans ses vignes, tandis que Knubel recevait l' avis de notre prochaine arrivée.

Qui donc avait prétendu qu' il n' y avait plus d' hivers? qu' on ne voyait plus ces vraies séries de beau temps d' avant? Mars 1929 devait prouver le contraire. Dès son début il fut triomphal: ciel bleu, d' un bleu profond, à peine voilé de temps à autre par quelques traînées de léger fœhn; neiges poudreuses à l' ombre, rutilantes et douces au soleil; forêts sombres tranchant en taches crues sur la neige et l' azur; soleil généreux, presque trop chaud, alternant avec des nuits tempérées — bref, un temps radieux et qui semblait devoir durer éternellement. Dès l' aube, les merles se répondaient éperduement dans les bois, glorifiant la radieuse beauté du jour; et cela chantait, chantait jusqu' au soir...

Je rejoignis mes deux amis à Aigle, le vendredi 15 mars au matin. Ils arrivaient par l' express, en citadins pâles et mal entraînés. Quant à moi, j' étais basané par trois mois de séjour dans les neiges et me sentais en excellente forme. Je conviens de mes privilèges. C' était le septième hiver que je passais en montagne, et certes pas le moindre. Ce qui me semblait pénible pour l' instant, c' était ce brusque plongeon dans la plaine: revoir ces macaques en bois de rose, fumant leurs cigarettes insipides et répétant à heure fixe tous les petits gestes de leur petite vie... Pouvaient-ils lire dans mes yeux? J' en ai peur...

... Viège. Nous avons le temps de dîner tranquillement et de compléter nos provisions. Cet hiver, pour la première fois, le chemin de fer de Zermatt est ouvert pour la saison et un train circule encore tout ce mois-ci jusqu' à St-Nicolas où nous arrivons à 15 h. 15. Le légendaire joueur de zither n' est pas là pour égayer nos oreilles, mais un Knubel souriant nous accueille à bras ouverts. Trois Allemands bronzés reviennent du Mont Rose et nous remplacent aussitôt dans le train qui redescend. Voici nos porteurs: le fameux guide Franz Biner, intime ami de Knubel, et deux jeunes Lochmatter, neveux du grand Franz, l' Himalayen.

Pour raccourcir la journée de demain, nous allons coucher ce soir à Jungen ( 1948 m .), ces chalets bruns perchés tout là-haut, sur un contrefort gazonné. Grâce à l' exposition favorable et à la sécheresse extraordinaire de cette région, le chemin muletier qui y conduit est complètement débarrassé de neige. Chemin muletier, dites-vous? Ceci supposerait des mulets dans le voisinage. Or, il n' y en a pas! St-Nicolas n' en possède pas un seul l' hiver. Nous voici donc obligés de transporter nos skis et nos sacs, le sentier étant trop scabreux pour les chevaux.

Les professionnels partent en avant et nous les suivons tranquillement, dans l' ombre fraîche qui s' épanche sur tout ce versant de la montagne. C' est une forte montée et un rude entraînement pour ceux de la ville. Au crépuscule, nous débouchons brusquement sur la petite chapelle de Jungen, seule tache blanche dans ce paysage de feutre brun.

Où sont nos hommes? Jungen n' est pas grand: une vingtaine de chalets tout au plus, quelques-uns habités momentanément, grâce au beau temps qui dure ici depuis plusieurs semaines déjà. Dans une ruelle sombre, je reconnais Heinrich Fuchs, 1e guide habituel du Dr Williamson. Mais où donc est Knubel? Il n' en sait rien! Il ne l' a pas vu! Dans ce crépuscule et dans mon imagination, Jungen prend tout à coup des proportions fantastiques...

« Dembruf! dembruf!»1 ) nous crie un nouveau-venu dans son curieux patois, montrant du doigt la fenêtre éclairée d' un chalet neuf.

C' est bien ça. Il y a là une jolie cuisine, un feu pétillant, une chambre à coucher avec trois lits. Une demi-heure plus tard, nous sommes attablés devant un onctueux potage ox-tail ( spécialité de Knubel ), des bols de lait et un immense pot de crème. Car Jungen a ses vaches, même en hiver, et c' est là une fameuse aubaine pour les rares visiteurs qui passent ici.

Le samedi 16 mars, à 6 h. 30, nous quittons Jungen. Dans 1e ciel immaculé, les dernières étoiles s' éteignent doucement, tandis que, dressées au delà de l' obscure vallée, les pointes des Mischabel s' illuminent une à une sous les rayons du soleil levant.

Comme Knubel l' avait prévu, on peut suivre à pied le sentier d' été assez loin. S' il n' est pas complètement dégagé, il est partout visible et, sur ces pentes orientées en plein sud, la neige, qui fond le jour, a pris, grâce au froid de la nuit, une dureté de pierre. Les skis sur le dos, et les crampons aux pieds, nous montons allégrement en une heure aux chalets de Jungtal ( 2385 m. ).

Douze ans auparavant, après avoir franchi le Jungpass par la neige fraîche, Knubel et moi avions pu descendre en ski de ce côté jusqu' aux premiers mélèzes ( 1900 m .), mais la volupté de cette glissade ne m' avait pas dissimulé le danger des avalanches sur les pentes inférieures. Aujourd'hui, les conditions sont parfaites pour la traversée en sens contraire et j' apprécie à sa juste valeur l' avantage de pouvoir monter ainsi, à pied, directement, jusqu' à près de 2400 m.

Mes deux amis sont moins enthousiastes: encore mal entraînés, ils pestent contre ces planches qu' ils préféreraient avoir aux pieds plutôt que sur l' épaule. Aussi est-ce avec un soupir de soulagement qu' ils les jettent au seuil du premier chalet. Ici seulement, la vallée s' élargit et le terrain devient favorable.

Tandis que nous suivons la combe évasée, les quatre professionnels de la caravane préfèrent continuer à pied sur les pentes en partie dénudées de la rive gauche. Après une montée facile, sinon agréable, sur une neige « tôlée », nous les rejoignons au point 2733. Ici nos itinéraires vont diverger et nous marquons la bifurcation par un joyeux casse-croûte.

Les porteurs, lourdement chargés, vont franchir le Jungpass ( 2994 m .), passage le plus facile, le plus direct et le moins élevé pour gagner la Brändjialp, le Hohlenstein et gagner la cabane de Tourtemagne par le chemin habituel. Knubel aimerait bien les suivre, mais nous l' attachons à notre brigade volante et plus ambitieuse.

Sur la carte du Walliserskifürer II, j' ai tracé une route n° 57 qui n' a probablement jamais été suivie. Je comptais précisément l' utiliser pour monter au Wasenhorn ( 3340 m .) et franchir ensuite la chaîne faîtière au nord des Stellihörner.

De l' oasis feutrée où nous sommes paresseusement couchés, cette route est bien visible et nous constatons que le dessin de la carte laisse fort à désirer: le glacier de Jungen forme une petite chute de séracs qui va buter contre les rochers du Brändjihorn ( 3288 m. ). Entre ces rochers et les séracs s' insinue un couloir neigeux qui constitue le seul passage convenable pour gagner les névés supérieurs.

Avant de se mettre en route, Knubel tente encore une spéculation: il voudrait éviter ce couloir et passer, plus à droite, le Jungtaljoch ( 3220 m .) où l'on parvient par une forte pente de neige, probablement sans enlever ses skis. Je reconnais volontiers tous les avantages de ce col qui, de l' autre côté, débouche de plain-pied sur le Brandjigletscher, mais c' est précisément l' inconnu qui m' attire et je le rappelle une fois de plus à notre guide.

Une heure après avoir quitté les porteurs, nous arrivons au pied du couloir, à l' endroit où la pente se redresse et s' étrangle. Deux ou trois zigzags, puis il faut s' élever directement à pied dans la neige profonde. Le passage est heureusement très court. Quelques rochers faciles et l'on peut rechausser les planches sur les névés supérieurs du petit glacier.

A droite, pointent les flèches dorées de l' Aeusser Stellihorn ( 3404 m .), à gauche, la croupe plus modeste du Wasenhorn; entre eux deux et droit devant nous, s' ouvre la large selle du Wasenjoch supérieur ( 3260 m. environ ) où nous arrivons avant midi. De là, en un quart d' heure, nous montons au sommet du Wasenhorn ( 3340 m. ).

Dans le Walliserskiführer je suggère l' ascension du Stellihorn ( 3404 m. ). D' après la carte, c' est bien l' ascension la plus tentante, et c' est là qu' aboutit ma route n° 57. Mais la feuille St-Nicolas ( 500 ) est inexacte en bien des points. Comme j' ai pu le constater plus d' une fois, le Stellihorn nécessite une escalade assez difficile de presque tous les côtés. Le Wasenhorn, au contraire, est un belvédère très facilement accessible, même sans crampons. Son sommet offre des dalles confortables et la vue est fort intéressante, tout spécialement dans le cirque de la cabane Topali. Il peut donc être recommandé à tous les skieurs qui passeront dans ces parages.

Le chaînon du Wasenhorn va se souder au faîte principal au nord du Stellihorn. Au point de soudure, se dresse une tête rocheuse d' une altitude de 3300 m. environ. Entre cette tête et le Brändjihorn ( 3288 m .) s' ouvre une selle neigeuse où nous parvenons facilement en ski en un quart d' heure depuis le Wasenjoch.

L' autre versant éveillait tout spécialement ma curiosité. Une courte pente de neige conduit au Brandjigletscher. Là, nous constatons une nouvelle erreur dans la carte. D' après celle-ci, en traversant le glacier au sud-ouest et en nous avançant sur l' arête occidentale du Stellihorn ( 3404 m .), nous aurions dû dominer le glacier de Pipi. Nous comptions même y descendre à pied directement par une pente d' éboulis. Or, nous dominons la combe du Hohlenstein, ouverte entre notre crête et celle de la Lange Egge. Ces deux arêtes bifurquent donc beaucoup plus haut que ne l' indique la carte, à 300 m. à peine du Stellihorn, au pied même du mur crénelé qui forme son arête ouest et nous domine de ses roches fauves. Par contre, à un kilomètre au nord-ouest de cette bifurcation, bien au-dessous de nous, nous découvrons une selle neigeuse ( 3020 m. environ ) largement ouverte et qui permet un passage facile entre le Brandjigletscher et le glacier-névé de Hohlenstein.

En quelques minutes, nos skis nous déposent dans cette selle, puis une forte pente, orientée en plein sud, nous déverse dans la combe du Hohlen-stein. Ici, il fait brusquement très chaud, aussi cherchons-nous à nous sortir de cette étuve le plus vite possible. A contre-jour, sur la rive opposée du gla-cier-névé, s' étend la crête noire de la Lange Egge. Par une marche de flanc, nous pourrions gagner très facilement sa plus basse dépression, mais, sachant que l' autre versant est rocheux, nous préférons fixer les peaux de phoque et monter droit au sud pour franchir la véritable Pipilücke ( 2970 m. environ ).

Cette fois, nous dominons en plein le glacier de Pipi: il étale à nos pieds ses molles ondulations et semble promettre une belle glissade. La cabane n' est pas encore visible, mais il n' y a plus qu' à se laisser descendre. Après une courte rutschée, nous chaussons nos skis sur le glacier ( vous savez maintenant comment il s' appelleet nous cinglons en direction du sud-est vers le mur sombre de la Barrwand. C' est bien là, dans l' ombre de cette paroi, que l'on trouve, avec la meilleure neige, le terrain le plus favorable. Il faut la suivre très près de sa base. Au dernier moment seulement, on aperçoit la cabane et la glissade se termine devant la porte. Il est 16 h. 30. Les porteurs sont arrivés depuis dix minutes à peine.

Mais nous ne serons pas seuls ici! Les tables sont couvertes de provisions et un billet, déposé bien en évidence, nous apprend que les occupants actuels sont partis ce matin à 6 h. 30 pour le Bieshorn. Nous avions bien aperçu une trace de ski montant au Col de Tracuit, mais nous pensions qu' elle conduisait à Zinal. En y regardant de plus près, nous constatons maintenant qu' elle est parafée de slaloms et bientôt deux skieurs apparaissent sur le glacier de Brunnegg. Leurs noms ne sont pas encore inscrits dans le livre de la cabane et je suis étonné de voir que nous sommes, avec eux, les premiers skieurs à utiliser ce refuge. La dernière inscription est celle du gardien et date du 5 décembre 1928. Ceci semble prouver que ma petite réclame n' est pas superflue...

Vers 17 h., le soleil se couche derrière les Diablons. Peu après arrivent les deux premiers skieurs, suivis bientôt des deux seconds. Ce sont trois clubistes de la Suisse allemande accompagnés du guide Max Clivaz, de Vissoie. Ils reviennent du Bieshorn et confirment ce que nous supposions déjà, c' est que l' état de la montagne est excellent et que tous les sommets sont accessibles.

Pour réussir en montagne, il faut rester souple et savoir se plier aux circonstances du moment. Instruits par l' expérience et fidèles à cette maxime, nous sommes arrivés ici sans rien arrêter dans le détail. Knubel lui-même ne sait pas encore ce que nous comptons faire. Mitten se rallie volontiers à la majorité des voix. Chouchou, par contre, est de nature plus belliqueuse. Il avait certainement quelque projet dans son sac. Mais il paraissait calmé par une grippe récente — tout heureux s' il pouvait nous suivre... Quant à moi, ce qui m' intéressait le plus après la reconnaissance des voies d' accès à cette cabane, c' était la montée au Col de Tracuit par les glaciers de Brunnegg et de Tourtemagne. La piste était du reste tracée, mais au lieu de la suivre vers le Bieshorn, que je connaissais déjà, je proposai de tourner à droite et de nous attaquer aux Diablons ( 3605 m. ). Cette proposition fut acceptée sans plus de discussion.

Et voilà comment, le dimanche 17 mars, tandis que nos collègues suisses allemands font grasse matinée en se reposant sur des lauriers bien mérités, nous quittons la cabane à 6 h. 30 et suivons une piste seize fois battue 1 ).

Il existe deux itinéraires principaux pour gagner le glacier de Brunnegg2 ): l' un descend obliquement au sud et remonte en zigzags la chute des séracs lorsqu' elle est suffisamment enneigée; l' autre suit la moraine latérale jusqu' au pied de la Barrwand et franchit cette paroi par un couloir surnommé « Barrloch » qui débouche au P. 2641.

Ces deux itinéraires sont tracés sur la carte du Walliserskiführer et tous deux avaient été parcourus par la caravane Clivaz. Nous choisissons le plus direct. Durant le premier quart d' heure, on prend en écharpe, presque horizontalement, une très forte pente qui descend directement de la Barr-wand au glacier et doit être dangereuse par la neige fraîche.

On arrive alors au cône de déjections du Barrloch et l'on y monte directement à pied. Les traces de nos prédécesseurs sont fortement gelées et nous escaladons le cône, puis le couloir, aussi facilement qu' un escalier de marbre. Le P. 2641 de la carte marque une tête de roches moutonnées qui se dresse immédiatement au sud du Barrloch. A l' abri de ce monticule, nous chaussons nos skis, quarante minutes après avoir quitté la cabane.

De là, une courte traversée conduit dans l' immense combe limitée au nord par la grosse moraine latérale du glacier de Brunnegg. Actuellement et par suite du courant d' air qui s' y engouffre à certaines heures, la neige dans cette combe est complètement « tôlée ». Aussi, les skis y laissent-ils à peine quelques éraflures et les bâtons ferrés quelques trous. C' est ici la voie classique pour le Brunneggjoch, 1e Schöllijoch, etc. Nous la quittons bientôt pour obliquer à droite et suivre la route 53 de mon guide, la plus pratique, au dire de la caravane Clivaz.

Dès que l'on sort du « chenal tôlé », la neige devient poudreuse. Après avoir contourné d' énormes crevasses et quelques séracs, nous débouchons sur la vaste coupole qui coiffe le gros rognon rocheux séparant le glacier de Brunnegg de celui de Tourtemagne. On trouve là quelques éboulis où se dresse un signal trigonométrique et l'on jouit d' une vue grandiose sur la chute supérieure du glacier de Tourtemagne, vrai Niagara figé dans le silence matinal et qu' éclairent à revers les rayons obliques du soleil. Une courte descente d' une centaine de mètres à peine nous dépose au pied de cette chute de séracs.

C' est ici l' un des plus beaux paysages glaciaires que l'on puisse voir. Il faut dire qu' aujourd le ciel est d' un bleu profond et que rien, semble-t-il, ne pourrait troubler la félicité du jour.

La piste d' hier, encore intacte, se faufile entre les séracs et s' élève obliquement vers les Diablons; puis elle devient sinueuse et disparaît au sud dans la direction du Col de Tracuit.

Peu à peu la pente diminue; une immense baie s' ouvre devant nous, lumineuse, fulgurante, limitée à contre-jour par les sombres récifs qui prolongent les Diablons au sud.

Mitten, toujours plein d' attentions délicates, jalonne la piste de petits dépôts: tous les 200 à 300 mètres, nous trouvons sur la neige, à portée de la main, deux jolis drops roses, verts ou jaunes, un pour Chouchou, un pour moi, et nous les suçons sans nous faire prier.

Après trois ou quatre drops, les lucarnes du Col de Tracuit s' ouvrent devant nous et je revois d' un coup d' œil tout ce que j' ai admiré il y a quinze ans avec Théophile Theytaz.

Je ne connais rien de plus beau que cette Grande Couronne de Zinal dans la pure clarté d' une journée d' hiver, lorsque la neige amortit les angles, atténue les creux, moule les épaules rocheuses et flambe doucement à contre-jour sur les crêtes.

A revoir ces lointains éthérés, j' évoque l' image de Théophile, déroulant sa corde pour affronter les gouffres du Bieshorn. Aujourd'hui, Mitten 1e remplace, les jambes ballantes dans le vide de la Combasana.

Jusqu' à 11 heures, nous flânons au soleil, étirant nos membres sur les dalles comme de longs lézards paresseux. Knubel s' impatiente et je m' amuse à le faire attendre. Malgré le temps radieux, il trouve moyen de s' inquiéter, et suggère une visite au Bieshorn, plutôt que d' affronter ces rochers diaboliques.

Que se passe-t-il dans l' âme de cet as? Est-ce bien là le vainqueur du Grépon par la face? Il prétend qu' il nous faudra quatre à cinq heures pour monter au sommet des Diablons et en redescendre. Et puis après? N' avons pas toute la journée? Il est vrai que, vus d' ici, les rochers des Diablons paraissent assez escarpés. C' est précisément pourquoi je préconisais la route 412 de mon guide d' été, qui suit une voie complètement neigeuse. Mais Knubel craint cette neige, peut-être profonde, et, comme c' est lui qui devrait ouvrir la trace à pied, je comprends et j' admets ses objections. Du reste, nous sommes au point d' origine de l' arête, à cheval sur ses premiers rochers. Il n' y a plus à hésiter. Départ!

Trois quarts d' heure plus tard, au grand étonnement de notre guide, nous trônons au sommet du Diablon des Dames ( 3540 m. ). Il n' y a pas la moindre Miss dans le voisinage et nous n' avons pas perdu notre temps à flirter: évi-'tant soigneusement la crête rébarbative du faîte, nous sommes venus nous chauffer dans le versant sud, où l'on grimpe sans la moindre difficulté, sous les doux rayons du soleil.

Chacun s' accorde à déclarer ce Diablon adorable et bien plus amusant que le calvaire monotone du Bieshorn. Ici, comme ailleurs dans les Alpes, il convient de choisir des buts de courses appropriés aux conditions du mo- ment. Par la neige fraîche, nous serions montés au Bieshorn sans hésitation, mais, alors que le soleil brille depuis quinze jours dans un ciel sans nuages, nous préférons combiner une marche d' approche en ski avec un peu de varappe pour finir — s' il est permis d' appeler varappe cette promenade aux Diablons.

Une plaisante arête conduit au point culminant ( 3605 m. ). Entre deux abîmes d' ombre et de lumière, on trouve tout ce qu' il faut pour charmer les regards et exciter l' enthousiasme du montagnard: une coupole blanche suspendue dans le vide, une gracieuse suite de corniches, des tours de rocher facile, où les crampons tintent joyeusement sur le gneiss.

Après une dernière dalle, nous voici réunis au sommet, dans la Stimmung des grands jours; nos yodels éclatent sauvages dans l' air bleu; on voudrait tout embrasser d' un même regard: tout là-bas, la plaine lactée de la Barme, tout là-haut, le pic doré du Weisshorn... Oui, c' est encore plus beau que je ne me l' étais imaginé... En hiver, ces petits sommets sont plus attrayants que les hautes cimes et comme les Quatre Mille valaisans sont maintenant tous conquis, il nous reste le plaisir de cueillir leurs modestes satellites.

Mais de grâce, que l'on veuille bien respecter l' idéal qui nous pousse en montagne l' hiver, que l'on veuille bien non plus ne pas dénaturer les principes d' un alpinisme digne de ce nom. Je pensais avoir fixé cet idéal et ces principes dans une formule — l' alpinisme hivernal — qui définit exactement ma conception de ces choses. Elle est désormais adoptée officiellement par les clubs alpins suisse, français, italien et même traduite en allemand. Dans la deuxième édition de mon Alpinisme hivernal, j' ai été obligé de protester contre son emploi abusif et contre les déraisonnables applications qu' en font quelques jouvenceaux en gravissant l' hiver, dans des conditions abominables, et en dépit de tous les principes, les aiguilles les plus rebelles de la chaîne du Mont Blanc. Ces jeunes ambitieux semblent s' imaginer que l' alpinisme hivernal n' est qu' une course au clocher; qu' il se réduit à couvrir des listes records de nouvelles ascensions; que tous les pics, jusqu' aux moindres aiguilles ( pourvu qu' elles soient cotées et aient un nom ) doivent être gravis l' hiver, quel qu' en soit le terrain d' accès. Ce faisant, non seulement ils foulent aux pieds notre idéal, mais ils ridiculisent celui des purs varappeurs.

La traversée des Charmoz, du Grépon ou celle des Drus par une lumineuse journée de septembre, lorsqu' on est seul dans des rochers bien chauds et parfaitement secs, procure une des jouissances les plus pures qui nous soient réservées. De même la traversée, disons de la Parsennfurka par une neige poudreuse, ou celle de 1' Oberland bernois sur une neige printanière, peut porter à son comble la félicité du skieur alpin.

Mais que chacun reste dans son domaine et qu' on ne vienne pas nous parler des joies d' un montagnard fourvoyé dans des séracs et escaladant le Grépon dans un demi-mètre de neige fraîche, sur des rochers où la peau des mains reste collée par le froid. C' est là de la sotte acrobatie, de l' ostentation malsaine et dangereuse, qui déshonore l' alpinisme. Et c' est d' un criminel exemple.

Deux écrivains modernes ont synthétisé à la perfection les caractères si différents des alpinismes d' été et d' hiver: G. W. Young qui, avec Mummery, reste le plus pur chantre de la grande escalade, et Henry Hoek, dont le style reflète la grâce et la douce mélancolie des neiges hivernales. Nos jeunes moder-nistes feraient bien de les lire et de les méditer — et cesser de confondre nos montagnes avec des mâts de cocagne. Ils ne décriraient pas non plus comme relevant de l' alpinisme hivernal des méthodes de prétendu « télémark automatique » ou des sorties d' ingénieurs allant en ski dégager des vannes de conduite hydroélectrique...

Qu' on me pardonne cette digression, mais je suis exaspéré de voir l' usage que l'on fait ces derniers temps d' une formule conçue dans le plus pur esprit montagnard.

Trêve de discussions. Nous sommes sur le sommet depuis une heure; l' as professionnel en a assez. Il sonne la retraite.

Notre retour au Col de Tracuit fut encore beaucoup plus beau que la montée: nous avions maintenant toute la « Grande Couronne » devant nous et, comme l' arête est facile et ne retient pas toute notre attention, nous cheminons insouciants en caressant du regard les crêtes veloutées et les neiges chatoyantes. Déjà le soleil baisse à l' horizon et les ombres s' allongent étrangement. C' est le plus beau moment de la journée.

Encore une bonne sieste sur les dalles surchauffées du Col de Tracuit. Cette fois, nous sommes dans l' intimité. Knubel, toujours pressé, est parti en avant avec la corde... prétendant que nous arriverons à la cabane bien avant lui 1 ).

Le moment est venu de reprendre nos skis. Blasé par trois mois de neige poudreuse, je conserve mes peaux de phoque pour descendre le plus directement possible la chute supérieure du glacier que mes deux compagnons parcourent en slalom impeccable. Puis la trace bifurque. Knubel a disparu... espérons que ce n' est pas dans une crevasse, avec sa corde. Il a certainement pris à gauche le chemin le plus court, suivant notre piste du matin. Nous préférons essayer celle de droite, tracée hier par la caravane Clivaz et qui va rejoindre le glacier de Brunnegg beaucoup plus haut, en évitant le passage un peu scabreux des séracs. Pendant plus d' une demi-heure, on monte au sud-est, dans la direction du Brunnegghorn, puis on file à toute allure vers le Kanzelti ( 3056 m .) où l'on rejoint la route classique.

A 17 h. 30, après avoir dégringolé précipitamment l' échelle du Barrloch, nous arrivons à la cabane et sommes heureux d' y trouver notre guide et sa corde.

Demain, lundi, il y aura grand départ. Encouragée par notre expérience et reposée par la sieste dominicale, l' équipe suisse-allemande va passer à St-Nicolas par le Wasenhorn. Comme, d' autre part, la fête patronymique de Knubel tombe mardi 19 et qu' il désire fêter dignement la St-Joseph, nous l' abandonnons à Clivaz pour le retour, en lui recommandant d' être bien sage.

Voici donc notre trio réduit à la pure et simple trinité qu' il avait rêvée. Est-ce à dire que nous n' ayons pas apprécié la compagnie de nos collègues? Bien au contraire. Je me suis réjouis tout d' abord de constater que nous n' étions plus tout à fait seuls à hanter en hiver les derniers recoins du Valais; ensuite, la coïncidence de nos visites a valu au trio deux excellentes pistes et la fameuse échelle du Barrloch; enfin, c' est toujours un plaisir de rencontrer dans nos cabanes de vrais montagnards. Et quelle joie pour moi d' apprendre que deux d' entre eux venaient de Moiry, et qu' ils avaient réussi la troisième ascension hivernale du Grand Cornier!

Le 18 mars, il est passé 7 heures lorsque nous prenons congé de nos aimables collègues pour suivre la piste désormais familière. Le ciel est toujours le même, le temps immuable; c' est la « grande série », ce que mes amis se plaisent à appeler « la veine à Matthieu », comme si j' en pouvais quelque chose: le montagnard n' a pas le temps qu' il mérite...?

Ces conditions parfaites autorisent toutes les audaces et l' ascension des pics les plus difficiles, aussi sommes-nous presque honteux de diriger nos pas vers les éboulis du Barrhorn ( 3621 m .), la promenade la plus courte et la plus facile qui se puisse faire dans les environs de la cabane. Elle en vaut la peine pourtant et, par cette sereine journée, nous en escomptons une grande félicité.

Au pied du Kanzelti, nous quittons la longue avenue du glacier de Brunnegg et entrons dans la combe latérale qui mène au Schöllijoch, ce col ouvert à 3350 m. entre les Schöllihörner et les Barrhörner. Dans 1a combe abritée du vent, la neige est encore excellente et l'on peut facilement monter en ski jusqu' au pied même du col. Déposant nos planches dans une niche, à l' abri d' une des colonnes dorées, dressées là comme à l' entrée d' un temple, nous chaussons nos crampons et sortons par la gauche, sur une neige durcie à souhait. Plus haut, d' agréables éboulis, scellés par le gel conduisent en pentes douces au Joch. On ne fait que le toucher, avant de mettre le cap sur le cône sombre de l' Aeusser Barrhorn.

Vus du sud-ouest, en n' importe quelle saison, ces Barrhörner apparaissent comme de monotones collines de lave sombre. Tout ce versant occidental est du reste appelé In der Barr sur la carte, nom qui implique bien une idée de nudité, due à la furie des vents dans cette région très exposée. Laissant à main droite le sommet inférieur ( Inner-Barrhorn, 3587 m .), nous prenons la pente en écharpe pour aboutir au pied du cône terminal. Ce cône est formé d' éboulis si menus qu' il ressemble à un immense tas de houille. Celle-ci s' écroule au moindre contact; aussi l' évitons pour utiliser les plaques de neige encore dure et gagner la large croupe occidentale, qui s' enfonce plus bas dans le glacier de Pipi. J' ai hâte d' y arriver pour voir si l' équipe du Wasenhorn est encore en vue. Nous cherchons d' abord sur le versant de Tourtemagne: la trace est visible, mais aucun être vivant ne s' y meut. Passant sur celui de St-Nicolas, nous explorons les névés du Wasenjoch et là, en effet, entre les roches claires des Stellihörner et 1e gneiss sombre du Wasenhorn, nous apercevons quatre points noirs glissant sur la neige. Une minute plus tard, ils disparaissent définitivement à nos yeux. Comme nous l' apprîmes par la suite, Knubel avait traversé le Jungtaljoch directement, sans faire ce détour.

Quelques pas encore et nous voici au sommet. Il est à peine midi. Un gouffre se creuse à nos pieds et s' étale, 500 m. plus bas, sur le tapis blanc du Stelligletscher. Quel merveilleux abîme! C' est bien là le lieu rêvé pour un suicide sans douleur: un pas de plus et quelques secondes plus tard, dans une anesthésie délicieuse, asphyxiés par la chute libre et vertigineuse, nos corps iraient s' écraser dans le couloir, en attendant de devenir la proie des aigles. Mais rassurez-vous, chers lecteurs, cette idée de suicide ne nous hante guère aujourd'hui, trop heureux que nous sommes de vivre dans la grande lumière, au milieu des montagnes qui sont toutes à nous.

Pendant plus de deux heures, nous restons couchés dans la « houille » sombre et chaude, mangeant, fumant, devisant tranquillement. Pas un nuage au ciel, pas un souffle dans l' air. C' est à peine si la flamme de nos allumettes tremble doucement dans l' air bleu. Mitten nous rappelle que c' est aujourd'hui le quatorzième anniversaire de notre course au Lyskamm et que les conditions étaient en tous points semblables. Une douce chaleur pénètre nos corps et nous caresse agréablement. Et pourtant, en rentrant au logis, je devais lire dans un journal qu' à cette même heure, un touriste et deux guides se trouvaient au sommet du Cervin et que, prétend la chronique, « il y faisait un froid de Sibérie ». Ah non! à d' autres! Si c' est ainsi que les guides de Zermatt ( ou le journaliste ?) comprennent la réclame, je ne m' étonne plus qu' il faille attendre dix ans entre deux ascensions hivernales au Cervin 1 )!

Franchement, avons-nous jamais eu froid un instant durant cette radieuse série de beaux jours? Non. Seul Mitten, très frileux de nature, s' est plaint quelquefois d' un « petit air » qui soufflait — mais quand on lui demandait d' où, il n' arrivait pas à le dire! Par contre, il a fait très chaud à plusieurs endroits, trop chaud même, comme cela arrive en montagne, dans les fonds exposés en plein soleil, où l' air ne circule pas. Mais que sont ces rares coups de chalumeau dans la constance immuable des journées vécues là-haut? Tout cela est du reste archi-connu et parfaitement normal. Il serait oiseux d' in davantage. J' avoue pourtant que cette série calme et limpide est une des plus belles que j' ai vues en montagne. En mars, une stabilité si longue est plutôt rare. La nuit, le thermomètre descendait à peine à 7—8° au-dessous de zéro et, le matin de bonne heure, si l'on constatait les effets du gel, on les sentait à peine. Dans l' atmosphère régnait un équilibre parfait entre deux régimes opposés: celui du fœhn léger et celui d' une faible bise qui, pendant quelques jours, avaient dominé alternativement mais finissaient par se confondre dans un calme apaisé.

Cet après-midi, nous tenons à rentrer un peu tôt à la cabane, pour sécher nos effets au soleil et jouir de l' hospitalité de cette charmante demeure. En trente-cinq minutes nous rejoignons nos skis au pied de la colonne et plus de vingt minutes durant, nous pouvons nous bercer au rythme de nos serpentines, sur une neige à peu près parfaite. Car cette fois-ci, nous avons soin d' éviter le « chenal tôlé » et nous glissons sur le large dos du glacier.

Au Barrloch, nous fichons nos skis profondément dans la neige et leur disons au revoir jusqu' à demain. C' est une audace qu' autorise le beau fixe et qui nous évitera un double transport inutile. Même dans la trace horizontale qui ramène au refuge, par le travers d' une pente surchauffée tout l' après, la neige est assez compacte pour ne pas céder sous le poids du piéton.

A 15 heures trois quarts, nous réintégrons nos pénates. Il nous reste juste une heure pour « nous les rouler au soleil », comme dit Maillard. Ses rayons sont si chauds et l' air si transparent que tout est sec au moment où l' ombre des Diablons atteint le seuil.

Portes et fenêtres sont ouvertes depuis ce matin et lorsque nous les refermons, la température du refuge est si agréable que, sans la soupe à faire, nous n' eussions pas allumé le poêle.

Coquette et confortable, sans luxe superflu, mais pratique dans les moindres détails, cette jolie cabane devient ce soir le home intime du vieux trio. Il reste un fond de pétrole dans la lampe qui répand bientôt sur la table une discrète lumière. Rien ne manque ici, pas même le cognac et l' eau de Cologne dans la pharmacie! Vivent les Prévôtois de Moutier à Tramelan! Ils ont bien fait les choses 1 ).

Lorsque nous allons nous coucher, Vénus, dans toute sa splendeur, brille sur le croissant argenté du Col des Arpettes et contribue, avec un premier quartier de lune, à éclairer doucement l' arène paisible des montagnes.a suivre. )

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