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Traversée du Weisshorn

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Arête nord et arête Youngpar Jean et Louis Ruedin Avec 1 illustration ( 81Sierre ) La montée à la cabane Tracuit au-dessus de Zinal ( 3270 m .), la veille du 1er août, fut déjà mouvementée. Une heure de retard lorsque nous quittons Sierre, en plein après-midi, dans un camion surchargé qui promène sur la route étroite du Val d' Anniviers sa cargaison de touristes, de paysans et paysannes, de colis de tous genres, de sacs de montagne et une petite chèvre légèrement effarouchée.

A Niouc, premier arrêt, car le conducteur a soif et le vin est bon. A Vissoie, nouvel arrêt, c' est samedi et les caves du chef-lieu sont profondes. A Ayer, grand arrêt avec un goûter anniviard: pain de seigle, tome et muscat.

Mais le temps presse, nous filons aussitôt que possible sur Zinal, où nous arrivons juste à temps pour éviter la première averse. Puis en route pour les alpages. A Tracuit, nous nous réfugions dans le chalet pour attendre la fin d' une pluie persistante. A la nuit tombante départ pour le chalet supérieur de Composana, où nous trouvons du lait frais et du feu pour nous sécher. Enfin quelques étoiles, et vers minuit la cabane est atteinte.

Après un court repos mon frère et moi quittons la cabane à 3 h. 45 et montons rapidement au Bieshorn ( 4160 m .) que nous atteignons à 6 heures. Les gros nuages qui coloraient le ciel d' une manière étrange disparaissent et devant nous resplendit l' arête nord du Weisshorn avec ses gendarmes et sa crête de neige qui se profilent sur le ciel.

Nous chaussons les crampons et partons tranquillement le long de l' arête de glace, admirant les vides impressionnants qui défilent à nos pieds. Nous déjeunons sur les premiers rocs avant de commencer la fameuse varappe de l' arête nord, gymnastique acrobatique au-dessus de précipices de plus de 1000 mètres. Nous avançons rapidement et, après une dernière traversée dans le flanc du Grand Gendarme, nous descendons au petit col qui forme le départ de l' itinéraire de l' arête Young. Nous laissons les sacs et filons vers le sommet, le long d' une mince lame de neige qui sépare les gouffres des vallées de Zinal et de Zermatt.

A 11 h. 15 nous sommes au sommet ( 4512 m. ). Quel calme, nous sommes les deux seuls sur la montagne. Mais il ne faut pas tarder, nous regagnons bientôt le petit col et, à 12 h. 30, nous commençons la descente de l' arête Young sur Zinal.

C' est d' abord un couloir impressionnant, formé de dalles lisses, exposé aux chutes de pierres, où sont fixés des pitons qui permettent les rappels. La roche n' est pas bonne et nous perdons du temps à chercher la sortie; en effet, on doit remonter quelques mètres à main droite avant de gagner la véritable arête Young, sur laquelle ont été placées des nombreuses grosses cordes retenues par des pitons en fer. Ce travail a été effectué par les guides de Zinal et, en 1942, les cordes les plus usées ont été remplacées, mais seulement celles de la partie inférieure de l' arête.

Ici la roche est bonne, nous commençons la descente le long des cordes à vive allure, jusqu' à une paroi verticale d' une vingtaine de mètres de hauteur, où sont fixées quatre cordes. Je suis en tête et commence à descendre, mais arrivé au piton retenant la deuxième corde, je trouve cette dernière très usée; j' hésite un instant, crie à mon frère de m' assurer autour d' un des gros pitons, puis j' essaie la résistance de la corde qui tient et me voilà au bas de la paroi sans difficulté. Mon frère arrive à son tour, n' a pas grande confiance dans cette fameuse corde, mais comme elle a tenu pour moi il s' y hasarde, après que je lui ai crié que j' étais bien assuré. Nous étions encordés à plus de 25 mètres et je m' étais assuré autour d' un bloc de rocher. C' est à ce moment que je vois mon frère lâcher prise à plus de 15 mètres, juste au-dessus de moi; il pousse un cri, va me tomber dessus, quand il doit heurter du genou le rocher, dévie légèrement et me passe à côté. Quant à moi, je ramasse toute la corde que je puis, je me colle au roc, appuyant de tout mon poids pour espérer retenir le choc. Tout se passe en deux ou trois secondes et finalement je sens la corde se tendre, une légère secousse et plus rien. C' est alors que je me retourne et vois à 4—5 mètres de moi, légèrement plus bas, mon frère assis sur un vague replat couvert de neige. Il me crie aussitôt: « Quelle chance, je crois que je n' ai rien de grave! » Voici ce qui s' était passé: la corde fixe a sauté juste sous le piton, et mon frère, protégé par le sac et par la corde de rappel qu' il portait en sautoir, a finalement atterri sur la neige de cette minuscule plate-forme qui a amorti la chute. Pendant qu' il glissait le long de la paroi, la corde de caravane s' est accrochée à l' un des pitons de fer qui retiennent les cordes fixes, de telle sorte qu' elle a été freinée par le frottement sur le piton et qu' il m' a été facile de soutenir le choc, surtout si l'on songe que la corde de caravane me tirait vers le haut et non pas de côté ou en bas comme cela se passe ordinairement.

Mon premier souci est de ramener le blessé sur l' arête, en lieu sûr. Je lui accorde un moment de repos pour qu' il se remette de la commotion, une pastille pour le cœur, une autre contre les douleurs, une goutte d' eau pour la bonne humeur. Ensuite, à l' aide de ma pharmacie de poche, je m' em de bander la plaie profonde qu' il porte au genou, avant qu' il ait le temps de la voir lui-même. Au bout de 3/4 d' heure, nous saluons une dernière fois le bout de corde qui pend ironiquement au-dessus de nos tètes, et nous nous mettons en route. Il est 15 heures et mon frère peut encore se tenir sur les jambes, quoiqu' il ne puisse pas du tout plier le genou. J' assure solidement, puis j' essaie de gagner du temps en descendant moi-même rapidement, car on ne peut aller vite et surveiller chacun de ses mouvements. Nous mettons trois heures pour atteindre le sommet de la grande pente de glace qui marque la fin de l' arête Young. Nous mettons les crampons, mais ce n' est pas si simple quand on ne peut pas plier un genou; mon frère descend toute la pente à reculons. Au bout d' une nouvelle heure nous sommes hors de la paroi du Weisshorn et surtout hors du danger des chutes de pierres qui descendent sans relâche.

Le malheur est que la neige est molle sur le glacier; nous enfonçons jusqu' aux genoux et la jambe se tord à peu près à chaque pas. Quand la pente est trop raide, il doit descendre à reculons. Dès qu' il n' y a plus de danger, il s' assied et je le tire à l' aide de la corde, heureusement que les ponts de neige ont tenu. Cette dernière solution est très rapide et pas trop désagréable au blessé. A la nuit tombante, nous sommes hors du glacier, au fond du Val d' Arpittettaz, sans trace de sentier, au milieu des moraines et des éboulis. Il nous faudra quatre heures pour arriver au chalet de l' Oise, à 2500 m. Ce sont certainement les heures les plus pénibles, car il fait nuit noire et nous n' avons qu' un tout petit bout de bougie; la fatigue et les douleurs au genou augmentant sans cesse, chaque pas demande un véritable effort. Vers 1 heure du matin nous parvenons enfin à la cabane des bergers, guidés par les sonnailles du troupeau.

Les bergers, des gars du Haut-Valais, tardent bien avant de débarricader leur porte, tant cette visite nocturne les surprend. Nous nous restaurons autour de l' âtre, et mon frère s' installe sur la paille à même le sol, entre deux bergers, pendant que je continue ma route vers la cabane Tracuit pour avertir mon père de ce qui s' est passé, car il attendait mon retour à la cabane.

Le lundi matin, mon frère ne pouvant absolument pas se tenir sur sa jambe, envoie un des pâtres à Zinal chercher un mulet. Seulement le blessé ne peut supporter la jambe pendante, et il faut redescendre une nouvelle fois à Zinal et en ramener un mulet militaire sur lequel on fixe une luge canadienne. Comme il y a plusieurs heures de Zinal au chalet de l' Oise et que nous n' osons pas entreprendre la descente de nuit avec un blessé, nous n' arrivons que le mardi à l' aube à l' alpage. La descente se passe très bien, et le mardi soir le blessé arrive à l' hôpital de Sierre, où la radiographie montre une double fracture de la rotule, dont il s' est d' ailleurs fort bien remis.

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