Une année chez les Eskimo de la côte orientale du Groenland (1934/1935) et traversée du Groenland 1936 | Club Alpino Svizzero CAS
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Une année chez les Eskimo de la côte orientale du Groenland (1934/1935) et traversée du Groenland 1936

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de la côte orientale du Groenland ( 1934/1935 )

et traversée du Groenland 19361 ).

Par M. Perez.

Initiation arctique.

Pendant la longue réclusion des mauvais mois ( octobre-novembre-décembre ) nous avons appris le dialecte de la côte orientale, commence les enquêtes ethnographiques et appris à conduire les chiens. Enfin nous avons mis au point tant bien que mal notre matériel de voyage.

Nous étions partis d' Europe avec des vivres en quantité fabuleuse et de superbes instruments scientifiques « de base ». Mais pour les déplacements il fallait un tout autre matériel.

Chacun de nous avait vide son home respectif de tout ce qu' il contenait d' utilisable pour une expédition. Depuis le plus petit bout de tissu jusqu' aux mitaines des grand' mères.

Le commandant Charcot nous avait en outre prêté tout ce qui ne faisait pas impérieusement besoin à bord du Pourquoi Pas? et surtout de son matériel personnel. C' est ainsi que les seuls traîneaux dont nous disposions étaient UNE ANNÉE CHES LES ESKIMO DU GROENLAND.

trois traîneaux Nansen qui dataient de l' expédition du commandant Charcot dar s l' Antarctique en 1908.

Tout explorateur sérieux nous aurait taxés d' insensés de vouloir entreprendre de longs raids avec un tel matériel. Hélas, nous étions fort conscients de ce qui nous manquait. Mais avec 8000 francs français pour une expédition d' une année on ne va pas loin.

La nécessité rend ingénieux. Nous avons perdu pas mal de temps à bricoler, il est vrai, et parfois nous avons un peu souffert de la pauvreté de notre équipement de voyage et du manque de moyens financiers. L' année, malgré tout, nous a semblé mille fois trop courte.

Pour les « mois de traîneaux » le programme était chargé. Nous avions décidé de former deux groupes: celui des « ethnographes » ( Gessain-Victor ) et celui des « explorateurs»Matter-Perez ).

Mais notre pauvre expédition ne disposait en tout et pour tout que de six chiens. Six chiens qui nous avaient été donnés par Lindsay quand il arriva à Angmagssalik à la fin de sa traversée ( le plus long parcours en traîneau, sans ravitaillement intermédiaire, qui ait été fait jusqu' à ce jour sur le globe ) de l' inlandsis.

En 1934, le district d' Angmagssalik, lui, était si pauvre en chiens que, même si nous avions eu les moyens d' en acheter, nous n' en aurions pas obtenu un seul!

Il se posa une grave question. Qui, des ethnographes ou des explorateurs, disposeraient de ces chiens au cours de l' hiver? Vous pouvez vous imaginer combien chacun des deux groupes désirait avoir son propre attelage! Car celui des deux groupes qui devrait faire appel à des traîneaux étrangers perdait toute indépendance.

Très chevaleresquement, les ethnographes se dessaisirent au profit des « explorateurs ».

Le premier groupe avait au programme la visite et l' étude de toutes les agglomérations et l' étude de tous les indigènes du district d' Angmagssalik. Il ne devait pas sortir des chemins connus. Le second, au contraire, allait s' efforcer d' explorer un peu le pays par delà les lieux habités. Imaginez quelque chose comme toutes les Alpes suisses inhabitées et non cartographiées.

Pour atteindre l' arrière intéressant, il fallait tout d' abord s' échapper de la souricière qu' était la baie de Tassiussak. C' est sur son bord que se trouve Angmagssalik, le chef-lieu du district, cerné de tous côtés de montagnes dont l' altitude oscille autour de 1000 mètres. Là se trouvait aussi notre base. On ne peut franchir la barrière des montagnes qu' en deux points pour rejoindre les routes de traîneaux qui sillonnent le reste de la côte.

Un col s' ouvre vers le nord à 700 mètres d' altitude et donne accès aux deux rives du fjord de Sermilik. Il faut passer sur un glacier dangereusement

T posé aux rafales du vent de tempête, le Piterak. L' autre col s' ouvre vers le nord-est à 900 mètres d' altitude et donne accès à tout le nord du pays. C' était le plus difficile à franchir, mais en même temps le plus important des deux cols pour nous. Je l' avais baptisé « Passe de Chill-coot ». Il me rappelait tout à fait la scène en question du film de la

« Ruée vers l' Or » quand nous la franchissions avec nos traîneaux. Elle avait atteint le degré d' inclinaison où la descente est plus dangereuse que la montée. Nous y avons brisé plus d' un traîneau, heureux encore de ne pas y avoir laissé notre peau.

Nous ne voulions pas perdre de temps dans cette passe ( la partie supérieure avait une inclinaison de 40 degrès ) en partant pour nos voyages de printemps. Nous avons effectué, petit à petit, au cours des mauvais mois, un grand dépôt de vivres et de matériel à son sommet Nous y puisions en passant au début de chacun de nos voyages.

Voyages.

Une fois que nous avions franchi cet obstacle, tout le pays nous était ouvert: de l' inconnu, de l' inconnu de tous côtés, des fjords, des vallées, des glaciers, des lacs, par delà lesquels loin, très loin, il y a le grand et puissant inlandsis dont le nom seul suffisait à nous faire rêver debout.

Des mois durant nous avons sillonné le pays. D' abord accompagnant les Eskimo pour apprendre le métier. Une fois celui-ci acquis, Matter et moi avons poussé plus loin, là où nos amis indigènes n' osaient se risquer.

N' ayant pas de matériel rationnel, ni même de pemmican, nous avons vécu sur le pays. Vêtus comme les indigènes, dormant, mangeant et logeant avec eux et comme eux, nous nous sommes sentis plus près d' eux et eux plus près de nous.

Fréquemment ils nous regardaient ébahis, quand nous prenions part à quelque festin peu ragoûtant ( au sens « civilisé » ) de viande de phoque crue et faisandée: « mais vous n' êtes pas de vrais ,kratuna'( hommes blancs )! Les vrais kratuna ne font pas ça. » Nous avons appris aussi à supporter la faim. La vraie de vrai, celle après laquelle on a perdu l' habitude de manger. A la fin d' explorations combien de fois n' avons pas dû allonger les étapes à l' extrême pour rejoindre l' agglomération où nous espérions trouver à nourrir nos chiens et nous-mêmes. En fait de nourriture souvent nous avons trouvé les indigènes se remplissant l' estomac depuis plusieurs jours de moules et d' algues crues, affaire de se donner l' illusion de manger parce que la chasse ne fournissait plus rien. Mais il semble que ce régime d' algues a quand même un autre but que celui de simple remplissage. Les indigènes, sans les trouver vraiment bonnes, les consomment avec plaisir. D' instinct, n' y trouveraient-ils pas les vitamines qui font défaut dans leur alimentation carnée? Il est à noter qu' en été ils « broutent » avec le même plaisir la rare verdure qui leur tombe sous la main: tiges d' angélique, feuilles de bouleau, cressons, dents de lion. Depuis 1936 le gouvernement danois a établi partout des dépôts de vivres. Il n' y aura plus de famines.

Il faudrait que je vous raconte nos premiers raids lorsque la glace n' avait pas encore pris les fjords: ou bien nous suivions la rive au plus près parce que le vent a dénudé les pentes; ou bien nous nous engagions dans les thalweg qui recèlent les premières grosses masses de neige. Mais de préférence nous empruntions la glace lisse et noire des lacs. Glace si transparente que nous 7.S UNE ANNÉE CHEZ LES ESKIMO DU GROENLAND.

voyions les poissons nager sous nos pieds et que de nuit, le cœur battant plus fort, nous avancions avec l' impression de marcher sur l' eau même.

Puis nos premiers pas sur la glace fraîchement formée des fjords. Si mince qu' elle plie sous le pas et ondule sous la file des traîneaux! Et puis l' émoi de certains passages où le courant bouillonne sous la glace! Nous nous lancions à toute vitesse, l' effleurant à peine, après avoir jugé le passage possible à sa couleur et en comptant sur la chance.

Et les bains involontaires par —30°! La glace cédant sous le traîneau et tout l' équipage dans de l' eau à -—1,5°. Ce sont les chiens qui nous tirent d' affaire on se déshabille; on se change sur place pour ne pas être transformé en glaçon.

Aussi les raids de mars sur les fjords profondément enneigés: on marche à l' aveuglette sans savoir si la neige repose sur la glace ou si elle masque des trous d' eau, où l'on serait englouti sans espoir de salut. A chaque pas le ski enfonce, doucement, doucement, dans l' épaisse neige fraîche... S' arrêtera l Il faut serrer les dents pour résister à la tentation de bondir en arrière. Et impossible de suivre la rive car les avalanches dégringolent jusque sur le fjord.

Enfin les derniers jours de la « saison des traîneaux ». Le mois de mai brillant, sans nuits, début de la débâcle. Souvent le chemin de retour est coupé, la glace a cassé et fuit au fil de l' eau. C' est alors à qui arrivera le premier à ses fins, de la débâcle ou des voyageurs. C' est la course hallucinante sur les « floe » tournoyants. Chiens, traîneaux et hommes bondissent d' un glaçon à l' autre. Tantôt c' est le traîneau qui nous tire à l' eau et les chiens qui sauvent tout, tantôt c' est nous qui jetons les chiens à la mer pour avancer coûte que coûte.

Un pas dans l' inconnu.

Matter et moi, avec notre traîneau de 1908 et nos six chiens, nous nous sommes mis à parcourir la partie alpine du pays. Tout d' abord nous nous sommes aperçus que le traîneau Nansen typique pas plus que le traîneau eskimo ne convenaient pour des raids que je qualifierais de « transalpins ». Au retour d' un voyage particulièrement pénible en février 1935, Matter et moi, nous construisîmes le premier traîneau Nansen à patins. Ce modèle par la suite nous permit d' affronter de rudes obstacles sans crainte.

Lorsqu' arriva le mois de mai, notre équipe avait derrière elle un sérieux entraînement. Nous étions devenus surtout d' excellents coureurs à pied. En effet, ne disposant que d' un traîneau pour deux, il ne fallait pas songer à se faire tirer! Il s' agissait bien plus souvent d' aider les chiens. Nous avons même dû le hisser à la corde, et parfois aussi les chiens. Par deux fois nous avons du grimper dans une paroi avec le traîneau sur le dos.

Sur les fjords chacun de nous devait courir à tour de rôle derrière le traîneau. Finalement nous étions capables d' abattre nos 70 kilomètres dans la journée avec des dénivellations de l' ordre de 800 mètres.

C' est en mai que nous avons fait notre raid le plus intéressant. Notre idée était d' atteindre le Mont Forel par les montagnes côtières. Mais il n' existait pas encore de carte de la région en 1934. Le temps dont nous disposions ( 15 jours ) fut trop limité pour que nous puissions trouver sans carte la bonne voie dans ce dédale.

Nous découvrîmes par contre au cours de cette tentative la voie qui permet de se rendre par terre du fjord de Sermiligak à celui de Kangerdlugsuatsiak. Cette partie de la côte est fermée à tout trafic au moment de l' em, soit de fin août à février, et au moment de la débâcle, d' avril à juillet! La route que nous avons suivie est praticable en toute saison. Elle passe par des glaciers parfois raides mais peu crevasses. Elle peut rendre service aux Eskimo hivernant au fjord de Kanderdlugsuatsiak et à tout autre voyageur qui voudrait faire route au nord depuis Angmagssalik.

Rien n' égale l' émotion que nous avons ressentie en avançant en pays inconnu: les glaciers de la terre du roi Christian IX et son fourmillement de pics se perdaient jusqu' au de l' horizon. Nous parcourions ces glaciers sans la moindre envie de faire les « premières » des sommets qui nous environnaient. Nous étions pris de la hantise d' avancer, d' avancer toujours pour voir ce qu' il y avait derrière la chaîne ou le col qui nous bouchait la vue.Voir encore, encore! C' est tout juste si la faim et l' épuisement des chiens arrivaient à nous en faire rebrousser chemin. Combien de temps avions-nous été en route? Quinze jours, un mois ou plus?

Maintenant ce charme est rompu. En quelques heures de vols les avions du service géodésique danois ont mis sur carte ce dédale.

Retour.

Quand le commandant Charcot vint nous chercher avec son Pourquoi Pas?, exactement douze mois plus tard, il nous semblait que nous avions débarqué l' avant. Nous avons dit « au revoir » à nos bons amis eskimo et à nos chiens. Nous étions fermement décidés à revenir pour continuer le travail. « Celui qui a goûté du Nord y revient », affirme un dicton.

C' est ainsi que naquit notre deuxième expédition, en août 1935, alors que le Pourquoi Pas? qui nous emportait vers l' Europe était encore en vue du Groenland.

Traversée du Groenland en 1936. Comment il ne faut pas préparer une expédition.

Septembre 1935. De retour en Europe. Aucun enthousiasme à retrouver la « civilisation ». Grande joie pourtant de voir que le commandant Charcot était satisfait de notre travail. Etonnement au musée d' ethnographie de ce qu' avaient rapporté 8000 francs français.

Débarquement en France sans même avoir de quoi nous payer le train de Rouen à Paris. En plus, 30,000 francs français de dettes. Tout juste l' atmosphère qu' il faut quand on a déjà en tête des projets pour une nouvelle expédition.

Octobre — novembre — décembre 1935: Conférences — articles de journaux — reconférences — re-articles de journaux.

5 janvier 1936: les dettes sont payées: « Alors! on part?... on part! » UNE ANNÉE CHEZ LES ESKIMO DU GROENLAND.

Victor est nommé à l' unanimité organisateur financier de l' expédition. Il s' agit de trouver en trois mois 120,000 francs français, budget prévu pour la traversée du Groenland et un second hivernage de Victor. La première expédition a été concluante. On nous fait confiance. Nous savons que nous trouverons les fonds.

Gessain s' occupera de l' alimentation et de la partie médicale.

Moi-même, je suis chargé de toute la préparation technique de la traversée. Dans trois mois tout doit être prêt! Trois mois! quand les personnes compétentes comptent un an de préparation si on a les fonds en mains...

But de la nouvelle expédition.

Nous considérions comme une chance de ne pas avoir pu achever nos recherches en un hivernage. Cela allait nous permettre de retourner à cette vie passionnante où le moral est infiniment haut. Après six mois nous en avions déjà une grande nostalgie.

Gessain et moi-même ne voulions rester Angmagssalik que les deux mois d' été on le travail est le plus efficace. Un nouvel hivernage aurait fait notre bonheur, mais le laboratoire nous attendait. Victor voulait hiverner de 1936 à 1937 pour finir ses enquêtes sur le folklore.

Où l' inlandsis devient une route.

Comment atteindre Angmagssalik en juillet pour pouvoir en partir en septembre? Par mer en juillet il y a 90 % de chance de rester coincé dans la banquise. Encore faudrait-il louer un bateau, ce qui est très coûteux. Nous avons choisi la voie de l' inlandsis pour atteindre Angmassalik à coup sûr au début de juillet.

Jusqu' à présent on traversait l' inlandsis pour l' étudier. Pour nous ce sera le moyen d' atteindre la côte orientale avant que les glaces ne soient navigables sur cette côte. Et puis nous aurons enfin l' occasion de le connaître, ce désert!

Au cours de notre hivernage, c' est lui qui toujours barrait l' horizon derrière les montagnes. Masse énorme, tantôt scintillante, tantôt sinistre, souvent voilée par les nuées de neige soulevées par les vents terribles de là-haut.

Nous pressentions l' exaltation que doit éprouver l' homme face à cette immense mer de neige. De plus, chacun de nous avait ses raisons particulières de prendre part à la traversée.

Gessain voyait en elle la possibilité d' arriver en temps voulu à son champ de travail.

Victor y trouvait avantage direct. Il disposerait de tout l' été pour la préparation sur place de son hivernage.

La traversée en soi avait un intérêt pour moi seulement, aussi fus-je des plus persuasifs pour défendre le projet lors de sa discussion. J' avais l' occa de prendre contact avec cet inlandsis dont j' ai commence à faire mon champ d' étude et dont je me propose de déterminer le relief du substratum au moyen de sondages acoustiques.a suivre. )

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