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Wyss Wändli, chemin des souvenirs

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chemin des souvenirs

Willy Auf der Maur, Seewen ( sz )

Le Gr. Mythen, vu du sud. A gauche, la concave paroi ouest, la Mythenmatt et l' édifice sommital Harmonie L' harmonie est l' alpha et l' oméga de tout l' alpinisme! Lorsqu' elle n' est pas au rendez-vous, les visages se figent, les conversations deviennent bavardage, les cordes se coincent dans les branches ( car l' un passe à gauche du pin et l' autre à droite ).

L' harmonie n' a pas besoin de beaucoup de mots, elle est discrète, silencieuse... aussi silencieuse que nos pas aimeraient l' être aujourd'hui dans cette forêt de montagne et dans les premiers gradins rocheux au-dessus des arbres. Mais voici que des branches craquent, des graviers roulent, des pierres tombent, révélant notre approche à des chamois qui broutent dans la fraîcheur du matin.

La première dalle Le silence pourrait aussi être une sorte d' égoïsme, et comme je ne veux pas donner à mes deux compagnons - qui n' ont pas l' habi de partir en course avec des alpinistes plus expérimentés - l' impression de me mettre en avant, ni passer pour un original, je me sens obligé de briser le silence de mort qui règne ici, à l' attaque de la Wyss Wändli, la plus facile des voies ouest du Grand Mythen. « Regardez bien », fais-je avec un grand geste, « nous sommes devant le passage le plus difficile de l' escalade, la première dalle, qui a déjà effrayé plus d' un grimpeur des Mythen ». Des images surgissent devant mes yeux: celles de visages crispés, de silhouettes qui progressent à genoux sur la surface claire et polie de la dalle, les deux grands gaillards suspendus à ma corde comme les grains d' un chapelet après que l' un ait glissé et entraîné l' autre dans sa chute.

« Mais je vais vous dire comment la franchir sans problème », ajouté-je avec un sourire compatissant. Les traits de Susi et de Ruedi se détendent. Vite, Ruedi passe le mousqueton à vis dans la sangle du piton de relais, tandis que son épouse y introduit la corde.

« Alors, attention », dis-je encore, « il faut absolument coincer la chaussure droite, je répète, la chaussure droite, dans cette fissure, mettre la gauche en adhérence sur la dalle, décoller le derrière le plus loin possible et monter: un jeu d' enfant! » Holzegg et Mythen. A l' arrière, les Alpes uranaises. ( Photo aérienne ) Et je me lance tout de suite dans la démonstration, en ce jour de brouillard, comme je l' ai vu faire il y a bien des années. « C' est vraiment une joie que d' être à tu et à toi avec tel passage, telle montagne », pensé-je en grimpant. Dix mètres plus haut, je m' installe dans une niche pour assurer mes camarades de cordée et je cherche du regard un trou rond au bord du bouclier de dalles là-bas, dont je sais qu' il abrite un lis orangé; mais celui-ci n' est pas encore en fleur.

Si la rose d' or, comme nous appelons cette fleur chez nous, avait balancé sa merveilleuse corolle dans le vent, j' aurais crié de joie, comme tout à l' heure durant notre montée vers le Mythen, lorsque nous avons passé à côté d' un bloc de rocher gris-vert aussi haut que deux hommes. C' était la « pierre de l' autel », un bloc qui présente au promeneur son côté surplombant, mais qui est facile à escalader par l' autre côté. Mon cher ami Franz y avait quelquefois célébré un office divin quand il était gosse. Cette vision était trop belle pour que je ne la partage pas avec mes camarades de cordée d' aujourd. J' ai donc essayé de faire surgir devant eux l' image du gamin blond, si sérieux, qui dépassait juste de la tête et de la poitrine le bord de l' autel, entouré d' un parterre de feuilles argentées qui semblaient regarder vers lui, chantant son « Gloria in excelsis Deo » les bras écartés, accompagné par le clair pépiement des oiseaux et le murmure grave des sapins barbus. Au pied de la « pierre de l' autel », je leur ai encore décrit la croix: le timon dressé du petit char à échelle, peut-être déjà chargé de bois mort, peut-être encore vide. Car à cette époque c' était pendant la guerre - mon ami m' affir qu' il était difficile de trouver du bois mort dans la forêt, si bien qu' il devait se hisser en prenant des risques jusqu' aux pins tombés et aux petits sapins agrippés à des rochers, dressant plaintivement leurs bras morts.

Sur la rampe Entre-temps, mes compagnons sont bien arrivés jusqu' à moi et je peux attaquer la deuxième longueur. C' est une rampe raide, plutôt pauvre en prises. Dans n' importe quel livre de montagne, les héros franchiraient ce passage, d' une si faible difficulté, avec une aisance divine. Quant à moi, je dois avouer pour ma honte que j' ai souvent ressenti une légère inquiétude le long de ces cinq ou six mètres. N' y a-t-il pas pour tout alpiniste des jours où il est envahi d' une méfiance sans limite? Où il n' ose plus se fier à aucune prise et croit toujours sentir le sol se dérober sous ses pieds? Aujourd'hui, heureusement, tout va bien. J' arrive au relais de la vire Genecand. Au-dessus de moi, la paroi présente un bombement puissant: pas de passage ici pour les varappeurs! Notre salut se trouve plus loin, derrière une côte abrupte pleine d' herbe, dans un système de petits couloirs et de vires.

La vire Genecand Ne demandez pas autour de vous où elle peut bien se trouver. En effet, baptiser des endroits à l' insu de tous est ma passion secrète. J' ai nommé cette vire ainsi parce que c' est ici que nous changions de chaussures durant mes années d' apprentissage alpin. Nous fourrions dans le sac les espadrilles aux semelles de chanvre et nous en sortions les chaussures de montagne à tricounis. Et le souvenir de ce changement de chaussures malcommode me fait penser avec une joie secrète à l' alpiniste genevois Félix Genecand ( 1878-1957 ), l' inven du tricouni!

Les clous tricounis, rangés en zigzag sur le pourtour des semelles, ont à l' époque complètement bouleversé la vie des montagnards. Pas un paysan de montagne, pas un garde-fo-restier, un bûcheron ou un chasseur qui n' en ait équipé ses chaussures. Et les alpinistes, donc! Le clou tricouni leur a ouvert de nouveaux horizons, a renforcé leur confiance en eux-mêmes et leur a donné bien des joies. C' était un vrai plaisir de marcher dans la rue le dimanche matin, d' un pas ferme, chaussé des lourds souliers à tricounis. Le cliquetis des clous sur le pavé poli était pour nous la plus belle des musiques, même si quelque passant se rendant à la messe se retournait, si les chats disparaissaient vite au coin des maisons et si des rideaux bougeaient aux fenêtres ( qui sait de quel tissu les rêves des jeunes filles ou de leurs mères étaient faits en ce temps-là !). On se sentait fort comme un ours dans de telles chaussures. Et avec raison, car les clous tricounis étaient comme de petits animaux griffus: dans la neige dure, dans les éboulis, dans le granite rugueux... partout ils mordaient joyeusement. Mais leur appétit se révélait encore plus vorace dans les pentes de terre glissante et d' herbe. Là, ils s' en donnaient vraiment à cœur joie, et c' est pourquoi l' époque des tricounis a aussi été celle des grandes voies herbeuses.

« Pourquoi j' ai l' air si gai? » Susi et Ruedi attendent mes explications. « Parce que je suis remonté un peu dans le temps, et j' ai revu sur la voie 13 du Geissstock notre inoubliable ex-champion Karl. Il se trouvait sous un petit ressaut, les jambes bien plantées en terre, la tête à l' abri d' une touffe d' herbe. Savez-vous pourquoi? Parce qu' en s' enfuyant, des chamois envoyaient sur son vieux feutre une grêle de mottes de terre humide. Aujourd'hui, il est tout à fait inconcevable que des chamois passent juste au-dessus d' un grimpeur de pointe ( et Karl en était un )! Mais ceci se passait en un temps que vous n' avez pas connu, à l' époque héroïque des tricounis! ».

Sous le charme du Wyss Wändli Nous continuons à grimper en nous élevant en diagonale le long de la paroi. Des herbes nous caressent la figure, tandis que les fleurs, le rocher et la terre répandent leur parfum discret. Elle est bizarre, cette voie du Wyss Wändli au Grand Mythen: pour les souliers, c' est en grande partie une voie herbeuse et terreuse, mais pour les mains, c' est une voie rocheuse. Il ne manque vraiment pas de prises ici: de jolies réglettes aux bords francs, des poignées, d' étroites fentes horizontales, des bourrelets saillants... toutes offrent aux doigts un appui sûr et agréable.

« Salut, mon vieux! » dis-je au petit érable qui pousse dans la fissure caractéristique de la partie médiane de la voie. « Tu as bien maigri, ton tronc aux taches claires est tout grêlé maintenant, tes racines fixées dans les fissures de la paroi sont sèches et rabougries, ta couronne de feuilles bien clairsemée. Autrefois tu restais ferme quand je te secouais. Je passais la corde autour de ton tronc pour assurer mon compagnon de cordée. Mais aujourd'hui? Je t' aime autant que jadis, pourtant je passe ma corde dans le piton à expansion juste à côté de toi, celui-là même que je maudissais il y a quelques années, parce qu' il prétendait te remplacer. » Du haut d' un relais, dans une niche agréable en pleine paroi, notre regard embrasse le paysage à nos pieds, d' abord une mer de sapins aux cimes pointues, puis des pâturages verts et une partie de la vallée de Schwyz, d' où des bruits familiers montent jusque vers nous. Tout à coup j' aperçois des hommes qui arrivent au pied de notre paroi. Wisel est sûrement parmi eux. Et cela me rappelle à nouveau Félix Genecand, à qui je veux rendre hommage non seulement comme alpiniste, mais aussi comme homme ( et pourquoi Genecand le Romand n' aurait pas son monument en Suisse centrale, puisqu' il y a bien à Genève une « rue Guillaume-Tell » ?). Dans le numéro spécial des ALPES publié lors du 100e anniversaire du CAS ( 2/1963 ), on peut lire que Genecand a gravi plus de vingt fois le Grépon - la pierre de touche des grimpeurs d' élite à l' épo - et qu' il a ainsi fait découvrir les peines et les joies de la varappe à d' innombrables débutants. Ceci lui avait valu le surnom de « concierge du Grépon ».

Il est bien sympathique, ce Genecand, autant que Wisel, que je vois une fois de plus attacher un débutant à sa corde et qui mériterait, lui, d' être appelle le « concierge du Wyss Wändli ». Des concierges, il y en a d' ailleurs beaucoup dans les montagnes. Je connais ainsi un concierge du Salbit-sud, un du Chaiserstock, un du Lauchernstöckli, un du Wildspitz et je ne serais pas étonné d' apprendre que toute montagne suisse a son concierge!

« Vous voyez là-haut, à gauche de la gorge, les anneaux qui pendent dans la paroi? C' est la traversée de la paroi sud-ouest, une voie que j' ai faite un jour avec Thedy. J' ai été saisi d' une trouille affreuse à ce passage exposé. Sans se laisser impressionner par mes lamentations, Thedy rigolait du haut du relais. Il avait confiance en moi, plus que moi-même, et il m' a crié quelques encouragements: « Tu n' as qu' à... » Oui, oui, tu n' as qu' à! C' est vite dit, mais dans ces fâcheuses traversées, avec le risque de faire un pendule involontaire, même le second de cordée est un homme seul. L' obstacle était purement psychologique chez moi, et c' est pourquoi je ne referai plus jamais cette voie. Plus jamais! Franzi, le champion de ski inoubliable de notre voisin de l' est, a déclaré à un journaliste, après plusieurs hivers ratés, qu' il ne savait pas s' il aurait encore cette « brutalité absolue » indispensable pour gagner une descente. C' est exactement cela, chers amis, c' est cette « brutalité absolue » qui « Trois générations »: la chaussure du haut est garnie d' un cloutage dit « de guide de l' Oberland bernois » ( clous spéciaux, hauts, forgés main, formant une couronne tranchante ). Au milieu, une chaussure équipée de tricounis.

Enfin, en bas: l' avène de la semelle caoutchouc.

me manque malheureusement pour refaire cette voie, et bien d' autres!

Ça fait du bien de rire! Susi rit, Ruedi et moi aussi, tout notre petit monde rit à l' unisson: les fourmis qui se hâtent sur la paroi, un magnifique tychodrome échelette en train de faire sa promenade verticale, les chocards entraînés dans les courants ascendants. Soudain, un cri de joie venu d' en haut, au-delà de l' arête oblique et effrangée de la Mythenmatt, nous rappelle que tous les bipèdes, même ceux à plumes, sont invités aujourd'hui à un repas de fête et à une commémoration. En effet, l'«Association des amis des Mythen », fondée en 1863, fête son 125eme anniversaire. Peut-être qu' on débouche déjà les bouteilles, il s' agit de se dépêcher!

La traversée Nous sommes arrivés à la vire qui nous permettra, à son extrémité sud, de rejoindre la Mythenmatt. Une traversée superbe nous attend. La main gauche s' agrippe au bord de blocs bien solides, tandis que les pieds suivent une corniche large comme quatre chaussures. Comme j' aimerais que mes compagnons puissent admirer la vue qui s' ouvre vers le bas! Mais le brouillard se met justement à monter de l' abîme. « Regardez donc en bas » leur aurais-je conseillé, comme je l' avais fait pour Seffi il y a bien des années. Seffi l' obs, qui avait voulu faire cette voie parce qu' il avait entendu dire que des représentantes du beau sexe avaient déjà escaladé le Wyss Wändli! « Ce que des femmes peuvent faire, je le ferai aussi! » avait-il annoncé à la ronde, et il s' était inscrit sur la liste d' attente auprès de moi pour la course convoitée. Le jour venu, il me nomma les arbres et les plantes que nous rencontrions durant la marche d' approche, il enleva les pives du chemin et remit dans l' herbe fraîche des escargots égarés. C' était un ami de la nature... mais pas un ami des vues plongeantes, car il avait refusé fermement de suivre mon invitation. « Regarder en bas? Jamais! Un vieux garde-chasse du Muotatal m' a dit qu' on n' avait qu' à ne pas regarder en bas, et alors il ne pouvait rien nous arriver! » Il s' en était tenu à ce conseil, même en La vire au-dessus des longueurs d' attaque, où l'on changeait jadis de chaussures. On commence à distinguer clairement le système de couloirs herbeux et de vires que suit la voie « Wyss Wändli » au Gr. Mythen cette belle journée d' automne à l' air transparent. Et c' est vrai qu' il ne lui est rien arrivé ce jour-là, à Seffi!

La facette de sortie Brouillard ou pas, nous ne nous laisserons pas gâter le plaisir d' escalader la dernière petite paroi, celle de la sortie. Cette longueur est un régal tant pour le sens de l' équilibre que pour le besoin de mouvement et le sens du toucher! C' est ici et maintenant, près de ce pin couché sous lequel je me suis glissé, au milieu de cette paroi avec ses petites listes horizontales bien propres, qu' on devrait me demander pourquoi je grimpe. Ma réponse? « Parce que j' aime notre mère la terre, parce que je veux la caresser et l' embrasser... mais que je n' aime pas ramper! » Cette déclaration d' amour est à la fois proche et différente de La dalle d' attaque: le passage le plus difficile de la voie « Wyss Wändli » celle d' un camarade qui, m' ayant vu surgir à ce même endroit avec une jeune fille, ma fiancée, avait eu un rire un peu moqueur et nous avait déclaré en caressant le rocher: « La voilà, ma fiancée à moi! » L' homme dont je parle ici s' appelle aussi Franz, mais ce n' est ni le Franz de la « pierre de l' autel », ni bien sûr le Franzi du pays voisin. Il La face ouest du Mythen. La voie « Wyss Wändli » suit le système de couloirs, vires et têtes rocheuses qui traverse la paroi en montant de gauche à droite allait réussir les années suivantes des douzaines de premières, et par la suite il a aussi trouvé une fiancée en chair et en os. C' est avec lui que j' avais transporté des kilos de matériel dans les montagnes. Au bord du lac du Wägital, deux gardiens de la loi crurent voir en nous, d' après l' état pitoyable de nos mains, des voleurs de plantes protégées, car ils nous donnèrent l' ordre d' ouvrir nos sacs. Mais après avoir bien fouillé, ils avaient échangé un regard sous la visière de leur képi, avant d' an, visiblement déçus: « Ils n' ont que de la ferraille là-dedans! » Toute cette ferraille, les pitons et les mousquetons très lourds ( on ne disposait pas encore à l' époque de matériel d' escalade léger ), Franz l' utilisait surtout dans les fissures des tours rocheuses nommées Peter et Paul, au Petit Mythen. Quant à moi, je m' occupais du maniement des cordes en suivant les conseils d' un petit livre acheté à Paris chez un bouquiniste des quais de la Seine. Personne, même pas nos maîtres en alpinisme, n' aurait pu nous enseigner à l' époque l' escalade technique. C' est ainsi que nous dépendions uniquement de cette brochure venue de la métropole, dont le titre était à peu près celui-ci: La technique de la varappe artificielle. Il aurait tout aussi bien pu s' intituler La technique du hissage des sacs de farine, car cette méthode condamnait le premier de cordée à une attitude qui ressemblait beaucoup, justement, à celle d' un sac de farine. Elle l' engageait à passer alternativement un brin de la corde puis l' autre dans la série de pitons, et comme on ne voyait sur les dessins assez sommaires ni sangle pour mettre le pied, ni échelle, le devoir du second devait être apparemment de hisser son camarade et de maintenir la corde tendue jusqu' à ce que le prochain piton soit planté. Indépendamment des autres inconvénients, cette « technique » me dota rapidement d' ex biceps, tandis que Franz, qui était encordé à la taille, se plaignait de plus en plus de maux de ventre.

La Mythenmatt « II doit y avoir de la menthe par ici » dit Susi en traversant les lappiaz au bord de la Mythenmatt. Mais pour moi, la menthe ne présente guère d' intérêt; la plante qui me plaît, c' est le bois-gentil. Il est synonyme pour moi de printemps en montagne, de réveil de ma passion de grimper, de départ. Je sais où trouver du bois-gentil odorant, dans les coins secs et protégés, partout dans les pentes des Mythen orientées au sud, là où le soleil tape dès le mois d' avril, lorsque l' alpiniste doit encore sauter d' une île rocheuse à l' autre pour éviter la neige fondante. Avec le bois-gentil, j' ai une relation presque mystique, mais avec la menthe, non!

Du reste, je trouve étonnant que cela sente la menthe ici, loin de tout salon de thé! Tout aussi étonnant d' ailleurs, le fait que des moutons, il y a quelques décennies, aient eu l' oc de humer le parfum de cette plante. En effet, les moutons paissaient autrefois à côté des chamois sur la Mythenmatt, ce pan d' herbe incliné bien visible en dessous de la tête sommitale rougeâtre. Par quel chemin les troupeaux arrivaient-ils là-haut? Cela reste pour moi un mystère. Quoi qu' il en soit, le moutonnier Kälin et ses prédécesseurs éventuels devaient avoir de bonnes chaussures, probablement des chaussures à tricounis. Maintenant, ça va aussi avec des semelles caoutchouc, n' en déplaise aux pessimistes de l' après. « Vos semelles caoutchouc sont peut-être bonnes, mais si vous êtes surpris par l' averse sur la Mythenmatt, j' aimerais bien vous voir... De l' herbe mouillée et du caoutchouc, mais c' est du savon noir! Vous allez glisser dans le vide, vite fait bien fait! » L' homme qui nous prédisait ces malheurs avait de petits yeux malicieux plissés par le sourire alors que sa tête se prolongeait en haut par un chapeau pointu et en bas par une barbiche. C' était Köbel, un sculpteur et conteur plein d' imagination. Et il n' était pas le seul à être si sceptique. Köbel a vu plus tard qu' il s' était trompé, mais autant que je sache, il est malgré tout resté fidèle aux tricounis toute sa vie. N' est pas une bonne raison d' honorer sa mémoire encore davantage?

Chacun porte en soi une galerie de peinture dont il peut choisir les tableaux à sa guise. Les alpinistes y mettent naturellement des peintures de montagne, et comme l' entrée à ce musée n' est liée à aucune formalité, ils peuvent contempler ces tableaux exaltants chaque fois qu' ils en ont l' envie. Un lieu particulièrement propice à l' élaboration de tels tableaux, c' est le Rot Grätli, au sommet du Grand Mythen. Les images ont ici trois dimensions, s' élèvent dans un ciel où flotte le drapeau suisse, s' étendent au loin jusqu' au bassin du lac de Zurich, à l' Alpstein, aux Alpes d' Uri et d' Unterwald, plongent jusqu' aux fo- rets sombres et aux prairies fleuries de l' Alptal et à la vallée de Schwyz, avec ses taches de couleur et ses lacs.

Tout en haut, le cercle se referme En suivant le Rot Grätli, où alternent des bancs d' ardoises et des tertres gazonnés, nous arrivons rapidement au sommet, un petit plateau rocheux. Pas une minute trop tôt, ni trop tard, car la bouteille de blanc commence juste à circuler devant le décor formé par le refuge des Mythen. A nous aussi, comme il fallait s' y attendre, on nous tend un verre étincelant. Le président sort son manuscrit pour commencer son discours; l' instant est solennel. Mais juste à ce moment, le son et l' image sont happés par une traînée de brouillard. Cela dure une minute ou deux, le temps de boire quelques gorgées, puis le nuage glisse plus loin, mais je me vois alors, à ma grande stupéfaction ( réalité ou hallucination ?), entouré de beaux garçons en uniforme à tresses d' or. Ce sont tous les concierges auxquels j' ai repensé au cours de l' escalade. Mais il y a là aussi un groupe de messieurs moustachus et très dignes, bien alignés pour la photo, en chapeau, col fermé, gilet, chaîne de montre.

dans une main un grand bâton de noisetier et dans l' autre leur taste-vin personnel. Ce sont les fondateurs de l' association, les hommes qui ont ouvert la montagne aux randonneurs en payant de leur personne et de leurs deniers... Ce sont les concierges du sentier des Mythen, des hommes que je ne connaissais jusqu' ici que par les récits de la plaquette du jubilé. Ils lèvent leur verre tous ensemble, me font un clin d' œil et me sourient amicalement. Je l' ai toujours dit: l' harmonie est l' alpha et l' oméga de tout l' alpinisme!

( Traduction d' Annelise Rigo ) Pourquoi faudrait-il toujours un ciel bleu de calendrier?Départ du collet d' attaque de la voie « Wyss Wändli », au Gr. Mythen

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