Traversée nocturne des Pucelles | Club Alpino Svizzero CAS
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Traversée nocturne des Pucelles

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

PAR ARMAND RIME, FRIBOURG

( CHAÎNE DES GASTLOSEN ) Avec 2 illustrations ( 130, 131 ) Cette nuit du 27 au 28 septembre 1958 restera à jamais gravée dans la mémoire des trois « mordus » de la varappe qui accomplirent alors l' exploit peu ordinaire de la traversée intégrale des Trois Pucelles, aller et retour, le premier de ces parcours se faisant au clair de lune. Il doit s' agir, si je suis bien informé, de la première « nocturne » de ces trois pointes.

En quittant Fribourg cet après-midi du 27 septembre, notre but était d' aller coucher au chalet de la Minutze, puis d' attaquer le lendemain matin de bonne heure. A Charmey, nous trouvons par chance un ami qui nous conduit en voiture aux Planeys, terminus de la partie carrossable de la route du Gros-Mont. La montée des Escaliers est toujours agréable; mais en cette fin d' un beau jour d' automne, c' est un intense plaisir. En débouchant dans la plaine du Gros-Mont, chaque fois le même saisissement fait battre le cœur, à la vue du paysage qui soudain s' offre aux yeux: une immense étendue plate inondée de lumière, ceinturée de forêts que surmonte une couronne de cimes rocheuses. Les Gastlosen dessinent dans le ciel une merveilleuse dentelle blanche, plus belle encore dans le jour finissant.

Encore une heure de marche, et nous franchissons la porte du sympathique chalet d' alpage de la Minutze, vide de gens et de bêtes à cette saison. Le feu ne fait pas long avant de crépiter, un de ces bons feux de grosses bûches odorantes de sapin résineux. La préparation de notre souper -un vrai souper de célibataires - ressemble plutôt à un rite, tellement chacun y met de sérieux. Si nos femmes nous voyaient, quels bons rires elles feraient! Nous jouissons parfaitement de l' heure présente, dans cette ambiance si éloignée de celle de nos appartements de ville. La soirée se passe comme toujours entre alpinistes, à rappeler des souvenirs de courses et des aventures de montagne.

Nous allons jeter un coup d' oeil dehors... Quelle féerie! Le disque de la lune Monde d' argent le paysage. Les Pucelles, devant nous, se détachent dans le ciel comme en plein jour; peut-être mieux encore, car tous les détails de leur structure apparaissent avec une telle netteté que c' est une invite à y aller voir de plus près.

Lequel de nous concrétisa-t-il sa pensée? Nul ne s' en souvient maintenant; mais c' est comme un seul homme que nous prîmes la décision de partir sur-le-champ. Dormir aurait été un crime: nous en aurions bien le temps une autre fois, où manquerait cette lune extraordinaire. D' ailleurs, rien n' empêchait de se rattraper au retour.

Un léger pique-nique dans un sac, cordes, marteau, pitons - le bagage est fait, et c' est le départ. Il est 1 h. du matin, la température est agréablement fraîche et la courte marche d' approche est un plaisir. Nous voici bientôt dans les contreforts du Vanil de la Gobettaz ou première Pucelle.

Raymond Page sera notre chef de cordée: il connaît les Trois Pucelles comme sa poche. Je tiendrai la place de second et Albert Landtwig fermera la marche. Nous nous encordons et progressons rapidement par une vire rocheuse, ensuite par un sentier assez bien marqué qui monte en zigzags. Deux petits couloirs-cheminées sont vite surmontés, malgré l' ombre qui y règne. Nous rejoignons l' arête, et nous voilà au sommet de la première Pucelle ( 2118 m ).

De là, suivant l' arête, nous effectuons ensuite un rappel d' environ 15 m sur le versant vaudois. De ce côté, l' ombre est plus épaisse et c' est avec de grandes précautions que, par des vires ga- 20 Die Alpen - 1959 - Les Alpes305 zonnées et une cheminée d' ordinaire facile, nous gagnons le col entre la première et la deuxième Pucelle.

Au-dessus règne de nouveau la lumière, sur l' arête que nous montons et sur le premier ressaut qu' il faut tourner. Nous voici à présent à 30 m du sommet de la deuxième Pucelle, ou Pointe à l' Echelle. Mais, pour franchir ces 30 m, nous devons à nouveau nous plonger dans l' ombre « vaudoise » pour une traversée horizontale dans une cheminée. Ce n' est pas sans un léger frisson que nous disparaissons hors de la lumière astrale: les trous d' ombre sont vraiment sinistres, comparés à la féerie de lumière que nous venons de quitter. Nous devons accomplir un grand pas délicat au-dessus d' un gouffre impressionnant et sombre pour atteindre une niche confortable. De là, par quelques gradins faciles, nous gagnons le sommet de la deuxième Pucelle ( 2090 m ).

Tout a bien été jusqu' ici. Nous continuons par l' arête qui plonge vers le col de la troisième pointe, où nous dépose un joli rappel. Quel plaisir que ces descentes à la corde! De gros anneaux solidement fixes sont déjà partout en place.

De la brèche, sans difficulté, nous atteignons en un quart d' heure le dernier sommet, la Jumelle ( 2083 m ). La descente commence aussitôt par un premier rappel d' une dizaine de mètres... Le ciel semble pâlir un peu: ce sont les premières lueurs de l' aube. Un gendarme nous barre le chemin. Nous le tournons par le sud. Enfin, par quelques rappels très aériens, la corde nous dépose sans difficultés, grâce à nos descenseurs Briod, au pied de la troisième Pucelle, au terme de notre traversée « aller », et la pointe du jour.

Mais que se passe-t-il? La lune si prodigue aurait-elle abandonné l' argent de ses rayons dans les pâturages autour de nous? On pourrait le croire, car tout est blanc comme si une légère couche de neige tapissait le sol... Le gel! A présent que nous sommes au repos, nous sentons comme il fait frisquet, alors que tantôt, dans l' action, le froid n' avait aucune prise sur nous. Nous cassons la croûte debout et sans cesser de bouger pour ne pas ressentir trop durement les effets du gel sur nos corps trop peu vêtus. Dans l' enthousiasme du départ, nous n' avons pas pensé à la fraîcheur des matins et n' avons pas pris le moindre vêtement chaud. Notre imprévoyance est bien punie maintenant, car littéralement nous claquons des dents. Il n' est pas question cependant d' attaquer déjà le retour, car le rocher est devenu glissant. Il faut attendre que le soleil, qui vient de se montrer à l' horizon, ait réchauffé un peu l' atmosphère.

C' est une heure et demie plus tard seulement que nous pouvons nous mettre en route, soit vers 7 h. %. Encore le premier contact avec la pierre n' est guère pour nous mettre en confiance. Qu' il peut être froid, ce rocher! C' est à vous donner l' onglée. Et les vibrams qui n' adhèrent pas! Beau début!

Les difficultés de l' ascension jusqu' à l' arête ne sont heureusement pas très grandes. Depuis là, c' est autre chose, nous allons avoir besoin de tous nos moyens. L' escalade d' un premier éperon le laisse bien voir. Mais Raymond, lui, se moque des difficultés... et aussi un peu de ses deux suivants. Il file avec la souplesse d' un félin... et nous faisons tout notre possible pour nous montrer dignes de la confiance qu' il a mise en nous.

Après un étroit replat, il faut franchir un petit mur pour aboutir à une vire minuscule, qui nous met en présence d' un nouveau ressaut très raide. Plus haut, l' inclinaison diminue un peu et, par un rétablissement, nous nous rendons maîtres d' un feuillet. La dalle qui suit est très inclinée et lisse. Nous la forçons pour arriver à un nouveau replat. Par une courte échelle, nous passons un mur vertical de 3 à 4 m, et nous voici devant notre gendarme de tantôt, que nous tournons élégamment. Ensuite vient un mur vertical d' environ 7 m. Les prises sont minces et la partie supérieure se traite par un grand rétablissement... qui nous pose directement au sommet de la Jumelle. Autant la descente en rappels successifs a été plaisante, autant la remontée s' est montrée ardue, car le soleil règne en maître. Nous nous accordons au sommet quelques minutes de repos bien gagné.

La descente dans la brèche est relativement facile, par l' arête gazonnée. Mais la traversée est variée: il faut s' attendre à de nouvelles difficultés. Elles ne se font pas attendre, déjà là, au départ de la Pointe à l' Echelle. Nous devons remonter le rappel. Un mur vertical de 2 m nous barre la voie. Il faut s' étendre au maximum pour atteindre un petit feuillet, le saisir, se hisser à la force des poignets et terminer par un rétablissement. La suite est plus aisée. Nous progressons tantôt par une vire gazonnée, tantôt par des gradins rocheux. Enfin l' arête sommitale est sous nos pieds.

Après un quart d' heure de bain de soleil, nous entamons la descente vers la deuxième brèche. Quelques pas, puis il faut poser un rappel d' une quinzaine de mètres, des plus impressionnant et très aérien, sur le versant fribourgeois. Nous nous surprenons à jeter un regard d' envie sur notre chalet de la Minutze, qui va bientôt nous offrir les délices de son lit de foin. Nous avons beau crâner et nous cacher les uns des autres pour bâiller, le sommeil et la fatigue commencent à nous turlupiner.

Le rappel terminé, nous descendons quelques mètres en varappant sur l' arête pour prendre le versant vaudois par des gradins. Une vire nous ramène enfin sur l' arête, puis au col.

Il nous reste la remontée du Vanil de la Gobettaz. Nous suivons d' abord l' arête, qui est assez aérienne entre deux vides impressionnants. Ensuite, par une succession de gradins et de gazons faciles, nous aboutissons au départ de la dernière cheminée, qui exige l' ultime coup de collier. Cette cheminée va se redressant. Elle est plutôt démunie de prises en son milieu Sans être très difficile, elle offre cependant une sortie assez délicate aboutissant au sommet.

... De là, la descente est sans histoire par le chemin de montée. Il est 10 h. 15 quand nous arrivons au chalet de la Minutze, où nous attendent casse-croûte et « roupillon ».

A 14 h. 30, nous prenons le chemin de la vallée du Gros-Mont, après un dernier regard aux trois valeureuses Pucelles qui, toute la nuit et jusqu' au matin, ont soutenu, comme la chèvre de Monsieur Seguin, l' assaut à la fin victorieux de trois passionnés de l' Alpe.

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